Sortir de la crise : l'équation est-elle insoluble ?

Notes de lecture du livre de Michel Rocard et Pierre Larrouturou : « La Gauche n’a plus droit à l’erreur : Chômage, précarité, crise financière : arrêtez les rustines ! » - Ed. Flammarion – janvier 2013. Une version écourtée sera distribuée aux participants le 25 mai)

 « Le matin, les marchés demandent des plans d’austérité, et l’après midi, ils demandent des plans de relance car une dépêche indique une baisse des ventes de voitures en Europe ou que la croissance faiblit aux EU… »

L’équation est-elle insoluble ?

Malgré les sommes d’argent injectées par le biais des dettes publiques et privées, les économies ne décollent pas. Tous les plans de relance massifs mis en œuvre pour lutter contre la crise depuis 2007 ne font-ils pas que préparer la prochaine crise qui verra nos sociétés s’effondrer sous le poids des dettes publiques ?

Essayons de comprendre :

Puis seront présentées les réponses à apporter pour éviter la récession, et construire un nouveau modèle de développement.

 

I – Un aperçu de la situation dans les grands pays :

Aux Etats-Unis :

Aux Etats-Unis dans les huit années qui on précédé la crise de 2007, seuls 5 % des Américains (les plus riches) ont vu leur revenu réel augmenter. En 2000 on observait qu’aux Etats-Unis, 70 % de la richesse nouvelle créée depuis dix ans était accaparée par les 1 % les plus riches. Et en 2010 ils se sont accaparés 93% des richesses supplémentaires.

La dette totale des Etats-Unis = 365 % du PIB

La dette publique a augmenté de 1300 milliards en un an (juin 2011 – juin 2012), et sans grand effet pour stimuler l’économie : seulement + 234 milliards de PIB.

La Réserve fédérales a créé 2 100 milliards de dollars de 2007 à aujourd’hui, elle n’en avait créé que 600 milliards de 1913 à 2007 !

« Cette fuite en avant qui mène les Etats-Unis dans le mur. »

En Chine :

La Chine connaît l’instabilité. La consommation des ménages ne représente que 28 % du PIB de la Chine, et l’économie chinoise est très dépendante des investissements et des exportations.

En 2008, les exportations se sont effondrées. Les banques ont ouvert largement les crédits pour favoriser l’investissement.

En un an, la Chine a injecté 30 % du PIB en crédits privés et 14 % par un plan de relance public. Avec pour résultat que des constructions ne trouvent pas preneurs, et une crise de l’immobilier depuis 2010

Les créances douteuses s’accumulent dans les banques chinoises.

Malgré les bas salaires, les investisseurs occidentaux sont arrivés avec des machines performantes et la productivité a progressé à un rythme accéléré, limitant ainsi le rythme de créations d’emplois. La Chine connaît, malgré son dynamisme un chômage massif.

En début 2012, on observe également un recul des exportations. Et les pays voisins de la Chine connaissent aussi la stagnation au début de l’année 2012. Et on voit pointer en Chine des propos belliqueux à l’égard de ses voisins.

Au Japon

Le Japon connaît un taux de croissance de seulement 0,7% en moyenne depuis 20 ans, malgré les plans de relance pharaoniques mis en œuvre, avec un déficit public de 6,6% du PIB en moyenne par an, avec 3,3% du PIB consacré à la recherche, et avec des conditions de prêts bancaires très favorables pour financer l’investissement.

Au Japon, un tiers des salariés avaient un emploi à temps partiel et vivaient avec moins de 560 € par mois en 2006 avant que n’éclate la crise des subprimes.

La masse des sommes budgétaires financées par la dette mises en œuvre représente 10 fois la croissance obtenue !

En Allemagne

En 2004, l’Allemagne met en place la réforme Schröder afin de regagner en compétitivité :

Les indemnités de chômage ne sont versées que pendant 12 mois,

Multiplication des petits boulots,

En absence de salaires minimum, le taux horaire peut descendre à 5 €/h

De 2000 à 2010, la France a créé près de 2 millions d’emplois à temps plein et 143 000 emplois à temps partiel. Dans le même temps, l’Allemagne ne créait que 392 000 emplois à plein temps et 2 023 000 emplois à temps partiel !

En Allemagne 27 % des salariés sont à temps partiel à 17,9 heures en moyenne, contre 18 % en France à 23,4 heures en moyenne.

