Comment définir et gérer des limites quantitatives pour les activités humaines ayant un fort impact environnemental ?
Le 2 avril 2011, Jacques WEBER a appelé notre attention sur la gestion des ressources naturelles, et sur la nécessité de trouver une réorientation de notre système économique afin que la création de « richesses » ne se fasse pas au prix de la dégradation des ressources naturelles communes.
Pour remédier à cette tendance destructrice de l’économie moderne, il convient de rendre plus coûteux les comportements jugés contraires à la préservation des ressources naturelles, et cela en instituant des taxes sur les consommations de biens naturels, qui viendraient se substituer à d’autres taxes, notamment celles qui pèsent sur le travail.
Nous proposons de poursuivre cette réflexion, en la poussant un peu plus loin :
Nous partons de la considération suivante : si une Autorité publique, locale, nationale ou internationale est capable de mettre en œuvre une fiscalité sur une ressource naturelle avec les services de contrôles que cela implique, elle est alors capable de mettre en œuvre des modes de gestion plus fins et mieux adaptés en fonction du problème d’équilibre à résoudre.
1°) - Trois exemples de gestion environnementale et d’équilibre entre offre et demande :
Commençons par citer trois exemples de modes de gestion existant pour assurer la maîtrise des prélèvements sur les ressources naturelles, ou l’équilibre entre l’offre et les besoins d’une ressource agricole, que je tire de mon expérience passée au ministère de l’agriculture.
Dans le domaine de la chasse aux grands gibiers, sont établis des plans de chasse, qui permettent chaque année de répartir entre détenteurs du droit de chasse, le nombre d’animaux qui peuvent être abattus. Si un tel système n’existait pas, il n’y aurait plus de grand gibier : les chasseurs auraient chassé jusqu’au dernier animal à abattre. Et si à l’opposé, la chasse était interdite, les animaux proliféreraient jusqu’à devenir nuisibles pour les forêts et les cultures. Le bénéficiaire d’un plan de chasse acquitte bien sûr une taxe, mais la taxe est jumelée avec un mode précis des prélèvements autorisés, et les dépassements sont lourdement pénalisés.
Dans le domaine de la forêt, il est nécessaire d’avoir une gestion à long terme. Les propriétaires forestiers sont donc tenus d’établir un plan de gestion. En contrepartie, ils bénéficient d’avantages fiscaux au moment des héritages, permettant ainsi d’assurer la conservation du patrimoine. Dans ce cas, ce n’est pas une taxe, mais un avantage fiscal, qui rend intéressant une gestion à long terme. (C’est un domaine, où la réduction des droits de succession a tout son sens en contrepartie d’un service rendu à la collectivité).
Les marchés des denrées de base, dans le domaine alimentaire, sont caractérisés par la rigidité de l’équilibre entre l’offre et la demande. La demande est stable, alors que l’offre est variable en fonction des aléas climatiques ou d’autres facteurs. En 1984, pour mettre fin au déséquilibre croissant entre l’offre et la consommation dans le domaine des produits laitiers, la Communauté Européenne a institué le système des quotas laitiers. Chaque producteur de lait, s’est vu attribuer un droit à produire, avec une pénalisation s’il le dépassait. Ainsi l’équilibre entre offre et demande à un prix acceptable à la fois pour les producteurs et les consommateurs a été réalisé de manière durable.
2°) - Autres domaines dans lesquels une gestion quantitative serait nécessaire :
S’il existe quelques exemples de bonne gestion, en revanche, dans beaucoup de secteurs ce n’est pas encore le cas.
Les ressources marines :
Tant que les hommes pêchaient à la force de leur poignet et de leur bateau à voile, on ne risquait pas d’épuiser les fonds marins. A partir du moment où le progrès technique permet d’armer des bateaux de plus en plus puissants et de tirer des filets gigantesques, la capacité de prélèvements devient supérieure aux possibilités de renouvellement naturel de la ressource. La sagesse voudrait, qu’une fois établi le niveau de prélèvement à ne pas dépasser, que les possibilités de prélèvements soient réparties entre les pays et entre les sociétés de pêches, et que ces sociétés limitent leurs moyens en fonction de ce qu’elle seraient autorisées à prélever, alors qu’aujourd’hui, elles sont poussées à se suréquiper pour s’assurer une plus grande part d’une ressource qui se raréfie.
