L’Histoire se répète-t-elle, si oui que peut on en tirer?
Daniel Soulat, 19 Mars 2022
L’Histoire n’est pas qu’une compilation de dates et d’événements : si elle fait le récit des guerres, elle raconte aussi l’évolution de l’humanité, les vicissitudes des peuples. En étudiant ce récit, on constate que crises et révoltes semblent se succéder à un rythme quasi régulier et c’est ce que mettent en évidence les mouvements Kondratiev. Cependant, peut-on aller jusqu’à dire qu’il y a répétition d’événements et si tel est le cas, en tirer des enseignements ?
Après un bref rappel des faits, il s’agira d’examiner les analogies qu’il pourrait y avoir entre différentes révoltes sociales, révolutions, et crises.
I/ LES REVOLTES SOCIALES
1/ La révolte des canuts de Lyon 1831-1834 : Ils travaillent 15 à 18h/j pour le compte des soyeux, ils tissent la soie, à domicile et sur leurs propres métiers à bras. Les faibles revenus qu’ils perçoivent ne leur permettent qu’une vie de misère. De plus ils sont victimes du progrès technique (les métiers Jacquard) qui leur font concurrence. Ils chantent ‘vivre en travaillant ou mourir en combattant’. Pour la première fois dans l’Histoire, apparaît l’idée d’une représentation professionnelle ouvrière : ils réclament ‘Justice pour tous, bien être pour chacun’. Face à la révolte, Casimir Périer envoie 20 000 soldats : il y aura 131 militaires tués, 200 morts civils.
2/ Le mouvement des gilets jaunes : suite à l’annonce d’une hausse des taxes sur les carburants, ce mouvement se déclenche en novembre 2018, surprenant, déstabilisant et désorientant la classe politique ainsi que les représentants de la classe ouvrière. Il met en évidence la fracture peuple / élites, et la fracture territoriale. Le soulèvement des gilets jaunes, en s’appropriant l’espace public, construit confusément un espace d’horizontalité démocratique qui retrouve l’inspiration de 1789, de 1830 et de 1848.
II/ LES PRINCIPALES REVOLUTIONS
1/ La révolution de 1789 : La France traverse une crise alimentaire et des problèmes financiers en raison d’une série de catastrophes : mauvaises récoltes de 1788 provoquées par la sécheresse, la grêle et un hiver très froid. S’y ajoute un profond malaise, à la fois politique et social : La crise de la monarchie (les critiques des Lumières, l’opposition des parlements), la profonde crise financière (la France est très endettée). Cette situation empire sous le règne de Louis XVI, du fait de la guerre de Sept Ans contre l’Angleterre, et de la participation à la guerre d’indépendance des Etats-Unis. La solution passe par une réforme du système des impôts, mais les privilégiés ne l’acceptent pas.
Face à ces crises, Louis XVI ne parvient pas à imposer les réformes nécessaires, il convoque des Etats généraux. L’année 1789 commence par l’effervescence des élections et de la rédaction des cahiers de doléances, le peuple prend la parole. La révolution commence.
2/ La révolution de 1830 : A partir de 1827, une crise économique touche la France : de mauvaises récoltes font monter les prix, provoquant la misère et l’augmentation du chômage. A l’origine de la révolution se trouve donc une crise sociale et économique, mais aussi un ressentiment plus profond, contre la monarchie exercée par Charles X qui souhaite rétablir un régime autoritaire. Le 27 juillet, la protestation se transforme en une véritable révolution populaire à Paris.
3/ Les causes de la Révolution de 1848
a. La crise économique : La situation révolutionnaire résulte d'abord d'une double crise économique. Dès 1846-1847, une crise de subsistance a pour origine de mauvaises récoltes. L'épuisement des stocks fait flamber les prix en 1847, et la crise s'accompagne bientôt d'émeutes de la faim.
Au cours de l'année 1847, s’ajoute une crise du crédit qui met en difficulté de grandes entreprises capitalistes. Elle est liée à des phénomènes de spéculation qui ont accompagné la vague de constructions ferroviaires.
b. La crise politique : François Guizot, ministre du roi Louis-Philippe depuis 1840, est tenu pour responsable de cette crise économique. Mais politiquement aussi, son action est de plus en plus critiquée. Il incarne en effet le parti de la « Résistance », face à la moyenne bourgeoisie, parti de la « Réforme », réclamant des avancées plus libérales, notamment une réforme électorale qui élargisse le cens, afin de permettre à plus de citoyens d'avoir le droit de voter.
III/ LES PRINCIPALES CRISES FINANCIAIRES CONTEMPORAINES :
1/ La crise de 1929 Le Krach de Wall Street : causé par une spéculation excessive, le krach boursier survient le 24 octobre. Les actions étaient achetées souvent à crédit (4/5e des actions en 1929), les banques prêtaient à tous très facilement, et on espérait rembourser les prêts par les plus-values obtenues en vendant les titres, une fois que leur cours aurait augmenté. Les entreprises engageaient aussi imprudemment en bourse leurs capitaux de réserve.
