12. Ses dernières années

Jeudi 1er août 1799, Dominique perd son frère Pierre, qui décède à l’âge de soixante-six ans[4].  Il se sera écoulé plus de quarante ans depuis le dernier décès d’un membre de sa famille, celui de Marie Magdeleine, sa seule sœur décédée à ce jour.  Les Hervé ont pu bénéficier les uns des autres pendant tout ce temps.  Il est certain que Dominique semble avoir été plus près de son frère aîné Zacharie Sébastien (1726-post.1813) qui demeurait près de chez lui.  Au cours des années, l’aîné et son épouse, sa fille et aussi l’un de ses petits-enfants ont joué des rôles de parrain ou de marraine dans la vie de DominiqueIl faut se rappeler qu’il n’avait que quatorze ans quand son père avait quitté l’Isle pour Saint-Roch-des-Aulnaies.  Zacharie Sébastien a toujours fait figure de père pour Dominique.  En rétrospective, il peut apparaître surprenant qu’après plus de quarante ans d’une vie familiale active et dix-neuf enfants, le nom de son frère Pierre ou d’un membre de sa famille ne soit pas apparu dans les registres de baptême[5].   Il faut considérer qu’à l’époque, le baptême est perçu comme un sacrement qui doit être exécuté rapidement pour protéger l’enfant.  On remarquera que les parrains et marraines choisis sont le plus souvent des voisins proches, ceux du Cap-à-Labranche, alors que Pierre a toujours demeuré à l’autre bout de l’Isle à la Côte-à-la-Baleine.  Lorsque l’on y regarde de plus près, on retrouve les trois frères présents lors des quelques mariages de leurs enfants avant le décès de Pierre. 

Trois jours après l’enterrement de son frère, Dominique agit comme témoin une nouvelle fois lors d’un mariage.  Sa nièce, Madeleine Archange Savard, la fille de Jean Baptiste Savard son voisin et beau-frère en première noce épouse un gars de la baie Saint-Paul[6].  Quatre ans auparavant, c’est cette nièce qui avait été la marraine d’Élisée, l’avant-dernier enfant de Dominique et Marie Magdeleine

Le curé qui dirige la paroisse depuis 1793, Louis Antoine Langlois est d’un naturel sévère.  Il avait une haine des âmes hypocrites et impénitentes selon ses propres confrères.  Sa sévérité était telle que ses paroissiens quand ils le pouvaient allaient chercher leurs sacrements dans une autre paroisse sur la côte[7].  Comme il voyait le mal partout, il ne pouvait se résoudre à baptiser un enfant né de l’amour non consacré par l’église ou à tout le moins de nommé cette enfant.  C’est ainsi qu’en juillet 1800 encore une fois, comme en 1796 il baptise une « Marie Victoire née de parents inconnu ».  Cette fois-ci, c’est le meunier Pierre Boudreau et sa sœur Marie qui sont nommés comme parrain et marraine[8].

Dominique a grandi avec Pierre Savard (1737-1809), il l’a côtoyé tout au long de sa vie; du même âge, il semble, de par les registres et les histoires nous étant parvenus à ce jour, avoir fait les cent coups ensemble.  Pierre est le fils du frère aîné de feu Geneviève, lui aussi prénommé Pierre (1712-1780).  À l’automne, Dominique agit comme témoin lors de la sépulture de Pierre Savard, le troisième (1762-1800), le fils de son ami d’enfance dont l’épouse est enceinte de sept mois[9].    

La petite île de l’ancêtre Sébastien a bien changé depuis le jour de son arrivée vers 1722.  Certains commerçants s’y sont installés pour le compte de ces messieurs du Séminaire, les premiers emplacitaires sont arrivés depuis maintenant une quarantaine d’années et l’ouverture du poste de pilotage officielle à amener son lot de passants de toutes sortes.  L’Isle à tellement changé qu’à la vieille de Noël, le curé « a inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de Pierre Laventure pauvre mendiant résidant dans cette paroisse depuis deux ou trois ans… âgé d’environ vingt-trois ans »[10].  Ce Laventure devait être un enfant de l’un des nombreux fils de François Laventure dit Madran (c.1711-1769) d’origine inconnue qui vécut avec ses fils dans la région de Berthier-en-Haut[11].  Dominique avait bien vu ce genre de misère lors de ses passages comme pilote à Québec, mais aujourd’hui cette misère, toute urbaine qu’elle soit, est rendue à l’Isle. 

