Peut-on s’inspirer de la sagesse des plantes ?

« Peut-on s’inspirer de la sagesse des plantes ? »  

 

 « Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme » (Victor Hugo, Les contemplations, 1856, I, livre III, 14)

 

 Sans plantes un monde vivant est impossible 

 

On peut imaginer un monde vivant sans êtres humains, sans animaux même. Pas un monde sans végétaux. Tous les animaux se nourrissent de plantes, directement pour les herbivores, les frugivores, indirectement chez les carnivores. Bien sûr certaines plantes, certains arbres que nous connaissons, ont besoin du concours, qui d’insectes, qui de vertébrés, pour être fécondés ou pour transmettre leur descendance. Certains mais pas tous.

 

Avec les végétaux nous avons des liens d’interdépendance : ils s’enrichissent de nos déchets comme le gaz carbonique, nous vivons des leurs comme l’oxygène, gaz toxique pour beaucoup d’êtres vivants (organismes anaérobies, ou même pour nous s’il est en excès). Pour nous ils épurent gratuitement l’atmosphère, captant les polluants volatils. Sait-on que pour produire 1000 kg de bois un arbre absorbe plus de 1800 kg de gaz carbonique.

 

L’usage du bois est indissociable de l’émergence des sociétés humaines, puisqu’il a fourni habitats, armes et surtout le feu et les premières industries.

 

Vivants les végétaux nous sont indispensables. Morts ils nous sont encore utiles. Sans charbon, sans tourbe, sans lignine, sans pétrole, notre civilisation mécanique n’eut jamais pu exister. Ces combustibles proviennent effectivement de la longue accumulation et décomposition de débris végétaux, pendant les millions d’années (pour le charbon et le pétrole).

 

Les végétaux, comme les animaux, font partie de l’étonnant règne du vivant

 

Etonnant car à la fois fragile et remarquable, il fonctionne à l’énergie solaire en utilisant cette énergie de façon parcimonieuse, il favorise la diversité, la coopération, la localité, s’adapte à un milieu changeant, fait preuve de résilience, optimise au lieu de maximiser, n’épuise pas les ressources locales, etc. Il porte en lui le conatus de Spinoza, c’est-à-dire « l’effort de persévérer dans son être ». Déjà Blaise Pascal était émerveillé par la finesse de la constitution des cirons, c’est-à-dire des acariens de la farine et du fromage, les plus petits organismes vivants qu’il lui était donné de voir et qui représentaient pour lui l’infiniment petit. Aucun objet mécanique ne peut avoir la précision, la justesse, l’économie de matière et d’énergie d’un être vivant. Depuis des lustres le vivant, et singulièrement le monde végétal, a trouvé des solutions élégantes et économiques. Solutions que nous cherchons plus ou moins habilement à copier : ainsi nous connaissons tous le Velcro, ce système de fermeture auto-agrippant inspiré des fruits de la bardane. De là cette approche scientifique révolutionnaire et porteuse d’avenir qu’est le biomimétisme. Mais c’est là un autre sujet.

 

 Les plantes constituent un extraordinaire ensemble de ressources

 

 Ressources alimentaires bien sûr, mais aussi énergétiques (biocarburants), industrielles (bio-polymères), pharmaceutiques. Durant des siècles la pharmacopée a reposé sur la connaissance des propriétés thérapeutiques des plantes, dont on a extrait très récemment les principes actifs : acide salicylique (venant du saule), morphine, codéine, quinine, cocaïne, etc. Persiste encore de notre temps, en notre pays, des usages traditionnels, des « remèdes de bonne femme », pour traiter telle ou telle affection : par exemple la sève jaune de la chélidoine, herbe des bords de chemins, pour guérir des verrues. On est loin, très loin, aujourd’hui encore de connaître toutes les propriétés curatives de tous les végétaux de la planète. Enfin, l’ADN présent dans toutes les formes du vivant, facile à extraire et à répliquer chez les plantes, peut être à l’origine d’une révolution : le stockage et l’archivage, pérenne, reproductible, non énergivore, de données numériques. Et de plus très compact : on estime que la totalité des données mondiales actuelles, soit quelques 45 zettaoctets (45 mille milliards de milliards d’octets), pourraient tenir et perdurer pendant des siècles dans le volume d’une tablette de chocolat.

…Pourtant la connaissance des plantes a longtemps été le parent pauvre de la biologie

 

Aristote, le père de la biologie antique, s’intéressait assez peu aux plantes. Toutefois il leur reconnaissait une âme comme à tous les êtres vivants, mais une âme incomplète car celle-ci aurait quatre composantes : végétative (faculté de nutrition et de reproduction), sensitive (faculté de perception et de ressentir douleur et plaisir), motrice, intellective. Seul l’homme disposerait de ces quatre facultés, les animaux des trois premières, les végétaux seulement des deux premières. Immobiles, ils feraient donc partie d’une catégorie moins achevée du vivant. Quant à Noé, il oublie de sauver les plantes du Déluge.Depuis lors jusqu’à nos jours, la biologie s’est constituée dans une tradition zoocentrée, voire anthropocentrée, l’homme demeurant implicitement « la mesure de toute chose » (Protagoras).