La régulation de la pêche est un problème à résoudre à l’échelle mondiale, et l’Europe, malgré la politique commune de la pêche ne peut pas résoudre seule ces problèmes.
Prenons maintenant un exemple qui doit se gérer à l’échelle locale :
Prélèvements pour l’irrigation :
A la fin des années 1970, grâce aux progrès techniques, le coût des forages et du matériel d’irrigation est devenu abordable pour un grand nombre d’agriculteurs qui ont bénéficié en outre de tarifs favorables de l’électricité. Dans certaines régions, un grand nombre de forages ont été réalisés, et d’importantes capacités de pompage installées. Ces installations se sont faites en toute légalité, mais au bout de quelques années, dans beaucoup de secteurs d’irrigation, on s’est aperçu que la capacité de pompage installée était devenue bien supérieure à ce que pouvait supporter le milieu naturel. Là encore, il aurait fallu définir, par bassin versant, le volume prélevable à ne pas dépasser et le répartir entre les irrigants, mais pareille opération ne peut se réaliser que si en face des irrigants, qui défendent leurs droits avec énergie, se trouve une opinion résolue pour soutenir l’autorité publique et faire respecter la préservation des milieux naturels impactés par la baisse des débits des rivières et des niveaux des nappes phréatiques.
3°) – Pollution de l’air, émission de gaz à effet de serre, consommation et dégradation des espaces naturels.
En matière de lutte contre la pollution de l’air, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de préservation des espaces naturels, trois approches législatives importantes ont déjà été posées. Nous les abordons ensemble, car nous allons voir que l’importance du parc automobile est en première ligne pour ces trois approches.
Dans le tableau suivant, sont rappelées l’objet et les motivations des grandes lois adoptées par le Parlement français sur les grands thèmes environnementaux :
- Pollution de l’air
- Maîtrise des émissions de gaz à effet de serre
- Maîtrise de la destruction ou de la dégradation des espaces naturels consommation
Cadre législatif
Objet
Observations
Loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie de 1996
Les villes doivent réaliser des plans de déplacements urbains, dont un des objectifs est de réduire la circulation automobile et de développer des modes alternatifs de déplacements.
La motivation de la loi est la lutte contre la pollution atmosphérique dans les villes.
La loi sur l’énergie de juillet 2005
La France s’engage à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050.
Les transports routiers sont la première source d’émissions de CO2. Et si on y ajoute l’énergie dépensée dans la filière minière et industrielle en amont de la production automobile, les travaux d’infrastructures routières, le pétrole consommé dans l’industrie du raffinage pour produire les carburants, c’est plus de la moitié des émissions de CO2 nationale qui est liée aux transports routiers.
Les lois du Grenelle de l’environnement d’août 2009 et juillet 2010.
De nouvelles orientations sont données en matière d’urbanisme : développer les villes autour des axes de transports collectifs, économiser l’espace pour préserver les espaces naturels.
Chaque année 60 000 à 70 000 ha de terres naturelles ou agricoles sont conquises par l’urbanisation et surtout par l’extension des réseaux routiers et surfaces de parkings. L’équivalent d’un département français disparaît ainsi tous les 8 ou 9 ans. Au-delà de la surface consommée, l’atteinte aux milieux naturels et agricoles est aggravée par le cloisonnement opéré par les réseaux de voiries, qui perturbe le fonctionnement naturel des milieux.
L’automobile est un outil bien pratique et qui occupe une grande place dans nos modes de vie modernes, mais l’automobile et les transports routiers, par l’importance qu’ils ont pris représentent le principal impact sur les trois fronts environnementaux identifiés par les lois.
Mais l’importance du parc automobile ne pose pas que des problèmes environnementaux, il a aussi des interférences économiques et sociales négatives qu’il faut reconnaître :
- Le déficit commercial français est équivalent à la facture pétrolière, et par conséquent s’aggrave au fur et à mesure de l’augmentation du prix du pétrole. La sagesse devrait nous conduire à accélérer les programmes de réorientation de nos modes de transports.
