De la nécessité du pardon : pourquoi est-ce si difficile de l'implorer

DE LA NECESSITE DU PARDON

 

Bourdes, gaffes, bévues, sont par définition involontaires. Cependant leur impact n’est pas toujours anodin et peut causer de profondes blessures. Comment consoler la personne que l’on a meurtrie, retrouver son estime et sortir de l’embarras dans lequel notre maladresse nous a mis ? Présenter des excuses n’est pas toujours suffisant pour effacer la peine que l’on a provoquée, et il faut mettre toute sa confiance en la personne que l’on a blessée, compter sur sa compréhension pour retrouver avec elle une relation paisible.

 

Sans doute est-il plus facile de demander pardon aux gens que nous aimons, tout comme il leur est plus facile de l’accorder s’ils nous aiment eux aussi…

 

Mais LA FAUTE, c’est-à-dire l’acte mauvais, accompli sciemment, sous l’emprise d’une colère irraisonnée, de la jalousie, ou souvent par indigence morale et culturelle, est plus difficile à pardonner, à réparer. Si les conséquences peuvent être lourdes pour la victime, elles peuvent également l’être pour l’auteur des faits : rejet de la part de la personne offensée, du groupe auquel elle appartient et parfois, si le délit est grave, exclusion de la société toute entière. On pense à Caïn qui, transgressant le plus impensable des interdits en tuant son frère Abel, entre dans une longue errance afin d’échapper à l’œil de Dieu qui le poursuivra jusque dans la tombe. On pense également à Judas, qui, pour se délivrer des remords qui l’accablent après qu’il ait trahi Jésus, ne trouvera d’autre issue que celle de se donner la mort. Pourtant il est possible de retrouver la paix et cela ne peut être qu’en accomplissant un acte de contrition sincère et la réparation du mal qui a été fait.

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Mais le pardon est il toujours possible?

 


 

L’acte de contrition est un travail profond à accomplir sur soi : il demande un immense effort d’humilité, d’honnêteté, car le plus important est avant tout de reconnaître sa faute. Pour cela l’auteur du délit doit analyser l’acte qu’il a commis, miroir implacable de ce qu’il est ou a été (voir illustration ci-dessu)[1]. Il doit se débarrasser de l’orgueil, de la haine, de tout ce qui vient occulter une vérité difficile à supporter. La contrition se doit d’être un acte positif, courageux et animé par le désir ardent de retrouver l’honneur perdu, l’estime de soi et des autres, afin de pouvoir exister à nouveau dignement au sein de la société. Seule la sincérité autorise à espérer le pardon de celui ou celle qui a été agressé (e). Et ce pardon demande également un effort de la part de ceux qui peuvent l’accorder, c’est-à-dire la ou les victimes : la rancune, la soif de vengeance, feraient échouer à coup sûr toute tentative d’un rapprochement qui doit aboutir à une relation apaisée et à la tranquillité des consciences.

 

« Œil pour œil, dent pour dent. »[2] : cette expression qui incite à la vengeance s’oppose à l’idée de réparer l’injustice dont L’objectif est de responsabiliser l’auteur du délit, de réparer les préjudices, de reconstruire la victime[3]. On pourrait alors donner à cette formule une toute autre interprétation: « Si par ma faute tu as perdu un œil, alors je te servirai de guide, si par ma faute tu n’as plus rien à manger, viens sous mon toit, je te nourrirai… »[4]

 

S’il en va ainsi dans les relations personnelles, il en est de même pour les relations entre les peuples. Croire que les infamies perpétrées en temps de guerre peuvent se fossiliser dans l’oubli est une erreur : les témoignages, photos et documents, remontent à la surface du temps, ravivant les mémoires, les colères. Rappelons-nous : ce n’est que dans les années 90 que Gorbatchev remettra officiellement aux autorités polonaises les documents prouvant que les Russes, et non les Allemands accusés à tort jusque-là, étaient bien les auteurs du massacre d’environ quatre mille Polonais (officiers, étudiants, chercheurs…) dont les corps furent retrouvés dans la forêt de Katyn en 1943. Une fois la vérité rétablie, cette partie de l’Histoire restée béante a pu s’écrire.

