Notre civilisation pourrait-elle s'effondrer ?

Comment imaginer qu’une civilisation aussi sophistiquée que la nôtre, forte d’un savoir scientifique et technologique lui conférant le pouvoir de manipuler le vivant et la capacité d’explorer d’autres planètes, puisse un jour s’effondrer?  Comment une civilisation fondée sur un système démocratique et une justice garante des libertés fondamentales pourrait connaitre le funeste destin de civilisations qui se sont épuisées en maintes guerres de successions et en conflits internes, comme la Rome antique. Personne n’oserait imaginer de grandes métropoles modernes demain submergées par la végétation comme naguère les cités et temple khmer ou les pyramides Maya. Et pourtant, n’existe-t-il pas maints exemples contemporains de cités fantômes comme Tchernobyl, Fukushima, Kadykchan en Russie, Keelung à Taiwan et même des quartiers entiers de Détroit. « Nous autres civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles » pronostiquait Paul Valéry en 1919. Arnold Joseph Toynbee présente l'histoire comme l'essor et la chute des civilisations qu’il identifie sur des critères culturels plutôt que nationaux. Une civilisation peut disparaître de différentes manières : elle peut connaître une fin violente, s’éteindre doucement de vieillesse, ou en souffrant d’une maladie funeste. La nouveauté du problème est sa dimension globale. Jadis, l'écroulement des sociétés n'a jamais été qu'un phénomène local ou régional. Mais, prévenait Paul Ehrlich « aujourd'hui, pour la première fois, une civilisation humaine globale - la société technologique, de plus en plus interconnectée, dans laquelle nous sommes tous embarqués à un degré ou à un autre - est menacée d'effondrement par un ensemble de problèmes environnementaux »

 

Qu’entendre au juste par effondrement ?

Selon le biologiste américain, Paul Ehrlich "À peu près toutes les civilisations passées ont subi un effondrement, c'est-à-dire une perte de complexité politique et socio-économique, généralement accompagnée d'un déclin drastique de la démographie. Certaines, comme en Egypte ou en Chine, se sont remises de situations d'effondrement, mais d'autres non, comme la civilisation de l'île de Pâques, ou les Mayas classiques. Ajoutons la civilisation khmère qui nous a légué les fameux temples d’Angkor-Vat (...) Dans bien des cas - sinon la plupart - la surexploitation de l'environnement a été la cause des effondrements passés. »

Mais qu’aurions-nous en commun avec ces mystérieuses et éphémères civilisations ?

Justement l’environnement. Encore aujourd’hui il constitue le risque majeur. Paul Ehrlich décline un ensemble de risques tous liés de près ou de loin avec l’environnement. Sa liste a de quoi désespérer les plus optimistes: Érosion rapide de la biodiversité ; exploitation irraisonnée des océans ; destruction accélérée des insectes pollinisateurs, qui assurent la reproduction de 80 % du règne végétal ; épuisement des sols et des eaux souterraines ; formation de vastes zones mortes dans les océans, à l'embouchure des grands fleuves qui charrient les effluents agricoles. Avec, surplombant et déterminant partiellement le tout, deux phénomènes globaux liés à nos émissions de gaz à effet de serre : le réchauffement climatique et l'acidification des océans. L'humanité a donc devant elle un certain nombre de difficultés, avec pour conséquence le risque demain de vastes famines. Mais cette vision d’apocalypse est contestée par d’éminents économistes, comme Julien Simon adversaire résolu de Paul Ehrlich

 

Vers une prise de conscience

Fort heureusement, la prise de conscience de risques écologiques majeurs progresse, même dans les contrées où la frénésie productiviste primait comme en Chine, face à l’avancée du désert vers Pékin et les catastrophes environnementales, consécutives à la déforestation. Ou aux USA. L'ouragan Katrina sur La Nouvelle-Orléans et la marée noire du golfe du Mexique ont fait plus progresser la prise de conscience des Américains pour les inciter à se tourner vers des sources d'énergie sobres en carbone que tous les discours écologiques. Selon les assureurs américains, les catastrophes naturelles en 1980, ont représenté 3 milliards de dollars (2,2 milliards d'euros), en 2000 à 20 milliards, en 2012, 50 milliards rien que pour l'ouragan Sandy qui a frappé la Côte Est. Et 80 milliards de dollars l'on ajoute la sécheresse dans le sud du pays. Une progression exponentielle !

