08. Le potier d’étain

À l’arrivée de Sébastien en Nouvelle-France le métier de potier d’étain ne pouvait le faire vivre en raison du peu de clients pouvant s’offrir son travail.  C’était maintenant légèrement différent depuis son retour à Québec.  En effet, la population de la ville dépassait les dix mille depuis 1688[1].  Qui ne voulait pas son gros gobelet d’étain, que chacun portait à tout vent, accroché à sa ceinture? Les bourgeois, les communautés religieuses, les riches marchands de fourrures et les nobles étaient maintenant nombreux et cherchaient probablement les produits que Sébastien fabriquait.  Si la populace mangeait avec ses mains et un simple couteau à cette époque, bourgeois et gentilshommes voulaient sûrement s’offrir des cuillères, de la vaisselle «façon d’argent», des assiettes, plats, aiguières, vinaigriers et salières de la boutique de Sébastien.  Bien sûr, ce n’était pas la manne, il se fit polyvalent, comme la plupart des artisans, en devenant commerçant pour compenser le manque de travail dans son métier.

Si depuis son arrivée en Nouvelle-France, on ne trouve pas trace de la pratique de son art, il en sera tout autrement dorénavant puisque la majeure partie des actes notariés enregistrés à Québec et nous étant parvenus comportent la mention de son métier de potier d’étain; aucun des nombreux actes rédigés dans la région de Montréal n’en avait fait mention.

Poterie d’étain

L’alliage utilisé pour la poterie d’étain est essentiellement composé des mêmes métaux que le bronze (cuivre et étain).  À l’époque de Sébastien et pour longtemps encore, l’étain est le matériau le plus souvent utilisé pour fabriquer la coutellerie (cuillères, fourchettes) et les petites pièces de vaissellerie pour servir, verser, manger et boire.  

Comme l’étain est un métal mou, la durée des objets d’usage quotidien que Sébastien fabrique n’est pas longue, environ cinq ans, ce qui fidélise la clientèle.  Sébastien fabrique ses propres moules qui servent à la refonte périodique, car il reprend sans aucun doute les objets usés comme matière première.  Lorsqu’elle n’est pas le résultat d’une refonte, l’étain que Sébastien utilisera pendant toute sa vie à Québec provient de France.  Il est possible qu’il ait profité de ses voyages au pays de ses ancêtres pour se procurer des feuilles d’étain, évitant ainsi les intermédiaires.  Des fouilles archéologiques à Québec, Montréal et Louisbourg, témoignent de l’usage d’objets d’étain comme des cuillères, des fragments d’écuelles, de bols et d’assiettes retrouvés sur les sites des premières habitations.  Par les nombreux contrats mentionnant Sébastien comme potier d’étain, on sait qu’il pratiquait le métier.  On sait que des familles de l’île d’Orléans établi au pays depuis près de quarante ans servaient la soupe dans des écuelles d’étain[1a].  Comme ces familles n’avaient pas les moyens de les faire venir de France, il y a de fortes chances que les écuelles provenaient de l’atelier de Sébastien.

Ils furent bien peu nombreux à pratiquer cet art en Nouvelle-France.  Il est probable que Sébastien fût le seul de son temps; Québec n’aurait su en faire vivre plus d’un.  Les archives de la Nouvelle-France d’ici et celles d’outre-mer du Fonds du secrétariat de la marine et aux colonies (France), n’en mentionnent aucun autre.  Les fouilles archéologiques ont permis de retrouver de nombreuses pièces d’étain, mais malheureusement aucune ne portait de marque du poinçon d’identification pouvant la rattacher à l’atelier de l’ancêtre.  En fait, sous le régime français, aucun potier d’étain n’a pu être formellement identifié grâce à son poinçon personnel gravé sur la vaisselle ou autre pièces.  Le premier qu’on a pu identifier grâce à une marque faite avec son poinçon, est l’Écossais David Smellie qui exploita un commerce de bijoux à Québec, de 1780 à 1827, et qui fabriquera aussi une petite quantité d’objets étain.

On sait aujourd’hui que la poterie d’étain n’est jamais devenue une industrie artisanale importante en Nouvelle-France et ni après la conquête.   Il faut noter que dès les années 1830, la vaisselle en étain fut remplacée par des articles en céramique et en acier, peu coûteux et importés d’Angleterre.

Un an et demi après la bataille de Québec de l’envahisseur anglais Phipps, le 21 mars 1692, Françoise Philippeau donne un premier garçon à Sébastien.  Il sera prénommé François en l’honneur de son parrain, François Poisset Dutreuil de la Conche (1664-1697).  Ce bourgeois de Québec est marchand dans le commerce des pelleteries et héritier du seigneur de Blanc-Sablon qui est marié à Marie Anne Milot (1674-1702), la fille du seigneur de Lachine.  Sa marraine, Marie Anne Hazeur (1663-1703), est l’épouse de Jean Sébille, un autre marchand de la Ville-basse, et la sœur de François Hazeur, «receveur des deniers du roi» un ami de la famille.  François sera le seul enfant de Sébastien baptisé du patronyme «Hervet».  Les autres, tout comme l’aînée, recevront le patronyme «Hervé» au baptême [1b].

