Va t-on trop loin avec le principe de précaution en France ?

Nota : une version abrégée de cet article sera distribuée aux participants au Café-Débat du 28 février

 

Introduction :

Le 25 mai 2014, Daniel Soulat a introduit un débat sur la question du principe de précaution.

La révision constitutionnelle du 1er mars 2005 a introduit la « Charte de l’environnement » dans la constitution française, à la suite de la déclaration des droits de l’homme. L’article 5 de cette Charte définit les modalités d’usage du principe de précaution.

D’après l’argumentation présentée le 24 mai, le principe de précaution donnerait lieu à des interprétations excessives et tendrait à paralyser l’innovation et les investissements innovants. « Le principe de précaution annihile la dynamique entrepreneuriale et paralyse le progrès »

Je propose de reprendre ce débat, en le replaçant dans une perspective plus large :

Dans une première partie sera proposée une approche culturelle des questions relatives à notre perception des milieux vivants et des modalités de gestion de ces milieux.

Dans la deuxième partie nous prolongerons le débat du 24 mai 2014.

 

Plan :

Première partie : Approche culturelle

1°) – la dynamique économique : « L’innovation destructrice »

2°) – Les contreparties négatives.

3°) – Impact sur l’environnement et la gestion des ressources naturelles 

4°) - Notre représentation du monde vivant.

5°) - Gouvernance environnementale.

 

Deuxième partie - La Charte de l’environnement et le principe de précaution

1°) - Les principes de la charte de l’environnement, dans lesquels s’inscrit le principe de précaution.

2°) - Les arguments avancés pour remettre en cause le principe de précaution.

3°) – Ces arguments ne sont-ils pas à côté du sujet ?

4°) – La vraie croissance : une vision prospective de l’économie et du monde vivant dans lequel elle s’insère.

 

Première partie : Approche culturelle

1°) – la dynamique économique : « L’innovation destructrice »

Dans son petit livre, « L’innovation destructrice », Luc Ferry rappelle que la ‘’machine capitaliste’’ est entraînée dans un mouvement d’innovation permanente comme l’avait déjà expliqué Schumpeter dans les années 1920. Innovation « destructrice », car des procédés nouveaux de fabrication, une nouvelle organisation industrielle, des objets innovants, remplacent des procédés ou des objets plus anciens. Et toute entreprise capitaliste doit bon gré mal gré s’adapter.

Les apports que l’on doit à l’économie libérale depuis le 19ième siècle sont considérables : une espérance de vie multipliée par trois, un niveau de vie multiplié par 20, et l’économie libérale est le seul système économique qui s’accompagne d’une vie politique démocratique, vie démocratique qui permet même une critique radicale des fondements du libéralisme économique !

Mais si l’on doit beaucoup à l’économie libérale et au système capitaliste, le mouvement d’innovation permanente a des contreparties moins positives dont Luc Ferry s’inquiète.

2°) – Les contreparties négatives.

Le processus incessant d’innovation est par nature privé de sens. « Nous avançons irrépressiblement poussés par la logique anonyme, mécanique, automatique et aveugle de l’innovation pour l’innovation. »

Ce mouvement a des conséquences dans le domaine de la gouvernance : l’économie est mondialisée, et les Etats, qui restent nationaux, ont perdu leurs moyens d’orienter l’économie.

Ce mouvement a également des conséquences inquiétantes dans le domaine culturel.

Pour illustrer le dilemme entre efficacité économique et conséquences culturelles, Luc Ferry met en scène un responsable d’entreprise :

Ce responsable d’entreprise, d’un certain âge, déplore la mauvaise éducation et le peu de culture de ses petits enfants et de leurs amis.

Il observe que ses petits enfants sont devenus addictifs aux jeux vidéo et de bien d’autres produits offerts par la société de consommation. … Alors que ce responsable d’entreprise, avec ses collègues entrepreneurs, gagne sa vie en développant et en vendant de tels produits !

