D'où vient la violence?

La violence prend des formes multiples, de la plus extérieure et générale, massivement organisée, celle des Etats (la guerre, certaines famines, les génocides) jusqu’à la plus intime, la violence contre sa famille (enfants, conjoint) et contre soi (suicide, drogue). Entre ces deux extrêmes, on trouve les violences ethniques, celles des mafias et des terroristes auxquelles répondent violemment les Etats avec une supériorité technique et numérique, la violence dans la rue, etc.

La violence peut être physique, verbale, psychologique, sexuelle, économique, etc…

La tolérance à la violence change avec le lieu et l’époque : « La définition de la violence a changé. Ce qui était considéré jadis comme tolérable est devenu intolérable aux yeux de la société. C’est le cas des violences sexuelles, des violences conjugales, des maltraitances à enfants, des bagarres entre collégiens, des agressions physiques ou verbales à caractère raciste ou homophobe, des pratiques violentes de bizutage » [1]  C’est même vrai de l’homicide !

Contrairement à l’image qu’en donnent les médias, la violence dans le monde est en régression continue, qu’il s’agisse des guerres ou des homicides[2]. Les causes de cette décroissance sont :

1.       un effet civilisationnel « Il est probable qu’un processus de pacification des mœurs continue à travailler la société française et participe du recul continu de l’usage de la violence comme issue aux conflits ordinaires et quotidiens de la vie sociale.[…] notre société ne supporte plus la violence, ne lui accorde plus de légitimité, ne lui reconnaît plus de sens. »1

2.       un effet de disciplinarisation par les lois et la justice, effet qui a été favorisé par la centralisation progressive du pouvoir royal en particulier aux 15e et 16e siècles. C’est le rôle de l’Etat de réglementer la violence qui devient son monopole : seul l’Etat a le droit d’intervenir avec violence, à part la légitime défense que l’Etat autorise.

Parmi les causes de la violence, on peut citer :

L’humiliation

 « L’humiliation engendre et prépare les violences futures. […]Or les humiliés à leur tour risquent d’être humiliants, il y a alors une sorte de contamination d’humiliation qui touche peu à peu tous les tableaux de la vie des individus et des sociétés. L’humiliation est de la violence différée… […] L’humiliation atteint donc les deux racines de la dignité humaine, celle de l’estime de soi et celle du respect d’autrui.[… ] l’humiliation aussi se propage. Une humiliation dans le monde de l’emploi peut avoir des répercussions dans la famille, sur la santé, etc.[3]

Le manque de mots, l’impuissance linguistique

Ne pas maîtriser la langue orale, ne pas savoir lire vraiment couramment (accéder au sens sans effort), constituent des handicaps très graves aux échanges avec autrui. Celui qui en est victime ne peut communiquer qu’avec des très proches sur des sujets connus. Il ne peut pas communiquer avec un autre vraiment différent de lui, encore moins sortir des frontières de son espace habituel grâce aux écrits du monde entier. Les autres lui font peur, il les ignore. Quand il se sent en danger, il frappe…

L’insécurité interne

Celle-ci touche souvent des adolescents. « Le comportement violent devient le moyen de retrouver par la destructivité une forme de pouvoir et de maîtrise de la situation qu’il ne peut avoir par la recherche du plaisir ou du succès.» [4]

L’absence de sens, le vide

     Absence de sens > anxiété >  moment paranoïde  > délire logique du bouc émissaire/sacrifice

L’absence de sens génère la séquence ci-dessus, très bien décrite par Boris Cyrulnik. Le besoin de sens est fondamental, vital. « On ne peut pas s'orienter dans un monde insensé, on ne peut pas s'adapter à un monde confus, mais dès qu'une forme apparaît on se sent mieux, parce que l'insensé en devenant explicable donne une clarté qui ordonne une stratégie d'existence. Désormais on sait que faire, où se cacher, qui affronter ».[5]

Elle peut aller jusqu’au terrorisme : « Lorsqu'une personne ne parvient pas à exister, […] dans un tel contexte appauvri, l'envoûtement terroriste offre un moment d'existence, un sursaut de dignité. On devient terroriste pour vivre une passion dans un milieu sans espoir. »4

La perversité, un monde sans altérité.

              Perversité = un monde sans autrui, l’autre n’existe pas

La perversité peut être habituelle, structurelle : il s’agit d’un psychopathe qui s’est construit ainsi, il est pervers dans toutes les composantes de sa vie.

Elle peut aussi être conjoncturelle, ne se produisant que dans certaines circonstances : il s’agit alors d’ « un homme ni névrotique, ni psychopathe, ni traumatisé dont l'existence est telle qu'il se laisse enga­ger dans une aventure perverse. »4 Exemples : le terroriste, le nazi cultivé, qui mène par ailleurs une vie de bon père de famille, le brave hutu, le gentil khmer rouge… « La violence […] répare l'humiliation, mais crée un monde mental sans autrui. L'autre est réduit à l’idée qu’on s'en fait et non pas à l'expérience qu'on pour­rait en avoir. […] [Elle] apporte un soulagement momentané qui empêche les solutions durables. » 

L’appauvrissement affectif.

L’appauvrissement affectif peut générer une perversité. L’empathie est étouffée. Il y a de multiples sources à cet appauvrissement affectif : isolement, abandon, la routine, un parent trop exclusif, groupe fusionnel, l’addiction aux écrans…

 «  Que leur famille soit aisée ou pauvre, religieuse ou non, un confinement affectif les a iso­lés au cours de leur développement. La routine les a rendus bons élèves, la pauvreté les a mal socialisés, […]. Les futurs ter­roristes ont été coupés des autres et du réel sensible […] Quand ce confinement individuel se conjugue avec une humiliation, surgit alors un espoir fou : tuer et mourir pour vivre mieux ! »Il peut s’y ajouter un phénomène d’emprise qui fait perdre toute autonomie de pensée. C’est un processus cognitif : le psychisme s’est rigidifié, la conscience est anesthésiée.

En résumé je retiens trois mots-clés générateurs de violence : l’humiliation, l’absence d’altérité, le manque de sens.

 

                                                               Marie-Odile Delcourt        Débat du 18 Novembre 2017


revenir au blog et voir les commentaires. 

[1] Laurent Mucchielli. https://www.scienceshumaines.com/violence-de-quoi-parle-t-on_fr_30395.html  

[2] Vient de sortir La part d’ange en nous de Steven Pinker, professeur à Harvard. Les Arènes

[3] Olivier            Abel (Se montrer, s’effacer, in La dignité aujourd’hui, Bruxelles, Ed. des Facultés Universitaires Saint-Louis, 2007.

[4] http://www.yapaka.be/files/texte/rflexionsclinicienviolence_15.12.05.pdf Philippe Jeammet, psychiatre

[5] Boris Cyrulnik. Autobiographie d’un épouvantail. Odile Jacob.2008