Puis, le 30 mai 1692, Sébastien se présente «Par devant Louis Chambalon Notaire Royal en la ville et prévosté de Québec» et assiste en tant que témoin à la signature du contrat de mariage entre Jacques Chuinard (1663-1721), un charretier et Louise Jean (1678-1750).  Chambalon termine le contrat par le texte suivant : «… fait et passé Audit Québec En nostre estude avant midy le Trentième jour de may mil Six Cens quatre Vingt douze espresence des Sieurs Sébastien Hervé pothier destein et Charles Pinguet practicien demeurants en cette ditte Ville…» [2].  Charles Pinguet de Saint-Jean (1673-post.1715) est le beau-frère du notaire marié à sa sœur Marie Anne Pinguet qui avait épousé Léonard Hazeur en premières noces et que Sébastien avait connu à Ville-Marie.  Il a été marin travaillant pour Charles Aubert à la baie du Nord.  Bien que le tabellion Chambalon inscrive le patronyme sous la forme courante d’Hervé, Sébastien comme à l’habitude signe Hervet.  Deux autres individus attestent du contrat. Il s’agit de Charles Denis de Vitré (1645-1703), propriétaire foncier, entrepreneur en pêcheries et membre du Conseil souverain[i] ainsi que «de Noble homme Maistre Charles Aubert Sieur de la Chenaye marchand bourgeois de ce pais», l’ancien seigneur de Sébastien

Peut-être peut-on expliquer un peu la proximité de Sébastien à Charles Aubert de La Chesnaye autrement que par le fait qu’il fut de toute évidence l’un des hommes de main de ce dernier à l’ouverture de la seigneurie en 1672, qu’il devint l’un de ses censitaires et qu’il a fait, et fait sans doute encore, des affaires avec lui dans le domaine de la fourrure.  La Chesnaye avait deux de ses filles qui étaient religieuses à l’Hôtel-Dieu de Québec, Marie Charlotte (1677-1721) et Marguerite Angélique (1683-1743).  Renée Hervet, la sœur de notre ancêtre avait également deux filles, aussi religieuses à l’Hôtel-Dieu de Québec, mère Sainte-Agnès, Angélique Thibierge (1677-1697) et mère Saint-Joachim, Marie Catherine Thibierge (1681-1757).  Toutes quatre religieuses d’âges similaires et de la même congrégation ne pouvaient qu’avoir aidé à tisser des liens entre les familles.  De plus, Mère Saint-Joachim, la fille de Renée Hervet deviendra rapidement la sœur dirigeante de l’Hôtel-Dieu.

À l’automne de cette même année 1692, Sébastien, qui faisait commerce dans un port, a du entendre raconter l’aventure épique de Madeleine Jarret de Verchères, s’y intéresser et la commenter, d’autant plus qu’il avait vécu de près les guerres iroquoises à «La Chesnaye» et Ville-Marie.  Il y porta sans doute encore plus d’attention en raison du fait que Marie Madeleine de Verchères était un peu de la famille de sa sœur Renée Hervet[3].  Il devait être impressionné par le récit de cette brave et débrouillarde jeune fille, âgée de quatorze ans, qui défendit l’établissement où elle vivait près de Ville-Marie.

Madeleine de Verchères, une parente de Renée Hervet

François Jaret de Verchères épousa Marie Perrot à Sainte-Famille de l’île d’Orléans le 17 septembre 1667.  Ils donnèrent naissance à Marie Madeleine de Verchères en 1678 à Contrecœur.  Anne Perrot qui, en 1676, avait épousé Gabriel Thibierge fils aîné de Renée Hervet, était la sœur de Marie Perrot.  Marie Madeleine de Verchères était donc la nièce de Gabriel Thibierge.  C’est à ce dernier que, dans quelques années, Sébastien fera don d’une terre de l’île d’Orléans.

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[1] CHÉNIER, Rémi. Québec, ville coloniale française en Amérique. 1660 à 1690. Ottawa, Service des parcs, Environnement Canada, 1991, tableau 18, Population de la ville de Québec et de la colonie, 1608-1688.

[1a] GOBEIL, Sylvie. Le pays du bout du fleuve : Un saut vers l’inconnu.  Saint-Bruno-de-Montarville, Les Éditions Coup d’œil, Tome 1, 2019, 200 pages.

[1b] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 21 mars 1692.

[2] CHOUINARD, Achille. Famille Chouinard : Histoire et généalogie. Québec, Imprimerie Franciscaine Missionnaires, 1921, pages 92, numérotées LXXXVI.  La note biographique concernant Louis Chambalon est tirée en partie de : VACHON, André. «Chambalon, Louis». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1969, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1991, 15 volumes, volume II (Décès de 1701-1740). 

[3] François Jaret de Verchères épousa Marie Perrot à Sainte-Famille de l’île d’Orléans le 17 septembre 1667.  Ils donnèrent naissance à Marie Madeleine de Verchères en 1678 à Contrecœur.  Anne Perrot qui avait épousé en 1676, Gabriel Thibierge fils aîné de Renée Hervet, était la sœur de Marie Perrot.  Marie Madeleine de Verchères était donc la nièce de Gabriel Thibierge.  C’est à ce dernier que dans quelques années, Sébastien fera don d’une terre à l’île d’Orléans.

 

[i] Liste des conseillers au Conseil souverain de la Nouvelle-France entre l’arrivée de Sébastien Hervet jusqu’à sa mort

Au nombre de cinq à la fondation du Conseil souverain en 1665, les conseillers passent à sept en 1674 et à douze en 1703.  En caractères gras sont les conseillers avec qui Sébastien avait une relation, sinon d’amitié, à tout le moins d’affaires.