Chine, Allemagne : même politique, même stratégie ?

En collaboration avec la librairie "Le Pavé du Canal"

Jean-Michel Quatrepoint a écrit : "Mourir pour le yuan" (François Bourin Editeur - 2011)

Il viendra le 7 janvier débattre de certains aspects de son livre, en particulier la comparaison des stratégies et des politiques de la Chine et de l'Allemagne. Jean-Paul Knorr a synthétisé ci-dessous le contenu de ce que nous allons discuter.

 

 

 

 

Chacun sait ce qu’il a fait le 11 septembre 2001 et ce qui s’est passé ce jour. Savez-vous ce que vous avez fait le 11 décembre 2001 et ce qui s’est passé ce jour ? Je suppose que non et pourtant l’entrée de la Chine à l’OMC le 11 décembre 2001 a au moins autant modifié nos vies que les attentats aux Etats-Unis le 11 septembre de la même année. Cette année 2001 marquera le début du renouveau de la Chine et le début du déclin de l’Occident. A partir de 2002, la progression des exportations chinoises n’est plus linéaire mais exponentielle, avec un corollaire : l’explosion des déficits commerciaux américains. Si les Occidentaux ont gommé de leur mémoire la guerre de l’opium, il n’en est pas de même de la Chine qui n’a pas oublié ce siècle d’humiliation. Les Chinois ne rêvent depuis que de revanche. La première décision de la stratégie chinoise fut monétaire en indexant leur monnaie sur la devise de leur principal client les Etats-Unis, évitant ainsi l’erreur du Japon. La deuxième décision de la Chine fut de trouver des puissants alliés aux Etats-Unis même. Ce fut l’alliance avec de puissants lobbys, en l’occurrence  les multinationales américaines, en particulier les géants de la distribution comme Wall Mart. Avec la mondialisation, les délocalisations massives en Chine et l’alliance de fait entre les multinationales et le parti communiste chinois, les intérêts du big bussiness et ceux du peuple américain mais aussi européen divergent. Cinquante mille entreprises américaines vont ainsi s’implanter en Chine. Tout le monde semble y trouver son compte en particulier le consommateur américain et tant pis pour les délocalisations qui sont trouvées acceptables. Nos élites qu’elles soient de droite ou de gauche nous assurent que ce qui compte, c’est la recherche, l’innovation, le marketing, la gestion. Les sociaux-démocrates n’étant pas les derniers à vanter les mérites du libre-échange ; comme si les Chinois n’étaient pas eux aussi capables d’innover et d’inventer. Le long processus de la distribution de richesses de l’ouest vers l’est est en cours depuis des années et il n’y a pas de raison qu’il change lors de la prochaine décennie. La Chine mais aussi l’Inde disposent de millions de personnes hautement qualifiées disposées à faire le même travail mais à moindre coût. Les premiers à souffrir de ce processus sont les classes moyennes occidentales qui perdent leur emploi. La Chine est en train de passer de l’atelier du monde au laboratoire du monde, forte de ses universités qui mettent chaque année sur le marché des millions de diplômés. Mais la Chine ne se contente pas d’attirer les centres de recherche et de monter en gamme sur les produits électroniques. Elle entend aussi contrôler les matières premières essentielles à la fabrication des composants : les terres rares.

Forte de plusieurs milliers de milliards de dollars, la Chine investit massivement dans le monde entier comme en Afrique mais aussi en Europe où elle profite de nos faiblesses actuelles en prenant par exemple le contrôle du port du Pirée. La France, elle aussi cède au piège, livrant à la Chine l’aéroport de Châteauroux. La zone franche crée autour de Châteauroux va servir de lieu d’assemblage de composants made in China et donner le label made in France pour conquérir des parts de marché en Europe. En France, comme ailleurs, les responsables politiques affirment ne pas avoir le choix. Ce serait les Chinois ou la désertification.

Après l’industrie et après le high-tech, le centre de gravité de la finance va basculer de l’Occident vers l’Orient. Singapour devrait peu à peu remplacer les banques suisses, Hong Kong, la City et Wall Street. Le processus est en marche et ce sont les financiers américains eux-mêmes comme hier les multinationales, qui vont en quelque sorte, remettre les clés aux Chinois.

La Chine tient sa revanche de la guerre de l’opium. Cette fois, c’est l’Occident qui se trouve dans la position du drogué. Drogué aux produits chinois qu’il se révèle de plus en plus incapable de produire à des prix compétitifs. Drogué aux dollars, accumulés par les banques centrales du Sud-Est asiatique.

 

A l’instar de la Chine qui veut dominer le monde, l’Allemagne veut être le maître de l’Europe. Oui l’Allemagne a une stratégie. Tout comme la Chine et elles se ressemblent. Les deux pays ont chacun à leur manière, une soif de revanche. Le modèle allemand fait désormais florès, que l’on veut imiter sans comprendre que les réussites de la Chine et de l’Allemagne ne sont possibles qu’à condition que les autres ne fassent pas la même chose.

