Peut-on lutter contre la pauvreté sans croissance du PIB ?

A l’énoncé de cette question, deux réponses sont fréquemment données.

La première : « Il suffit de prendre aux plus riches pour distribuer aux pauvres ».

La seconde : «  On ne peut distribuer qu’une richesse qu’on a créée ».

Ces deux affirmations sont trop incompatibles entre elles pour alimenter un débat qui ne soit pas un dialogue de sourds. Il est donc nécessaire d’approfondir la question. Pour cela, commençons par bien définir la notion de pauvreté. Il convient de distinguer pauvreté absolue et relative.

1. Pauvreté absolue: Situation d'un individu, d'un groupe de personnes ou d'une société qui ne dispose pas des ressources suffisantes pour lui permettre de satisfaire ses besoins fondamentaux et se développer normalement.

Besoins fondamentaux : Air pur pour respirer, eau saine (potable pour boire, propre pour se laver), nourriture suffisante en quantité et qualité, de quoi se vêtir, protection contre les intempéries (vêtements et habitat), et contre les maladies. C’est aussi la sécurité des biens et des personnes. On observe d’ailleurs que les populations les plus pauvres sont celles où le taux de mortalité est le plus élevé et l’espérance de vie moyenne la plus faible.

Seuil d’extrême pauvreté (IPH) : pour les pays en développement, il s'agit d’un revenu inférieur à 1 USD par jour et par habitant. Dans les pays les plus pauvres, l’IPH atteint en moyenne 43,3 % de la population. Il peut atteindre 48 % en Gambie, Mozambique, Mali et Mozambique !

2. Pauvreté relative : Elle s’établit par comparaison avec le niveau de vie moyen du pays dans lequel on se trouve. On détermine d'abord le revenu médian, revenu qui partage la population en deux parties égales. La pauvreté se définit alors par rapport à une proportion de ce revenu médian.

Seuil de pauvreté : En France, l’INSEE considère qu'un ménage est pauvre si son revenu est inférieur à 50% du revenu médian français par unité de consommation. Le taux est de 60% pour Eurostat (service statistique de la Commission européenne). Dans nos pays où le revenu médian est relativement élevé, le seuil de pauvreté permet d’accéder à des besoins non fondamentaux tels qu’une voiture, un poste de télévision, un téléphone mobile, un ordinateur et l’accès à Internet.

Ce seuil est très variable selon les pays : 1286 € par mois en Norvège, 935 € en France, 180 € en Roumanie.

Taux de pauvreté : Proportion de la population qui vit avec un revenu disponible inférieur au seuil de pauvreté. En Europe, il est en moyenne de 16,9 % de la population, mais seulement 10,1 % en Norvège et aux Pays-Bas. Il atteint 22,2 % en Espagne et 23,1 % en Grèce.

Pour faire simple, on utilise plutôt la pauvreté absolue dans les pays pauvres, dits « pays en développement » où elle est un état d’extrême dénuement, allant jusqu’à menacer la vie même (dénutrition, empoisonnement…). Et la pauvreté relative dans les pays riches où l’extrême pauvreté n’existe plus.

Nous examinerons si les réponses à ces questions sont ou non les mêmes selon qu’il s’agit de pays riches ou pauvres.

Quant au PIB, il a fait l’objet d’un précédent débat. Contentons-nous de rappeler qu’il mesure la richesse totale de tous les habitants d’un pays et que la croissance est la mesure de l’accroissement de cette richesse dans un temps donné.

Nul ne conteste que l’accroissement du niveau de vie de tous et, donc, la disparition de l’extrême pauvreté en Europe n’ont été possibles que grâce aux progrès considérables réalisés aux 18eme, 19ème et 20ème siècles : industrialisation permettant de fournir à tous des biens nombreux et diversifiés ; explosion des rendements agricoles ; progrès considérables de la médecine.

Ce que l’Europe ou les Etats-Unis ont réalisé en trois siècles, le Japon l’a réalisé en moins d’un siècle et la Chine avance à marches forcée avec un taux de croissance qui fut longtemps à deux chiffres (ce qui signifie un doublement du PIB en sept ans) et qui reste aujourd’hui un des plus élevés du monde. Le recul de l’extrême pauvreté y est saisissant : En 1985, 360 millions de Chinois vivaient avec moins d’un dollar par jour. Trente ans après, ils ne sont plus que 60 millions, soit six fois moins.

Il ne s’agit pas d’une distribution « à la française » consistant à prendre aux riches pour donner aux pauvres. La protection sociale et l’aide aux plus démunis sont encore balbutiantes en Chine. Il s’agit d’un phénomène de glissement : Chaque année, des dizaines de millions de très pauvres, venant généralement des campagnes, arrivent en ville pour occuper les emplois générés par la croissance. Malgré les bas salaires – qui tendent maintenant à augmenter du fait du manque de main d’œuvre disponible – ils accèdent ainsi à un statut de « moins pauvres », puis viennent grossir les rangs de la classe moyenne. C’est ainsi que la pauvreté recule. La classe moyenne, en Chine, ceux qui possèdent un appartement et un moyen de transport, se compte maintenant en centaines de millions de personnes. En Inde, pays qui s’est développé moins vite que la Chine, elle représente deux fois la population française.

A l’inverse, dans des pays sans croissance et même dont le PIB décroît, tels l’Algérie ou le Vénézuela, la pauvreté tend à s’accroître, pas seulement par manque d’argent mais aussi par la difficulté de trouver des biens manufacturés ou alimentaires que le pays ne produit pas ou plus et qu’il n’a plus les moyens d’importer.

Eradication de la pauvreté ne veut pas dire, nécessairement, réduction des inégalités. Si le nombre de pauvres a diminué en Chine, celui des riches et même des très riches a explosé. La Chine compte désormais plus de milliardaires que les Etats-Unis.

Dans les pays de l’OCDE, les revenus des 10 % les plus riches ont progressé de moitié en trente ans alors que ceux des 40 % les moins riches n’ont gagné que 30 %. Certes, les moins riches ont vu leur situation s’améliorer mais, s’ils se comparent avec les plus aisés, ils ont une impression de pauvreté relative. S’il est avéré que la croissance du PIB a pour corollaire une réduction de la pauvreté absolue, elle s’avère inopérante pour réduire la pauvreté relative.

Notons que cet afflux du produit de la croissance vers les plus riches, davantage que vers les plus pauvres, n’est pas une fatalité. La situation est en effet bien différente entre les pays de tradition égalitaire (Suède, Norvège, Danemark) et les autres pays développés, plus inégalitaires.

Quant aux pays pauvres, c’est là où les inégalités sont à la fois les plus marquées et, surtout les plus criantes en raison de l’extrême misère qu’on y déplore. Il serait illusoire de penser qu’une distribution des richesses de leurs dirigeants suffirait à éradiquer cette extrême pauvreté. Là encore, lorsque le processus de croissance amorcé par les BRICS se développera, le nombre de pauvres se réduira comme il l’a fait en Chine et une classe moyenne émergera.

L’ONU constate une diminution, ces dernières années, du nombre d’habitants de la Terre disposant de moins d’un dollar par jour. Parallèlement, l’état sanitaire de ces populations est en voie de lente amélioration. Espérons donc que ces mouvements se poursuivront en s’amplifiant. Mieux encore, entreprenons d’y participer.

Je laisse la conclusion à Confucius qui écrivait, cinq siècles avant JC :

« Sous un bon gouvernement, la pauvreté est une honte ; sous un mauvais gouvernement, la richesse est aussi une honte "

                    Jean-Claude Charmetant    le 19 Novembre 2016

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