« La  grande Madeleine » est en demande en 1801.  Elle est marraine de nouveau-nés à deux reprises.  Tout d’abord en mars, la « femme de Dominique Hervé » agit à ce titre pour l’enfant de Pierre (1769-1806), le plus jeune de ses frères et « de Marie Josephe Audet dite Lapointe son épouse »[12].   Puis, comme de coutume une jeune mère, Geneviève Gontier (1774-post.1806)[13], vient passer sa grossesse chez ses parents à l’Isle, Louis Gontier et Geneviève Bouchard que nous avons connus au chapitre précédent, pendant que son mari, Joseph Marie Jean (1772-post.1806), trime sur leur terre aux Éboulements.  En août, Geneviève donne naissance à des jumeaux.   Marie Magdeleine est marraine de l’enfant mâle Étienne Gaspard.  L’accouchement fut difficile et la mère passera l’hiver chez ses parents.  Le petit Étienne Gaspard ne survivra que deux mois[14].

Dominique traversera à la Malbaye pour donner la cadette de ses filles, Marie Geneviève, en mariage le 6 octobre 1801.  Marie Geneviève demeure chez sa soeur Marie Anne à la Malbaye depuis un certain temps lorsqu’elle rencontre Joseph Brassard (1781-1848), un jeune homme de vingt ans au moment du mariage[15]; elle y est déjà en 1798 alors qu’elle agit comme marraine de sa nièce[16].  Marie Geneviève, on s’en souviendra, est la dernière fille qu’eue Geneviève Savard avec Dominique avant de mourir en gésine.  Sa sœur Marie Anne, de dix-huit ans son aînée s’en était toujours occupée.  

À travers la disparition de presque toute une famille emportée par la maladie, le sixième curé de l’Isle, Louis Antoine Langlois, nous confirme le jeune âge auquel les enfants prennent très vite un rôle adulte dans cette petite société sans qu’ils soient majeurs sous la loi.  Ainsi « a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de Louis Perron cultivateur de cette paroisse… âgé de quinze ans et demi… »[17].

En novembre, Dominique se présente à nouveau comme témoin lors du second mariage de Marie Esther Béranger (1771-c.1807).  En première noce, elle avait épousé en 1790 Claude Giguère (1769-1799) et le couple s’était installé sur l’une des premières terres du Cap à Labranche au nord de celle de Dominique,  la terre de quatre arpents et demi acquise de Louis Marie Boulianne le 10 novembre 1790.  Marie Esther s’unit à un marchand de la Murray-Baie, veuf également[18].  Le couple partira s’établir chez le marchand.  Le départ de Marie Esther est une perte pour les insulaires, de la petite douzaine de personnes instruites de l’Isle, elle est l’une d’entre elles.  Fille d’un marchand de Québec, elle dut recevoir son éducation chez les Ursulines.  Mis à part le curé, il ne restera probablement plus qu’Élie Mailloux au Cap à Labranche pouvant défricher les écrits pour les autres insulaires, les autres lettrés demeurant tous à La Baleine[19].

Bien que l’on n’en ait aucune preuve, au rythme auquel Marie Magdeleine apparaît dans les registres comme marraine, il y a lieu de se demander si elle n’était pas devenue sage-femme avec le temps.  Considérant que le rôle de marraine revient habituellement à de plus jeunes personnes que Marie Magdeleine ou pour un premier enfant, aux grands-parents, il y a lieu de se demander si elle ne jouait pas un rôle plus grand que celle d’une parente, d’une amie ou d’une voisine présente à l’accouchement pour offrir ses conseils et son aide.  À la fin février de l’année suivante, elle est à nouveau marraine de « Jean Thomas né du légitime mariage d’Étienne Savard et de Charlotte Véreau »[20].  Cet Étienne Savard (1773-1859) est le fils du voisin et beau-frère Jean Baptiste Savard.      