En Allemagne, pour 50 % des salariés, (les moins bien rémunérés), les revenus ont baissé de près de 20% en moyenne en 10 ans, et 10 % des salariés touchent moins de 300 € par mois.

L’Allemagne a conservé de la croissance uniquement grâce aux exportations vers le reste de l’Europe.

En Grande Bretagne :

 

II – Déséquilibres structurels depuis le tournant des années 1980

Prenons l’exemple américain. De 1950 à 1981, il n’y a eu besoin d’augmenter ni la dette publique ni la dette privée pour nourrir l’économie américaine. Les Etats-Unis ont vécu au cours de ces décennies dans l’esprit du fordisme : augmentation régulière des salaires des ouvriers, et réduction progressive du temps de travail, au fur et à mesure de l’augmentation de la productivité.

Mais, à partir de 1980, avec l’arrivée de Reagan, on a laissé les régulations sociales se déliter.

Les impôts sur les plus riches ont baissé, entraînant une augmentation de la dette publique.

La dérégulation du marché du travail a entraîné une baisse de la part des salaires dans le PIB, et les ménages ont été conduits à s’endetter de plus en plus pour maintenir leur pouvoir d’achat.

Un mouvement semblable s’est produit dans les 15 pays les plus riches de l’OCDE : la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises est passée de 67,3 % en 1980 à 57,3 % en 2006.

(En France de 1993 à 2007, les dividendes versés par les entreprises non financières ont été multipliés par 5.)

L’économie a continué de croître parce qu’on distribuait par la dette le pouvoir d’achat qu’on ne donnait pas en salaire. A dette constante, la croissance serait négative depuis 2000.

La redistribution des salaires vers les bénéfices, s’est en outre accompagnée d’une ouverture de l’échelle des salaires. Les salaires élevés ont continué de progresser, alors que les petits et moyens salaires régressaient.

Aux Etats-Unis, dans les pays développés et dans l’ensemble du monde : un petit nombre de personnes accapare une part croissante de la valeur ajoutée. Partout dans le monde des montagnes de cash s’accumulent, mais on ne peut pas en dire autant des investissements des entreprises qui restent stables depuis 10 ans.

Les 10 % de PIB, qui sont venus gonfler le montant des dividendes au détriment des salaires, alimentent les marchés financiers. Et le gros des actions se concentre dans les mains d’un petit nombre de personnes.

Les bénéficiaires de la sphère financière sont devenus euphoriques.

Contrairement à certaines affirmations, l’argent des très riches ne se déverse pas sur l’ensemble de la société et ne contribue que très partiellement à renforcer l’investissement … L’argent des très riches s’évapore vers les marchés financiers et les paradis fiscaux.

En résumé, la véritable origine de la crise est sociale : depuis 30 ans, la menace de chômage et de précarité, s’est traduite par une perte de pouvoir de négociation des salariés, et par des gains toujours croissants en faveur des actionnaires.

En résumé :

Chômage et précarité depuis 30 ans :

→ Déséquilibre de la négociation salariale

→ La part des salaires diminue dans le PIB

→ Exubérance des marchés financiers

→ La croissance est maintenue grâce à la dette

→ Croissance artificielle et insoutenable

→ CRISE FINANCIERE

Il faut cesser de dire que nous vivons une crise financière. Il ne suffit pas de venir au secours des banques. La crise vient du chômage et des inégalités de revenus qu’il engendre.

La question des banques et des monnaies n’est que la partie émergente de l’iceberg.

La vraie question, la partie immergée, est le chômage, la précarité et les inégalités de revenus qu’ils génèrent.

 

III - Peut-on espérer un retour à la croissance pour sortir de la crise ?

Il n’est pas sûr que la croissance revienne.

Les politiques de relance puissantes des années passées et récentes « tournent à vide » : le taux de croissance du PIB obtenu n’est qu’une petite partie des sommes colossales injectées dans l’économie par les dettes publiques et privées.

Et aujourd’hui les politiques de restrictions budgétaires aggravent la crise.

D’autre part, il faut comprendre, que même lorsque la croissance est au rendez-vous, comme dans la période 1997-2001 en France, il n’y a plus de création nette d’emplois : les gains de productivité croissent plus vite que la progression du PIB.

De manière tendancielle dans les pays développés le taux de croissance tend vers 0, depuis les dernières décennies.

Et pourquoi les plans de relance ne fonctionnent-t-ils pas ? Où passe l’argent injecté dans l’économie par les plans de soutien ?

