Faut-il juger un homme sur ses intentions ou sur ses actes ?
Je vais amorcer notre débat en divisant le thème proposé aujourd'hui en 3 parties et en vous renvoyant vers plusieurs pistes de questionnement.
1) Le jugement - l'intention - l'acte
Savoir sur quels critères moraux juger d'un acte est un grand problème d'éthique. Juger c'est se prononcer sur le bien ou le mal d'une action. Or, pour juger, il faut être en possession de toutes les connaissances et de tous les paramètres nécessaires à l'établissement du jugement.
L'intention est du domaine de la pensée. Il est évident que nous ne pouvons avoir accès à l'intériorité d'un être. Comment se prononcer alors ? Dans le domaine légal, on voit bien que le légiste a fait une distinction entre, par exemple le meurtre avec préméditation et celui sans intention de donner la mort. Un passage à l'acte précédé d'une intention de nuire relève des circonstances aggravantes ; à l'inverse, sans préméditation, le passage à l'acte spontané bénéficie de circonstances atténuantes. Une intention non mise en application par le passage à l'acte, donc qui reste sans conséquences, doit-elle être prise en compte dans notre jugement sur autrui ? Cependant le dicton populaire dit « c'est l'intention qui compte ».
Comment juger de la moralité d'un acte ? Pour Schopenhauer, la moralité d'un acte ne peut absolument pas se juger sur l'acte lui-même. Et si c'est bien sur ses actes que l'on peut juger quelqu'un, qui jugera celui qui juge ? Peut-on s'autoriser à penser qu'un être suprême détient l'ultime capacité à juger ? (dans la religion, on parle de « jugement dernier ») ? Ou est-ce l'homme qui, en s'octroyant la capacité à juger, s'approcherait alors du divin ?
Il semblerait qu'en pratique, il faille juger l'acte. Ainsi le Droit est là pour juger des actes, et la morale des intentions.
2) L'intention - l'acte
L'intentionnalité ce n'est pas de regarder en spectateur, c'est exister déjà ; c'est une activité de l'esprit qui donne du sens à l'action. L'intention précède l'acte mais tout acte répond-il nécessairement à une intention ?
L'acte est la manifestation concrète de la volonté qui a des conséquences dans la réalité. Un passage à l'acte sans intention préalable entre dans le domaine de la pulsion. Après, on peut épiloguer sur l'inconscient qui serait le moteur secret de nos passages à l'acte pulsionnels en dehors d'une volonté réfléchie mais là on pénètre dans la complexité de la psychanalyse.
Est-ce l'intention ou le résultat de l'intention qui compte ? Est-ce l'intention qui en est l'instigatrice qui donne toute sa valeur à l'acte ? Et pour en revenir à l'interrogation première : sachant qu'agir c'est assumer ce que l'on pense, l'intention vaut-elle l'acte ?
3) Synthèse
Ce qui est incontestable c'est que les intentions présagent des actes et que les actes confirment les intentions. Au stade de l'intention, il est important de rappeler que l'homme a encore et toujours son libre-arbitre.
Dans la religion juive, le péché n'est condamné que lorsqu'il est amené par une intention. Ainsi, si l'on commet un péché par inadvertance ou ignorance, il n'y a pas faute.
En politique, nous pourrions faire pléthore de « procès d'intentions stériles» à ceux qui nous gouvernent, élus sur des idées présentées dans des programmes prometteurs et qui trop souvent n'en restent qu'à ce stade... Pour les actes... que nenni et peau de balle !!! Nous élisons nos gouvernants sur des intentions mais nous les jugeons sur les actes. C'est ce que dit le peuple dans la rue en ce moment
J'aimerais citer le proverbe de St Bernard : « l'enfer est pavé de bonnes intentions », ce qui implique très clairement que, pour lui, seuls comptent les actes.
Egalement, nous pourrions évoquer le film « Minority report » qui, s'inspirant du livre « 1984 » de George Orwell, présente un monde futuriste dans lequel sévit une Police de la Pensée qui intervient sur les « pré-crimes ». Cette organisation peut déceler les crimes alors qu'ils en sont au stade de l'intention dans la tête des gens. Ainsi un homme est arrêté avant de commettre le meurtre qu'il avait envisagé. Cependant, une fois arrêté, il reconnaît qu'il aurait été incapable de passer à l'acte (et revoilà notre notion de libre-arbitre). Condamner un homme pour ce qu'il pense (seule vraie liberté qui reste encore à l'humanité) n'est-ce pas entrer dans l'action totalitariste et arbitraire ? Or, arrêter un terroriste avant qu'il ne commette l'irréparable quand cet irréparable n'en est encore qu'au stade de l'intention malveillante, est-ce un acte arbitraire ou un acte de prévention et de sauvegarde de la vie d'autrui ? Mais qui peut assurer que le terroriste aurait mis ses intentions en exécution ? On est ici dans le domaine de l'hypothèse et comment juger sur des hypothèses ???
Que penser également du projet de N. Sarkozy de tester les très jeunes enfants afin de détecter en eux les futurs délinquants de demain ??? On n'est plus très loin de « Minority report »...
Enfin, qu'est-ce qui définit un homme ? Ses intentions ou ses actes ? Ou les deux ?
Le Dalai Lama dit (dans une pensée un peu alambiquée à mon goût) que « lorsque nos intentions sont égoïstes, le fait que nos actes puissent paraître bons ne garantit pas qu'ils soient positifs ou éthiques ».... A méditer...
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Petite aparté sur la sémantique à propos de la formulation du titre de ce débat :
A la place de « faut-il juger un homme... », j'aurais du utiliser la formule « peut-on.... » car le verbe falloir amène une notion d'obligation et de nécessité au même titre d'ailleurs que dans la formule « doit-on... »
« Peut-on juger un homme sur ses intentions ou sur ses actes ? » nous fait ressentir, de manière sous-jacente, une interrogation et une incertitude sur nos possibilités, nos aptitudes et notre capacité de poser un jugement qui me semblent plus adéquates car cela laisse planer une notion de doute sur la fonction de juger et quand le doute plane, tout le monde sait que cela doit profiter à l'accusé... Ainsi, cette petite mise au point m'a paru judicieuse avant que vous ne me fassiez un procès d'intentions et ne me « condamniez » pour mauvaise (ou discutable) présentation de ce sujet.