Y a t-il des valeurs universelles ?

Définitions

Valeur : Qui a du prix. Ce que représente quelqu'un ou quelque chose. Ce qui fait l’objet d’une préférence, ce qui est estimé, préféré ou désiré par un groupe de sujets déterminés.

Je me limiterai ici aux valeurs morales et philosophiques.

A titre d’exemples je citerai, sans prétention d’être exhaustive car ce n’est pas le sujet :

La dignité humaine, le respect

Liberté[1], égalité

Fraternité, solidarité, tolérance, hospitalité

Vérité, confiance, justice, harmonie, paix

« Le vrai, le bon, le beau » cités par de nombreux philosophes

 

Universel : concerne les hommes en tout lieu de la Terre (universel géographique). Certains l‘entendent également en tout temps (universel géographique et historique)[2].

La question est donc : y a-t-il des valeurs qui valent pour tous les hommes en tous lieux, et éventuellement en tous temps ?

 

J’envisagerai la discussion en trois points

1. Parmi les valeurs évoquées ci-dessus, peut-on en trouver qui soient universelles, c’est-à-dire qui transcendent la géographie et éventuellement l’histoire ?

2. Le principe de valeurs universelles est-il compatible avec la diversité des cultures ?

3. Quel étalon, quelle référence pour les valeurs ? Que peuvent être la nature et le contenu de l’universalité ?

Les valeurs ne sont pas universelles

1. Liberté et égalité sont des concepts récents dans l’histoire (1789 pour leur revendication publique), non reconnus par tous encore aujourd’hui. Actuellement l’échelle des valeurs n’est pas la même en Orient et en Occident, d’un pays à l’autre, et varie même d’un individu à l’autre. La tendance moderne en Occident est même, au nom de la liberté, de reconnaître à chacun le droit de fixer sa propre échelle de valeurs.

Par ailleurs, même proclamées, ces valeurs sont très inégalement respectées...

 

2. C’est au nom du salut éternel (valeur suprême) que l’on a colonisé des peuples qui n’en demandaient pas tant, et nié leur culture. On peut se demander si la Déclaration des Droits de l’Homme, devenue universelle en 1948, n’est pas une prétention ethnocentrique d’exporter les valeurs occidentales, en une nouvelle tentative de domination néo-coloniale.

 

3. La valeur, le prix est toujours défini comme un rapport entre plusieurs choses, une comparaison, une évaluation, et est donc par essence très liée à la culture locale et temporelle. Comment pourrait-elle être universelle[3] ? Et la conscience humaine elle-même s’est forgée peu à peu tout au long de l’histoire de l’humanité : comment peut-on espérer un étalon qui nous soit commun avec l’homme des cavernes ?

 

Le caractère universel des valeurs est une aspiration en développement

 

1. L’Histoire montre une apparition progressive puis une convergence des valeurs prônées par les sociétés. La prise de conscience est progressive et contagieuse. Au temps de la colonisation, qui n’est pas si lointain : ”Le sauvage, puisque sauvage parce que dépourvu de vraie humanité selon l’acception des blancs, est naturellement voué à être dominé, au même titre que l’animal ”(1). En un siècle, cette position est devenue intenable pour la grande majorité des humains. Plus près encore, l’extermination de la Shoah se fondait sur la même justification.

La Déclaration des Droits de l’Homme (DDH) de 1789 parlait de liberté et d’égalité des citoyens. A la sortie de la 2ème guerre mondiale et des premières explosions atomiques, elle est reprise et amplifiée par l’ONU, qui la déclare universelle (DUDH) et la fonde sur la dignité humaine, plus proche de l’homme de chair que du citoyen. Les pays qui la signent sont de plus en plus nombreux et on voit approcher le moment où elle sera adoptée par tous les gouvernements du monde. Les valeurs proclamées paraissent désormais naturelles, allant de soi, à un nombre de plus en plus grand de personnes[4].

 

2. C’est sans coercition que se répandent les valeurs de la DUDH : la seule pression est morale et s’exerce sur les gouvernements qui les violent systématiquement (même s’ils en sont signataires) aussi bien que sur les personnes. Les images de la télévision suffisent pour développer dans le monde l’aspiration à la liberté.