Face à l’ampleur des risques, nous devrons mobiliser tout notre génie créatif. Le véritable risque, c’est de n’en prendre aucun, de ne pas oser les ruptures conceptuelles. Déjà des solutions, certes partielles sont disponibles. Ceux qui portent quelque curiosité aux sciences savent que se préparent dans nos laboratoires des solutions autrement plus crédibles que la couverture de tout notre territoire de vastes champs d’éoliennes. Le grand public est-il informé de projets prometteurs comme ceux d’usines Osmotiques en Norvège, ou la production de carburants à partir de la culture d’algues ou encore les progrès prometteurs de l’énergie photovoltaïque avec des rendements passant de 14% à bientôt plus de 30%. Cela grâce à de nouveaux matériaux comme les pérovskites. Diverses technologies de capture du CO² sont autant de moyens pour faire face au défit climatique. Certes, les sciences et technologies n’auront pas nécessairement réponse à tous les défis, aussi, nos modes de vie devront s’adapter. Si nous pouvons à moyen terme avoir confiance en notre créativité, néanmoins le temps presse, car une fois l’emballement de la machine climatique engagé, il pourrait devenir incontrôlable et entrainer un effondrement de nos civilisations aux conséquences humaines dévastatrices. Les conclusions d’une quarantaine de spécialistes du fonctionnement des écosystèmes sont glaçantes : l'ensemble de la biosphère terrestre connaîtra une "bascule abrupte et irréversible" dans les prochaines décennies. Le pire n’est jamais sûr, sachons les faire mentir.

 

Nos talons d’Achille

Mais n’existe-t-il pas d’autres risques d’effondrement ? Probablement jugés trop déprimants, trop politiquement incorrects, ils ne feraient l’objet d’aucun éclairage médiatique et exclus du débat public, du moins en France. Certains de ces risques pourraient avoir des effets dévastateurs quasi immédiats.

Imaginons ne serait-ce qu’un instant, les conséquences de la fermeture du détroit d’Ormuz à la suite d’un conflit dans les pays du golfe. La majorité de nos approvisionnements pétroliers transitent par ce goulet à la merci de tous les pays riverains, pour n’en citer aucun. Nos pompes à sec, ce serait presque immédiatement la paralysie complète, la thrombose non seulement de nos économies, mais de toutes nos activités. Quasiment tout notre fret passe par la route à un moment ou un autre, même s’il a transité un temps par un autre mode de transport comme le rail ou le fluvial. De toute façon, peu importe que nos supermarchés soient vides, nous ne pourrions même pas nous y rendre faute d’essence à mettre dans le réservoir de nos autos. Très rapidement nos sociétés seraient paralysées, tout s’arrêterait dans un quasi-silence. C’est un scénario tout à fait plausible dans ce Moyen-Orient sous très haute tension, qu’une étincelle suffirait à embraser : conflits interreligieux, frappe préventive contre des installations nucléaires, conflits pour le contrôle de champs pétroliers. Comme le sang dans nos organismes, le pétrole est vital pour nos sociétés et il est urgentissime de s’en affranchir. Est-il vraiment raisonnable de bannir les gaz de schistes ?

Et le risque démographique ? Lorsque dans les rares occasions où il est évoqué, on se rassure à bon compte sur nos capacités théoriques à nourrir 11 à 12 milliards d’humains, déjà en réduisant nos pertes et gaspillages. Il est vrai que jusqu’à ce jour, Malthus a toujours été pris en défaut. Mais pourrons-nous infiniment embarquer sur notre terre de nouveaux passagers sans la mettre en danger ? Dans de nombreuses régions du monde, "les rendements agricoles n'augmentent plus depuis sept à huit ans". Surtout le problème est plus local que global. La population Egyptienne a été multipliée par 3,5 en 50 ans. L’image de grappes humaines escaladant les grillages des enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta au Maroc pour tenter de fuir en Europe est saisissante. Et celle de ces embarcations surchargées qui sombrent avant rejoindre Lampedusa. Comment ce continent africain déjà en proie à l’extrême misère avec son milliard d’habitants pourrait-il en accueillir le double dans trente ans, voire dépasser les 4 milliards en 2100 soit plus de 40% de la population mondiale ? Comment une Europe, même extrêmement généreuse, sinon suicidaire, pourrait-elle accepter d’être submergée par ces milliards supplémentaires de réfugiés alors qu’elle connait déjà des difficultés d’intégration? Plus de 80% des Européens s’y refusent. Tôt ou tard il faudra bien oser contrarier tous ceux qui s’opposent aux politiques du planning familial, les chantres de la croissance effrénée et les pouvoirs religieux. Car prenons garde, les tensions démographiques pourraient bien engendrer de graves troubles sociaux, et même conduire à des conflits majeurs. Le sursaut de survie de la civilisation occidentale sera d’autant plus douloureux qu’il tardera.