Tous les enfants de Geneviève Savard ont maintenant quitté l’Isle.  Marie Anne, David Louis Dominique, Félicité Sophie, Dominique Isaïe et Marie Geneviève colonisent la Malbaye alors que leurs enfants coloniseront le Saguenay et le lac Saint-Jean.  Comme on l’a vu, les deux autres, François et Joseph Sébastien habitent la rive sud du grand fleuve à Sainte-Anne-de-la-Pocatière et Saint-Roch-des-Aulnaies.

Un événement important pour ma lignée des Harvay survient au cours de l’été 1802.  Marie Anne Tremblay (1774-1840), qui aura vingt-huit ans en août, jette son dévolu sur le jeune Joseph, mon ancêtre qui lui en a dix-neuf.  Dominique à l’âge de soixante-six ans laisse donc l’aîné de sa deuxième couche, Joseph prendre en main sa terre alors que ce dernier épouse Marie Anne, le 15 novembre de la même année.

L’année 1803 débute bien tristement pour « la  grande Madeleine », le 18 janvier sa mère, Marie Madeleine Boissonneau dit Saint-Onge décède[21].  Marie Magdeleine étant l’aînée de ce deuxième lit de son père, elle voit aux obsèques.

Quatre mois plus tard, Dominique et Marie Magdeleine seront de la fête pour le mariage de Marie-Victoire Perron (1775-1850) et Michel Leclerc (1776-1839) où l’ancêtre est témoin[22].  Marie-Victoire est la belle-sœur de Dominique Isaïe, le fils de Dominique qui s’est uni à Marie Madeleine Perron en 1797.  Marie-Victoire épouse le fils d’un pilote, Pierre Leclerc (1729-1796) de son vivant confrère de Dominique, qui s’était établi comme emplacitaires à l’Isle.

Héritage français, les fonctions de grand voyer, voyer et sous-voyer se perpétuèrent longtemps après la Conquête.  En 1796, la loi de la voirie divisa la province du Bas-Canada en trois districts : Montréal, Québec et Trois-Rivières.  D’après cette loi, le grand voyer de chaque district était assisté dans chaque paroisse ou seigneurie d’un inspecteur nommé par lui pour deux ans.  Les paroisses à leurs tours subdivisées et administrées par un sous-voyer élu pour deux ans par les censitaires.  Dominique devait être fier d’apprendre que son fils David Louis Dominique fut ainsi élu sous-voyer pour la Malbaye en 1803 et en 1804.   C’est lui qui était chargé de voir à la construction et l’entretien des routes, qui voyait à l’exécution des ordres du grand voyer et punissait ceux qui y contrevenaient par négligence ou autrement[23].

Avec un si grand nombre d’enfants, Dominique et Marie Magdeleine se rendent à l’église plus souvent qu’à leur tour.  Outre les baptêmes, des petits-enfants, au moins soixante-cinq en 1803[24], un  nombre qui ne cesse de grandir, les mariages se succèdent.  Évidemment que l’attention de Dominique et Marie Magdeleine devait être un peu portée sur la naissance de Marie Anne, le premier enfant de Joseph leur aîné à la fin septembre 1803 étant donné que lui et sa femme, résident dans la maison familiale comme nous le verront[25]. 