 

RE-INSTAURER LA PAIX. Certains diront qu’une génération n’a pas à reconnaître les erreurs et horreurs commises par les générations qui l’ont précédée. Or, appartenir à une nation c’est partager tous ensemble les bonheurs, les honneurs et les gloires qui lui reviennent. C’est aussi s’unir pour reconstruire le pays lorsque catastrophes et malheurs s’abattent sur lui.  Alors nous devons également reconnaître les erreurs commises par nos aînés. Il ne s’agit pas de rester prostrés dans une posture de repentance mais bien d’œuvrer à apaiser les tensions entre les peuples, d’éviter les conflits et de sauver la paix. Pour cela, il faut regarder l’Histoire en face, l’analyser, instaurer un dialogue, instruire les générations qui nous suivent. Mais sans doute est-il également nécessaire de laisser œuvrer le temps, celui de la conversion des valeurs, de la conversion des idées. L’Humanité ne progresse hélas que très lentement et ce temps de conversion est souvent trop long !

 

L’IMPARDONNABLE.

 

Est-ce qu’un enfant maltraité, abusé, peut pardonner à ses bourreaux de l’avoir laissé démuni au bord de la vie? Quand bien même il parviendrait à se redresser pour l’affronter, il trimbalerait tout au long de sa traversée une âme à jamais esquintée et pesante de chagrins. Et qui sont ces hommes solitaires ou ces groupes qui terrorisent les populations et commettent le mal absolu ? Tous ceux-là, savent-ils qu’ils ne pourront réparer leurs crimes ? Les regrettent-ils seulement ? Et le fait, pour certains, d’être enfermés dans une geôle leur construira-t-il une conscience ? Comprendre une action mauvaise est déjà un pas vers le pardon. Est-ce ce pas qu’a voulu franchir Hannah Arendt lorsqu’elle a écrit « Eichmann à Jérusalem ou la banalité du mal » ? Il faut bien admettre que l’être humain est parfois habité d’une telle noirceur que l’on reste sidéré en découvrant les horreurs dont certains individus sont capables. La sidération c’est la mise à l’arrêt du raisonnement, c’est l’incapacité de faire usage de réflexion et il semble bien que, dans ce cas, le pardon ne soit plus à la portée de l’Homme[5].

 

Pour sortir de l’impasse dans laquelle ce constat nous laisse, alors, peut-être, reste-t-il la pitié[6].

 Pour lire un compte-rendu personnel du débat:

http://quentin-philo.eklablog.com/c-r-du-17-oct-2029-de-la-necessite-du-pardon-a203780220
 

Charlotte Morizur, octobre 2020

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[1] Détail du Jugement dernier peint par Michel-Ange sur le mur derrière l’autel de la chapelle Sixtine,entre 1536 et 1541.

[2] Loi du Talion du code Hammourabi, roi de Babylone (1810 – 1750 avant J.C.)

[3] On peut relire, sur le site du CD, l’excellent texte de Marie-Odile Delcourt en introduction du débat qui a eu lieu le 27 juin 2020.

[4] … ET CETTE FOIS, ON VA PAS TE LOUPER! » Je n’ai pu résister à cette mauvaise blague ! Est-ce pardonnable ?

[5]C’est à Dieu que le Christ confie la mission de pardonner à ses bourreaux lorsque sur la croix il crie vers le ciel : « Père, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

[6] « La pitié est une vertu d’autant plus universelle et d’autant plus utile à l’homme qu’elle précède en lui l’usage de toute réflexion, elle est si naturelle que les bêtes elles-mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles. »  J.J. Rousseau.