 

Quelles limites 

Pendant cinq siècles l’Occident a imposé au monde sa conception « prométhéenne » basée sur une foi inébranlable d’un progrès sans fin. Désormais, ce sont nos modes de production et de consommation qui doivent être interrogés. La croyance en une croissance illimitée, fait place progressivement à la prise de conscience des contraintes environnementales, L’épuisement du mode vie occidental, sera atteint d’autant plus vite qu’il serait imité par le plus grand nombre. Selon Paul Ehrlich "Les accroissements simultanés de la population et de la consommation non durable font que le monde se trouve face à deux de ses plus grands défis. La population mondiale est de 7 milliards d'habitants, et la plupart des projections indiquent qu'elle sera de 7 à 11 milliards en 2050, sachant que l'accroissement de la population se fera surtout dans les régions à faible revenu. La population mondiale à quintuplé depuis le début du XXe siècle et elle double tous les 30 ans dans certains pays africains. La bombe D (comme Démographie) explosera et aucune société n’en sera protégée, c’est une situation d’une extrême gravité dont on ne peut faire abstraction, a fortiori quand on est écologiste.

La conscience d’un péril ne signifie surtout pas qu’il soit inéluctable, bien au contraire si l’énergie d’y faire face, et la confiance en nous-mêmes demeure entière. « La société moderne a montré de la capacité à traiter les menaces de long terme, si elles sont évidentes et continuellement portées à notre attention". Mais à un danger global, les solutions ne peuvent être que communes. Les pollutions se moquent des frontières comme le nuage radioactif de Tchernobyl.

 

La civilisation occidentale a-t-elle un avenir ?

Pour Toynbee « Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre. » Ce qui rejoint le propos de Michèle Tribalat, directrice de recherches à l’INED Institut national d’études démographiques

« Une part importante de nos élites agit, et ses actes le démontrent, comme si l’être humain se réduisait à sa part matérielle – son enveloppe charnelle. Lorsqu’un migrant se déplace, nos élites ne voient ni l’esprit, ni l’âme, seulement un corps, et les corps sont perçus comme interchangeables. C’est la raison pour laquelle le déclin démographique est le cadet de leurs soucis. Pour elles, il suffit d’importer des migrants et le problème de la natalité européenne est réglé. Je m’en suis rendu compte dans des réunions auxquelles j’ai pu assister, y compris en présence de responsables d’instances politiques européennes. Malgré les apparences, notre époque a tourné le dos aux Lumières et à leur humanisme. Nous sommes à l’heure d’une barbarie qui ne dit pas son nom, qui ne se voit pas, car elle n’est pas sanguinaire, qui réduit l’homme à l’état d’objet dénué de sensibilité, et vierge de toute l’histoire qui l’a précédé et dont il peut être l’héritier." »

Une civilisation ne peut se réduire à la capacité d’une communauté humaine à produire des biens matériels et à les consommer. Elle se fonde d’abord sur une communauté de valeurs, une éthique, un imaginaire, une histoire et un héritage partagé, des coutumes et des rituels, un patrimoine. C’est certainement le matérialisme vulgaire de nos élites qui fait courir à la civilisation occidentale le péril le plus immédiat.

Pour Alexis Carrel « Ce sont surtout la faiblesse intellectuelle et morale des chefs et leur ignorance qui mettent en danger notre civilisation. »

 

                                                                                                                                                         André HANS

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