Avoir du sens ? faire du sens ?

         Avoir du sens ? faire du sens ?Les Allemands et les Anglais que j’ai côtoyés dans ma vie professionnelle,  ne disent pas qu'une action a du sens, contrairement à nous Français, mais qu'elle fait du sens. Il n’est évidemment pas interdit de dire « faire du sens « en Français, mais ce n’est pas une expression courante. Le sens est donc en Français, une donnée inerte, statique, enfermée dans le présent, alors qu’en Anglais ou en Allemand, ce serait une donnée dynamique, impliquant le futur.

 

Ce mot : « sens »,  et ses dérivés ont  beaucoup d’utilités différentes en Français :  le sens des mots, les cinq sens, les insensés, la direction et le sens (c’est cette dernière acception que nous privilégierons ici) , la sensation, la sensibilité et la sensiblerie…. On  retrouve certaines de ces utilisations,, mais pas toutes,  en Allemand et en Anglais, qui, à mon sens, sont plus précis que le Français pour ce qui est du vocabulaire (pour la grammaire, c’est une autre affaire).

 

C’est dans   l’évaluation d’une religion ou d’une idéologie, que les différences apparaissent entre le Français et les Anglo-Saxons. On dira communément en Français : cette religion n’a aucun sens, et rarement qu’elle ne fait aucun sens. Nous avons déjà discuté sur le sens de la vie à deux reprises, en 2016, avec Jean-Jacques, (lien) et en 2008, avec Marie-Odile (lien, aller en milieu de page). Le titre de ces débats était d’ailleurs le même :  « La vie a-t-elle un sens ? » . Le sens de la vie est en effet un problème majeur pour certains d’entre nous : nous avons reçu la vie, qui comporte le paradis, mais aussi l’enfer, mais à qui on a omis de  dire de quoi ou de qui elle venait, et dans quel but. Ce problème n’est d’ailleurs pas majeur pour tout le monde ; certains, comme Sartre et bien d’autres, postule que la vie est absurde, point barre.

 

Mais si on formule la question comme les Anglo-saxons, la question n’est pas de savoir si la vie a un sens, ce qu’on ne saura  jamais, mais bien de savoir si l’on peut lui en donner un, en « faire un », en produire un. Le débat ne porterait donc  pas, linguistiquement, sur l’existence d’un sens, déterminé une fois pour toutes, souvent par une vérité Historique (une « révélation »), mais sur la possibilité d’en créer un, autrement dit sur un chemin de vie à suivre. Il y a pour cela de propositions par des « prophètes », dont le rôle n’est pas de prévoir l’avenir, mais de montrer un chemin ; citons en quelque-uns : Confucius, Bouddha, Socrate, Jésus, Mohammed, ainsi que des personnages exemplaires du vingtième siècle ayant suivi un ou plusieurs de ces chemins, Gandhi, Mandela, et pour nous Français, l’abbé Pierre. ( le débat en citera sans doute d’autres). 

      

Qu’est ce qui peut donner du sens (à notre vie), et qu’est-ce qui n’en donne pas ? Attention, nous ne jugeons pas ici de la moralité des comportements, mais seulement du sens qu’ils peuvent donner à nos vies.

 

Le plaisir. Ce serait hypocrite de nier l’importance du plaisir, mais ce ne peut être qu’une condition favorable à la production de sens ; et le plaisir peut aussi être défavorable : cas des addictions (alcoolisme, tabagisme, drogue, addiction au sexe, etc..). Le plaisir peut enfermer la personne dans le présent, or ce qui  fait du sens se réfère au futur! Par exemple, les ascètes sont les personnes qui se passent du plaisir pour essayer de donner un sens à leur vie

 

Le bonheur, la santé : je le définirais le bonheur comme un plaisir continu doublé de la joie naturelle à trouver la nature belle,  Donc : mêmes remarques, c’est très souhaitable, mais n’est pas « fléché ». Certes, le malheur peut avoir un caractère constructif, par réaction, mais il peut être destructeur. Dans le même ordre d’idée : la santé. Le bonheur, a santé : oui, mais pour quoi faire ?

 

Si tout cela n’a pas en soi un sens, cela peut aider à faire du sens : par exemple, on travaillera mieux si on est heureux et en bonne santé, que vice-versa.

