BIB : Le Bonheur Intérieur Brut

ou comment essayer de trouver des indicateurs autres que le PIB

 

I. Un exemple : le Bhoutan ou le « développement sans hâte »


«S'il ne s'agissait du Bhoutan, le concept de "Bonheur national brut" serait probablement mort et enterré. Le Bhoutan, petit royaume himalayen (superficie : 47 000 km2, population : 2 200 000 h. majoritairement bouddhistes, pouvoir d'achat ajusté: 00 US per capita), est le seul pays du monde à avoir adopté cet indicateur comme mesure officielle du bien-être de sa population.

L'approche adoptée il y a plusieurs années par le roi Jigme Singye Wangchuck, préconise une mesure holistique du développement humain. Elle repose sur quatre principes fondamentaux auxquels le gouvernement attache une importance égale :
– croissance et développement économiques ;
– conservation et promotion de la culture ;
– sauvegarde de l'environnement et utilisation durable des ressources naturelles, et ;
– bonne gouvernance responsable.

Pour le premier ministre du royaume bhoutanais, « Le Bhoutan a atteint un progrès économique soutenu sans compromettre l'intégrité de notre environnement et de notre culture. Nous avons été en mesure de conserver bien plus des 60% de superficies émergées sous couvert forestier requises par nos lois. Nous avons exploité des voies plus durables de croissance économique comme l'essor des installations hydroélectriques et des ressources d'écotourisme, tout en renonçant délibérément aux gains économiques à court terme de la coupe et de la vente de bois d'œuvre. En conséquence, nous sommes en mesure de créer des revenus considérables tout en protégeant les bassins versants et l'habitat de la flore et de la faune. De même, nous avons accordé l'attention qui lui est due à la conservation de nos riches traditions et de notre culture que nous estimons fondamentales pour préserver l'identité et l'âme de notre peuple. »

Une ambassadrice itinérante de l'ONU, Misako Konno, raconte comment elle a eu le sentiment de redécouvrir le vrai sens de la richesse lors de sa visite au Bhoutan : « Pendant la semaine que j'ai passée au Bhoutan, qui a débuté dans la capitale Thimpu, je me suis toujours déplacée dans une charrette tirée par un cheval. J'ai peiné pendant des heures sur des routes de montagne aux virages en épingle à cheveux. La gentillesse qui se lisait sur le visage des gens rencontrés au détour des routes m'a frappée et c'est ce qui m'a fait penser à la philosophie bhoutanaise du "bonheur national brut", qui ne concerne pas seulement les gens, mais aussi la nature en général. Pour moi, le Bhoutan est un pays digne où les gens vivent heureux; c'est un pays développé en termes écologiques. »

À la lumière de l'expérience bhoutanaise, le BNB apparaît comme un indicateur de bien-être économique durable beaucoup plus englobant que le PIB. Ce pays qui pratique avec sagesse une politique de "développement sans hâte" offre, à une échelle évidemment fort réduite par rapport à nos économies occidentales, un exemple inspirant de gouvernance capable de concilier des objectifs en apparence incompatibles: poursuite d'un développement économique qui contribue au mieux-être de la collectivité, développement des personnes et des communautés, le respect de la culture et des traditions, le tout, dans une perspective de développement durable.

Pour Richard Tomkins du Financial Times, cette philosophie respectueuse des valeurs humaines, si elle était mise en place, bouleverserait l'ordre des priorités de nos gouvernements. « La course à la productivité pourrait perdre de l'importance au profit d'une réduction obligatoire du temps de travail permettant aux gens de consacrer plus de temps à leur famille et à la collectivité. Une forte hausse des taxes sur l'utilisation des ressources non renouvelables pourrait contribuer au financement de solutions à la dégradation de l'environnement et des structures sociales. » Utopie ? Certainement. Ce qui n'empêche pourtant pas les responsables de l'ONU de citer en exemple le royaume himalayen, ou les penseurs des ministères de l'économie sociale en France et en Angleterre de s'en inspirer pour des projets de politiques visant à accroître la « satisfaction vitale », l'expression « politiquement correcte » pour parler du bonheur.»