« La consommation ressemble trait pour trait à l’addiction ». Il faut fabriquer au plus vite des clients et nos propres enfants dans la logique du manque.  Et cela en déconstruisant aussi radicalement que possible les valeurs traditionnelles. « En effet, plus vous avez une vie intérieure riche, moins vous éprouvez le besoin de consommer à tout propos. »

3°) – Impact sur l’environnement et la gestion des ressources naturelles :

L’exemple de dilemme auquel est soumis un chef d’entreprise donné par Luc Ferry peut s’étendre aux problèmes de l’impact de l’activité humaine sur l’environnement et la gestion des ressources naturelles :

- L’industriel qui vend des produits qui génèrent une forte consommation d’énergie, contribue à l’épuisement de ressources naturelles non renouvelables, sans parler des pollutions éventuelles et du réchauffement climatique.

- Un industriel qui vend des engrais et des pesticides, et un agriculteur qui les utilise, contribuent à la pollution de l’eau et à l’appauvrissement biologique des sols agricoles.

- L’industriel qui vend des véhicules automobiles, répond à une demande forte des usagers, mais ces véhicules sont consommateurs d’espace, ils encouragent l’étalement urbain et provoquent le cloisonnement des espaces naturels par l’extension des réseaux de voirie. (70 000 ha supplémentaires artificialisés chaque année en France, soit la surface d’un département tous en 8 ans.)

- Un exploitant agricole qui irrigue des cultures, ne va pas auto limiter ses prélèvements d’eau si ses collègues irriguants n’en font pas autant, même si ces prélèvements ont des conséquences néfastes sur le débit des rivières ou la préservation des zones humides dans son secteur.

On pourrait multiplier les exemples. On voit à travers ces exemples, qu’un chef d’entreprise, même s’il a conscience des impacts de son activité, ne peut pas s’imposer à lui-même une limite sans compromettre sa compétitivité. « Il ne peut pas assumer la sauvegarde de la planète ».

La gestion des ressources naturelles relève donc d’autres mécanismes que l’économie libérale de marché.

Pour réagir à l’appauvrissement culturel généré par le capitalisme et le mouvement incessant d’innovation, Luc Ferry appelle de ses vœux un nouvel humanisme.

Il appelle aussi à une nouvelle gouvernance, et c’est grâce à une politique concertée entre les Etats au niveau des institutions européennes et mondiales que les Etats retrouveront quelques marges de manœuvre.

Cette double approche peut se transposer aux problèmes de la gestion des ressources naturelles :

Sur le plan culturel, quelle perception avons-nous du « lien organique » qui lie l’homme au monde vivant environnant ?

Sur le plan de la gouvernance, comment l’économie peut-elle mieux prendre en compte la gestion à long terme des ressources naturelles ?

4°) - Notre représentation du monde vivant.

Le confort que nous procurent les biens de consommation, et le cadre de vie de plus en plus artificiel, expliquent la difficulté que nous avons à percevoir le lien « organique » qui nous lie au milieu vivant dans lequel nous sommes immergés, et à percevoir les impacts de notre activité.

Les auteurs bibliques, il y a vingt cinq siècles, avaient conscience que l’homme était naturellement appelé à « croître et à se multiplier » et ils avaient aussi la même vision pour l’ensemble des êtres qui peuplent le monde vivant, car ils avaient compris que l’homme ne pouvait pas croître s’il ne se préoccupait pas aussi de préserver et de faire croître le monde vivant avec lequel il vit en symbiose. Or, depuis que l’homme a commencé de déployer son activité dans le monde, il a, par son action, désertifié des centaines de millions d’hectares, et entraîné la disparition de milliers d’espèces vivantes.

L’appauvrissement du milieu naturel du fait de l’action humaine est bien antérieur à l’ère capitaliste, comme le montre un livre comme celui de Jean DORST, « Avant que nature meure », écrit en 1962. Mais l’homme moderne, avec les moyens puissants dont il s’est doté, a une possibilité d’action qui peut être encore plus destructrice que celle des générations passées, s’il manque de vigilance.

Comment se forment nos représentations culturelles du monde vivant ?

Il y a la culture d’usage, c’est-à-dire l’expérience pratique que nous avons du milieu vivant.

Il y a l’enseignement donné sur les bancs de l’école et la lecture d’ouvrages spécialisés.

Il y a l’élaboration de diagnostics partagés, étapes nécessaires avant la mise en œuvre de mesures de gestion adaptées.

La culture d’usage :

Nous vivons dans un monde de plus en plus artificialisé, et notre expérience pratique du fonctionnement du monde vivant s’appauvrit.

