D'où vient notre sens (ou conscience) du bien et du mal ?
« Toute recherche et toute technique, et pareillement toute action et toute préférence, tendent, à ce qui semble, vers un bien. Aussi a-t-on eu raison de déclarer que le bien, cest ce vers quoi tendent toutes choses » Aristote. Ethique à Nicomaque
Définitions (« Vocabulaire de la philosophie et des Sciences humaines ». L.M. Moreaux)
Le Bien (au sens moral)
a) concept normatif fondamental dans lordre éthique (comme le Beau pour lesthétique et le Vrai pour la logique) désignant ce qui est conforme à la norme ou à lidéal moral
b) devoir qui implique une idée dobligation et dobéissance
c) Souverain bien : ce à quoi lindividu aspire comme à une fin dernière qui lui procurerait un contentement total
d) Bien commun : tout ce qui matériellement ou spirituellement contribue au bien-être dun groupe, famille, entreprise, etc ; Bien public : qui sert lintérêt général dune société institutionnalisée
Le Mal (au sens moral)
Contraire du Bien. Fait déraisonnable et nuisible qui résulte dune action humaine.
La conscience du Bien et du Mal
La conscience est le jugement pratique par lequel le sujet distingue le Bien et le Mal et apprécie moralement ses actes et ceux dautrui ; en ce sens on dit aussi conscience morale .
Tous les humains possèdent une conscience du Bien et du Mal. Les enfants lacquièrent très jeunes. Quelle est lorigine de cette conscience particulière ? On trouve essentiellement deux types de réponses :
Cette conscience nous est donnée par Dieu, qui est lui-même la source du Bien
Cette conscience nous vient de la Nature, elle est inscrite dans nos gènes
Dans un cas comme dans lautre, la définition du Bien et du Mal devrait être universelle, ce qui nest pas évident.
En effet, dans la notion du Bien et du Mal, on trouve des éléments universels, et dautres qui ne le sont pas. Parmi les éléments universels : Tu ne voleras pas, tu ne tueras pas, tu ne feras pas de faux témoignage, tu ne prendras pas la femme dun autre, qui font partie des Dix commandements reçus de Dieu par Moïse ; mais aussi linterdit de linceste et quelques autres. Chacun sait ce que représentent le mensonge, la propriété dautrui, et son plus grand bien qui est sa vie
Mais il sy trouve aussi des éléments qui varient avec le lieu et le temps, ainsi que le révèle lévolution des lois, et même avec les personnes. Couper la main aux voleurs, appliquer la loi du talion « il pour il, dent pour dent », pratiquer lesclavage, autant de lois et de pratiques qui ont un jour été considérées comme justes, qui ne le sont plus pour nous mais peuvent le demeurer en dautres lieux.
Le Bien est donc, pour partie, relatif
Le sens du Bien et du Mal sacquiert par léducation. Il est en quelque sorte produit par les sociétés elles-mêmes. Un enfant-loup qui na pas connu la société humaine na pas ce sens moral. Ce nest donc pas [ou pas seulement] génétique. Ce sens est étroitement lié au fait que lhomme vit en société : cest le respect de lautre qui sexprime dans le Bien. Quel intérêt peut avoir lhomme à respecter son prochain ?Lalliance et la confiance sont plus efficaces, plus productives que la guerre et la méfiance.
Parmi les réponses modernes que lon peut apporter, celle dAntonio Damasio, neurobiologiste, dans « Spinoza avait raison » mapparaît très intéressante. Il parle dun mécanisme biologique bien connu, lhoméostasie.
Lhoméostasie concerne tous les êtres vivants : cest un ensemble très complexe de régulations qui a pour but « de créer un état vital qui ne soit pas que neutre, ce que nous appelons bien-être. » Cest un mécanisme qui veille à la survie de chacune des cellules de lorganisme, dans les meilleures conditions possibles, pour le bien-être de lorganisme entier. Un organisme vivant ne peut survivre sil ne se préoccupe pas de chaque organe, de chaque cellule.
Loriginalité de Damasio consiste à étendre ce concept au corps social, grand corps vivant dont le bien-être est assuré si chaque personne survit elle-même dans les meilleures conditions possibles.
Extraits :
« Ces conventions et ces règles, ainsi que les institutions qui les font respecter religion, justice et organisations sociopolitiques deviennent des mécanismes produisant une homéostasie au niveau du groupe social. Selon lenvironnement particulier, moyennant de légères variations daccentuation , sur lindividuel ou sur le collectif, directement ou indirectement, le but ultime de ces institutions consiste à promouvoir la vie, à éviter la mort, à développer le bien-être et à réduire la souffrance . »
« Dans lEthique (proposition 18) de Spinoza : « Le fondement de la vertu est leffort même pour conserver son être propre, et le bonheur consiste pour lhomme à pouvoir conserver son être. », que Damasio paraphrase en : « tous les humains sont créés de façon à tendre de préserver leur vie et à rechercher le bonheur, leur bonheur provient de la tentative réussie pour ce faire et le fondement de la vertu repose sur ces faits. » Et la réalité biologique de la préservation de soi donne lieu à la vertu parce que, selon notre besoin inaliénable de nous maintenir, nous devons nécessairement aider les autres soi. Cest là que se trouve la beauté de cette citation précieuse, vue avec les yeux daujourdhui : elle contient le fondement dun comportement éthique et ce fondement est biologique. La conscience ouvre la voie à la connaissance et à la raison, lesquelles, en retour, permettent aux individus de découvrir ce qui est bien et ce qui est mal. Le bien et le mal ne sont pas révélés ; on les découvre individuellement et au moyen de laccord entre êtres sociaux.
La définition du bien et du mal est simple et élégante. Les objets bons sont ceux qui suscitent, de façon fiable et durable, les états de joie dont Spinoza pense quils accroissent le pouvoir et la liberté dagir. Les objets mauvais sont ceux qui produisent le résultat contraire Les bonnes actions sont celles qui, tout en faisant le bien de lindividu via ses appétits et ses émotions naturels, ne font pas de mal aux autres individus. Injonction sans équivoque Nous sommes mandatés pour survivre et pour rendre notre survie plus agréable que douloureuse ; de cette nécessité résulte un certain accord social. Il est raisonnable de supposer que la tendance à rechercher laccord social a elle-même été incorporée dans nos mandats biologiques Dans une certaine mesure, nos cerveaux sont câblés pour coopérer les uns avec les autres dans le processus qui rend possible ce décret.»
Ainsi, la conscience du Bien et du Mal nous est donnée à travers la Nature, à travers nos mandats biologiques, ce qui est très satisfaisant pour lesprit. Cela explique aussi la troublante relativité du Bien : la notion de bien est en partie culturelle puisquelle dépend de la société humaine concernée, et même de lhistoire personnelle de chaque individu. Son perfectionnement avec le temps est le résultat de lévolution de lespèce toujours en cours (Homo sapiens sapiens nest pas achevé ) et du développement ontologique de chacun.
Marie Odile