Parmi les valeurs du monde moderne se trouve un respect croissant pour les autres cultures, au point qu’en 2005 l’Unesco a approuvé une Charte de la Diversité Culturelle. Il ne s’agit plus d’exporter ses valeurs en les imposant, mais de les laisser diffuser librement. A travers des expressions culturelles variées peuvent se retrouver une éthique commune, un patrimoine moral, dans la ligne la plus ancienne du respect dû aux morts qui signe l’appartenance à l’espèce humaine. Ce patrimoine de valeurs n’est pas statique mais s’enrichit de génération en génération. La solidarité, qui s’exprimait initialement de façon étroite, s’est étendue peu à peu jusqu’à n’avoir aujourd’hui plus de frontières (en principe) : la dernière nouveauté est l’apparition d’une solidarité encore timide avec les générations futures dans la prise de conscience de la fragilité de la planète face au changement climatique et à la dégradation de l’environnement.

 

3. Le contenu, pour être universel, doit concerner l’espèce humaine tout entière : seul l’Homme lui-même peut constituer l’étalon des valeurs universelles. Ce sont d’abord les valeurs qui permettent de faire société, de vivre ensemble harmonieusement ; donc au départ solidarité, compassion, respect, confiance, beauté, etc. Elles doivent être constamment négociées et élaborées en  commun. Cela s’est fait d’abord à l’échelle du clan et de la tribu puis de la nation, désormais au plan supranational comme l’Europe et de façon embryonnaire à l’échelle de la planète. On sent bien le besoin d’aller plus loin. Un peu de solidarité s’exprime ainsi dans les programmes mondiaux par exemple contre la faim, ou lors des grandes catastrophes naturelles.  Mais ce sont aussi les valeurs de l’individu qui évoluent au cours de sa propre histoire : partant des valeurs qui lui sont transmises par ses parents, sa conscience lui permet de les faire siennes ou de les contester, d’approfondir sa quête, de cheminer.

Nombreuses sont les valeurs qui ont été récemment conceptualisées, quelques siècles à peine, qui se développent depuis peu, progressent et progresseront. Elles sont universelles dans leur essence, en tant qu’idéal à construire. La profonde unité de l’espèce humaine se révèle ainsi : elle s’exprime notamment  par l’existence de valeurs partagées par toute l’humanité, qui est elle-même en développement permanent. D’ailleurs colonisation et génocides, ou oppression des femmes, n’ont pu se réaliser dans la bonne conscience qu’à condition de nier l’humanité du colonisé ou de l’exterminé ou de la femme : c’étaient des sous-hommes, donc tout était permis. Justement on n’aurait pas pu les réaliser avec de « vrais » hommes, la conscience se serait révoltée. L’argumentaire nazi était celui-là, comme celui des hutus au Rwanda.

Conclusion

« Assumons, en conséquence, l’existence de ce paradoxe selon lequel des valeurs, universelles dans leur essence, n’ont d’existence universelle ni dans la variété géographique humaine ni dans le déroulé de nos histoires singulières ou de notre histoire commune »  Yves Lopez Club UNESCO

Cette essence universelle des valeurs fait partie du propre de l’Homme, de l’être humain. L’universalité de leur mise en pratique est un horizon pour l’humanité.  

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Référence

1. http://www.clubs-unesco.org/france/spip.php?article241  Les valeurs universelles sont-elles exportables?


 [1] “la suprême valeur n'est-elle pas la liberté, puisque c'est elle qui nous permet de choisir entre les autres valeurs ? Toute une philosophie des valeurs s'est fondée sur la liberté du sujet” Max Scheler, philosophe

[2] Selon la DUDH : s’applique à “chacun sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation”. Principe d’universalité

[3] Pascal disait « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».

[4] Cependant les déclarations des droits sont des textes symboliques qui ne lient pas les États à l’intérieur de leurs frontières et dans leurs rapports avec les citoyens. Ils sont donc libres de mettre en place ou non des moyens pour en assurer le respect