Sommes nous, nous Français, un peuple civilisé?

Chaque individu est ambassadeur de son pays et a pour mission d’en défendre les valeurs. La politesse, le civisme, dont les codes se forgent sur des principes de savoir-vivre établis pour tous, sont l’enseigne d’un pays éduqué. Le respect et l’application de ces codes par chacun font partie des garants de la cohésion sociale et de l’image qu’offre ce pays au monde qui l’observe.

MAIS QU’EST-CE QU’UN PEUPLE CIVILISE ?

C’est le fait pour un peuple de quitter une condition primitive, un état de nature, pour progresser dans le domaine des mœurs,  de la connaissance et des idées.

Dès la petite école, nous apprenons que le climat et la situation géographique de la France en font un pays privilégié ;  Il semble que tout ait été conçu pour que ceux qui ont choisi d’y vivre y trouvent le bien-être. Vu de haut, ses champs bien labourés, ses villes ordonnées, ses ponts et chaussées,  les monuments, cathédrales,  châteaux et  musées attestent d’un passé prospère qui a permis un présent moderne ;  nous possédons, dans le domaine des arts, de la science et de la pensée, un patrimoine prestigieux dont nous nous enorgueillissons souvent.  Mais  atterrissons et écoutons  ce qui  fait battre le cœur du pays : sa population tellement vivante, diversifiée, dont la voix propage des échos... harmonieux ou discordants.

 DE LA BARBARIE AUX BONNES MANIERES

La civilisation a son pendant négatif : la barbarie. Nous n’allons pas, ici, passer en revue les passages de l’Histoire où notre pays a sombré dans le désordre et la sauvagerie ; il suffit d’évoquer les guerres, les coups de folie collective, les chasses aux sorcières, l’esclavage, la colonisation, la monstrueuse guillotine... pour savoir que nous nous avons bien souvent accepté de nous  laisser embarquer dans des actes contraires à toutes notions de culture ou civilisation.

 La tradition dominante de la pensée occidentale précisant que l’humain a pour diction les droits de l’homme et du citoyen,  il est bien évident que ces droits exigent en retour des devoirs qui doivent être appliqués par chacun et au quotidien. C’est pourquoi nous parlerons des mœurs, un domaine déjà suffisamment dense pour notre réflexion du jour.

Au cours de l’un de nos débats, Josette avait développé l’idée qu’il faut « se changer soi-même afin de changer le monde » et il  est vrai que chaque individu d’une société est responsable, par son comportement, de l’image qu’offre cette société au  monde qui l’observe.  Dans le domaine des mœurs, nous pouvons affirmer que nous avons fait, depuis les mérovingiens, quelques progrès. Pour arriver à cette affirmation il n’est que de lire  «  le traité de savoir-vivre à l’usage des princes d’Europe » écrit par Erasme au XVIème siècle.  Comme on n’interdit jamais que ce qui est en usage il est assez facile d’imaginer, par une lecture en creux, les comportements de l’époque. Pour votre plaisir, en voici quelques préceptes : A table, les princes sont priés de ne pas se moucher avec le linge qui la recouvre mais dans la manche de leur vareuse. Si un besoin pressant se fait ressentir on doit se diriger vers l’âtre où il est coutume de se soulager, sans jamais sortir ses « attributs » (!) avant que d’être sous le manteau de la cheminée. Au cours du repas, il est recommandé de vomir sous la table et non dans le passage derrière les convives et ce afin de ne pas provoquer la chute des servantes qui amènent les plats.  Il est  conseillé, entre autres règles d’hygiène,  de se rincer les dents, chaque jour, avec son urine du matin... Erasme, on  le voit, était homme de bon sens et Il semble que ses recommandations aient été suivies jusqu’à nos jours par les grands de ce monde mais aussi, n’en doutons pas, par la plupart d’entre nous, du moins dans le domaine des civilités.

Nous allons maintenant nous interroger sur les vertus de la politesse et sur la politesse en tant que vertu.