II. Un constat (1)

Faut-il se réjouir du nombre de morts et de blessés provoqués par les accidents de la route, des dégâts provoqués par l'alcoolisme, l'obésité ou la drogue, des ventes d'armes ou de sacs plastique difficilement biodégradables, des encombrements de la circulation ou de la multiplication des pollutions, de la consommation explosive d'antidépresseurs ou de systèmes d'alarme pour prévenir les vols et les agressions ? La réponse négative semble aller de soi. Faut-il se féliciter de voir des bénévoles nettoyer les plages souillées par les marées noires ? Faut-il se réjouir de voir des hommes prendre sur leur temps de travail pour aider leurs femmes dans les tâches domestiques ? Vaut-il mieux prévenir les maladies que les soigner et consacrer davantage de temps à ses enfants plutôt que de payer des cours privés ? Vaut-il mieux conduire prudemment que de violer les règles du Code de la route et celles de la courtoisie à l'égard des autres automobilistes ? Vaut-il mieux sauvegarder le patrimoine naturel que de détruire la forêt amazonienne ? La réponse positive paraît aller de soi.

Pourtant, des milliers de personnes occupant des fonctions décisives dans nos sociétés répondent oui à la première série de questions et non à la seconde. La croissance du produit intérieur brut-qui mesure la valeur marchande de tous les biens et les services produits tous les ans par du travail rémunéré-exige en effet que mieux vaut stimuler l'activité d'entreprises polluantes, payer des garagistes pour réparer les voitures endommagées, des chirurgiens pour opérer les personnes blessées et des entreprises pour aider les enfants à réussir le bac que d'encourager des bénévoles pour prévenir les risques et réparer les dommages que provoque la croissance du PIB, ce sigle devenu depuis plus d'un demi-siècle l'indicateur ultime de la richesse des pays et l'étalon de leur progrès.

Pour prendre un autre exemple, imaginons deux pays semblables par la taille, la population, les ressources en matières premières et les sources d'énergie. Dans le premier, l'urbanisme aurait été conçu de telle manière que chaque personne pourrait se rendre à pied à son travail, conduire ses enfants à l'école et bénéficier des services publics et culturels sans grand déplacement. Dans le second, l'urbanisme aurait été conçu de telle manière que chaque personne, pour ces mêmes activités, serait « contrainte » de posséder un et même deux véhicules. Quel pays serait le plus « riche » et disposerait du plus fort « pouvoir d'achat » par habitant ? Le second, évidemment, là où les distances parcourues et les stress accumulés par les différents membres de la famille accroîtraient les dépenses liées aux encombrements et à la fatigue.

Comme l'écrit Sir Richard Layard, économiste à la London School of Economics, « notre existence repose sur un paradoxe. Nous désirons tous, pour la plupart, jouir d'un revenu plus important et luttons pour y parvenir. Et pourtant, à mesure que les sociétés occidentales sont devenues plus riches, nous ne sommes pas devenus plus heureux » (2).

 

Il existe déjà de multiples indicateurs alternatifs. Le plus connu de ces indicateurs de bien-être est celui publié depuis 1990 par les Nations unies dans leur « Rapport mondial sur le développement humain ». Moyenne fruste de trois indicateurs-l'espérance de vie à la naissance, le niveau d'instruction et le PIB par habitant-, l'IDH (indicateur de développement humain) classe en 2006 la France au 10e rang mondial, derrière l'Islande, la Norvège, l'Australie, le Canada, l'Irlande, la Suisse, le Japon et les Pays-Bas mais devant les Etats-Unis (12e), le Royaume-Uni (16e) et l'Allemagne (22e). Le moins connu est sans doute celui publié par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) au Canada. Multipliant les mesures pour construire un indice du bien-être humain agrégeant aussi bien la préservation de l'écosystème que le taux de criminalité ou l'égalité hommes/femmes, il classe la France au 26e rang, cette fois derrière la Suède, la Finlande, la Norvège, l'Islande... une France lourdement pénalisée par sa mauvaise note dans le « bien-être de l'écosystème » (153e sur 180).


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