- Dans les villes, la place croissante nécessaire pour assurer la circulation et le stationnement des véhicules, à population constante, décourage beaucoup de communes de construire. La croissance du parc automobile se fait au détriment de la croissance du parc de logements. D’autre part, le prix du logement est impacté par les surcoûts nécessaires pour assurer le garage des véhicules (33% d’augmentation du parc automobile en 20 ans à population constante). Le développement du parc automobile est ainsi un frein à un secteur économique essentiel, qu’est la construction de logements.
- De nombreux quartiers urbains deviennent inhumains, du fait de la place qu’y tient l’automobile en surface occupée, et en coupures opérées par les axes routiers.
- Le budget important consacré à la voiture par les familles se fait au détriment d’autres biens économiques.
Sur le plan de l’impact environnemental, outre les points mentionnés ci-dessus (pollution, émission de CO2, destruction d’espaces naturels), il faut aussi mentionner des impacts à distance : l’automobile représente une consommation importante de métaux par habitant, avec pour conséquence les impacts des exploitations minières dans beaucoup de pays du monde. Si le taux de motorisation des pays occidentaux est imité par les pays émergents, on s’oriente vers de graves problèmes.
Quelques pistes sur les modes de gestion du parc automobile :
On ne peut répondre aux objectifs environnementaux définis par le législateur, qui si l’on fixe une limite au parc automobile et aux transports routiers.
Appliquer une forme de contingentement de la mise en circulation de véhicules et aux transports routiers, ne doit pas être ressenti comme une menace pour ces filières. En effet, le contingentement de l’offre, devrait se traduire par des prix plus rémunérateurs pour les fabricants et les acteurs de la filière automobile et des transports.
Si l’accès à la voiture individuelle est rendu moins attractif, il faut en contrepartie développer les formules de location de véhicules et de taxi, et bien sûr augmenter l’offre de transports alternatifs.
L’augmentation des ventes d’automobiles ne doit plus être considérée comme un indicateur positif d’activité, puisqu’il est le signe d’aggravation des problèmes environnementaux, économiques et sociaux. Les bons indicateurs de croissance à retenir devraient être ceux qui préparent l’avenir, tels que le nombre de logements construits, ou le développement des lignes de tramway, de métro et de train pour assurer des modes de déplacements moins coûteux en énergie et en espace.
Et s’il fallait appliquer une « taxe WEBER » sur les automobiles, en raison de leur consommation d’espace, une méthode de calcul pourrait être la suivante : En France, la surface de voirie, de bordures de voirie et de parkings liée à chaque automobile est de l’ordre de 800 m2. Si cette surface était cultivée en blé, elle permettrait de produire le blé nécessaire pour fabriquer 500 kg de pain par an, soit une perte pour l’économie d’un chiffre d’affaire de 2000 €/an.
Conclusions :
Les divers exemples cités, (chasse au grand gibier, gestion de la forêt, quotas laitiers, ressources marines, prélèvements d’eau pour l’irrigation), montrent qu’il existe des modes de gestion adaptés, ou qu’il faudrait mettre en œuvre des modes de gestion quantitative précis là où ils sont nécessaires, pour garantir la pérennité de la ressource et l’équilibre entre offre et demande.
Lorsqu’on introduit des règles de gestion quantitative dans un secteur, on se heurte toujours à des oppositions violentes. Mais une fois établies des règles de répartition équilibrées et équitables, ceux qui ont du accepter un contingentement de leur activité, finissent par comprendre qu’il vaut mieux avoir un droit limité, mais qui s’inscrive dans la durée, plutôt qu’une jungle, où chacun est poussé à prélever le maximum, jusqu’à ce que la ressource soit épuisée.
Mais le problème quantitatif le plus important que nous avons à résoudre, pour que les lois environnementales déjà adoptées par le législateur ne soient pas lettre morte, est de définir quelles limites fixer au parc automobile et au parc de transports routiers.
Sommes nous prêts à entrer dans ce débat ?
Comment rêvons-nous la ville du futur ? Quelle répartition entre les modes de déplacements ?
Quelles limites fixer aux surfaces consacrées à l’automobile et aux transports routiers ?
Comment gérer un parc automobile et de transports routiers stabilisé ?
De tels débats sont difficiles, mais c’est faire preuve de civilisation que d’être capables de se mettre autour d’une table pour les aborder.