Notre parc automobile n’est-il pas surdimensionné ?

Café débat de Saint-Quentin-en-Yvelines – 26 janvier 2019

Débat introduit par Bruno Sauvage

 

L’automobile est une merveilleuse invention. Elle a pris une place considérable dans nos modes de vie. Mais le développement du parc automobile n’est pas sans inconvénients en raison de ses impacts divers. Et la question se pose des limites à définir pour le parc automobile aux niveaux local, national et mondial. Parmi les impacts du parc automobile qui conduisent à se poser cette question des limites, nous considérerons quatre aspects :

-          Les consommations d’énergie.

-          L’organisation spatiale des villes et l’artificialisation des sols.

-          Nos modes de vie et notre relation à l’espace environnant.

-          L’automobile et la perception de la surpopulation mondiale.

 

1°) – Les consommations d’énergie

La société industrielle moderne nous a dotés d’outils mécaniques et électroniques très pratiques. Parmi ces outils, le plus emblématique est certainement l’automobile. Elle est comme un deuxième lieu de vie pour beaucoup d’entre nous. Cependant, il ne faudrait pas considérer l’automobile comme un objet banal en raison de ses consommations d’énergie. Pour nous rendre compte de la consommation d’un véhicule, nous pouvons la comparer à celle d’un organisme humain : En une heure, notre organisme consomme 100 kilocalories ; En une heure, une automobile (de gamme courante) consomme 50 000 kilocalories, 500 fois plus !

(Notons aussi, que nous empruntons de plus en plus souvent l’avion, et en une heure d’avion, l’énergie consommée par passager est de l’ordre de 300 000 kilocalories, 3000 fois plus que pour l’organisme humain ! Pour l’avion, il y a lieu également de se préoccuper des limites à poser à son usage).

Ces chiffres montrent que l’organisme humain est une « machine » très performante. En revanche, les machines fabriquées par l’homme sont très gourmandes. Il nous faudrait plusieurs planètes pour nourrir nos machines si l’on voulait remplacer le pétrole ou le charbon par des produits de l’agriculture ou de la forêt ! Ce sont les transports routiers et aériens (ainsi que les centrales électriques à charbon) qui ont l’impact le plus important sur les émissions de gaz carbonique, et il faut ajouter à cet impact celui des industries pour la fabrication des véhicules et des avions, ainsi que l’impact de la construction et de l’entretien des infrastructures routières et aéroportuaires. Réduire les émissions de gaz carbonique nécessitera d’une manière ou d’une autre, une réduction de l’usage de l’automobile et de l’avion.

 

2°) - L’organisation spatiale des villes et l’artificialisation des sols

L’automobile n’est pas un objet banal pour la consommation d’énergie, elle ne l’est pas non plus pour la consommation d’espace. L’automobile nécessite beaucoup de surface pour circuler et stationner aux dépens des espaces naturels. L’automobile a engendré l’étalement urbain. En outre, les voies de circulation, notamment quand elles sont larges, cloisonnent les espaces naturels et perturbent la circulation des petits et grands animaux et compromettent ainsi la survie de beaucoup d’espèces vivantes.

Aujourd’hui, la majorité de nos concitoyens habitent dans des zones urbaines périphériques, caractéristiques de l’urbanisation des dernières décennies, (comme c’est le cas à Saint-Quentin-en-Yvelines), avec de vastes zones pavillonnaires et de vastes zones d’activité dont le développement a été possible grâce à l’automobile. Ces zones sont très difficiles à desservir par des transports collectifs car trop peu denses, et inhospitalières pour les piétons en raison de l’échelle à laquelle elles ont été réalisées. Le problème est semblable pour les « rurbains » qui habitent des communes rurales et qui vont chaque jour travailler à la ville ainsi que pour les vacanciers des communes balnéaires ou touristiques et pour les personnes ayant une résidence secondaire à la campagne.

Le mouvement d’étalement urbain se poursuit au rythme de 70 000 ha par an en France ! Et cela malgré les orientations d’urbanisme élaborées à la suite du Grenelle de l’Environnement (qui s’est réuni en fin 2007). Ces orientations préconisent de construire ou « d’intensifier » la ville près des gares où le long des axes bien desservis par un transport en commun et de revitaliser les centres villes. Mais dans les zones périurbaines où les habitants et les élus ont fait le choix préférentiel d’un habitat pavillonnaire, ils se montrent peu pressés de mettre en œuvre ces orientations, et certaines zones seront toujours difficiles à desservir en transports collectifs.

