Dans la vie, un certain nombre d'occasions se présentent qui permettent de s'apercevoir que l'être humain peut philosopher. En effet nous le faisons lorsque surgit à la conscience une question essentielle sur la vie, le destin, la mort, l'existence de Dieu, alors que nous nous heurtons aux difficultés de la vie ou aux accidents du destin. Nous philosophons également à chaque fois que nous adaptons, consciemment ou inconsciemment, notre vision du monde à l'évolution perpétuelle de celui-ci. Ainsi la nature nous a donné la possibilité de philosopher, et si nous ne pratiquons cet acte qu'involontairement ou sans grande conscience, c'est une question de culture. L'être humain est ainsi fait qu'il est avant tout porté instinctivement à penser aux choses du monde extérieur, relié qu'il est à celui-ci par ses cinq sens et à subir automatiquement son affectivité car ces deux aptitudes sont en continuelle activité. De plus la société matérialiste dans laquelle nous vivons va dans le même sens en favorisant la recherche du plaisir et des biens matériels. Dans cet état d'esprit, la pensée est directe et s'arrête souvent au concret, à l'apparence, à la superficialité, c'est le domaine de la conscience spontanée, premier stade de la pensée. Pourtant PASCAL avait constaté que : « L'homme est visiblement fait pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite; et tout son devoir est de penser comme il faut ». DESCARTES le voit autrement : « C'est proprement avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir que de vivre sans philosopher », et HEIDEGGER précise : « C'est une existence banale et inauthentique que celle qui ne se met jamais en question ».
Dans la deuxième façon de penser, l’être humain, avec l’intention de réfléchir sur une pensée, car il le désire ou en a besoin, décide d’entrer en action. Cette fois la pensée s’intériorise en exécutant un retournement sur elle-même pour regarder dans sa propre direction afin de pouvoir travailler sur elle : c’est le domaine de la conscience réfléchie, deuxième stade de la pensée. Mais philosopher va bien au delà car, vus de l’esprit, deux mondes sont différenciés par la manière qu’il a de les appréhender.
Primo, le monde extérieur perçu directement par les cinq sens, ainsi qu’une partie de notre monde intérieur se présentant spontanément à la conscience : ce sont les sensations, les émotions, les sentiments, les intuitions, les pensées involontaires.
Secundo, notre monde intérieur sans les sensations, nécessitant cette fois un retournement non plus de la pensée mais de l’esprit sur lui-même pour regarder dans sa propre direction (une conversion selon les philosophes) pour réfléchir sur les pensées à l’aide de deux types de questionnement, l’un portant sur la pensée elle-même en s’interrogeant sur ce qu’elle est, l’autre portant sur ce que l’esprit mobilise de lui-même pour concevoir cette pensée et découvrir tous les problèmes qu’il rencontre lors de cette élaboration. C’est le domaine de la conscience réflexive, troisième stade de la pensée, le plus fructueux. HEGEL a bien précisé cette conversion : « La philosophie, c’est la pensée qui se rend consciente d’elle-même, qui s’occupe d’elle-même, se fait son propre objet et se pense dans ses diverses déterminations », et VIALATOUX en a spécifié le domaine : « La philosophie n’est pas la connaissance scientifique de l’objet mais bien la conscience réflexive du sujet ».
Le moteur de la réflexion philosophique se nomme esprit critique. De DESCARTES, il a pour instrument principal le doute tel qu’il l’a défini : « La mise en question de tout ce qui se présente à l’esprit tant dans l’ordre de la spéculation que dans l’ordre de l’action, non pas dans un état d’esprit sceptique mais dans l’intention de dégager si possible, à travers les erreurs, le chemin de lumière conduisant à la vérité ».
C'est parce que philosopher a pour source l'esprit humain que cet acte est à la base des grandes doctrines politiques, sociales et religieuses qui mènent le monde. Ainsi philosopher commande la destinée historique de l'humanité autant que la vie individuelle. Pour résumer, Meynard à écrit : « Il faut philosopher, on ne peut manquer de philosopher, c'est-à-dire de penser pour penser, de penser pour agir et de penser pour exister, pour assumer une existence authentique, consciente d'elle-même, de ses valeurs, de ses fins et de sa raison d'être ».
Concrètement que gagne-t’on à philosopher ?
Tout le monde pratique les deux premiers stades de la pensée, ce sont des actes courants, plus ou moins spontanés ou qui vont de la simple réflexion à la réflexion poussée. Il en va tout autrement pour le troisième stade, ce n’est plus reconsidérer la pensée et son fondement mais remettre en question nos connaissances, et spécialement notre esprit, à la recherche de ce qui influence négativement l’élaboration des pensées.
Voici ce que l’on gagne à cette gymnastique particulière et essentielle de l’esprit : si possible prendre conscience des limitations de la pensée, des cloisonnements de l’esprit, des interdits que l’on s’impose inconsciemment... afin de les éliminer, modifier certaines habitudes de penser, abandonner certaines croyances et certaines convictions, changer certaines opinions... pour découvrir de nouveaux concepts, de nouvelles idées, de nouvelles actions, de nouvelles pratiques afin de vivre plus authentiquement sa vie en essayant de coller au plus près à la réalité. « On croyait vivre, on croyait avoir quelque expérience de la vie; on voit qu’on ne savait rien, on voit qu’on ne voyait rien, qu’on vivait enveloppé d’un voile d’illusions, que l’esprit avait tissé et qui cachait aux yeux le visage terrible de la réalité ». (Romain Rolland).
Philosopher permet de combattre les illusions et les pensées absolues, de rechercher l’objectivité et l’ouverture d’esprit, de développer le doute cartésien, l’esprit critique et la faculté de jugement. Cela permet aussi de mieux conserver l’intégrité de notre être, facteur de santé, d’efficacité, de conscience claire. Cela aide à la connaissance de notre MOI et de notre SOI et facilite la recherche des problèmes psychologiques qui entravent notre vie.