Pourquoi les jeunes se désintéressent-ils de la science ?

Pourquoi les jeunes se désintéressent-ils de la science?

 

L’intérêt des nouvelles générations pour la science est un sujet important pour notre avenir. C’est sur l’avancée des sciences et la maîtrise des forces de la Nature que se sont bâties les sociétés industrielles européennes. L’utilisation des machines et de nouvelles sources d’énergie ont permis une hausse prodigieuse de la productivité, entraînant une amélioration du niveau de vie dans les pays dits développés.

 

Si les jeunes ne veulent plus consacrer des heures, des mois, et des années, à potasser les mathématiques, à s’approprier des concepts de physique souvent contre-intuitifs, qui fera tourner nos centrales nucléaires dans quarante ans? Et pour ceux qui souhaitent mettre fin à l’exploitation des centrales nucléaires, qui seront les brillants inventeurs qui nous permettront d’utiliser des énergies plus propres? Quand verrons-nous des voitures volantes, et qui rendra donc possible un voyage jusqu’à Mars et au-delà?

 

Dans son édition du 26 Novembre 2008, Le Monde tire la sonnette d’alarme : l’Occident ferait face à une crise des vocations scientifiques. Selon le journal, depuis 2000, en termes de nombres d’étudiants en Europe, “les sciences de la vie stagnent (+ 1%), tandis que les sciences physiques, grandes victimes de ce rejet collectif des jeunes Européens, dégringolent (- 5,5 %)”.

 

Le sujet du désintérêt des jeunes pour la science peut paraître curieux quand on considère les effectifs des différentes filières de baccalauréat. Selon L’Etudiant, 51% des inscrits au bac général sont en série scientifique (S), 17 % en série littéraire (L) et 32% en série économique et sociale (ES). A l’heure où une majorité d’élèves choisissent de poursuivre des études scientifiques au lycée, comment peut-on parler d’un désintérêt des jeunes pour la science?

Comment faut-il alors qualifier le manque d’intérêt des jeunes pour la littérature, alors que la série L, délaissée des lycéens, a perdu 28% de ses effectifs en 20 ans?

Le Figaro écrit même : “Qu’ils veuillent faire du cinéma, du design, de la biologie ou encore du droit...les bons élèves choisissent toujours un bac Scientifique. Car il mène toujours à tout, comme si les voies économie ou littéraire n’avaient pas trouvé leur légitimité.”

 

Cette phrase du Figaro, dans un article visant à présenter le Bac S comme la voie royale, nous permet d’appréhender le paradoxe de la crise des vocations scientifiques. De nombreux jeunes font un Bac S sans avoir la moindre intention de poursuivre des études supérieures scientifiques. Le Bac S joue le rôle de label de qualité académique de l’étudiant.

 

S’appuyer simplement sur des statistiques pour affirmer qu’il existe une crise des vocations scientifiques est insuffisant. Le magazine Pour La Science, dans une étude consacrée à ce sujet, balaie toutes les explications habituelles d’un revers de la main. Si le magazine reconnait que “les étudiants en France étaient 63 410 à entrer en première année de sciences à l'université en 1995,” et  “ne sont plus que 38 200 en 2005, soit une chute de 40 pour cent en 10 ans”, il considère ces chiffres trompeurs. Selon Pour La Science, la baisse des inscriptions à l’université est compensée par une hausse correspondante dans les filières scientifiques professionnalisantes, et notamment les IUT. Ces filières offrent aux étudiants l’opportunité d’études plus courtes, et donc moins chères, et de perspectives meilleures d’entrée sur le marché du travail. On peut donc nuancer le constat en précisant que s’il y a effectivement un désintérêt pour la science théorique des amphithéâtres, c’est parce que les étudiants ont été séduit par des formations plus orientées vers la pratique de la science.

 

Dans les universités françaises, en 2012, d’après une note d’information du Ministère de l’Enseignement et de la Recherche, 20 000 élèves suivent des formations longues d’ingénieurs, tandis que 110 000 élèves étudient pour décrocher un DUT.