Le 7 novembre 1803, Marie Euphrosine dite Marie Modeste, l’aînée des filles chez Dominique et Marie Magdeleine, épouse Louis Lajoie (1778-1840), un fils de l’Isle[26].  Modeste à  dix-sept ans et Louis en a vingt-cinq.  À soixante-dix ans, c’est Dominique qui conduit sa fille devant l’autel de la chapelle Saint-Louis.  La fête sera double et énorme pour l’occasion puisqu’Émérentienne Lajoie (1781-1853), la sœur du nouvel époux de Marie Euphrosine prend également époux.  Lors de cette double cérémonie, elle unit sa destinée à Louis Demeule (1783-1861), un autre fils de l’Isle dont le grand-père, on se souviendra, avait été tué par les anglais lors de la conquête.  Sa grand-mère, Scholastique Savard, était la belle-sœur de Dominique

La demi-sœur de Marie Magdeleine, Pélagie Dufour dont Zacharie, le frère aîné de Dominique, avait été le parrain, marie le cadet de ses garçons en ce début janvier de l’année 1804.   Pélagie et sa famille résident à la  Malbaye ce qui n’empêchera pas son fils Rémi Godereau (1781-) de venir chercher une fille de l’Isle.  En plein hiver, Dominique l’oncle de l’époux lui sert de père puisque les parents n’ont pu se déplacer[27].

Comme le veut la tradition à l’Isle, le vingt-trois août, Dominique comme grand-père maternel agit comme parrain du premier enfant de l’aînée de ses filles, Marie Euphrosine dite Marie Modeste « Harvay » et de son époux Louis Lajoie.  Louis Isaïe Lajoie (1804-1867) est baptisé devant un grand-père qui se présente de plus en plus souvent à l’église[28].

Tous ces événements dans la famille amènent-ils Dominique et Marie Magdeleine à faire le ménage dans leurs affaires ? Quoi qu’il en soit, tous deux voguent vers la capitale en ce début d’été 1804 pour y rédiger leurs dernières volontés.  Ils se présentent au 51 de la rue De Buade à Québec, à l’étude du notaire Bathélémy Faribault, fils (1762-1829), pour établir leurs testaments respectifs[29].

Après avoir donné sept enfants à son époux, à quarante-deux ans, Marie Anne, la deuxième fille de Dominique et Geneviève Savard décède en couches le 15 novembre 1805 à la Malbaye.  On peut s’imaginer que tous les membres de la tribu des Hervé qui y demeurent sont présents aux obsèques.  La terre étant déjà gelée, et la paroisse n’ayant plus de curé, l’inhumation devra donc attendre à l’année suivante.  Le 14 septembre 1806, le curé « des Éboulemens desservant la mal Baye » procéda à la bénédiction de la fosse.  Le missionnaire qui était  passé à la Malbaye la dernière fois en juillet procède à l’administration des sacrements dans huit cérémonies distinctes ce même 14 septembre, en autres, le baptême de Louis Dominique Hervé (1806-1890) le cinquième enfant déjà de Dominique Isaïe, le fils de Dominique né le 6 août dernier[30].

Dans la maison de Dominique, les départs de ses enfants qui convolent en justes noces sont souvent comblés par des arrivées.  Ainsi, le 25 juillet 1806, l’épouse de son fils aîné donne naissance à un deuxième enfant, Marie dite Archange[31]. 

En novembre 1806, c’est au tour de Louis « Hervay » de convoler en justes noces.  Le curé de la baie Saint-Paul, Louis Lelièvre qui assure la desserte de l’Isle commence à angliciser notre patronyme.  Le deuxième fils de Dominique et Marie Magdeleine unit sa destinée à une fille mineure native de Kamouraska du côté sud du grand fleuve, Marie Julie Migneau (1786-1857).  La famille de Marie Julie a traversé à l’Isle et s’y est installée depuis quelque temps.  Les parents de Louis assistent évidemment à la cérémonie de même que l’oncle Augustin Dufour qui ne rate aucune des cérémonies des enfants de sa soeur.  David Louis Dominique, le demi-frère de quarante-deux ans, est de passage à l’Isle et assiste à la cérémonie[32].  Comme David Louis Dominique était le parrain du marié, il prit donc la peine de traverser de la Malbaye en cet automne pour le mariage.  Il faut dire que la route pour ce « sous-voyer » était une affaire qu’il connaissait.  Le nouveau marié aura une vie active à l’Isle et ailleurs.  Grâce à son épouse qui sait écrire, il apprendra lui aussi et sera ainsi le seul de cette génération à pouvoir signer, ce qu’il fera pour une première fois lors d’un baptême en 1807[33].  Il sera après son père, le plus célèbre pilote de l’Isle, car il fut le principal témoin à l’enquête qui décida par quel côté de l’île devaient passer les navires océaniques.  Il s’éteindra à l’âge de soixante-dix-huit ans et neuf mois.  Le 7 mars 1863, « Louis Harvay, ce cultivateur, Juge de Paix, Capitaine de Milice veuf de Marie Julie Migneau décédé la surveille est inhumé dans l’église près de la balustre »[34]

