Pourquoi le chômage?

                André Hans, le 2 Avril 2016

 « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. » selon une déclaration des Nations Unies. Pourtant en France 10,6 % de la population active est sans emploi. Depuis quarante ans la France multiplie les plans pour l'emploi : emplois aidés, emplois jeunes, aides aux entreprises sous la forme d'une diminution de charges, formation des chômeurs, déclarations en faveur de l'apprentissage. Rarement le chômage n’est descendu au-dessous de 8 %. Est-ce une fatalité ou bien une défaillance de notre système économique, de notre système éducatif, du poids des conservatismes ou encore d’un choix implicite?  De nombreux économistes se sont penchés sur le sujet pour tenter de comprendre d'où vient cette spécificité bien française.

  

A chacun ses causes

 

- La démographie ? En France, il arrive chaque année 30 % de jeunes de plus sur le marché du travail qu'en Allemagne. Contre exemples : l’Italie le Portugal et l’Espagne connaissent à la fois une grave crise démographique et un haut niveau de chômage.

 - Le coût du travail ? Aujourd'hui, en France, le coût du travail au niveau du salaire minimum serait l’ennemi de l'emploi, malgré des allégements de charges : CICE et Pacte de responsabilité. Un comparatif européen vient d’être publié sur le coût horaire du travail sur la base du salaire brut + charges payées en moyenne par les employeurs. Ce coût annuel est en moyenne de 23,70 euros de l'heure avec de fortes disparités : de 43 euros en moyenne en Suède à 3,70 euros en Bulgarie. La France se situe au 5éme rang avec un coût de 35 euros alors que l'Allemagne est en huitième place à 31,70 euros. Contre exemple: La Suède dont le coût horaire du travail est le plus élevé (43€) a un niveau de chômage moindre qu’en France (8%)  

 - L’innovation destructrice d’emploi? Selon la formule de Schumpeter, nous serions dans une phase de destruction créatrice. Dans un premier temps, l’introduction d’une nouvelle technologie plus performante détruit plus d’emploi qu’il n’en crée. Mais dans un second temps, les nouvelles technologies ouvrent de nouvelles opportunités, de nouveaux emplois en général, plus qualifiés. Entre le premier temps et le second, il y a destruction brut d’emploi. Nous y sommes avec la révolution numérique. Contres exemples Les USA, champion mondial de l’innovation avec 460 000 dépôts brevets (2012) ont un niveau de chômage de 5.5%  (selon leur mode de calcul)

  

- Les robots, l’automatisation et les progrès de la productivité?

 

Les robots et automates, comme hier les métiers à tisser de Vaucanson seraient responsables du chômage. Ne serait-ce pas plutôt les délocalisations vers des pays à bas coût de main-d'œuvre ? Pour relocaliser les productions, seule une forte productivité obtenue par l’automatisation et la robotique peut compenser les écarts de salaires. Certes, dans les 2 cas cela pèse sur l’emploi, mais moins avec une production performante relocalisée, et de plus, avec une main-d'œuvre qualifiée et bien payée. Et puis c’est bon pour notre balance commerciale. Contre exemple: 34.495 robots en France et quatre fois plus en Allemagne (148.195) avec 4.7% de chômeurs. 

 

- L'insécurité juridique. La complexité du Code du travail, notamment des conditions de rupture du contrat de travail, reste un obstacle à l'accès à l'emploi. L'encadrement du montant des indemnités et l’accélération des procédures prud'homales irait plutôt dans le bon sens. Contre exemple : La France est championne de la complexité administrative, et cela couterait 3% de PIB

 

- L'insécurité fiscale.  20 % des articles du Code des impôts changent chaque année. Le Conseil des impôts avait déclaré ce Code « quasiment illisible »! Pour la défiscalisation des heures supplémentaires d’août 2007, une première circulaire de 23 pages fut publiée puis complétée par une lettre ministérielle elle-même annulée par une nouvelle circulaire de 25 pages ! En 2005 le Conseil constitutionnel a censuré le plafonnement global des niches fiscales pour son excessive complexité. 