Chaque citoyen devrait se poser la question de l’impact de notre mode de vie sur le milieu naturel, et notamment sa consommation d’énergie et son besoin d’espace artificialisé :

Notre tempérament joue beaucoup dans nos comportements : la recherche d’un effet immédiat nous incite à utiliser largement tous les outils, produits chimiques ou médicaments, que l’industrie met à notre disposition, sans trop nous préoccuper des effets secondaires.

Il y a aussi, le phénomène psychologique d’imitation et son effet d’entraînement : pourquoi me limiterai-je, si les autres ne le font pas ?

L’apport de l’enseignement scolaire :

Nous avons tous une culture de base acquise par les années passées sur les bancs de l’école.

Les programmes des classes de Lycée sont très riches, cependant, l’analyse de ces programmes montre que des points de repères essentiels pour comprendre la réalité des problèmes environnementaux font défaut.

En particulier, la manière de présenter le « vivant » dans les ‘’Sciences du vivant et de la terre’’, accorde une place essentielle aux découvertes de la génétique de ces dernières décennies avec la description du fonctionnement interne de la cellule et des organismes vivants, mais la notion d’univers vivant pris dans ses dimensions spatiales et dans sa globalité, avec l’interaction des multiples organismes vivants entre eux, des facteurs physiques et de l’activité humaine, n’est pas bien présentée.

De même, les données relatives à l’énergie sous ses multiples formes, problème central de la société industrielle en raison des impacts sur le climat, sont trop parcellaires pour que chacun ait des points de repères suffisants pour appréhender ces problèmes.

Les diagnostics partagés :

Les diagnostics partagés sont les étapes nécessaires avant la mise en œuvre de mesures de gestion en fonction des problèmes rencontrés.

Au cours des dernières années, en France, on peut noter deux étapes importantes dans la formulation de ces diagnostics partagés :

- La Charte de l’environnement intégrée dans la Constitution française en 2005

- Les diagnostics élaborés lors du Grenelle de l’environnement en novembre 2007.

Outre ces diagnostics généraux, il faut aussi mentionner les diagnostics successifs relatifs à l’énergie. Les grandes lois sur l’énergie, comme celle de juillet 2005 ont été précédées de rapports ministériels et parlementaires qui en expliquent les motifs. (Les rapports parlementaires sont une source d’information tout à fait accessible pour le grand public ou pour les journalistes qui informent le grand public, et ils expriment une vue consensuelle partagée au moins par une large majorité).

(Les études d’impact, réalisées à l’occasion de la réalisation de grands équipements ou de projets industriels sont aussi une source d’information du public.)

Malgré l’adoption de diagnostics généraux qui ont fait l’objet d’un large consensus, nos concitoyens ont du mal à prendre la mesure des problèmes. Sans doute parce que vivant dans un cadre de plus en plus artificialisé nous n’avons plus une claire notion du « lien organique » qui nous lie au monde vivant ni des équilibres qui règlent le fonctionnement de la biosphère.

Même si l’on parvient à s’entendre sur les diagnostics généraux, il reste donc une grande distance entre ce diagnostic général et l’adoption de mesures de gestion adaptées, car dés que l’on met en œuvre une mesure, on touche à des intérêts particuliers et on sait combien cela est difficile.

5°) - Gouvernance environnementale

La prise de conscience de la particularité de la gestion du « support vivant » doit être mieux intégrée dans nos représentations culturelles.

Nous aborderons cette question sous deux angles :

Gestion des ressources

Comme l’a expliqué Schumpeter le capitalisme est une quête rationnelle du profit, il travaille constamment à rechercher des innovations profitables.

Le principe de Schumpeter, s’applique pour les nouveaux objets de consommation et les nouvelles méthodes de production : Un nouvel objet plus performant, un procédé de fabrication plus rationnel en supplantent un autre.

Mais cette « innovation destructrice » ne s’applique pas à l’exploitation des matières premières : une ressource fossile consommée n’est pas remplacée, un sol agricole ou forestier désertifié par l’action humaine n’est pas remplacé par un autre sol productif.

Le point faible de la science économique courante, est de mal prendre en considération la gestion des ressources primaires qui alimentent l’économie.

Pour les ressources minières et fossiles, la sagesse humaine voudrait que l’on s’entende sur les rythmes d’exploitation, et l’utilisation rationnelle de ces ressources pour que l’économie mondiale s’inscrive dans la durée. Mais nous nous comportons encore en barbares dans la course aux ressources.