On continue de s’entasser dans la maison de Dominique et de « la  grande Madeleine » avec la naissance du premier petit-fils de ma lignée qui assurera également la postérité du patronyme.  Dominique a déjà bien des rejetons de ses fils qu’il eut avec Geneviève Savard.  Un premier petit-fils de la lignée de Dominique et de « Marie Magdeleine » est même venu au monde un an plus tôt, mais ce fils de Louis n’avait vécu que huit jours[35].  Aujourd’hui, l’épouse de l’aîné Joseph accouche de Germain en cette mi-novembre 1808.  « Marie Magdeleine »   devait être très fier lors du baptême cette journée-là, car à l’époque, la naissance d’un enfant mâle assurant sa postérité était très importante dans les coutumes[36].

1808 sera la dernière année où Dominique pratiquera son métier[37].  Sa renommée ne fut sans doute pas étrangère à sa longévité comme pilote du Saint-Laurent.  Lui qui avait amorcé son apprentissage vers l’âge de quinze ans met sa chaloupe à voiles en cale sèche définitivement à l’âge de soixante et onze ans.  Cette chaloupe avec laquelle il rejoignait les navires à trois mats et les autres, les insulaires ne la verraient plus partir et revenir au gré des vents comme pendant ces cinquante-six dernières années.

En mai 1809, Dominique qui a cessé de piloter l’année précédente ne traversera pas le grand fleuve alors que l’on enterre sa grande sœur Marie Anne à Saint-Roch-des-Aulnaies qui est décédée à l’âge de quatre-vingt-sept ans.  Avait-il au moins appris son décès le 19, il est peu probable, on ne traversait pas du sud à l’Isle tous les jours[38].  Marie Anne est celle qui avait pris Dominique sous son aile quand il avait perdu sa mère vers l’âge de quatre ans.  Lorsqu’il pilotait, il ne manquait sûrement pas une occasion de passer rendre visite à celle qui lui avait servi de mère.  Marie Anne est maintenant la troisième des enfants de Rosalie Tremblay à partir. 

Le 19 novembre 1810, Dominique donnera en mariage la deuxième fille qu’il a eue avec « la  grande Madeleine », Marie Josephe « Hervay ».  Elle épouse à l’Isle un parent de troisième degré[39], Joseph Louis Tremblay (1788-1864).  Ce sera la dernière activité officielle de Dominique comme patriarche de la famille.  Le cousin de Marie Magdeleine, « le grand Bona » est présent et sert de père à l’époux.  Le grand-père du marié, aujourd’hui décédé, était le cousin de Dominique.  Joseph Dufour est marié à la cousine de Dominique, Marie Charlotte Tremblay (1746-1792) la fille de l’oncle Guillaume qui elle, est la belle-sœur du frère de Dominique, Pierre.  Rien n’est très simple quand il est question de parenté à l’Isle.   Donc la présence du   « grand Bona » n’a rien d’anormal, il est parent de tous les côtés et meunier à La Baleine.  En lisant le registre, on sent par contre que le célébrant Louis Lelièvre est en présence d’un personnage qui impose le respect.  Il inscrit dans son registre «…en présence… du sieur joseph Bona Duffour L’écuyer Lieutenant Colonel de Milice servant de père ».  Il faut remarquer que la forme « sieur » précédant le nom d’un noble ou d’un bourgeois n’est plus en usage depuis cinquante ans, après la fin du Régime français.  Marie Josephe « Harvay », cette femme de cultivateur s’éteindra à l’Isle en 1854[40].

