Mon corps m'appartient-il ?

Du Larousse au mot corps :

1. Organisme de l’Homme, de l’animal.

2. Tronc, par opposition aux membres.

3. Homme, individu. Etc…

Si la première définition suppose qu’il y a pour l’Homme autre chose que le corps, la troisième nous dit que l’Homme se réduit à son corps. Je dirais que l’Homme, c’est un corps, plus un passé et un futur, une mémoire et des projets.

Mais la question que je traiterai dans cette introduction est : est-ce que je m’appartiens ?, qui sonne moins bien que le titre choisi. Ou encore : Est-ce que ma personne m’appartient, à moi tout seul ?

A la question est ce que j’appartiens à un autre Homme, la réponse est non. Appartenir à un autre Homme, c’est être son esclave, et la tendance, depuis les Romains, a été d’éradiquer l’esclavage. Le processus a été long : il a commencé par le message Evangélique (dans Saint Paul : « il n’y a plus d’esclaves, et d’Hommes libres, il n’y a plus que des fils de Dieu »). Mais ce message n’a pas été réellement appliqué par l’Eglise, et il a fallu en France, la Révolution de 1789 et ses suites pour le voir disparaître …officiellement (1848).

Depuis, il faut surtout citer le cas de la condition féminine: en France, les femmes ont appartenu à leur mari jusqu’à il y a peu. Dans d’autres pays, c’est bien pire. Et si la loi a changé, certaines habitudes perdurent (une femme assassinée par son conjoint tous les deux jours en France). D’où le slogan féministe : «Mon corps m’appartient».

Mais un slogan n’est pas un raisonnement. Posons-nous les questions : ai-je le droit de faire de moi-même ce qui me plaît sans aucun compte-à-rendre à personne ? Suis-je complètement indépendant ?

Longtemps les Hommes se sont soumis à des causes dites supérieures. Pensons à tous ces soldats qui sont partis s’étriper sur les champs de bataille pour sauver leur religion ou leur patrie contre un ennemi dépeint comme un monstre. Ils le faisaient sans barguigner, y trouvant, peut-être, un sens à leur vie ; sur ce point l’Histoire n’est cependant pas très claire. En Europe, ces temps semblent maintenant révolus, tant mieux, pourvu que ça dure.

Plus généralement : y-a-t-il une puissance supérieure à l’Homme, qui lui interdise des attitudes purement individualistes, égoïstes ? Pour les « croyants », c’est oui : leur « corps est le temple de Dieu », ils ne font qu’interpréter, avec leurs semblables, une partition écrite par Le Grand Compositeur, quel qu’il soit. Pour le simple citoyen, croyant ou athée, il y a plus simplement l’Humanité.

Chaque relation d’un être humain intéresse les personnes y prenant part, ici et maintenant, mais aussi pour le futur. Par exemple, une relation sexuelle voulue volontairement sans lendemain me semble une « supercherie », en ce qu’un engagement total des corps n’est vraiment humain que s’il inclut un projet. Prenons un exemple personnel plus anodin : je n’avais pas envie de fêter mes 70 ans. Je trouvais qu’attendre 75 était plus judicieux. Et pourtant mes proches m’ont fait la surprise d’une fête (fort sympathique). En fait, mon âge canonique ne m’appartient pas à moi tout seul.

En poussant un peu plus loin, chaque acte d’un être humain intéresse, à des degrés divers, l’ensemble des Hommes. Et si je vote Tartempion, je prends une responsabilité, certes petite, mais non nulle, devant la postérité.

Est-ce à dire que ma personne désormais ne m’appartient pas totalement ? Je le pense. D’une part, les assurances, sociales par exemple, sont des « nationalisations » partielles de ma personne : l’Etat, ou la communauté, s’occupe de mes frais de santé ou de mes petits ou grands malheurs ; en échange, il est implicite que je dois prendre soin de moi-même, et éviter les conduites à risque. En Angleterre, il a été proposé de ne plus soigner les cancers du poumon des personnes (de plus de 65 ans) continuant à fumer. Citons aussi l’existence de la Justice : le citoyen est protégé par l’Etat, et en échange, il paye des impôts pour faire vivre la Justice (cf. le far-west, sans vraiment de Justice !).

Parlons fin de vie, ce temps où les projets disparaissent : ai-je le droit de me suicider ou d’exiger d’être euthanasié, parce que je veux maîtriser seul ma vie jusqu’au bout ? Mes proches n’ont-ils pas leur mot à dire sur mes décisions ? L’Etat est-il dans son rôle s’il encourage cet individualisme forcené ? A mon avis, son rôle est au contraire d’aider à aménager la fin de vie pour qu’elle devienne supportable pour tous et que le « travail de mort » puisse se faire.

En conclusion, ma personne n’appartient à aucun autre humain, mais elle appartient aussi à l’ensemble des Humains, et à Dieu, qu’il existe ou non.

                                                                           Benoit Delcourt

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