Et ce qui est encore plus vital pour l’avenir de l’humanité est le lien avec le milieu vivant. L’homme moderne, séduit par les techniques qu’il a su mettre en œuvre et les multiples objets qu’elles lui apportent, tend à oublier qu’il est un être vivant qui vit en symbiose avec l’univers des êtres vivants dans lequel il est immergé. Ce que nous mangeons, l’air que nous respirons, le cadre paysager, la douceur du climat, résultent de processus biologiques.

Pourquoi cette mauvaise prise en compte du milieu vivant et de la gestion des ressources dans la science économique contemporaine ?

Dans sa relation avec le milieu naturel, l’homme a d’abord du s’imposer face à une nature qu’il ressentait comme hostile, pour la mettre à son service. Ce rapport de force s’est largement inversé aujourd’hui, car nous disposons de moyens puissants pour exploiter, mettre en valeur, ou détruire.

La comptabilité économique ne mesure que des flux de monnaie, et au regard du PIB, la production agricole et forestière, et la pêche, n’occupent qu’une très petite place.

Or, si nous tenions une comptabilité matière de ce que nous produisons et consommons, nous prendrions mieux conscience du « poids », au sens propre, que représentent les produits issus de l’agriculture ou de la forêt dans notre consommation, produits sans lesquels il n’y aurait aucune activité économique.

La gestion des matières premières ne peut pas relever des mécanismes courants de l’économie de marché.

Prenons quelques exemples :

La gestion de la forêt : La gestion d’une forêt repose sur une planification établie sur plusieurs dizaines d’années ou même sur plus d’un siècle en fonction des massifs. Qui serait capable d’assumer une telle gestion prospective, si l’efficacité ne se mesure que sur le résultat immédiat ?

Le plan de gestion d’une forêt prévoit année par année ce qui sera exploitable. La quantité que l’on peut exploiter chaque année ne doit pas dépasser un certain seuil si l’on ne veut pas compromettre le potentiel de production futur.

Pour les principales espèces chassables, notamment les grands gibiers, l’administration et les fédérations de chasseurs établissent des plans de chasse, pour définir la quantité d’animaux qui peut être prélevée au cours d’une campagne de chasse, afin que le gibier ne disparaisse par définitivement par un excès de chasse, (ou en sens inverse pour éviter qu’il ne se multiplie au point de devenir nuisible, si la chasse est insuffisante).

Dans le domaine de la pêche en mer, si les prélèvements d’une espèce sont trop élevés, on porte atteinte à la capacité de reproduction de cette espèce, et l’on compromet ainsi les ressources futures. Il est nécessaire si l’on veut préserver la ressource, de définir des seuils de prélèvements à ne pas dépasser.

Un agriculteur consciencieux se préoccupe de l’enrichissement de ses sols, par l’apport d’amendements organiques, par des pratiques culturales qui facilitent la croissance de la masse organique du sol et de sa microfaune et qui améliorent sa capacité de rétention d’eau. Alors que s’il ne se préoccupe que du résultat immédiat, il utilisera engrais et pesticides, sans se soucier de la préservation et de l’amélioration de la qualité du sol, ni de la qualité de l’eau qui s’écoule du sol vers les nappes phréatiques.

Dans les cas cités ci-dessus, on voit que la gestion des ressources naturelles implique une garantie collective pour assurer une gestion durable de la ressource. Et lorsqu’une ressource est exploitée collectivement, (pêche, chasse, prélèvements d’eau pour l’irrigation…), la répartition nécessite des arbitrages concertés pour définir les seuils de prélèvements annuels, et pour assurer la répartition des droits à prélever entre les acteurs intéressés.

En résumé, la gestion des ressources naturelles appelle la prise en compte de trois paramètres :

On voit que ces dispositions s’accommodent mal avec les mécanismes de l’économie d’entreprise. Une entreprise veut être libre de ses mouvements, et les disciplines liées à une bonne gestion des ressources naturelles seront ressenties, au moins dans un premier temps, comme une contrainte bridant la liberté d’entreprendre.

Cependant, une fois acceptée des règles de répartition d’une ressource naturelle, l’entreprise saura tirer le meilleur parti de la dotation qui lui sera faite, pour maximiser la valeur ajoutée qu’elle peut apporter par son savoir faire.