Les ressemblances entre la Chine et l’Allemagne sont nombreuses à commencer par la politique familiale : enfant unique en Chine, absence de facilité pour les mères au travail en Allemagne. Les deux pays figurent aussi parmi ceux qui ont le taux d’épargne le plus élevé au monde. Tous deux ont appuyé leur stratégie mercantiliste en indexant leur monnaie sur celles de leurs principaux clients. La Chine sur le dollar et l’Allemagne avec l’euro. En adoptant l’Euro, les Allemands ont fort habilement récupéré la monnaie unique à leur avantage. Il n’y a plus de risque de dévaluation compétitive de la part des autres pays européens à commencer par la France. En dix ans, grâce à l’Euro, l’industrie allemande s’est refait une santé sur le marché européen. En y exportant, mais aussi en y prenant les parts de marché et éliminant de fait les concurrents potentiels.  Par ailleurs, l’Allemagne est derrière la Chine, le plus gros exportateur de capitaux. Les Chinois ont acheté de la dette américaine. Les Allemands, de l’immobilier au soleil et principalement en Espagne. La bulle immobilière en Espagne et ailleurs est entre autres, due à l’exode des capitaux allemands à la fin des années 90. La plupart des Français ignorent ce fait qui est pris en considération par les autorités allemandes qui vont réagir en abaissant la fiscalité des entreprises et des hauts revenus. Le dumping fiscal est donc loin d’être une spécialité irlandaise. Tout cela à l’initiative de la majorité sociale-démocrate à travers l’Agenda 2010. Pour compenser la baisse des recettes fiscales, Angela Merkel, augmenta en 2007, la TVA de trois points, la faisant passer de 16% à 19%. Deuxième volet de cet Agenda 2010 : une profonde réforme de l’Etat Providence. Le coût salarial est jugé trop cher et les prestations sociales trop généreuses. Les coûts salariaux allemands n’ont pas augmenté de 1998 à 2009 alors qu’ils ont augmenté de 18% en France  et d’encore plus en Espagne, Italie et Royaume-Uni. Pendant ce temps les entreprises engrangent les bénéfices qu’elles ne distribuent ni aux salariés ni aux actionnaires.

L’Agenda 2010 a porté ses fruits : l’Allemagne a gagné en compétitivité contre les principaux pays industrialisés et contre toute la zone euro. Sur onze ans, le total des excédents commerciaux allemands s’est élevé à plus de 1500 milliards. De quoi compenser largement les sorties de capitaux. Mais les excédents des uns font les déficits des autres. Il est incontestable que les 1500 milliards d’euros ont été engrangés pour l’essentiel sur les partenaires européens (à 85%), notamment sur ceux de la zone euro (60%). Ce boom des exportations n’est pas seulement dû à la compression des coûts salariaux mais aussi à sa montée en gamme sur toutes les grandes filières industrielles. L’Allemagne n’entend pas brider ses ambitions à la seule industrie. Sa stratégie mercantiliste se déploie tous azimuts. L’Allemagne est devenue depuis 2007, le premier exportateur de produits agricoles et même de fromages en Europe. Devant la France qui a pourtant une surface agricole supérieure de plus de 50%. Ce succès en agriculture est aussi dû au dumping salarial : les agriculteurs utilisent une main d’œuvre à bon marché : 6 euros de l’heure contre plus de 10 euros en France. Ils font appel massivement à des salariés étrangers d’Europe de l’Est, payés aux salaires de leurs pays d’origine. L’agriculture n’est pas le seul secteur à utiliser une main d’œuvre sous-payée et sous protégée. C’est aussi le cas dans les services. On a préservé l’industrie, ses emplois et une partie du pouvoir d’achat des ouvriers et cadres mais en bas de l’échelle, le modèle s’apparente plus désormais au modèle anglo-saxon. Ce qui explique que le coût de la vie avec en autres l’immobilier est faible en Allemagne. Ce qui explique aussi que les Allemands sont obsédés par l’inflation. La plupart des Français ignorent certainement aussi que ce ne sont pas les politiques allemands qui décident de la stratégie mais bien l’industrie allemande. C’est bien Siemens qui a choisi le retrait du nucléaire et non le pouvoir politique. Le capitalisme allemand défend ses intérêts. Il a fort habilement profité de l’Europe mais il estime maintenant que son avenir est ailleurs, notamment en Russie et en Chine. Pour lui, l’Europe n’est qu’un marché d’ores et déjà conquis. Or le projet européen, c’est autre chose qu’une simple vision mercantiliste. Le mariage entre l’Allemagne et L’Union Européenne  n’est-il qu’un mariage d’intérêt et non d’amour ? Les causes de la crise que nous traversons sont multiples. Les déséquilibres persistants dans les échanges mondiaux sont une des causes principales. On ne peut pas avoir d’un côté, deux pays en excédents commerciaux permanents et de l’autre côté des pays en déficits structurels.

Et la France dans tout cela ? A l’évidence, le couple franco-allemand se trouve à la croisée des chemins. Nos intérêts divergent. Certes nous devons comprendre les Allemands qui n’ont pas envie de payer pour les autres mais la France doit-elle accepter d’être le vassal de l’Allemagne ? Nos politiques qu’ils soient de droite ou de gauche refusent d’évoquer la problématique décrite dans ce texte. A nous de mettre le débat sur la place publique.

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