L'individualisme, une force ou une faiblesse pour la société Française?
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L'individualisme, une force ou une faiblesse pour la société Française?
Daniel Soulat.
I/ Introduction : Les français sont-ils individualistes ? Au mois de juillet 2013, les résultats d’un sondage mentionnent « Pour 80% des personnes interrogées, notre société est minée par des comportements individualistes ».En janvier 2018, un autre sondage pose la question « Dans les années à venir, vers quoi va-t-on ? », parmi les réponses il y a : « Plus d’indifférence à l’égard d’autrui 85%, plus de volonté de s’enrichir et de réussir pour soi 83%, un repli individualiste 76% ».
L’individualisme a mauvaise image, il est associé à la dictature du marché, à la lutte de chacun contre chacun. Il est considéré comme l’expression d’une raison qui peut même aller jusqu’à engendrer des individus irresponsables, mus uniquement par la rationalité et oubliant toute éthique. Il est aussi perçu comme la cause du repli sur soi, de l’égoïsme, de l’indifférence à autrui, de l’incivilité.
Une question se pose alors, est-ce seulement un ressenti, ou les français sont-ils bien individualistes ?
II/ Premiers éléments de réponse : Il me semble tout d’abord, quand on parle d’individualisme, qu’il faut immédiatement clarifier le terme pour éviter les malentendus.
Il ne faut pas assimiler l’individualisme à la seule définition courante qui le confond avec le repli sur soi et l’égoïsme. L’individualisme est présenté comme la source de nombreux maux de notre société mais n’en est-il pas seulement le fruit et non la cause ? L’individualisme est aussi basé sur des valeurs positives comme, la liberté ou l’égalité des droits et des chances pour tous les individus. En ce sens, il n’est pas forcément synonyme de rupture du lien social.
Le Larousse donne 3 définitions à l’individualisme :
· « Doctrine qui fait de l'individu le fondement de la société et des valeurs morales. »
· « Attitude favorisant l'initiative individuelle, l'indépendance et l'autonomie de la personne au regard de la société. »
· « Tendance à s'affirmer indépendamment des autres, à ne pas faire corps avec un groupe. »
Finalement, l’individualisme ne consiste pas nécessairement à ne penser qu’à soi. Lorsque l’individualisme est trop poussé, il se transforme en « égoïsme », et c’est bien l’égoïsme, défini comme « Attachement excessif porté à soi-même et à ses intérêts, au mépris des intérêts des autres » qui s’avère néfaste. A l’inverse, l’individualisme est nécessaire pour l’accomplissement de soi. Finalement être individualiste, c’est garder son esprit critique en toute situation. L’individualisme serait donc nécessaire à l’amélioration de la société. A noter que l’individualisme désigne le refus de tout enfermement identitaire.
Le livre ‘Ethique du samouraï moderne’ écrit par Patrice Franceschi, fournit un guide pour la conduite de la vie, il donne les éléments qui permettent d’affronter une modernité en continuel flottement, n’offrant guère de repères sur lesquels s’appuyer. Il souligne « L’homme se construit lui-même pour mieux construire autour de lui ». Il indique « Vivre librement c’est agir et penser par soi même », et insiste sur « La nécessité d’un effort transcendant, qui est un effort individuel en vue d’un bien collectif, où l’on retrouve la générosité ». Enfin, « l’éthique du samouraï moderne, est une éthique du progrès sur soi-même, ce qui peut être un but en soi, complétant tous les autres, afin de quitter la vie meilleur qu’on y est entré, telle est de toute manière l’une des ordonnances de l’éthique du samouraï ».
III/ Explications : Pour bien comprendre cet individualisme qui vise à ce que chacun puisse être une personne émancipée, singulière, libérée, autonome et le caractériser par rapport à ce qu’est le holisme, l’hédonisme et l’humanisme, voici quelques définitions ou significations :
1- L’émancipation de toute autorité, de penser, de juger, d’agir par soi mêmeest au cœur du processus d’individualisation. L’individu émancipé est celui qui n’obéit plus selon l’idéal, qu’aux Lumières de la raison qui est en lui.
Selon E. Kant dans son livre « Qu’est-ce que les Lumières ? » : « Les Lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute lorsqu'elle résulte non pas d'une insuffisance de l'entendement, mais d'un manque de résolution et de courage pour s'en servir sans être dirigé par un autre. «Aie le courage de te servir de ton propre entendement », telle est la devise des Lumières ».
2- La singularité, c'est ce qui nous caractérise et nous différencie des autres. Nous sommes tous différent(e)s, et c'est cette différence qui fait notre richesse. « Le paradoxe des individus ultra-contemporains, c’est qu’ils se ressemblent tous par le souci de vouloir apparaître comme différents les uns des autres ». Pourtant nous sommes tous interdépendants, contraire du chacun pour soi !