Alors que Marie Josephe vient tout juste de quitter le nid familial, l’aîné Joseph et son épouse avaient vu le coup venir et se sont déjà employés à combler le vide puisque naît en février 1811 un autre garçon, celui-là prénommé Marcel[41].


À revoir le fil de la vie de Dominique jusqu’à maintenant, on pourrait croire que les hivers à l’Isle sont passés en fête de toutes sortes et on ne s’y tromperait pas beaucoup.  En plus de la période des Fêtes et surtout du Nouvel An, les baptêmes apportent leur lot de gaieté et d’occasions de réjouissances, mais en tête de tous ces événements viennent les mariages qui sont concentrés entre octobre et la mi-avril.  Les insulaires ont toujours eux un très grand respect pour la terre et toutes leurs activités de survie.  Pour les gens à l’Isle, il n’y a que deux saisons, l’été consacré aux travaux et à la survivance et l’hiver, la saison longue d’attente que l’on comble par les réjouissances.  Aussi, on ne retrouve que très peu de mariages célébrés en été.  Quand cela est le cas, il s’agit du départ d’un jeune couple qui s’installera sur leur nouvelle concession à la Malbaye que l’on a rebaptisée la Murray Baie depuis l’arrivée des anglais. En deuxième chef, on note très souvent qu’un mariage en été cache une naissance hâtive.  Au cours des vingt-cinq dernières années, Dominique a agi comme témoin lors de vingt-cinq mariages, sans compter ceux où il a participé sans y être un témoin principal; seulement cinq d’entre eux eurent lieu en été pour les motifs mentionnés.

À soixante-quinze ans et six mois, mon ancêtre né Sébastien Dominique Hervé en Nouvelle-France, décède Dominique Harvai le 8 mars 1812 en terre britannique, terre prise par ceux qu’il a combattus.   

Deux jours plus tard, il est inhumé au cimetière de la paroisse Saint Louis de France.  Assez inhabituelle, la cérémonie funèbre n’eut lieu qu’un mois plus tard en raison du curé qui était malade.   

« Le dix Avril l’an mil huit cent douze par nous prêtre, curé sousigné ont été suppléées les cérémonies de la sépulture à Dominique Harvai vivant Pilote du fleuve St Laurent depuis le Bique Jusqua Québec et cultivateur, époux de Magdelaine Dufour. décédé le huit de mars, inhumé le dix dumême mois par l’ordre du curé alors bien malade, dans le Cimetière dela dite paroisse, muni de tous les Sacrements de l’Eglise, agé de Soixante seize ans.  Furent présents les Sous Signés et plusieurs de ses parents et amis qui ont déclaré ne savoir écrire...   François Leclerc, Louis Boudreault et Thos Boudreault, Prêtre[42] » 

L’abbé Boudreault, arrivé comme curé à l’Isle en octobre, gravement malade au décès de Dominique, dans son registre confirme lui aussi le métier principal de notre ancêtre et en précise la portée; pilote entre Le Bic et Québec.

Mais de quoi Dominique est-il décédé ? À soixante-quinze ans, on pourrait croire qu’il s’est éteint avec l’âge après une vie de durs labeurs ; rien n’est moins sûr.  Cette même journée du 10 avril 1812, le registre du curé nous révèle qu’il a aussi suppléé aux cérémonies de la sépulture d’un deuxième pilote sur le Saint-Laurent, Guillaume Gabriel Martin[43].  Coïncidence ? Peu probable.  Ce Français d’origine dénommé Martin n’est pas un insulaire, il pilote sur le Saint-Laurent et réside normalement à Québec là où demeure sa femme. 