Un politique de gestion des ressources n’est donc pas une politique « décroissante » au sens du calcul du PIB, elle est même la garantie que le PIB pourra continuer de croître, car les entreprises seront assurées d’un approvisionnement régulier dans la durée, et pourront développer leur savoir faire pour valoriser ces matières premières.

(Le système des quotas d’émission de carbone mis en place par l’Union européenne est une amorce du mode de gestion quantitative des énergies fossiles).

Certains arbitrages doivent être rendus à l’échelle mondiale, d’autres dépendent des contextes locaux :

- La gestion des ressources, notamment en matière énergétique et minière, pour la pêche en mer, et la préservation des forêts équatoriales appellent des accords mondiaux.

- D’autres secteurs, comme la gestion de l’eau et des espaces naturels relèvent des contextes et des pouvoirs locaux.

La gouvernance urbaine :

S’il y a un lieu où s’exerce l’effet de « l’innovation destructrice », c’est bien la ville. Une ville évolue et doit évoluer. Ce sont les villes, qui par leurs plans d’urbanisme préparent l’avenir.

C’est par les plans d’urbanisme que l’on répond aux besoins des habitants en matière de logement, que l’on organise le cadre de vie de demain, que l’on rationalise les modes de déplacements, que l’on maîtrise l’étalement urbain afin de préserver agriculture et forêt.

Si la gouvernance environnementale appelle une gouvernance mondiale renforcée, c’est aussi au niveau des territoires, dans le cadre communal et intercommunal que l’on doit se prendre en main pour préparer l’avenir.

 

Deuxième partie : La Charte de l’environnement et le principe de précaution

 

« Va-t-on trop loin avec le principe de précaution en France ? »

 

Peut-on affirmer que « Le principe de précaution annihile la dynamique entrepreneuriale et paralyse le progrès » ?

Pour reprendre ce débat, je propose une approche en quatre temps :

1°) - D’abord en rappelant les principes de la charte de l’environnement, dans lesquels s’inscrit le principe de précaution.

2°) – En rappelant les arguments évoqués, pour remettre en cause la constitutionnalité du principe de précaution.

3°) - Ensuite en montrant qu’il y a beaucoup d’autres facteurs qui expliquent la faiblesse de la croissance économique actuelle, qu’un recours injustifié au principe de précaution.

4°) - La conjoncture ne nous dispense pas d’avoir une vision prospective de l’activité économique. Croissance et compétitivité doivent s’établir sur des bases durables, et les principes de la charte de l’environnement sont un guide pour orienter le développement.

 

1°) - Les principes de la charte de l’environnement, dans lesquels s’inscrit le principe de précaution.

Le principe de précaution doit s’interpréter en fonction des considérants énoncés par la Charte de l’Environnement :

« Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;

« Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;

« Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;

« Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;

« Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;

« Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;

« Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, »

 

Ces principes relèvent du bon sens.

 

Et à l’article 5 de la charte, le principe de précaution est ainsi défini :

« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

 

2°) - Les arguments avancés pour remettre en cause le principe de précaution :

D’après l’argumentation présentée le 25 mai, le principe de précaution donnerait lieu à des interprétations excessives et tendrait à paralyser l’innovation et les investissements innovants.

Parmi les arguments avancés, étaient présentés des extraits de l’exposé des motifs d’un projet de loi proposé par un groupe de députés visant à ôter au principe de précaution sa portée constitutionnelle.

« Le principe de précaution… suscite… certaines interrogations en raison d’une fétichisation qui pourrait s’avérer handicapante pour la croissance … »

« Il peut conduire à un blocage réel des activités des entreprises … ou l’arrêt de programmes de recherche. »

« Une société doit pouvoir oser, elle ne doit pas se donner des freins qui feraient obstacles à toute progression… »

« Fuir le progrès technique parce qu’il présente des risques nous expose à un bien plus grand risque : celui du déclin. »

« Il nous faut retrouver une sorte de foi républicaine et d’optimisme vis-à-vis de la science, de la recherche et du progrès. »

« Si en 2005 la constitutionnalisation du principe de précaution se justifiait pleinement, la crise qui depuis a frappé a rendu l’avenir beaucoup plus incertain et la compétitivité de plus en plus rude… »

« Il est donc nécessaire de lever tout frein à la croissance… »

« Empêcher ne doit pas être plus facile que progresser. »

 

3°) – Ces arguments ne sont-ils pas à côté du sujet ?