 

La frivolité : c’est, par définition un défaut qui consiste à ne rechercher que le plaisir fugace, sans but. Donc cela ne favorise pas la recherche du sens, ne fait pas du sens.

 

 L‘amitié, le respect du prochain: ce ne sont pas des états, mais des décisions plus ou moins conscientes que nous prenons pour la conduite de nos vies. Leurs contraires « font aussi du sens », mais dans la mauvaise direction, au moins pour nos valeurs occidentales

 

L’amour, c’est comme l’amitié, mais il comporte en plus une perspective incontestable : la fondation d’une famille, qui est une machine à faire du sens. La fidélité est évidemment porteuse de sens, moyennant quoi ce n’est pas toujours possible.

 

Les acquisitions

d’objets : c’est selon : si c’est seulement pour le plaisir, c’est non ;  mais si c’est en vue d’actions futures, alors là oui (par exemple, acquérir une voiture fait du sens, elle  permettra de se déplacer, et ne se limitera pas seulement à ses jolis chromes). 

 de compétences : oui, évidemment. Ces compétences peuvent être acquises par l’éducation des parents, par les cours à l’école ou les cours du soir, la lecture d’un livre, par la visualisation d’un film, par l’écoute d’une musique…

 Le travail : ce n’est pas toujours très drôle, mais oui, cela fait du sens, la production ou l’étude étant « flèchées ». C’est pourquoi la vie des chômeurs est souvent insupportable. Il fait d’autant plus de sens qu’il est réalisé en équipe, car il se double alors de relations humaines.

 La foi : Si la vie a un sens, tout est en ordre, et de plus si je connais ce sens, je peux suivre mon existence en ayant le bonheur de constater ce sens ; mais c’est dangereux, car on ne peut démontrer que  ce sens est réel. Autrement dit, si la « foi du charbonnier » comme l’enthousiasme du militant de base,  procure un bonheur certain, elle peut amener aussi des révisions tragiques.

 

 Ceci nous amène à penser  que « faire du sens » peut conduire  à des impasses. Dans le cas d’une tâche à remplir : une maison à construire, des enfants à élever, une recherche à faire, etc.., pas de problème. Mais si on pense à l’idéologie, ou à la religion, les choses ne sont plus aussi évidentes : il faut vérifier que l’on ne fait pas du contre-sens, qu’on ne s’enfile pas dans une impasse, ou pire : un sens interdit. Faire quelque-chose qui a du sens est très agréable à l’Humain, cela est dans sa nature liée à sa perception du  futur, mais des agréments parasites sont à craindre et à combattre; l’illusion de sortir de l’anonymat, d’être utile, ou de gagner en pouvoir sur les autres, ou d’accaparer les richesses et les plaisirs. On est vraiment étonné, quand on ouvre des livres d’Histoire, de voir comme il était commun pour nos prédécesseurs, de donner leur vie pour des causes qui nous semblent finalement peu claires …  Les cas les plus criants sont à trouver dans le vingtième siècle : la guerre de 14 n’avait pas de raison valable ( la formation dans les années 1950 de l’U.E. l’a bien montré), les nazis ont certes fait du sens, mais c’était, on peut le dire, un contre-sens ; pour les communistes, c’était plutôt une impasse, même si l’affiche initiale  semblait hyper-morale, ce que beaucoup de nos intellectuels ont mis bien du temps à comprendre et à admettre. Du côté des religions, méfions-nous des faux prophètes, qui vous flattent pour mieux vous berner, financièrement ou sexuellement ; c’est le cas des sectes, et l’actualité a montré que les religions instituées n’étaient pas, pour ce qui est du sexe, à l’abri.    

 

 En conclusion : « faire du sens » serait une expression  reliée surtout  au futur, avec le risque de s’engager dans une mauvaise direction, contrairement à « avoir du sens », qui n’interdit pas certes d’envisager le futur, mais peut à la limite s’en passer. Quel est votre choix : vivre dans le présent, ou vivre en fonction du futur ? (Les deux mon capitaine est aussi une bonne réponse).

 

 

                                Benoît Delcourt. Le 7/12/2019

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