Pouvons-nous toujours justifier nos croyances ?


Tout d’abord, qu’entendons-nous par « croyance » ? La définition la plus générale indique (Wikipedia) que « la croyance est le faitd’attribuer une valeur de vérité à une proposition ou un énoncé », cette proposition ou cet énoncé pouvant concerner un fait réel vérifiable, ou une simple idée qui ne l’est pas. Il y a donc plusieurs formes de croyances, par exemple la croyance en Dieu, que par définition on ne peut démontrer, et la croyance dans ce que nous disent les scientifiques, les experts, parce que nous sommes obligés de leur faire confiance dans des domaines qui nous sont totalement étrangers. Je peux décider de croire en Dieu parce que la science ne pourra jamais prouver son existence, parce que Dieu n’est pas un objet pouvant être étudié rationnellement ; par contre je suis obligé de croire dans la théorie de la gravitation d’Einstein parce que, bien que je sois totalement incapable de dire pourquoi, je sais qu’il l’a démontrée, qu’elle a été vérifiée par ses pairs et que les conséquences qui en découlent (le GPS par exemple) sont des faits constatés et donc avérés.

Ensuite, nous devons être prudents sur l’utilisation de certains termes. On dit souvent que Monsieur Untel est crédule parce qu’il croit en quelque chose que je trouve stupide de manière évidente. La crédulité n’est pas la croyance, c’est une simple caractéristique de l’esprit humain qui n’a aucune valeur universelle. Il y a aussi une différence fondamentale entre justifier et démontrer. Si nous reprenons les exemples précédents, on ne peut pas démontrer que Dieu existe, mais on peut justifier la croyance qui est la nôtre par des considérations de natures diverses, indémontrables mais tout à fait recevables, comme le besoin de donner un sens à sa vie, ou pour des raisons morales. Une justification est toujours le fruit d’une réflexion, même si elle n’est pas vraie, alors que la démonstration implique un raisonnement rationnel obéissant à des règles logiques partagées par tous.

Si nous faisons notre examen de conscience, nous devons cependant admettre que beaucoup de choses auxquelles nous croyons, au-delà de l’exemple de la foi qui vient immédiatement à l’esprit, ne sont ni démontrées ni justifiées. Certaines pourraient l’être, mais ne le sont pas pour des raisons variées. Nous avons, souvent de manière inconsciente, des opinions auxquelles nous croyons dur comme fer, et que pourtant nous n’avons jamais essayé d’expliquer, ni aux autres ni surtout à nous-mêmes. Certaines sont le fruit de l’intuition, que nous appelons souvent « évidence », parce qu’elles semblent s’imposer d’elles-mêmes sans avoir besoin d’une quelconque réflexion. Beaucoup se rattachent à des biais cognitifs, notamment le biais de confirmation que l’on retrouve partout : parmi toutes les raisons que je peux invoquer pour justifier une croyance, je choisis uniquement celles qui vont dans le sens de ce que je crois préalablement.

 

Maintenant, quelques exemples pour mieux illustrer ce qui vient d’être dit et rechercher des justifications à certaines croyances dont on ne saisit pas bien l’origine. Ce classement n’est ni exhaustif ni très rationnel, les catégories énoncées peuvent se recouper, mais l’ensemble contribue à éclairer les raisons qui poussent les gens à croire de différentes façons dans différents domaines.

La croyance fondée sur la confiance : elle est partout, dans le moindre des actes quotidiens. Quand je passe en voiture à un croisement et que le feu est vert, je crois fortement que les autres en face ne grilleront pas le feu rouge, j’ai confiance ; quand je prends un médicament prescrit par mon médecin, je fais confiance au prescripteur comme au fabricant, qui n’ont pas pour objectif de me nuire ; quand je travaille, je le fais parce que je crois que je serai payé à la fin du mois. 

La croyance fondée sur la méfiance : sous des formes variées, beaucoup de gens ne font confiance à personne et surtout pas à ceux qui détiennent une forme de pouvoir, qu’il soit politique, économique, scientifique ou culturel. Tout ce que dit ou fait le gouvernement est sujet à caution. Les entreprises ne pensent qu’à faire du bénéfice. Les scientifiques truquent leurs résultats pour des raisons pécuniaires ou pour leur renommée. La pensée unique domine le monde et empêche l’innovation. Ceux-là cherchent aux événements des explications qui sont considérées comme vraies quel que soit leur degré de crédibilité, parce qu’ils pensent que la vérité est toujours cachée, que la réalité est autre que ce qu’on voit.

La crédulité : si on a une volonté faible ou si on est dans une période vulnérable de sa vie, et qu’on a affaire à des personnalités fortes, on est prédisposé à croire la personne qui parle parce qu’elle sait être convaincante ou rassurante quel que soit le contenu du discours. C’est ce qui arrive dans les dérives sectaires.

La croyance complotiste : c’est la méfiance et la crédulité poussées à l’extrême, aboutissant à la croyance en des complots parfois extravagants. La Terre est plate. Des groupes cachés dirigent le monde. Les traînées blanches des avions dans le ciel sont la preuve qu’on déverse des produits toxiques pour mieux nous contrôler. Ce sont les américains qui ont provoqué les attentats du 11 septembre. Le tremblement de terre d’Haïti est la conséquence de l’essai d’une arme secrète américaine. Personne n’a jamais marché sur la Lune. 

La croyance « militante » : quand des millions d’américains croient vraiment que les dernières élections présidentielles ont été truquées, c’est parce que c’est Trump qui le dit, et cela leur suffit comme justification, c’est la parole du chef qui fait office de vérité. Distinguer néanmoins ceux qui croient vraiment, et ceux qui savent que c’est faux et font semblant de le croire. Dans cette catégorie se place aussi le prosélytisme de certaines religions. Et le nationalisme des russes derrière Poutine.

La croyance révélée : c’est celle qui n’a pas besoin de justification pour apparaître, car elle illumine le croyant. L’archétype en est la croyance en Dieu, ainsi que ses corollaires possibles que sont l’existence de l’âme, les miracles, et même les fantômes et la vie après la mort. A posteriori, on peut toutefois lui trouver des raisons morales, ou encore une manière de se rassurer et de donner un sens à sa vie, à l’image du doute pascalien.

 

En résumé, et si on souhaite réellement approcher la vérité dans nos croyances, que faut-il essayer de faire ?

Chercher les moyens de justifier ses croyances

 

De quoi faut-il se méfier ?

 

Cette « remise à plat » permanente doit contribuer à former de nos croyances un tout cohérent. C’est évidemment ambitieux, mais c’est un objectif qu’on peut se fixer pour avancer.

Jean-Jacques Vollmer

3 juin 2023

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