La productivité et la concurrence sont-elles des nécessités sur la voie du progrès social?

Note du rédacteur :

 

Ingénieur, ma vie professionnelle, souvent aiguillonnée et parfois  inspirée par l’exemple de la Concurrence internationale, a contribué, je l’espère, à faire des automobiles plus économes en énergie, plus durables, fiables, serviables, confortables et belles pour les Clients, plus faciles à fabriquer pour les Employés et le moins coûteuse possible pour mon Employeur Renault.

Retraité, j’essaye de mieux comprendre les sources des immenses Progrès auxquels j’ai assisté en soixante ans. En particulier, en ces temps où l’on parle beaucoup de ‘ Social’ (Justice ou injustice sociale ? progrès social ? solidarité et assistance ? égalité ? équilibre des droits et des devoirs ? ...), le café-philo m’a obligé à me pencher de façon un peu plus précise et concrète, sur la relation du progrès scientifique et technique avec le progrès social, et au-delà… le bonheur !

Bien sur, même avec l’aide d’internet et de Jean Fourastié (1907-1990) dont l’ouvrage ‘Productivité et richesse des nations’ m’a fourni beaucoup d’ idées et de données, je n’ai aucune prétention à vous convaincre de quoi que ce soit si ce n’est de ce que

- nous vivons tous au quotidien avec les effets du Progrès technique (en résumé la Productivité aiguillonnée par la Concurrence) et du Progrès social,

- nous pouvons parfois en mesurer directement les effets positifs ou négatifs à court terme, sachant que dans le passé, ces perturbations momentanées parfois énormes, se sont traduites ensuite par un réel progrès au bénéfice de toute la Société.  

- nous avons donc  besoin de recul pour en apprécier les causes, les interactions et ainsi pouvoir en rendre les effets plus bénéfiques pour Tous.

 

 

Première partie : La Productivité

 

 

1. Tentatives de définition :

Pour J Fourastié (économiste novateur en 1945), c’est le rendement du travail humain : volume obtenu dans l’unité de temps et par tête d’ouvrier, dans une branche donnée de l’économie nationale. C’est la mesure du progrès technique.

Pour le Larousse 2005, la productivité, c’est le rapport mesurable entre une quantité produite (biens,…) et les moyens (machines, matières premières,…) mis en œuvre pour y parvenir.

Dans le détail, la productivité, notion récente, a des définitions plus ou moins techniques et complexes selon le contexte d’utilisation du concept. En résumé, pour moi, améliorer la Productivité, c’est réduire globalement   la quantité de matières premières et d’énergie, le travail, la peine, le coût complet pour obtenir un produit ou un service.

 

2. Quelques données historiques fournies par J. Fourastié complétées par des exemples récents:

Il découpe la productivité en 3 domaines où le rendement s’est amélioré sans cesse :

- Rendement en nature :

* pour faire 1kWh électrique, il fallait 1,5 kg de charbon en 1920 et seulement 0.38 en 1948

* de 1975 à 2005, la quantité d’énergie nécessaire pour produire un euro € de richesse a baissé de moitié en Europe.

- Rendement financier : effet de l’investissement sur l’augmentation de la production :

* Introduction des robots dans l’industrie automobile sur les taches robotisables les plus pénibles liées aux efforts importants ou aux milieux insalubres, les plus répétitives, pour un bénéfice en coût, qualité et conditions de travail , puis extension économique.

- Rendement du travail humain :

* Depuis l’antiquité jusqu’en 1800, un quintal de blé nécessitait environ 3 heures de travail. En 1950, 10 minutes dont le temps de fabrication de la moissonneuse-batteuse !

* La temps de travail nécessaire pour fabriquer une auto a beaucoup baissé en dépit de l’enrichissement important en nouveaux équipements de sécurité, dépollution et confort.

 

L’effet de cette productivité qui joue essentiellement sur la technologie, les matériaux, les moyens de production, l’organisation du travail et la chasse à tous les gaspillages est de baisser les coûts pour la population qui peut acheter plus avec le même travail:

* le prix du quintal de blé a été divisé par plus de 20.

