La question régionaliste.
Toute l'Histoire de France est traversée par la volonté de l’État français d'assurer sa pleine
souveraineté à la fois à l'extérieur contre l'ingérence des puissances supranationales, hier le
pouvoir pontifical, aujourd'hui l'Union européenne et l'OTAN, et à l'intérieur de ses frontières
contre le féodalisme dont le nouveau visage contemporain est celui du communautarisme et
du régionalisme. C'est de cet étau, par le haut et par le bas, ou plus précisément par
l'extérieur et par l'intérieur, que la France a toujours essayé de se défaire.
C'est dans un contexte d'affaiblissement de l’État que surgissait le féodalisme. De ce point
de vue, la continuité historique est bien présente puisqu'il est essentiel de faire remarquer
que les velléités d'autonomie régionale que nous voyons à présent apparaître dans plusieurs
pays d'Europe en même temps (la Catalogne en Espagne, le récent référendum sur
l'indépendance écossaise au Royaume-Uni, le problème entre Flamands et Wallons en
Belgique etc) s'inscrivent dans un cadre où les États-nations européens sont en train d'être
vidés de leur substance et sont à terme menacés de disparition pure et simple. C'est là qu'il
nous faut aller plus loin dans l'analyse en affirmant que la montée des régionalismes fait
partie intégrante d'une stratégie où elle est coordonnée à un transfert des prérogatives
régaliennes, jadis dévolues à l’État, au niveau supérieur, c’est-à-dire en l'occurrence
l'Europe. Le but de cette balkanisation étant au final la destruction de l'échelon national afin
d'assurer la mainmise de la domination impérialiste sur les peuples. C’est par le biais de
cette grille de lecture que nous devons comprendre la ratification par quantité de pays
européens de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et de la Charte
européenne de l'autonomie locale , ou encore l'autorisation octroyée à l'Alsace de gérer
directement avec Bruxelles les fonds structurels européens et le projet de loi déposé au
Sénat par Nicolas Sarkozy en 2006 proposant d'élargir cette expérience à l'ensemble des
régions françaises, enfin la décision de François Hollande de faire passer de 22 à 13 le
nombre de régions. A noter également que cette détermination des élites occidentales à
remodeler les frontières en fonction de critères identitaires ne concerne pas uniquement
l'Europe, mais a vocation à s'appliquer aussi au Moyen-Orient, du moins si on suit le plan de
l'ancien colonel américain Ralph Peters[1].
Jacques Bainville écrivait dès la première page de son Histoire de France que « le peuple
français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation ». Cette assertion du
grand historien français est importante car il y fait la distinction entre l'ethnie et la nation.
Pourrait-on pour autant en déduire que parce-que Bainville est un français, il sous-entend
que pour lui la nation est nécessairement politique ? Oui pourquoi pas. Cette interprétation
n'est pas très audacieuse si on garde à l'esprit que non seulement la France était dès
l'origine une nation, mais qu'en plus les français ont, à plusieurs reprises de leur histoire,
réitéré ce choix de la nation en tant que communauté politique et non en tant que
communauté héréditaire. Ce fut le cas lors de la Révolution française qui est la réalisation du
fameux « contrat social » de Rousseau consistant en ce que ce soit la volonté des membres
qui la composent qui forme une nation. Cette conception de l’identité française a été encore
réaffirmée lors du conflit à propos de l’Alsace-Lorraine opposant la France à l’Allemagne.
Les théoriciens allemands de l'identité revendiquaient cette région arguant que les Alsaciens
et les Lorrains étaient d'ethnie germanique, ce contre quoi les théoriciens français
soutenaient que peu importait puisque les Alsaciens et les Lorrains étaient avant tout français
par leur simple volonté de l’être. On osera avancer que le modèle français de la nation
possède comme vertu d'écarter les rentiers du patriotisme, autrement dit ceux qui pensent
pouvoir se prévaloir de la qualité de français en dormant, par le sang qui coule dans leurs
veines et sans avoir à le prouver par des actes.
L'affrontement entre le modèle de l’État-nation et celui du régionalisme est en réalité
l'affrontement entre d'une part la conception de la nation politique française et celle de la
nation ethno-tribale germanique et anglo-saxonne.
Jacques Bainville écrivait en substance dans "Les conséquences politiques de la paix" que
le Traité de Versailles de 1919, censé dessiner la paix, préparait en fait la guerre. Comment
en était-il arrivé à ce raisonnement ? En constatant que l'Allemagne, même amoindrie d'une
grande partie de son territoire à l'est, conservait l'essentiel, à savoir son unité politique. Dans
le même temps, en Europe centrale et orientale émergeait une myriade de petits États
nouvellement crées, qui non seulement seraient incapables de contenir une Allemagne qui
demeurait un mastodonte à côté d'eux, mais en plus ne pouvaient que balancer vis-à-vis de
leur voisine entre un sentiment de crainte profonde et une volonté de soumission prononcée.
L'Histoire donna raison à Bainville.
Pour revenir à aujourd'hui, le projet des euro-régions n'est qu'un Traité de Versailles
contemporain, mais qui cette fois-ci a vocation à s'appliquer à l'Europe de l'ouest, à
l'exception évidemment de l'Allemagne qui sera le seul pays à être épargné du
démembrement et pourra alors réaliser encore plus aisément que maintenant sa
géopolitique d'hégémonie sur le Vieux Continent.
Tan Toan Nguyen le 26-Mars-2016
Ce texte est extrait de l'ouvrage "Chroniques de la Quinzaine" en vente ici :
[1]Voir: http://i2.wp.com/afj.wpengine.com/wp-content/uploads/2013/10/peters-map-after.jpg
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