La politesse est l’état de ce qui est conforme aux règles de la bienséance. Si elle n’est  qu’un « dressage », et en cela je souscris à l’idée d’André Comte-Sponville qui la développe dans son essai : « le petit traité des grandes vertus », elle est en même temps l’apprentissage du respect, vertu maîtresse par excellence, qui doit dicter le comportement de chaque individu. Le mot dressage peut surprendre voire offusquer, cependant n’oublions pas que nous appartenons à l’espèce animale, capable, on l’a vu souvent,  de se déshumaniser dans des actes individuels ou collectifs  de barbarie épouvantable : car oui, la violence est la norme dans l’histoire, et ce n’est pas cynisme de le dire. Si chacun doit  représenter l’humanité sous son meilleur jour, il doit se plier à des règles de maîtrise de soi et de respect envers les autres. Aussi lorsqu’on a la charge de l’éducation d’un enfant il est  indispensable de lui inculquer des mécanismes de savoir-vivre afin qu’il se fasse accepter, estimer... et peut-être aimer, lorsqu’il sera « livré » à la société. Pourtant, il semblerait que La politesse soit parfois considérée comme une parente pauvre des méthodes d’éducation : « Qu’a-t-on à s’encombrer de formules et de simagrées... » entendons-nous parfois de ceux qui la confondent, sans doute, avec l’obséquiosité, l’hypocrisie. Or la politesse est  le souci du « bien vivre ensemble ». N’est-elle pas un frein au laisser-aller ?  Chacun ayant son tempérament, dans quels débordements irions-nous si nous n’avions appris à maîtriser dès le plus jeune âge ce que Freud appelle notre « ça » ? Le « ça » étant les pulsions qui nous agitent et que le « surmoi » doit maîtriser.  Ce contrôle de soi-même est la condition sine qua non d’une vie agréable en famille et en toute société. CONFUCIUS place  REI, qui signifie politesse, savoir-vivre, au troisième rang des grandes vertus car tout ce qui demande à l’humain un effort est une vertu. Roland Barthes parle d’exclusion par le langage, et, en effet, on peut se faire exclure par le non-respect des règles de savoir-vivre (ceci fut d’ailleurs évoqué dans une parenthèse lors du débat sur le chômage introduit par André). Ces règles sont universelles avec des codes particuliers à chaque culture. L’apprentissage du savoir-vivre est aussi important que l’apprentissage du langage qui nous enseigne comment faire coïncider sa pensée, ses émotions, ses désirs et revendications avec les mots qui mettent en valeur les arguments pour convaincre : et cela est un art qui s’enseigne et que l’on nomme rhétorique.  

Nous avons bien compris l’importance de l’éducation et le rôle que joue le respect pour autrui dans l’agencement d’une société harmonieuse. Alors,  essayons de répondre à la question :   sommes-nous un peuple civilisé ?

Sommes-nous individuellement et collectivement un peuple hospitalier ? Savons-nous représenter honorablement notre pays lorsque nous nous expatrions ? Sommes-nous respectueux des autres, de notre patrimoine, de notre langue ?  Avons-nous tous le souci de notre dignité vis-à-vis des autres, de la nature, des animaux ? Car tel est bien le sens du mot civilisation.  

Le savoir-vivre nous l’avons vu est empreint de RESPECT. Ce mot, revenu souvent au cours de notre propos,  vient du latin RESPICERE, ce qui signifie SE RETOURNER c’est-à-dire prendre une personne, une situation, en considération ;   avoir égard.

«  FAIS CE QUE VOULDRA » : Telle était la devise de l’Abbaye de Thélème (première utopie de la littérature française, imaginée par François Rabelais au début du XVIème siècle), société idéale, sans hiérarchie, sans police et sans loi et les hommes  instruits du respect de l’autre et de la sagesse y vivent la véritable liberté. Mais c’est  on l’a dit une utopie.

Or  j’ai parcouru la ville et tête baissée, je n’ai pu calculer le nombre de rondelles de chewing gum aplaties sur les trottoirs.

Je me suis promenée à travers champs et les détritus qui étouffaient les jeunes pousses de blé m’ont attristée.

J’ai vu remonter les filets des pêcheurs et  fus effrayée par la triste danse des poissons emprisonnés dans les déchets.

Et puis au nord de notre pays des hommes, des femmes et des enfants, ayant fui les persécutions,  crèvent de faim et de froid entassés sous des abris : leur monde ressemble à l’enfer. Pas si loin de là, existe un autre monde où c’est l’argent, beaucoup d’argent, qui s’entasse dans des abris que l’on appelle paradis fiscaux. Et ces deux mondes se côtoient

Quelle pédagogie adopter, quel langage, pour que chacun, du plus humble au plus puissant, se sente concerné et fasse honneur à notre société toute entière ? Technologiquement nous sommes au XXIème siècle, il n’y a là aucun doute,  mais psychologiquement sommes-nous si loin de nos frères de la préhistoire ?

« ... car ces gens libres, bien instruits, vivant en honnête compagnie ont par nature un aiguillon qui les poussent toujours vers la vertu,  et c’est ce qu’ils nomment l’honneur. » François Rabelais. : L’abbaye de Thélème, Gargantua, chapitre LVII (1534)

  30 avril 2016

CHARLOTTE MORIZUR

 

revenir au blog et voir les commentaires.