* le prix d’une 11 CV Renault est passé de 25.000 heures de manœuvre en 1914 à 7.800 en 1930, 2.000 en 1980.Une Mégane 2 de base bien plus confortable, sûre, et bien moins polluante, coûte 15.000€ soit 1.900 heures de SMIC. Corrélativement, le parc automobile français était de 100.000 en 1914, 15.000.000 en 1980 et de plus de 30.000.000 aujourd’hui.

 

3. Conclusion :

La productivité a procuré à tous une baisse évidente des prix des biens d’usage qui s’est traduite par une élévation générale du niveau de vie, multiplié par 10 en 2 siècles. Ainsi J.Fourastié écrit dès 1965 que «  l’homme moyen devient riche ».

Une analyse plus fine montrerait que le progrès technique, souvent résultant du progrès scientifique, partage à chaque instant ses effets entre les Entreprises, les Salariés et les Clients au bénéfice final dans la durée de toute la Société comme nous venons de le constater.

L’histoire montre aussi que le progrès technique précède le progrès social : en 1831, les canuts lyonnais qui manifestaient contre la baisse des tarifs de leur production et s’en prenaient au passage au métier Jacquard parce qu’il réduisait le nombre d’emplois, travaillaient 15 à 18 heures par jour, 6 jours par semaine ainsi que beaucoup de leurs enfants. Quelques décennies plus tard, l’automatisation progressive permettait de réduire le temps de travail et de supprimer, en France, le travail des enfants.

Le progrès ne se fait donc pas sans transitions souvent coûteuses socialement. Nous reviendrons là-dessus plus tard.

 

 

Deuxième partie : la Concurrence

 

Si le progrès technique, à priori bénéfique comme nous venons de le voir, s’est installé durablement, nous devons en rechercher les causes pour essayer d’en maintenir les potentialités positives pour la Société.

Une réflexion personnelle me fait citer

* des causes individuelles : curiosité scientifique et technique, volonté de comprendre la Nature, volonté d’exploiter la Nature et les phénomènes naturels à des fins personnelles ou collectives, volonté d’entreprendre, volonté de progresser, de réussir, de s’enrichir, créativité, ténacité, audace,…. Toutes qualités nécessaires pour inventer et impulser l’innovation !

* des causes collectives : refus des disettes répétitives et de la misère, circulation ouverte au plus grand nombre des informations et des innovations scientifiques et techniques, participation de plus en plus d’acteurs  au progrès (diffusion de l’instruction grâce à la formation, gestion participative dans les entreprises, mondialisation), concurrence de plus en plus ouverte,…

Ici, je ne retiendrai ici que les effets de la Concurrence sur le progrès technique et social.

 

1. Définition du Larousse 2005:

La concurrence, c’est une situation de rivalité provoquant une compétition entre plusieurs personnes en particuliers : commerçants ou industriels qui tentent d’attirer à eux la clientèle par de meilleures conditions de prix, de qualité.

 

2. La concurrence dans notre quotidien :

Elle nous permet en tant que Client/Consommateur de choisir les produits ou services que nous voulons nous procurer avec notre argent. Elle nécessite de la transparence sur les performances et sur les prix. Ceci est obtenu par le bouche à oreille, l’affichage, la publicité, la littérature spécialisée, les associations de Producteurs (labels) et de Consommateurs (essais comparatifs ),… Aucun consommateur n’imaginerait aujourd’hui une société sans concurrence, pas plus qu’une compétition sportive où il n’y aurait qu’ un seul compétiteur.

Elle nous soumet en tant que Producteur à ses contraintes de progrès en prestations, qualité et coût souhaitées par nous-mêmes Consommateur, à la transparence sur les résultats financiers et la qualité de nos produits. En somme, elle nous stresse car elle nous met en compétition avec les meilleurs dans un cadre de plus en plus transparent pour la collectivité. Elle peut nous exposer à des changements très difficiles.

 Elle nous encourage à prendre des initiatives et nous oblige à la transparence.