 

La crise des vocations concerne donc les études scientifiques longues, avec une orientation axée sur la théorie, telles que les doctorats et la recherche. Cette crise peut s’expliquer essentiellement par le manque de débouchés pour les jeunes chercheurs en France. A ce sujet, le conseil scientifique du CNRS, dans l’édition du Monde du 18 Mars 2014, dresse un constat accablant de l’état de la recherche fondamentale en France. Selon le rapport, la baisse des investissements publics dans la recherche n’a pas été compensée, loin de là, par une hausse des investissements privés dans la recherche. Ainsi, selon l’OCDE, au niveau du ratio dépenses publiques en R&D / PIB, la France “passe de la 7e à la 15e place dans le classement mondial entre 1995 et 2011”. Concernant le ratio des dépenses du secteur privé en R&D / PIB, la France passe de la 13e place en 2006 à la 15e place en 2011. Cette baisse des investissements entraîne un taux de chômage élevé des jeunes docteurs, de 10% en 2007. Le conseil scientifique explique que “les recrutements dans ce secteur sont en diminution constante depuis une dizaine d’années, et les organismes de recherche, dont le CNRS, pourraient bientôt ne plus recruter (années dites « blanches »)”.

 

C’est donc toute la stratégie libérale menée depuis des décennies en France qui est remise en question, stratégie visant à un désinvestissement progressif de l’Etat dans le domaine de la recherche, celle-ci devant désormais être assurée par le secteur privé. La pierre angulaire de cette stratégie est le crédit d’impôt recherche, qui aura coûté aux contribuables près de 5,5 milliards d’euros pour l’année 2015. Un rapport sénatorial sur l’utilisation du crédit d’impôt recherche, repris par Mediapart, nous apprend que ces fonds sont consommés en majorité par le secteur tertiaire. “Le secteur des services avec 1.174 millions d’euros en 2007, représente près des deux tiers des créances“, note le rapport à partir des données transmises par le ministère de la recherche. “La recherche, la pharmacie et les services de télécommunications ont reçu moins de 200 millions d’euros ensemble”. En comparaison, en  2007, “il s’est trouvé 930 établissements bancaires et financiers, bénéficiaires du crédit impôt recherche. A lui seul, ce secteur a obtenu 312 millions d’euros de crédit d’impôt recherche, soit 18% du total.” Le crédit d’impôt recherche, au lieu de servir à la recherche contre le cancer, permet donc aux banques de faire financer par les contribuables le perfectionnement des algorithmes de trading automatisé.

 

Le choix de certains jeunes, parmi les plus talentueux de leur génération, de se consacrer à des algorithmes de trading plutôt qu’à la recherche fondamentale, peut interpeller. Sans doute les jeunes générations réalisent-elles qu’un accroissement des connaissances scientifiques ne va pas résoudre nos problèmes.

L’idéologie du Progrès, selon laquelle tout ce qui est nouveau est forcément mieux que ce qui a précédé, est de plus en plus remise en question. A quoi bon plus de science? Les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui n'ont pas de solution technologique.

Dans le film Food Inc., documentaire américain de 2008 réalisé par Robert Kenner, le narrateur explique qu’on arrive à guider par satellite l’épandage des pesticides sur les champs de maïs, mais qu’on ne sait pas pourquoi les vaches doivent manger du maïs au lieu d’herbe.

 

La science ne permet que de répondre à la question “comment” et non à la question “pourquoi”, c’est un outil qui peut être utile sous certaines conditions, mais qui ne suffit pas à améliorer la condition humaine. On sort peu à peu de la vision Prométhéenne qui a caractérisé le 20ème siècle, d’un Homme devenant par la science l’égal des dieux. Le récent film du même nom, Prometheus, sorti en 2012 et réalisé par Ridley Scott, montre comment une équipe de scientifiques passe la moitié du film à essayer d’empêcher la diffusion d’une connaissance destructrice. La science est de plus en plus perçue non pas comme une solution, mais comme un risque. Qui veut être l’heureux inventeur de la bombe à neutrons ? Dans de plus en plus de films, la figure du scientifique courageux est celle de celui qui ose détruire son invention avant même de la révéler au monde.

 

Ces interrogations ne datent pas d’hier, et déjà en 1998, l’Unesco proposait un “nouveau contrat entre la science et la société”. Parmi les recommandations, l’organisation affirme que les scientifiques “ont la responsabilité d’entamer un dialogue avec le public sur les implications des découvertes scientifiques et d’aider à distinguer les applications socialement bénéfiques de celles qui risquent de nuire à la société.”

 

Références :

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/06/13/01016-20100613ARTFIG00222-bac-la-serie-litteraire-sombre-dans-la-crise.php

http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2014/58/8/NI_MESR_14_01_303588.pdf

          https://www.youtube.com/watch?v=7tGTkO6rekA

 

 

Antoine Stollsteiner

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