Dans les annales historiques du Québec, on note que l’immigration irlandaise a débuté depuis 1798 et que des navires transportant cette population ont déclaré de nombreux cas de typhus à bord en 1810 et 1811.  C’est également en 1811 qu’on ouvrit à Québec l’hôpital Militaire, rue Saint-Louis pour accueillir les fébricitants. 

On se souviendra que les Britanniques avaient ouvert une station de pilotage à l’Isle aux Coudres où une dizaine de pilotes formés attendaient les navires qu’ils devaient guider.  Cette station de pilotage attirait des pilotes de métier en transit de Québec et du Bic qui résident temporairement chez les insulaires.  Dominique à son âge avancé ne pilotait sans doute plus.  Par contre, il est probable qu’il est accueilli sous son toit de ces pilotes en transit comme Guillaume Gabriel Martin.  Martin aura sans doute été piégé à l’île à la fin de l’automne par le fleuve gelé ou y serait resté en passant parce qu’il se serait senti malade ?  Ce dernier est décédé le 17 février[44] alors que Dominique a suivi le 8 mars.  Le premier avait-il contracté le typhus, également appelé « fièvre des bateaux », à bord de l’un de ces navires venus d’Irlande et l’avait-il transmis à notre ancêtre ?  

L'ancêtre aura piloté les navires du roi de France entre l’Isle-aux-Coudres et Québec sous le Régime français.  Après la conquête de 1759, il a piloté les navires de l’anglais qu’il avait combattu, mais ce qui est plus important, c’est que Sébastien Dominique aura eu vingt enfants qui, à leur tour, peupleront non seulement son Isle, mais également ailleurs, la terre qui deviendra longtemps après, le Québec.

Ici s’arrêtent les deux racines communes des Harvey du QuébecPierre et Sébastien Dominique étant décédés, leurs enfants multiplieront les branches de l’arbre de notre grande famille.  La suite de ce récit leur appartient.

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[1] Ibid., 8 juin 1799.  À cette époque, le mot « sauvage » n’avait pas la connotation péjorative qu’on lui connaît aujourd’hui ; il signifiait simplement quelqu’un qui vivait proche de la nature.

[2] PIOTROWSKI, Thaddeus M.  The Indian heritage of New Hampshire and northern New England. Jefferson, N.C., les éditions McFarland, 2002, 221 pages.

[3] GAGNON, Denis.  Pratiques signifiantes et relations de pouvoir au sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré de 1658 à 1878.  Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1998, pages 115-121.

[4] Ibid., 2 août 1799.

[5] Les registres de baptême de dix-huit de ses enfants ont pu être retrouvés.  Le Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres de l’Isle-aux-Coudres pour la période entre 1763 et 1766 a été largement endommagé par l’eau, seuls subsistent quelques enregistrements lisibles.  L’enregistrement du baptême de David Louis Dominique devrait se retrouver dans cette période.  Peut-être pourrait-on y trouver le nom de Pierre.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 5 août 1799.

[7] MAILLOUX, Alexis. Histoire de l'Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu'à nos jours. Avec ses traditions, ses légendes, ses coutumes. Montréal, La Compagnie de lithographie Burland-Desbarats, 1879, page 63.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 8 juillet 1800.

[9] Ibid., 25 novembre 1800 et 17 février 1801.

[10] Ibid., 19 décembre 1800.

[11] François Laventure dit Madran serait selon toute vraisemblance ce captif anglais, né le 30 mai 1711 que l’on retrouve aux Trois-Rivières à 13 ans en 1724. Dans TANGUAY, Cyprien. Dictionnaire généalogique des familles canadiennes depuis la fondation de la colonie jusqu'à nos jours. Québec, Éditions Eusèbe Senécal, 1871-1890, Volume I, page 10.

[12] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 30 mars 1801.

[13] Le curé inscrit Geneviève Gaultier au registre.

[14] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 2 août et 5 octobre 1801.

[15] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 6 octobre 1801. 