Cette crise entraîne la ruine de centaines de milliers d’actionnaires américains, des faillites de banques et d’entreprises. Les banques américaines en rapatriant leurs capitaux placés à l’étranger vont propager cette crise. Le commerce mondial se rétracte fortement.
2/ La crise des subprimes de 2007 entraîne une crise financière mondiale en 2008, les banques ayant forcé à emprunter les particuliers avec des taux variables, n’étant plus remboursées vue la hausse des taux, elles ont injecté des emprunts toxiques dans d’autres titres (‘titrisation’).
IV/ CYCLES ET MOYENS DE PREVISIONS: Plusieurs recherches ont eu lieu dans l’analyse des conjonctures, on peut se pencher sur Nicolaï Kondratiev économiste (1892-1938) et ses études en 1926, avec 5 cycles. 1790-1848, 1848-1893, 1893-1940, 1940-1992, 1992-xxxx. Ces périodes ont été actualisées après la mort de cet économiste 1780-1830, 1830-1880, 1880-1930, 1930-1970, 1970-2010, 2010-20xx. Les cycles sont des mouvements plus ou moins réguliers d’accélération, et de ralentissement de l’activité économique. Dans chacun des cycles il identifie 3 phases : la période d’expansion : phase A hausse des prix (20 ans), le plateau ou récession primaire (10 ans), la période de dépression phase B baisse des prix (20 ans).
Remarque : Cette philosophie ne peut s’élaborer qu’à partir du moment où les faits se sont déroulés. On peut alors observer un certain nombre de phénomènes, apprécier leurs évolutions, dégager des tendances, sans pour autant figer la suite du processus historique, ce qui transformerait incontestablement cette philosophie en un certain déterminisme, qui pourrait d’ailleurs être démenti par les faits. Ce déterminisme serait particulièrement inadéquat dans une discipline humaine, ici économique, alors que l’Homme est libre, agit bien souvent de manière imprévisible.
V/ VERS UN SIXIEME CYCLE DE KONDRATIEV ? Alors qu’on ne sait toujours pas tirer de réelles conclusions sur le cinquième cycle de Kondratiev, plusieurs économistes anticipent déjà le sixième. C’est le cas d’économistes comme Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, en 2014 ils prévoient à terme le sixième Kondratiev qui englobera :
· La mondialisation et la démographie représenteront deux accélérateurs du changement économique et social de demain.
· L’Asie s’affirmera de plus en plus comme étant le centre de gravité de la planète.
· Les pays industrialisés se transformeront potentiellement en épicentre du 6e Kondratiev.
· La mondialisation verte sera primordiale et, avec une analyse schumpétérienne de la croissance, sera responsable de grappes d’innovations importantes.
· Les technologies vertes seront un marché de croissance.
VI/ FIN 2019, apparaît le Corona virus qui se propage sur toute la planète, provoquant une CRISE SANITAIRE INEDITE. Le Président Macron déclare un confinement généralisé le 16 mars 2020, crise ayant des incidences lourdes, déstabilisant l’économie, la finance, la société, mettant en évidence les failles de la mondialisation.
VII/ CONCLUSION : Il est évident qu’il y a une nécessité d’aller au-delà des crises. Il est indispensable pour cela de procéder à une étude dépassant les critiques sur les cycles Kondratiev, en les examinant non comme de simples processus cycliques récurrents, mais comme des phénomènes qui se déploient et interagissent, dans le développement même de l’Histoire. Ont-ils des limites, ne servent-ils qu’à constater le passé ? Joseph E. Stiglitz 2000, dans ses récents ‘Principes’, déclare que le terme de cycle suggère une certaine régularité qui n’existe pas dans la réalité, et si l’économie fluctue, c’est de façon permanente. Dire que l’Histoire se répète, c’est en définitive prétendre qu’elle est prévisible, sauf que du jour au lendemain tout peu s’effondrer, car des évènements prennent au dépourvu prévisionnistes et déterministes. Cf Jacques-Chaban Delmas Juillet 1969: « Nous ne parvenons pas à accomplir des réformes, autrement qu'en faisant semblant de faire des révolutions. », « La société française n’est pas encore parvenue à évoluer autrement que par crises majeures ». Cela se vérifiera-t-il à la suite de la crise sanitaire 2020-2022 due au coronavirus ? Une question est permanente dans l’Histoire « QUE DEMANDE LE PEUPLE ? »
Daniel Soulat 19/03/2022
Pour lire un compte-rendu personnel du débat
_revenir au blog et voir les commentaires.