La génération future a t-elle un avenir ?

La plupart d’'entre nous ont fait des enfants qui eux-mêmes auront une descendance. La vie que nous leur avons offert, est-ce un cadeau ou plutôt un cadeau empoisonné ? Nous avons l’'obligation morale si ce n’'est de leur offrir du moins de leur permettre d'’avoir une vie acceptable. Or nous sommes de plus en plus nombreux à penser que la vie des générations futures même celle des Occidentaux ne sera guère enviable. Il y a de quoi s'’inquiéter tant les périls qui se profilent sont nombreux.

Le progrès scientifique a permis la production et la prolifération d'’armes de mort massive, nucléaires, chimiques et biologiques. Le progrès technique et industriel a provoqué un processus de détérioration de la biosphère, et le cercle vicieux entre croissance et dégradation écologique s'’amplifie. Les développements de la science, de la technique, de l'’industrie, de l’'économie qui propulsent désormais le vaisseau spatial Terre ne sont régulés, ni par la politique, ni par l'’éthique.

Quelle est notre principale richesse individuelle ? Notre santé bien sûr. Quelle est notre principale richesse collective ? Notre planète sur laquelle nous vivons. Or notre planète va mal : réchauffement climatique, épuisement des ressources naturelles, pollution des sols et de l’'eau provoquées par les industries civiles et guerrières, disparité des richesses, malnutrition des hommes, taux d’'extinction effarant des espèces vivantes, etc.

En deux siècles, nous avons doublé les concentrations de gaz à effet de serre dans l'’atmosphère, augmenté de 4 degrés la température de la planète et de 50 centimètres le niveau des mers. Telles sont les estimations moyennes des experts de l’'ONU. Les conséquences écologiques, économiques, sociales et géopolitiques seront si considérables que l’'on ne peut plus écarter les hypothèses à moyen terme d'’une sixième extinction des espèces, d'’une ruine des marchés financiers, d'’un effondrement de l’'ordre politique dans la moitié des pays du monde et de migrations massives des réfugiés de l’'environnement. Un cauchemar pour nos enfants.

0r pratiquement aucune de ces manifestations phénoménales n’'est directement accessible : c’'est un aspect majeur du changement de l’'environnement global, qui contribue à expliquer l’'étrange déni dont il fait l’'objet, malgré sa gravité. Qui n’'a jamais vu l'’appauvrissement de la couche d'’ozone ou la concentration accrue des gaz à effet de serre ? Comment percevoir la radioactivité ou l’'accumulation de métaux lourds dans le sol ? Un maïs transgénique émet-il une odeur singulière ? Seule une intermédiation scientifique, à l’'aide d'’appareils et d'’analyses spécifiques, peut nous avertir de l’'existence de tels phénomènes. C'’est là une des difficultés politiques de cette crise ; le paysage environnemental semble à peu près le même que celui que nous connaissions dans notre enfance, hormis quelques changements ici et là, dus à l’'urbanisation. On ne s'’aperçoit de l’'évolution que lorsque le dommage est arrivé.

La principale question qui se pose est la suivante : la survie de l’'espèce humaine est-elle menacée ? Pour répondre il faudrait disposer d'’une sorte de tableau de bord de l’'état de la planète, un indicateur synthétique ou un ensemble d'’indicateurs qui permettraient de mesurer précisément la santé biophysique de la terre et d’'en suivre l’'évolution. Parmi ces indicateurs, le plus compréhensible du grand public est « l’'empreinte écologique ». L’'empreinte écologique d’'une population humaine représente la surface terrestre productive de sols et d'’océans nécessaire pour fournir les ressources consommées par cette population et en assimiler les déchets et autres rejets. L’'empreinte écologique maximale acceptable est de 1,9 hectare par personne. La Terre est en effet trop sollicitée par certains de ses habitants pour soutenir leur mode de production et de consommation. L'’empreinte écologique de l’'humanité a dépassé les capacités de la planète au début des années 1980. En 1999, nous étions 20% au-delà de ces capacités. Nous vivons au-dessus de nos moyens, nous détruisons notre capital naturel. Mais qui se cache derrière ce « nous » ? La méthode de l’'empreinte écologique permet de différencier les responsabilités : l’'empreinte des Etats-Unis est de 9,7 hectares par personne ; celle du Royaume-Uni de 5,4 ; celle de la France de 5,2, celle de l’'Allemagne de 4,7. Soit beaucoup plus que la moyenne mondiale, déjà excessive de 2,3 hectares par personne. Ce qui faisait dire à Jacques Chirac, à Johannesbourg en septembre 2002 : « Si le monde entier vivait comme les Français, il nous faudrait deux planètes supplémentaires ».