 

3°) - Nos modes de vie et notre relation à l’espace environnant

Dans le dernier numéro de la revue Télérama de l’année 2016, un dossier était consacré à l’enfance. Dans deux des articles, dont l’un signé par Boris Cirulnik, il était constaté que les enfants vivent de plus en plus confinés dans leur appartement et passent de longues heures devant les écrans. Alors que pour les plus anciens d’entre nous, nous avons connu dans notre enfance une vie à la campagne ou à la ville, avec une beaucoup plus grande liberté de mouvement dans un vaste espace environnant. Ce confinement des enfants dans leur appartement est la résultante de l’artificialisation croissante de notre milieu de vie urbain, avec un environnement mécanique qui rend beaucoup de quartiers inhospitaliers et où on ne laisse pas les enfants se promener seuls.

Pour les adultes, la transformation en « automobilistes » modifie la perception de l’espace environnant. On ne voit plus la nature de près, mais comme un simple décor paysager. Et en ce qui concerne la ville, on semble avoir oublié qu’une ville ou un village sont d’autant plus agréables qu’on prend plaisir à s’y déplacer à pied. La marche à pied est le moyen de déplacement le plus naturel, et source de convivialité dans l’espace public.

Dans beaucoup de quartiers, pourtant peu denses, les habitants en place s’opposent à la construction de nouveaux logements, non par manque de sympathie à l’égard des nouveaux habitants éventuels, mais parce qu’ils craignent d’être gênés par le stationnement et la circulation de voitures supplémentaires.

 

4°) - L’automobile et la perception de la surpopulation mondiale.

Lors d’un voyage d’étude aux Etats Unis en 1972, j’avais été frappé par la hantise de la surpopulation mondiale qu’exprimaient nombre des responsables américains que nous avions rencontrés. Ces responsables étaient conscients que le mode de développement pratiqué aux Etats Unis, avec un étalement urbain considérable lié à l’usage de l’automobile générant une forte consommation d’énergies et de matières premières, ne pouvait pas s’appliquer à l’échelle de la planète. Ils en déduisaient que la population de la planète était beaucoup trop élevée.

Au début des années 1970, on avait raison de se préoccuper de la croissance de la population mondiale car les perspectives des démographes étaient de 14 milliards d’habitants à l’horizon 2050. Mais depuis, sur tous les continents s’est opérée une « transition démographique » avec une baisse du nombre de naissances par femme. La croissance de la population est beaucoup plus liée aujourd’hui à l’allongement de la durée de vie, qu’au nombre de naissances. L’Afrique fait encore exception, mais on peut penser qu’elle opèrera aussi sa transition démographique avec l’urbanisation croissante.

Depuis les années 1970, en France et dans beaucoup d’autres pays, nous avons copié le modèle américain d’étalement urbain lié à l’usage de l’automobile. Et certains de nos concitoyens pensent comme nos interlocuteurs américains de 1970 : ce modèle ne peut pas s’appliquer à l’échelle de la planète car nous sommes trop nombreux sur la terre. Cette inquiétude ne peut pas être liée à la possibilité de nourrir les 7,5 milliards d’habitants aujourd’hui, ou 10 milliards en 2050. En effet, si les espaces agricoles et forestiers de la planète sont mis en valeur avec les multiples possibilités de l’agro-écologie et de l’agroforesterie adaptées à chaque territoire on ne devrait pas avoir d’inquiétude sur la capacité de se nourrir.

Mais l’inquiétude vient des niveaux de consommation d’énergie et autres matières premières. Si les populations qui ont actuellement un faible niveau de consommation d’énergie rejoignaient les consommations des personnes vivant selon le modèle occidental, les émissions de gaz à effet de serre qui sont déjà beaucoup trop importantes exploseraient ! Et les productions agricoles et forestières ne pourront pas compenser nos consommations d’énergies fossiles.

Mais dans ce dilemme, que faut-il remettre en cause ? La nombre d’habitants sur la terre, ou la surconsommation d’énergie liée à notre mode de vie occidental que tous les habitants de la planète essaient de copier ? Pour ma part, mon séjour aux Etats Unis de 1972 m’a fait comprendre que l’automobile était un magnifique objet mais trop gros pour être un objet individuel, et qu’il fallait s’efforcer, à titre personnel d’organiser sa vie pour utiliser la voiture le moins possible, et à titre collectif d’œuvrer pour que l’organisation urbaine permette à une grande partie de la population de vivre sans voiture personnelle. Il serait paradoxal que le progrès technique se retourne contre les hommes, et que pour pouvoir disposer de machines qui ne sont pas indispensables en aussi grand nombre, on doive dire aux personnes qui nous regardent avec envie, qu’elles sont en trop sur la terre ! 

revenir au blog et voir les commentaires.