- Une assurance-chômage non incitative. La France ne serait pas assez sévère en cas de refus d'offre d'emploi ou de formation, notamment en comparaison des pays d'Europe du Nord. Le problème " a été résolu en Allemagne avec des lois adoptées entre 2003 et 2005. La France exclut les jeunes qui n'ont jamais travaillé et les seniors arrivés en fin de droits.

 - Les délais de payement des donneurs d’ordre. Des conditions de payements qui contribuent à la faillite des TPE. Avec un faible pouvoir de négociation, les TPE sont obligées d’accorder des délais très longs à leurs clients souvent les grands comptes, alors que de l’autre côté, leurs fournisseurs leur font subir une forte pression. Plus de 5000 sociétés ont baissé le rideau en 2014. Les relations interentreprises se sont fortement dégradées, et ce sont les TPE qui en souffrent le plus. Les délais de payement sont passés de 53 jours entre 2010 et 2013 à 263 jours sur les deux dernières années. La situation des PME n’est pas franchement meilleure, en revanche l’effet est inverse pour les grands comptes. 

 - Les banques? La frilosité du financement bancaire à destination des PME est un postulat fréquemment mis en avant par les entrepreneurs. Cette idée semble pourtant erronée. Les chiffres de la Banque de France sont affirmatifs : sur un an, les crédits accordés par les banques à l’intention des entreprises ont crû de 0,5% à fin janvier2013, contre une progression de 0,8% un mois plus tôt.  

 

 … et leurs solutions : ce qui a été essayé 

 

Subventionner certaines embauches. Créer un impôt négatif sur les bas salaires ou redistribuer du revenu par le biais du RSA.  Faute de quoi, le SMIC peut avoir des conséquences opposées à celles recherchées, puisqu'il accroît les inégalités en empêchant l'accès à l'emploi, pour les chômeurs les moins qualifiés (50% des demandeurs d'emploi n'ont pas le bac).

 La réduction du temps de travail. Se répartir le travail quand celui-ci se raréfie du fait des progrès de la productivité semble à première vue de pure logique. Mais nous sommes dans une économie concurrentielle ouverte et le passage de 39 à 35h renchérit les coûts de 10% nous faisant perdre des marchés et accroitre le chômage. L’enfer est pavé de bonnes intentions. 

 La formation. Former 500 000 chômeurs ? Pour certains économistes le niveau global d'éducation d'une génération n'a jamais été aussi élevé, et le chômage jamais aussi fort. Mais encore faudrait-il que les formations correspondent à un besoin, ou encore qu'elles répondent à l'évolution des métiers, ce qui est loin d'être toujours le cas en France. La formation coûte extrêmement cher : 30 milliards d'euros. Pour quel résultat ? " On ne sait pas très bien où va cet argent, le système n'est pas du tout évalué.

 

 Alors que faire, sinon oser une véritable révolution culturelle !

 

Revaloriser la technique, les métiers manuels et l’apprentissage. On ne peut à la fois mépriser la technique et être performant industriellement. Tous les politiques s’exhibent au salon de l’agriculture, mais combien d’entre eux fréquentent les salons de l’industrie. Mais surtout, l'image de l'apprentissage en France reste mauvaise. La voie de l’apprentissage est celle d'une orientation par l'échec, une voie de relégation. L'éducation nationale continue de dévaloriser l'apprentissage, et l’enseignement professionnel. En Allemagne et en Suisse, l'apprentissage est l'une des clés de l'emploi des jeunes et un investissement pour l'entreprise. En France plus de 400 000 emplois ne sont pas pourvus. 

 

Le commercial. Les Français ont la fâcheuse réputation de ne pas, savoir se vendre, d’être de piètres commerciaux. Contrairement aux Anglo-Saxons, la fonction commerciale en France a historiquement « mauvaise presse ». La performance d’une entreprise c’est sa capacité à délivrer un service de ses clients. 75 % des échecs commerciaux n’ont aucun rapport avec les produits et services de l’entreprise. Sans clients, pas de commande donc pas d’emplois 

 La recherche Au 5éme rang en termes de publications la recherche française est réputée pour son académisme. Un rapport de la Cour des comptes observe qu’en dépit de financements publics croissants, l’effort national de recherche et développement stagne en France, du fait de la faiblesse de la recherche des entreprises.  Selon le Ministre de la recherche « La France est un grand pays de recherche». Seul bémol « Nous pêchons dans le transfert de notre recherche vers notre industrie et notre économie, qui n'en bénéficient pas assez ».