De quoi l’'avenir proche (disons d’'ici 30 à 40 ans) sera-t-il fait ? Nul ne peut le savoir bien sûr. On peut tout au plus faire des postulats.

Postulat 1 : la crise écologique sera déterminante

Postulat 2 : les dirigeants actuels ne peuvent comprendre cela

Les conséquences sociales et politiques de ces postulats sont évidemment bouleversantes. Elles conduisent à une contagion planétaire d'’effondrements violents et de guerres, sans qu’'aucun groupe humain ne puisse s'’y opposer. Le stress environnemental croissant ne pourra que multiplier ces situations violentes attisées par la surpopulation, par la rareté des ressources, par les pollutions, par les maladies et par les migrations de réfugiés.

Un deuxième scénario se profile avec l’'apparition de bouleversements sociaux et politiques majeurs sous l’'effet des impacts répétés de la crise écologique, conduisant à la formation de gouvernements écofascistes destinés à mettre en œoeuvre une apparente politique environnementale tout en canalisant les révoltes populaires. L’'hypothèse qui donne forme à ce scénario est une modification du second postulat envisagé plus haut : les dirigeants des institutions internationales, des gouvernements et des partis politiques traditionnels saisiront peu à peu l'’ampleur de la crise environnementale globale mais estimeront impossible une réduction significative de celle-ci à court terme ou moyen terme. Il s'’agira alors moins de mettre en œoeuvre des politiques permettant de survivre collectivement que de préparer la sauvegarde des strates dirigeantes mondiales et de leurs familles dans quelques forteresses abritées, autant que possible, des effets délétères de la crise. Par une nouvelle ironie de l’'histoire, le mouvement même de la dévastation environnementale conduira les populations déboussolées à porter au pouvoir quelques dictateurs promettant d’y mettre bon ordre en s’'assurant du soutien des forces armées.

Le pire néanmoins n’'est pas assuré . Il n’'en est pas trop tard. Une troisième voie, étroite mais désirable, empruntant à la démocratie la possibilité de changements radicaux négociés peut nous conduire à un monde qui renonce à la démesure et à l’'illimitation du productivisme, un monde fondé sur les valeurs de solidarité entre les humains et de responsabilité vis-à-vis de la planète, un monde « soutenable ». Pour emprunter ce troisième chemin, c’'est à une modification de notre second postulat qu'’il nous faut procéder une fois encore, le premier étant inchangé du fait même des bouleversements de l’'environnement planétaire. C’est bien alors la conscience vécue du risque de leur mort et de celle de leurs propres enfants qui domine dans les modèles du monde des institutions internationales, des gouvernements et des dirigeants des partis politiques traditionnels. La «soutenabilité » deviendra la priorité politique absolue parce qu'’elle sera désormais une affaire personnelle pour les puissants de ce monde, comme pour chacun d’'entre nous. Le caractère collectivement désirable de cet état du monde, c'’est-à-dire le ressort psychologique qui pourra surpasser la défense des  intérêts proviendra des interdits du suicide et de l’'infanticide massifs, qui semblent être aujourd’hui des données anthropologiques universelles. Si les bourgeois texans comprennent qu'’ils vivent aujourd'’hui en détruisant la santé future de leurs enfants, il est possible que le monde change grâce au tabou que constitue l'’infanticide. Ce n’'est donc pas en manifestant une sollicitude abstraite vis-à-vis des enfants du Sud mourant de misère que les strates dirigeantes de l’'hyperpuissance – des Etats-Unis – et les acteurs importants des autres pays de l’'OCDE commenceront à changer leur modèle productiviste du monde. C'’est d’'abord parce qu'’ils constateront chez eux les désastres sanitaires et environnementaux et la vulnérabilité de leurs propres enfants qu’'un sentiment de responsabilité émergera.

Soyons encore plus optimistes. Il est probable que les adolescents altermondialistes internétisés du demi-siècle à venir, plus déterminés que leurs parents, prendront collectivement des initiatives mondialement coordonnées pour mettre en œoeuvre des modes de vie alternatifs par rapport aux valeurs et comportements actuels. Pour eux, ce sera autant une question d'’utopie à concrétiser qu'une nécessité pragmatique de survie. L'’éthique sauvera peut-être le monde. La première règle de l’'éthique : ne pas faire aux autres ce que l’'on ne veut pas qu’'ils nous fassent. Seule l’'émergence d’'une opinion publique éveillée pourra déterminer le bon choix.

 

" Nos opinions sont des girouettes qui se tournent dans le sens où souffle le vent de nos intérêts "
Jean de La Fontaine

http://reveilcivique.free.fr/philo/ 

Revenir au blog et voir les commentaires