 

Depuis le début du XXIe siècle on voit se développer une réflexion qui rejette cet universalisme réducteur et qui entend étudier le végétal en tant que tel. A la lumière de travaux récents, de plus en plus de chercheurs, de philosophes, remettent en cause les notions d’individu, de vie, de mort, attribuant aux végétaux des facultés de mémoire, d’intelligence ou de conscience.

 

Dans ce bref exposé il est exclu de détailler recherches, interrogations et perspectives. On se contentera de quelques jalons, sans doute enrichis en cours de débat.

 

 Ce monde fascinant

 

Les plantes n’ont pas de jambes pour se déplacer, pas de muscles, pas de bouches pour se nourrir, pas de cerveau, pas d’organes vitaux centralisés comme le cœur ou le foie, pas d’yeux et pas d’oreilles. Ce qui, dans notre vision zoocentrée,semble constituer des handicaps,fait leur force. Pas de jambes donc pas de fuite, mais une parfaite adaptation avec leur environnement sur lequel elles interagissent, notamment en tissant des relations symbiotiques avec d’autres végétaux, champignons, lichens ou animaux (abeilles par exemple) : l’extériorisme des plantes s’oppose à l’intériorisme des animaux qui doivent transporter leur milieu vital avec eux. Pas de muscles, mais les plantes sont capables de se mouvoir pour s’orienter vers la lumière, résister aux vents, rechercher des nutriments dans le sol.  Pas d’organes centralisés, donc aucun organe vital : exposé à la prédation des herbivores, le végétal se régénère.

 

Les plantes, « êtres de lumière », sont constituées à 99,8 % d’énergie solaire, d’air et d’eau. Des études récentes montrent qu’elles sont capables de mouvement, qu’elles sont dotées de sensibilité, de mémoire (exemple de la sensitive), de capacité de traitement et de diffusion de l’information, de solidarité et d’altruisme. Elles se « parlent » par voie chimique pour s’informer d’un danger, « parlent » aux insectes qui les pollinisent  et parfois même les réduisent en esclavage. Elles peuvent s’armer contre les agresseurs ou se dissimuler. Toutes ces affirmations et bien d’autres sont scientifiquement documentées, mais pas trop étonnantes.Bien plus étonnante est la relation avec la notion d’individu, c’est-à-dire d’un organisme vivant indivisible, issu par exemple d’une même cellule originelle. Où est l’individu lorsque par exemple plus de 40 hectares sont occupés par des clones d’un même peuplier ?

 

 … pourrait nous inspirer

 

De plus en plus de scientifiques, constatant que la vie végétale contredit bon nombre de concepts classiques de la biologie animale et humaine, en tirent l’idée de la nécessité d’une nouvelle vision de la société et de l’économie, et d’une philosophie, d’une éthique de la nature. Ainsi la résilience du végétal est-elle liée à la décentralisation de ses fonctions, sa cohérence et sa solidarité à un mode d’individuation spécifique (individuation au sens de Simondon : elle constitue la vie elle-même).

 

Jusqu’à présent l’éthique balançait entre anthropocentrisme, voire zoocentrisme, attribuant une valeur intrinsèque aux animaux, du moins à certains. Aujourd’hui le biocentrisme ou l’écocentrisme  mettraient sur un pied d’égalité tous les êtres vivants. Certains défendent l’idée d’un phytocentrisme à venir : il s’agirait de repenser la vie à partir du végétal.

 

 

 

Pierre Marsal 03/04/2022

 

 Pour lire le C.R. du débat

 

Indications bibliographiques

 

 

 

Il existe de nombreux articles et livres scientifiques sur le sujet. Ci-dessous sont cités quelques livres de vulgarisation en français.  Il a fallu faire un choix, sans doute incomplet, parmi une masse d’ouvrages pas toujours très sérieux qui foisonnent sur un sujet devenu très « tendance ».

 

 

 

Quelques ouvrages de vulgarisation(sélection)

 

- Hallé Francis, Éloge de la plante : pour une nouvelle biologie, Le Seuil, 1999.

 

- Hallé Francis, Plaidoyer pour l'arbre, Actes Sud, 2005.

 

- Hallé Francis, Torquebiau Rozenn,L'étonnante vie des plantes, Actes sud junior, 2021  

 

- HierniauxQuentin,Timmermans Benoît (coord.), Philosophie du végétal, Vrin, 2018.

 

- Mancuso Stefano, Viola Alessandra, L’intelligence des plantes, Albin Michel, 2018.

 

- Mancuso Stefano, La révolution des plantes (comment les plantes ont déjà inventé notre avenir), Albin Michel, 2019.

 

- Tassin Jacques, A quoi pensent les plantes ?, Odile Jacob, 2016.

 

- Tassin Jacques, Penser comme un arbre, Odile Jacob, 2018.

 

 

 

Sur le biomimétisme (sélection)

 

- Benyus Janine, Biomimétisme : Quand la nature inspire des innovations durables, Rue de l’échiquier, mai 2011. 

 

- Pouydebat Emmanuelle, Quand les animaux et les végétaux nous inspirent, Odile Jacob, 2019.

 

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