Peut-on vivre en pensant que rien n'est sacré ?

Pour commencer deux définitions du Larousse du mot Sacré :  

1. Qui appartient au religieux, au divin.

2. A qui ou à quoi l’on doit un respect absolu, qui s’impose par sa haute valeur.

 

Question : à quoi doit on un respect absolu ? J’aimerais vous faire partager ma réponse personnelle : à l’Homme et à l’Humanité. Nous verrons que le respect du Divin en découle, pour certains.

 A la question que nous nous posons ici, la réponse, pour un individu, est en général oui  : on n’a pas besoin de Sacré, si l’on est bien occupé, bien nourri, si l’on a une famille et des relations amicales. Pourquoi se « casser la tête » ? Il suffirait que les politiciens trouvent à tout le monde de quoi vivre et le cycle « production-consommation » serait suffisant ; j’ajouterais à ce cycle le mot « relations ».   Pourtant, une bonne partie de la société, même bien intégrée, veut vivre quelque chose de plus, mener une vie plus riche, et je propose trois niveaux, on peut en trouver d’autres.   Le plus commun concerne l’aide à son prochain, une façon expérimentale de reconnaître à l’Humanité son caractère Sacré. C’est le champ des associations, si nombreuses en France : Restos du cœur, Secours Catholique ou Populaire, Médecins du Monde ou Sans Frontières… Des métiers aussi sont de la même veine : pompiers, enseignants, assistant(e)s sociaux(les), métiers de la Santé… Il est inquiétant de voir que des pompiers, des professeur(e)s ou des infirmièr(e)s sont attaqués physiquement, sans raison le plus souvent: c’est une preuve qu’une société a du mal à vivre en l’absence de Sacré.   Le second concerne l’Art à qui l’on doit aussi un respect absolu, en ce qu’il est une description de notre Humanité. Pourtant il existe un art frelaté, dont les racines ne sont pas pures (goût du profit ou de la célébrité), mais la postérité sélectionne les œuvres, qui deviennent alors Sacrées, comme Mémoires de l’Humanité; pour ma part, je ressens un peu la même émotion quand je regarde une exposition de peinture que quand j’assiste à une cérémonie religieuse. On se rappelle le choc créé partout dans le monde quand les Talibans on dynamité des statues de Bouddha, et quand le musée de Baghdad a été pillé. Choquantes également ces ventes de tableaux à des prix faramineux, comme si le Sacré était à vendre.   Le troisième niveau est lié à la religion (point numéro 1 du dictionnaire) : je la considère personnellement comme une façon de vivre plus intensément notre Humanité. Elle place un Dieu au dessus des Hommes, Dieu dont nous n’aurons jamais la preuve de l’existence, pour mieux vivre le Mystère de notre présence sur Terre. Une religion généralement ignore superbement le cycle « production-consommation », et donne aux « relations » un autre sens, d’où la séduction est bannie. La pauvreté est souvent la règle, l’ascétisme aussi. Citons quelques figures : Saint François, mère Thérésa, l’abbé Pierre, Gandhi. Inversement, je trouve choquants les meurtres des moines de Tibbirhine (1996 en Algérie), et, bien que non musulman, la caricature de Mohammed où il est représenté avec une bombe sous le turban.  

Une incidente : il existe un « Art Sacré », très important : oeuvres de Bach ou de Messiaen, peintures de Michel Ange ou de Quentin de la Tour, cathédrales…

Mais nous n’éluderons pas l’inconvénient majeur lié au Sacré : sa liaison avec la violence, due à la possibilité offerte de profiter du Sacré à des fins personnelles. Il est bon de continuer par un peu d’Histoire, en y mêlant des considérations personnelles, en italique.

 

En Egypte, le Sacré se confondait surtout avec la personne du pharaon, Dieu sur terre. Les pyramides sont des édifices bien plus grands que les différents temples à des divinités animales. La guerre se faisait donc pour plaire à son Dieu, et les bas-reliefs nous montrent les atrocités commises par les fervents Egyptiens : tortures, expositions de têtes…

 

Les Juifs de la Torah avaient le sens du Sacré, c’est évident. On leur doit la définition même de Dieu : celui qui Est. Mais ce n’est pas faire preuve d’antisémitisme que de rappeler que ce Dieu leur demandait de « jeter l’interdit » sur les villes ennemies, c’est à dire de tuer tout ce qui vivait en elles : hommes, femmes, enfants, brebis... Derrière le Sacré, dans ces deux cas, se cachait l’expansionnisme.

 

La Grèce et Rome avaient un sens différent du Sacré. Leurs Dieux étaient en fait des surhommes, inventés, pourrait-on dire, pour alimenter leur Art. Ils faisaient certes la guerre, mais pour une question de suprématie entre villes, et, dans le cas des Romains, surtout pour le butin(esclaves, or..). Cette société a finalement été la proie de la décadence (jeux du cirque).

 

Arrivent les Chrétiens. Dans un premier temps, ils se révèlent peu intéressés par la guerre, qui n’est pas au programme des Evangiles, et sont incapables d’arrêter militairement les Goths, les Huns, les Wisigoths. Les Huns seront cependant arrêtés par une habile négociation du pape Grégoire le Grand. On peut penser alors que la guerre est archaïque, au moins pour les pays sous juridiction papale.

 

Erreur : à partir de l’an mille environ, tout est à refaire. Rappelons que, parallèlement aux merveilles de l’art Roman puis Gothique, eurent lieu les Croisades, les violences commises par l’Inquisition, la guerre de Trente ans, la Saint Barthélémy. Le catholicisme goûte aux joies de la domination, du dogmatisme et de la possession.

 

Arrive la Révolution. Robespierre sent qu’il faut remplacer la religion qui a failli. Mais la « Déesse Raison » n’aura pas beaucoup de succès : la Raison n’est pas Sacrée, ce n’est qu’un outil. Mais « l’Amour Sacré de la Patrie » compensera: guerres de Napoléon, suivies un siècle plus tard par la guerre de 14..Se cache derrière cela le vieil expansionnisme.

 

Arrive le communisme, qui sacralise l’Humanité, et qui donc devrait taper dans le mille. Erreur encore: il donne le pouvoir à des individus sans aucun scrupule, et cela se terminera très mal. Il ne suffit pas d’afficher des valeurs, il faut se montrer capable de les mettre en pratique.

Puis vient le nazisme, qui « sacralise » la « race Aryenne ». Là, c’est une erreur scientifique dramatique, qui cache mal un appétit de revanche et d’expansion.

   Et ce tableau n’est pas exhaustif. L’Histoire est donc pleine d’essais de sacralisation qui finissent mal, c’est sur. Mais cela ne doit pas nous décourager.

 

En conclusion, je dirais, comme Jean-Paul Sartre dans « La Nausée », qu’on peut se passer du Sacré. Ceci est d’autant plus vrai qu’on est bien intégré dans la société. Mais ce sens du Sacré, qui est exigeant puisqu’il demande de l’attention aux autres, à l’Art ou à Dieu, donne un autre goût à la vie. Quant à la société, elle a besoin du Sacré, car les pauvres et ceux qui sont seuls ou méprisés y trouvent leur dignité d’êtres humains, que les riches trouvent ailleurs; mais elle doit absolument veiller de près aux détournements du Sacré à des fins personnelles, dogmatiques, expansionnistes… qui fatalement se terminent dans le sang.

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