Ne pas espérer un taux de croissance positif, ne doit pas empêcher d’avoir une politique industrielle, sinon, les déficits commerciaux ne feraient que s’aggraver.

En résumé, il n’est pas sûr que la croissance revienne, et même si elle revient, elle ne sera pas une réponse suffisante.

 

IV - Quelles réponses apporter pour éviter la récession, et construire un nouveau modèle de développement ?

1 – Court-circuiter les banques privées pour financer l’essentiel des dettes publiques.

Les banques privées bénéficient de prêts à 1 % en Europe auprès de la BCE. (Et de 0,01% auprès le la Réserve fédérale américaine).

 « On chouchoute les banques et on maltraite les peuples ». En Europe, les Etats doivent emprunter « au taux du marché » : 6, 7 ou 10% pour certains pays…

Il est proposé, pour faire face au refinancement des dettes anciennes qui arrivent à échéance, que les Etats puissent se refinancer à des taux très bas. Si ce n’est pas directement auprès de la BCE, qui ne peut prêter aux Etats, la BCE pourrait prêter aux organismes publics de crédit qui pourraient ensuite prêter aux Etats à des taux très bas.

2 – Mettre fin au dumping fiscal européen : créer un impôt européen sur les dividendes.

Depuis l’adhésion à l’Union Européenne de l’Irlande et de la Grande Bretagne en 1973, tous les Etats sont poussés au moins disant fiscal.

En Europe, aucun impôt ne permet de limiter le dumping entre voisins.

Il est proposé de créer un impôt européen sur les dividendes versés aux actionnaires (de l’ordre de 15%).

Cet impôt constituerait les ressources propres de l’Europe, ce qui permettrait de baisser d’autant les contributions des Etats membres au budget européen.

3 – Mettre fin au sabordage fiscal national et oser une vraie « révolution fiscale ».

« En supprimant l’ensemble des baisses d’impôts votées depuis 2000, l’Etat aurait chaque année 100 milliards de plus dans les caisses. Notre déficit se transformerait en excédent ! »

Une première étape a été franchie en 2012 avec l’annulation de la loi TEPA, mais il reste beaucoup à faire.

(Roosevelt avait porté le taux d’imposition sur les hauts revenus de 25 % à 79% ! Et ce taux est resté de 70% jusqu’en 1980. Et cela n’a pas empêché l’économie américaine de fonctionner.)

Si nous créions un impôt européen et si nous annulions ne serait-ce que d’un tiers des baisses d’impôts votées depuis 10 ans, notre déficit public ne serait plus que de 1%.

Et si nous diminuions le coût de la vieille dette (47 milliards à refinancer en 2013), nous ne serions pas loin de l’équilibre.

L’Europe ne sera plus une cause d’austérité, mais un vrai ballon d’oxygène si elle s’engage dans la voie décrite ci-dessus.

4 – Lutter radicalement contre les paradis fiscaux

Référence : rapport du Sénat du 24 juillet 2012 adopté à l’unanimité : 40 à 50 milliards d’€ perdus chaque année à cause des paradis fiscaux.

Tous nos Etats doivent « déclarer la guerre » aux paradis fiscaux :

5 – Sécuriser les salariés, lutter contre les licenciements.

Face à des situations de crise, pour préserver autant que possible l’emploi : appliquer, comme l’a fait l’Allemagne en 2009, le « kurzarbeit » : baisser le temps de travail pour conserver les salariés. Le salaire baisse, mais l’Etat compense une part de la baisse, ce qui coûte moins cher que de financer le chômage.

(En Allemagne, 1 500 000 salariés concernés qui ont baissé de 31% leur temps de travail en moyenne. Vingt trois états des Etats-Unis ont mis en place un système semblable en 2012 avec un passage à 30 heures par semaine.)

6 – Sécuriser les chômeurs

Chaque mois des dizaines de milliers de chômeurs arrivent en fin de droits et sombrent dans la précarité. Plus de 400 000 nouveaux pauvres chaque année en France. … Il faut se poser la question de la prolongation de l’indemnisation des salariés en recherche d’emploi ou en formation.

7 – Séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires

Ainsi, les banques ne prendront pas en otage les gouvernements quand elles font des pertes sur leurs activités risquées. Quand tout va bien, les bénéfices vont aux actionnaires, quand la banque d’affaire perd des milliards, elle se retourne vers l’Etat pour éponger ses dettes !

La séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires fut la règle pendant des décennies et l’économie mondiale s’en est bien portée !

8 – Créer une vraie taxe sur les transactions financières

Le 9 octobre 2012, Angela Merkel et François Hollande annonçaient que 11 pays européens allaient constituer une coopération renforcée pour créer une taxe sur les transactions financières. Mais le projet ne sera concrétisé qu’en 2016, et avec un taux très faible à cause du refus de Londres de mettre en œuvre la taxe sur son territoire.

Nous avons intérêt à être solidaires, et la taxe Tobin pourrait alimenter un fonds permettant de venir en aide aux banques en difficulté, anglaises ou autres.

Et au-delà de l’Europe, tous les Etats du G20 devraient mettre en œuvre cette taxe sur les transactions financières.

9 – Le respect des normes sociales et environnementales dans le commerce mondial.

Il est urgent de convoquer un nouveau « sommet de Philadelphie » comme en 1944 sur les normes sociales, pour éviter les discours belliqueux et les risques de conflit, résultant du dumping social. Aux logiques de dumping social, il est urgent d’opposer un sursaut de coopération et de justice sociale. L’Europe est le premier partenaire commercial de la Chine, elle a donc une certaine force de négociation.

10 - Pour lutter contre le chômage – Construire un nouveau modèle de développement :

1 – Investir massivement dans le logement

2 – Déclarer la guerre au dérèglement climatique

Il faut agir, il faut faire très vite la preuve qu’ont peut diviser par quatre la production de gaz à effet de serre sans pour autant renoncer à une vie agréable, et lancer les programmes correspondants.

3 – Créer un Service civil européen, avec notamment des missions de travaux de construction, de réserves en eau, de protection des sols et espaces naturels dans les régions du monde les plus touchées par les risques de désertification.

4 – Réparer, recycler, réutiliser.

5 – Développer l’économie sociale et solidaire.

6 – Valoriser les activités non marchandes et le temps libre.

7 – Encouragements divers au lancement de petites entreprises : la France doit devenir un pays d’entrepreneur …

8 – Présence d’administrateurs salariés au sein des conseils d’administration des entreprises et participation minoritaire de l’Etat dans les grandes entreprises : « Golden share », qui permettent à l’Etat de s’opposer à certaines décisions stratégiques qui seraient néfastes pour le pays.

9 – Développer une agriculture biologique, ou tout au moins une agriculture qui consomme moins de pesticides et d’engrais, …

11 – Il faut rouvrir le débat sur la durée du temps de travail : ce sujet fera l’objet d’un autre exposé.

12 – Il faut changer l’Europe

L’Europe est à deux doigts du KO. Pourtant, rien n’est possible sans l’Europe.

Des réflexions se développent en Allemagne sur la nécessité de transférer plus de pouvoirs à Bruxelles. Et de faire ratifier, un éventuel nouveau traité par un référendum paneuropéen.

« En période de crise, chacun voudrait faire baisser les salaires et baisser la protection sociale, mais cette baisse des salaires aggrave la crise ! » (Ford à propos de la crise de 1929)

On ne doit pas faire la course au moins disant social ou fiscal entre états membres. Il faut imposer un vrai traité social européen avec des critères sociaux de convergence « vers le haut », et permettre à l’Europe d’acquérir une véritable dimension politique sur le plan international.

L’occasion en a été manquée lors de l’élaboration du traité constitutionnel en 2004. Et le rejet du traité lors du référendum de 2005, répondait pour une bonne part à cette absence de volet social dans le traité. En 2007, Angela Merkel était ouverte à l’addition d’un volet social au projet de constitution européenne… Mais le gouvernement français de l’époque n’a pas donné suite à cette proposition.

Cette marche vers plus de fédéralisme, bien sûr, pose le problème de la position du Royaume Uni. Peut-être faut-il mettre le Royaume Uni au pied du mur et l’inviter à revoir sa relation à l’Europe ? Doit-il être dedans ? Où bien être son premier partenaire à l’extérieur ?

 

Conclusion : La crise n’est pas conjoncturelle, mais structurelle, cependant l’austérité n’est pas une fatalité. On peut très bien sauver l’Euro, rétablir une gestion saine de nos finances publiques sans imposer un plan d’austérité, et préparer l’avenir en construisant un nouveau modèle de développement et une nouvelle Europe.

                                                                                    Bruno SAUVAGE

 revenir au blog et voir les commentaires.