 

3. Pourquoi la Concurrence est-elle nécessaire au progrès ? Les effets de la non-concurrence :

Non aiguillonnée par la concurrence, une société est naturellement moins réactive, moins transparente sur son fonctionnement, ses produits et ses finances, moins exigeante envers elle-même, donc moins efficace pour la collectivité. C’est un monopole. On peut arriver à un résultat similaire par entente de plusieurs sociétés industrielles importantes.

Les sociétés protégées ne font pas en général les efforts de recherche technologique, d’investissements ou d’organisation pour progresser dans tous les domaines intéressants le Citoyen/Consommateur: prestations, rapport qualité/prix, pollution,….

Quelques exemples concrets :

*La Trabant, meilleure voiture d’Allemagne de l’Est en 1990 polluait énormément. Elle n’était pas sûre du tout en cas d’accident. Elle était inconfortable, coûteuse à produire, très chère à l’achat et fabriquée dans des conditions de travail insalubres, inacceptables chez nous. Sa production s’est arrêtée à la chute du mur de Berlin.

*En 2000, je payais 420F (65 €) par mois de téléphone fixe. En 2006, je paye toujours 65 € mais pour le fixe, le portable à carte et l’internet  moyen débit. Ce fort accroissement des prestations résulte bien sur de percées technologiques mais aussi de la fin du monopole d’Etat.

En fait, il est difficile heureusement de tricher avec la concurrence :

*Bruxelles (ou Paris !) dénonce et sanctionne par des amendes les ententes de producteurs visant à limiter la concurrence par les prix, ou évite que des fusions d’entreprises aboutissent à des  quasi-monopoles.

* Le Consommateur, bien informé, peut souvent échapper aux monopoles en achetant à l’étranger, en voyage et par internet, ou même en contrebande (cas des cigarettes) ..., comme le Citoyen choisit parfois d’émigrer pour échapper aux dictatures qui l’enferment et à la pauvreté!

 

 

Troisième partie : Les inconvénients des avantages !

 

Pourquoi la Productivité et la Concurrence, ces 2 piliers du progrès, sont-ils parfois perçus comme négatifs et de ce fait dénigrés, repoussés par une partie de nos contemporains ? Comme s’ils étaient ‘fatigués’ du progrès ainsi que le résume un humoriste américain : « C’est bien le progrès, mais ça fait trop longtemps que ça dure ! »

 

En fait le progrès, dont notre petit sixième insatiable de l’Humanité bénéficie aujourd’hui, n’a pas pu se faire sans heurts :

 

- une mutation très importante et continuelle des activités :

* De 90 % d’agriculteurs et des disettes en 1800, on passe à 5 % en 2000 avec surproduction : ‘désertification’ des campagnes.

* des branches entières d’activités ont disparu chez nous par obsolescence ou épuisement (activités liées au cheval, à l’extraction du charbon, aux écrans à tube -…) ou nous quittent progressivement car trop chères (activités manufacturières simples,… ). Elles sont   remplacées par d’autres activités de produits ou de services faisant appel à d’autres capacités ou compétences, et situées ailleurs dans notre pays.

* rotation des spécialisations : de 1850 à 1950, l’industrie textile européenne dominait le monde. Elle devient de plus en plus réduite au profit de nos ex-colonies et de la Chine.

Ces mutations industrielles ont entraîné leur lot local de chômage, de faillites voir de crises pour un résultat ultérieur globalement positif pour le reste de la Société locale et mondiale. En effet, celui qui subit les effets momentanément et localement négatifs du progrès, celui qui en quelque sorte travaille pour le bien de ses contemporains et pour le futur, n’est souvent pas assez aidé ni encouragé à s’adapter !

Ainsi, progrès technique et concurrence peuvent apparaître comme générateurs de chômage allant à l’encontre du progrès social. Nous avons vu que ce n’était pas vrai jusqu’à maintenant sur le long terme et que ce n’est même probablement pas vrai globalement à court terme : les pays qui ont le moins de chômage actuellement sont plutôt ceux qui ont un niveau élevé de productivité et de concurrence.