[16] Ibid., 28 janvier 1798; baptême d’Elizabeth Debien : « Geneviève hervez aussi de cette paroisse ».

[17] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 19 octobre 1801.

[18] Ibid., 18 novembre 1801.

[19] Une revue du registre des baptêmes, mariages et inhumations pour l’année 1796, montre que des cent quarante-quatre insulaires qui auraient pu signés les registres, moins d’une douzaine l’ont fait alors que les autres « ont déclaré ne savoir signer ».  La plupart des signataires étaient résidents de la côte de La Baleine.  Il faut se rappeler qu’en 1796, on comptait à l’Isle environ cinq cent soixante-dix individus répartis dans un peu plus de soixante-cinq familles.  

[20] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 20 février 1802.

[21] Ibid., 19 janvier 1803.

[22] Ibid., 2 mai 1803.

[23] ROY, Pierre-Georges.  Inventaire des procès-verbaux des Grands Voyers conservés aux Archives de la province de Québec (1667-1841). Beauceville, APQ, Éditions L'Éclaireur limitée, 1923-1932, 6 volumes, volume III : 103–147, 208–222 ; volume V : 179–312.

[24] En 1803, Dominique, notre ancêtre, avait déjà soixante-cinq petits-enfants connus selon le Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal.

[25] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 24 septembre 1803.

[26] Ibid., 7 novembre 1803.

[27] Ibid., 9 janvier 1804.

[28] Ibid., 9 janvier 1804.

[29] A.N.Q., GN. Minutier Bathélémy Faribault, 29 juin 1804.  Testament de Marie Magdeleine Dufour et de Dominique Harvé. 

[30] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 14 septembre 1806.

[31] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 3 août 1806.

[32] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 5 novembre 1806.

[33] Ibid., 27 avril 1807, baptême de Julienne Tremblay.

[34] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-l’Île-aux-Coudres, 7 mars 1863.

[35] Ibid., 26 octobre  et 15 novembre 1807.

[36] Ibid., 19 novembre 1808.

[37] BAnQ., The Quebec Almanac and British American Royal Kalendar for the leap year, 1808. Québec, Imprimeur John Neilson, 1793, page 146.  L’Almanac de Québec commença la publication des noms des pilotes du St. Laurent à compter de 1788.  Dominique y est mentionnée à toutes les parutions jusqu’en 1808.   

[38]  BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 22 mai 1809.

[39]  Joseph-Louis Tremblay est le fils de Joseph-Honoré Tremblay (1754-post.1810) à Louis Tremblay (1729-1785) chez François Xavier Tremblay (1695-1755), le frère de Rosalie Tremblay, la mère de Dominique.

[40] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-l’Île-aux-Coudres, 25 février 1854.

[41] Ibid., 21 mars 1811.

[42] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 10 avril 1812.

[43] MARTIN, Guillaume-Gabriel, né en 1761 (sa déclaration) originaire de la paroisse de la Trinité, ville de Falaise dans la région du Calvados, de l'union de Gabriel Martin et d'Anne Lainé.  Navigateur, il quitte la France pour les îles Saint-Pierre-et-Miquelon en 1784.  Il réside à cet endroit jusqu'en 1793.  Guillaume-Gabriel Martin quitte l'île à la suite de la prise de cette dernière par les anglais.  Il se réfugie à Shelburne près d'Halifax où il fait serment de neutralité.  Guillaume-Gabriel Martin quitte Halifax et arrive à Québec le 20 juillet 1794.  Le 29 juillet suivant, il signe une déclaration d'étranger.  Il semble que Guillaume-Gabriel Martin ait poursuivi ses voyages de navigation, puisqu'il n'est pas présent aux recensements de 1795 et de 1808.  Il épouse à Québec, le 6 juillet 1802, Françoise Lemay, veuve de Jean Robert.  Dans : FOURNIER, Marcel. Les Français au Québec, 1765-1865: un mouvement migratoire méconnu. Québec, Les éditions du Septentrion, 1995, page 228.

[44] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 10 avril 1812.