Nous sommes-nous parfois interrogés sur la pertinence du proverbe suivant :
« La parole est d’argent et le silence est d’or » ?
Ce proverbe,qui figurait déjà dans le Talmud,nous affirme que le silence aurait plus de valeur que la parole et il est souvent entendu comme une injonction à se taire. Cependant la pensée possède-t-elle d’autres supports que celui du langage pour communiquer avec autrui et s’en faire comprendre? En quoi le silence serait-il plus précieux que la parole, et quel code utiliser pour avoir accès à ce qu’il renferme ?
Le langage est le support matériel de l’activité intellectuelle. Parler, écrire, c’est exprimer sa pensée par des signes que les humains ont inventés pour communiquer entre eux[1]. Certains ont affirmé que si n’était la présence d’autrui nous n’aurions pas besoin de parler.Or, on ne peut sortir du langage car nous n’avons pas d’autres moyens de nous assurer de notre pensée qu’en l’exprimant. L’un (le langage) est donc le subordonné de l’autre (la pensée). [2]
Dans un chapitre des Essais consacré au langage, Montaigne nous dit : « Je suis toute méfiance envers les beaux parleurs aux discours captieux. L’important est dans ce que l’on fait et non dans ce que l’on dit. Si le langage nous trompe il rompt tout notre commerce et dissout toutes les liaisons de notre police. »
Les dictateurs ont toujours acquis leur pouvoir en manipulant les peuples avec des discours artificieux. Nous savons aussi que, lorsqu’elle traduit des pensées malhonnêtes, charrie la haine et la méchanceté, la parole peut causer des dégâts irréparables.
« Le langage n’est rien,poursuit Montaigne, et pourtant il n’est rien qui compte davantage. »En effet, s’il est des gens qui choisissent avec soin les mots à ne pas dire et qu’il ne faudrait pas écouter,lorsque la pensée est intègre, généreuse, les paroles encourageantes qui la portent sont capables d’entrainer le monde vers plus de justice.
Et puis il y a le silence.Chacun sait que le silence n’est pas le contenant d’un vide car quelle valeur pourrait-on donner au vide?Or dans ce proverbe il est bien question de la valeur de la parole comparée à celle du silence. Le silence absolu est rare : s’il nous surprend, nous apaise, nous envahit d’émotions,une imagination fantasque peut le peupler de mystère…ou de diableries ! Cependant il ne s’agit pas ici de nous étendre sur le silence que nous rencontrons dans la nature, mais plutôt d’analyser celui qui s’oppose à la parole.
Le taiseux n’est pas de compagnie agréable, et si le mutisme est une offense pour celui qui est en quête d’une parole de compréhension, d’affection, d’amour…, il peut aussi être le symptôme d’une profonde souffrance. Le silence est parfois un acte de courage et de dignité[3] et savoir tenir un secret pour se protéger ou protéger autrui des conséquences néfastes que pourrait avoir la révélation du secret, est également une manifestation de force morale. Certains silences parlent d’eux-mêmes et il n’est guère besoin de les traduire pour comprendre ce qu’ils nous disent.
C’est dans un silence habité par un esprit sincère et un cœur tissé de délicatesse, de pudeur et de générosité, que les pensées se vêtent des mots qui savent consoler, pardonner, demander pardon, rendre l’espoir et trouver les paroles qui donnent les élans et le courage qui font avancer le monde.
Mais il est un autre silence et ce silence-là est lourd comme le plomb. C’est celui des faibles et des « sans-pouvoir », de tous ceux que les tyrans maintiennent dans des zones de non-existence. Depuis le néolithique et durant des siècles,la parole des femmes,et par là-même leur existence,a été ignorée ; alors la moitié de l’Humanité a été plongée dans la partie obscure d’un monde éclairé et dirigé par celui des hommes, les puissants. Les victimes de brutalités physiques ou psychiques (hommes, femmes, enfants) dénoncent rarement les sévices qu’elles subissent, car l’acte de violence est tellement inconcevable qu’elles se taisent sous l’effet de la sidération. L’emprise qu’exercent sur elles leurs bourreaux, les enferme dans une peur panique qui les abrutit, empêche toute réaction de défense et de révolte,ce qui permet la poursuite des maltraitances en toute impunité. Ce système dominant /dominé a été mis en place dans toutes les sociétés et perdure encore de nos jours.
Le silence ne peut être décodée que par la parole, et sans une écoute bienveillante cette parole se consume et disparaît. Trop de voix qui dénonçaient injustices et inégalités se sont perdues dans le désert de l’indifférence ou ont été étouffées avant que d’être entendues. Ce n’est que très récemment que des victimes de maltraitances ont utilisé les réseaux sociaux et les médias pour se faire entendre de l’opinion publique. En faisant sauter les verrous du silence elles ont obtenu un peu plus de considération de la part de la Justice.
Bienheureux ceux qui savent parler et se taire à bon escient! La parole et le silence sont tous deux porteurs de somptueuses vertus mais aussi de méchantes tares. Les unes puis les autres œuvrent, selon les époques,pour le meilleur,ou pour le pire ! Mais le pire, ne serait-il pas d’admettre que les imperfections du monde des Hommes sont inéluctables ? Il suffit de constater les progrès que, cahin-caha, l’Humanité a accomplis depuis que l’Homme est apparu sur Terre pour que, pleins d’espoir, nous lui gardions notre confiance.
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TRES BONNE ANNEE A TOUS
Charlotte Morizur. 7 janvier 2023