 

- une consommation importante des ressources de la planète et une augmentation de la pollution:

Une grande part des progrès réalisés jusqu’à maintenant l’ont été par la substitution des énergies fossiles à la peine de l’homme ou des animaux d’où les risques de pénurie de pétrole et d’élévation des températures à moyen terme. On peut aussi contester l’intérêt de certains progrès trop coûteux en ressources naturelles, voir « inutiles ».

Ce point est très important car il montre que notre société d’ « homme moyen riche » n’est pas généralisable en l’état aux autres habitants de la planète qui aspirent eux aussi à vivre mieux, et souvent se contentent de nous copier.

 

- un accroissement de la transparence mondiale et locale qui tolère de moins en moins les rentes de situation acquises dans le passé, les pratiques malsaines, les inégalités trop fortes de contributions et de situations, les privilèges non justifiés … et dont la révélation provoque les réactions parfois violentes de leurs bénéficiaires.

 

- une insatisfaction constante voir croissante vis à vie de la Société :

J.Fourastié, constatant et mesurant tous ces progrès s’étonne de ce que les gens restent mécontents !

Il écrit en 1965 pour expliquer cette apparente contradiction :

*« Les besoins, loin de s’apaiser lorsque le niveau de vie s’élève, se développent au contraire. On a observé qu’il suffisait d’un délai moyen de 2 ans pour qu’une cellule familiale promue d’un niveau très inférieur adopte les normes de son nouveau niveau et l’estime sinon insuffisant, du moins inférieur à ses facultés normales de consommation. »

« Plus le niveau de vie de l’homme s’élève, plus il est acculé à des choix. Or le fait d’être obligé de faire des choix éveille l’esprit de revendication. »

 

 

Conclusion : Quels progrès et quelle concurrence pour demain ?

 

La société technologique dans laquelle nous vivons, aiguillonnée par la concurrence, doit faire face à de nouveaux défis (mondialisation, épuisement du pétrole, réchauffement, besoin de progrès et/ou d’émigration des pays pauvres,...).

Ces 2 ‘outils’ performants, dont nous avons bénéficié pratiquement seuls depuis 200 ans, doivent être orientés pour les surmonter.

 

Il dépasse trop sérieusement mes capacités de tenter une réponse ! Voici seulement quelques pistes :

 

Productivité :

* Secteurs agricoles et industriels : économies d’énergie, énergies alternatives ou douces, culture et bio masse, nano et biotechnologies,  déplacements/transports dont solutions de substitution,……

* Secteur des Services : améliorer l’efficacité/productivité de l’Enseignement pour coller aux capacités des personnes et aux besoins de la Société, des services de Santé et d’Assistance pour faire face au vieillissement (sinon nos petits-enfants seront tous gardes-malades !) et globalement améliorer la productivité des services des Etats pour mieux répartir les charges du futur. En effet, la concurrence économique se fait maintenant aussi au niveau des Nations qui doivent donc être plus efficaces dans tous leurs rouages, sinon leur niveau de vie moyen risque de baisser mettant en cause leur niveau de progrès social.

 

Concurrence :

* Facteur de transparence, de progrès et d’honnêteté, la concurrence doit être développée pour permettre une comparaison systématique des performances des différents fournisseurs de biens ou de services, que ces services soient des monopoles d’Etat ou des compagnies ordinaires. Des outils existent : recherche des meilleures pratiques par pays ou compagnies, échanges comparatifs, visites croisées… qui remplacent la mesure par concurrence directe.

* Nous, Citoyen/Consommateur devrions être plus sensibles aux intérêts du Citoyen/Producteur que nous sommes aussi !

* Par contre quand les conditions économiques et sociales entre pays sont trop différentes, il est pensable que la concurrence soit provisoirement (définitivement ?) réduite habilement  pour donner le temps à celui qui perd des activités de se redéployer sur d’autres dans un système mondial « gagnant + gagnant ».

 

Jean-Pierre Vérollet - Ingénieur retraité

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