3- La Liberté : Selon le philosophe Vincent Citot « L'esprit de la modernité c'est la liberté », « La liberté à laquelle aspire la modernité doit se comprendre comme une recherche d’autonomie ».
« Elle est l’acte par lequel l’individu refuse de voir son existence, ses valeurs et ses normes déterminées par une instance extérieure, quelle qu’elle soit ». « Ne rien tenir pour vrai et pour valable que ce que j’ai moi-même vérifié et pensé, tel serait le principe de la modernité », que Descartes a explicité en son temps.
4- Holisme : Il privilégie le tout de la communauté, là où l’individualisme privilégie l’individu et ses valeurs.
Autrement dit, l’individualisme est une catégorie sociologique, et non morale.
IV/ Les doctrines qui contribuent à donner une mauvaise image de l’individualisme :
L’Hédonisme : est une doctrine qui fait de la recherche du plaisir et de son intensité le fondement de la morale et le but de vie. Le plaisir est considéré comme le bien le plus important de l'existence humaine.
L’Humanisme : est une théorie, doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs.
V/ De nos jours, l’individualisme est il condamné à l’héroïsme ? Dès sa naissance, le petit enfant est confronté à la concurrence, car ses parents le souhaitent intelligent, sans déficiences physiques et autonome le plus tôt possible ; dès son entrée à l’école, il est voué à la lutte pour les bonnes notes, car ses parents ont appris que l’échec scolaire annonçait le ratage de toute une existence ; à sa sortie de l’école, il lui faut affronter le risque du chômage ou du déclassement. L’individu est donc une créature contrainte d’affronter sportivement et sans faillir le cap de toutes les « compétitions » qui mènent à la réussite.
Ne pas confondre l’accomplissement de soi, relevant davantage de la révélation des ressources personnelles, avec le dépassement de soi relevant davantage de la logique de la compétition.
VI/ Conséquences, risques, questions, remarque : L’individu du xxie siècle est tout autant un héros qu’une victime de l’individualisme. Il en est une victime quand il doit donner exemplairement l’image de l’autonomie, valeur suprême de la démocratie libérale.
Les risques sont le relativisme et le narcissisme, avec pour conséquences une certaine angoisse existentielle, on fait ce que l’on veut mais on ne sait plus quoi faire. Si c’est la liberté de choix qui compte avant tout, on risque alors de ne plus rien respecter, de se comporter comme un simple consommateur au supermarché des valeurs.
Comment assurer la cohésion et la paix civile d’une société formée d’individus qui poursuivent séparément les uns des autres leurs intérêts particuliers ? Si chacun ne se préoccupe plus que de lui-même, de ce qui l’avantage, sans considération pour les conséquences sociales de ses actes, ne risque-t-on pas de sombrer dans le chaos ?
L’individualisme fondé sur une revendication d’autonomie, peut tout aussi bien devenir le fossoyeur de la démocratie. Celle-ci exige en effet des citoyens actifs, qui prennent le temps de s’informer, de se réunir, de débattre, de participer à la vie politique, non seulement pour défendre leurs intérêts particuliers, mais aussi pour rechercher, avec les autres, le bien commun.
Remarque : selon France Bénévolat, en 2019 il y avait 20 millions de bénévoles en France, selon France Générosité, l’ensemble des dons représente 7,5 milliards d’euros, comprenant 4,5 milliards issus des particuliers et 3 milliards de mécénat, au total il y a 5,5 millions de foyers donateurs. Donc oui, nous sommes un peuple individualiste, mais il faut comprendre que l’individualisme n’est pas incompatible avec la générosité.
VII/ En conclusion : Le paradigme de société de notre époque serait de parvenir à conjuguer, les valeurs essentielles de l’individualisme (émancipation, autonomie, singularité, liberté) sur lesquelles il ne saurait être question de revenir, et un sentiment d’appartenance qui tend bien souvent à nous faire défaut.
L’individualisme ne peut devenir réalité que s’il est à la fois collectif et respectueux de l’altérité, du civisme, ce maillage permettant d’associer liberté et solidarité, autonomie et efficacité, le plaisir d’être soi et d’obtenir la force d’être ensemble.
L’individualisme est au centre du partage entre individualité et universalité, les opposer est donc une erreur. Le défi de l'intelligence sociale est de proposer une articulation entre l'individu et le collectif. Le principe individualiste rencontre cependant diverses objections. Ainsi, tout individu dépend pour sa survie d'une société, et par extension d'un groupe envers lequel il a naturellement des devoirs.
Daniel Soulat 14/11/2020
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