Qu’est-ce que la croissance si elle s’accompagne de la réduction du potentiel de production de ressources naturelles, et d’une atteinte au monde vivant ?

Il faut revoir, ou tout au moins compléter, notre représentation de la croissance.

Une vue prospective de l’économie et de la vie sur la terre, nous permet d’observer que les arguments avancés pour remettre en cause le principe de précaution sont à côté du sujet.

Contester le principe de précaution parce qu’il pourrait freiner des innovations favorables à la croissance, c’est privilégier un résultat immédiat, aux dépens d’une construction sur des bases durables de l’activité économique. C’est aussi contester la capacité d’évaluation que doivent avoir experts et société civile sur l’intérêt des innovations.

C’est aussi, chercher une mauvaise raison à la faiblesse du taux de croissance du PIB actuel en France, qui a bien d’autres motifs plus élémentaires :

- L’économie est mondialisée, et notre compétitivité est affectée par le niveau de la rémunération du travail, que l’on espère garder, si possible, bien au dessus de la moyenne mondiale.

- La compétitivité dépend aussi du niveau de formation des travailleurs et de leur adaptabilité en fonction des évolutions rapides des techniques. Notre système de formation permanente est certainement à améliorer.

- L’attractivité du territoire : nous devons améliorer notre urbanisme pour mieux articuler offre de logements, transport public, qualité de vie urbaine et implantation des entreprises.

Et même avec une croissance « zéro »  du PIB, c’est-à-dire une stabilité de l’activité économique sur le plan comptable, cela n’empêche pas notre parc de biens de consommation d’augmenter, et notre territoire de s’artificialiser de 70 000 ha supplémentaires par an en aménagements divers !

 

4°) – La vraie croissance : une vision prospective de l’économie et du monde vivant dans lequel elle s’insère.

Le taux de croissance sur lequel tous les regards sont braqués, est la progression de la valeur ajoutée comptable de l’ensemble des entreprises. Et nous souhaitons tous que cet indice soit positif.

Mais cet indice ne donne aucune indication de l’impact des activités économiques sur l’état des ressources qui conditionneront la vie économique de demain.

La vraie croissance est celle qui permettra de préserver et d’améliorer le « potentiel vivant » de la planète, et donc la qualité de vie et le potentiel économique de demain.

Le taux de progression du PIB ne nous garantit rien pour l’avenir, s’il ne s’accompagne pas d’un mode de gestion concerté des ressources et d’une volonté de préserver et de rétablir le « potentiel vivant » de la planète.

Depuis des siècles, bien avant l’ère capitaliste, l’homme a développé son activité, sans se préoccuper suffisamment de la préservation du patrimoine vivant dont il disposait. Des millions d’hectares de terres productives ont été désertifiées.

(Et au cours du dernier siècle, nous avons consommé à grande vitesse les ressources non renouvelables ce qui rend notre situation pour l’avenir encore plus précaire si nous ne portons pas plus attention aux ressources du monde vivant).

La France a été à l’avant-garde des prises de conscience de l’humanité pour le respect des Droits de l’homme, avec l’adoption de la déclaration des Droits de l’homme lors de la Révolution française. Elle peut aussi l’être pour la mise en place d’une nouvelle gouvernance mondiale en faveur d’un véritable développement, développement qui ne se mesure pas seulement par un flux comptable immédiat, mais par une progression du potentiel vivant de la planète en quantité et en diversité biologique.

L’indice actuel de croissance du monde vivant est très négatif ! Il faut qu’il devienne positif. Ce n’est pas une utopie, c’est une orientation de bon sens. Le système économique actuel ne s’y prête pas, c’est pourquoi il faut travailler à le réformer, et à le compléter par des structures de gestion des ressources naturelles.

L’adoption de la Charte de l’environnement n’est qu’un premier pas de cette prise de conscience.

Le principe de précaution n’est qu’une ébauche des outils à mettre en place, au niveau national, européen et international, pour construire les bases durables de l’économieet de notre cadre de vie.

 

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                                                                                                                    Bruno SAUVAGE