 Simplifier le code de travail. Le Code du travail est passé de 600 articles en 1973 à 3800 en 2003. Après avoir sextuplé en 30 ans, il a triplé en 30 ans et compte actuellement 10 000 articles. En Suisse le Code du travail compte seulement cinquante-quatre articles. Eux connaissent le plein emploi et nous le chômage de masse.  

 Réformer « Pôle emploi».  D’urgence, il faudrait que cette administration se mette enfin au service des demandeurs d’emploi. D’abord, un suivi hebdomadaire de chacun des demandeurs d’emploi comme cela se pratique dans de nombreux pays. Mais au préalable, il faut faire bénéficier à tout nouvel inscrit d’un bilan de compétences, immédiatement suivi d’une formation de remise à niveau ou de réorientation vers un nouveau métier. Plus difficile à faire passer, il faudrait conditionner l’allocation à un pointage quotidien, déjà pour conserver les rythmes du travail, éviter l’isolement par une sociabilité comme en entreprise, autour d’une machine à café.

 

Inventer de nouveaux métiers. On pense évidemment aux nombreux métiers de l’informatique, du numérique et du net qui depuis des années sont sans conteste les plus dynamiques en terme de créations de nouveaux métiers et d'embauches. Désormais les nouveaux métiers seront moins orientés vers la production de biens matériels, mais vers des biens immatériels, du contenu, de l’information, de la connaissance et du culturel. A quoi bon avoir des centaines de canaux TV pour n’avoir le choix qu’entre différents navets américains. La révolution numérique doit s’accompagner d’une révolution de la culture pour proposer du contenu dans les tuyaux. En plus, cela ne pollue pas. On objectera que ce sont des métiers inaccessibles aux moins qualifiés. Aussi, les services à la personne avec l’allongement de la durée de la vie sont appelés à se développer.   

 

Pour une performance globale. L’emploi et la réussite économique sont la résultante d’un ensemble de composantes qui combinés concourent à la performance globale d’une société. Cela va de l’éducation à la formation, à la législation du travail et fiscale. Cela va de la capacité d’innover et d’entreprendre et de prendre des risques. La qualité de la recherche, mais aussi à la capacité de la traduire en développement économique et culturel. Mais aussi d’un appareil d’état et des institutions de qualité au service du pays. Sans omettre, des dirigeants au courage politique pour résister aux corporatismes et aux conservatismes. Sans oublier la nécessaire cohésion sociale  

 

                   André Hans, le 2 Avril 2016

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 Dans la première partie du vingtième siècle, à l'époque du fordisme, puis pendant les Trente glorieuses, il existait une possibilité d'enrichissement des travailleurs. C'était le rêve américain et en France le rêve républicain. Aujourd'hui, cela apparaît impossible: le modèle économique n'est plus attractif. C'est dû à la globalisation et surtout aux délocalisations avec, hier, cette alliance contre nature entre le PCC, Wall Street et Walmart. Entre 2001 et 2013, les importations de produits chinois par Walmart ont coûté aux Etats-Unis 400 000 emplois, la plupart dans l'industrie manufacturière. Au total, 3,2 millions d'emplois ont disparu ces années-là, dans l'industrie manufacturière. Des délocalisations massives qui se sont conjuguées avec l'irruption du numérique, cette troisième révolution industrielle qui accroît les inégalités, le stress et les transformations massives d'emplois protégés jusqu'alors (parmi lesquels les plus célèbres sont les taxis). L'«iconomie» met en concurrence tous les secteurs d'activité. L'immigration en provenance de pays pauvres aux salaires plus bas fait partie de ce phénomène de dumping social. D'où les réactions de ces classes moyennes qui voient peu à peu tous leurs avantages disparaître.