08. Tristesse

Une période triste (1776-1780)

L’année 1776 avait fort mal commencé quand Dominique et Geneviève perdent un premier enfant un peu après le Nouvel An 1776, au beau milieu de l’hiver.  Marie Geneviève décède le 5 février à l’âge précoce de quatre ans et cinq mois.  Le couple ne se découragera pas et en 1781 naîtra une nouvelle fille que les parents nommeront encore Marie Geneviève

Le 17 avril 1776, devant Me Jean Néron (1736-1798) notaire pour la Petite-Rivière, Baie-Saint-Paul, Les Éboulements, l’Isle-aux-Coudres et la Malbaye depuis 1768, les frères-héritiers, Joseph (1753-1799) et Basile Villeneuve (1755-1825) vendent à Dominique une portion de terre de vingt-quatre pieds de front par la profondeur totale de cinquante arpents, pour le prix de cent vingt livres.  Cette partie de terre est bornée au sud par la terre de Gabriel Dufour et au nord par celle d’Augustin Lavoye[1].  Les Dufour seront des voisins des Hervé pour plusieurs générations.  De Gabriel (1717-1782), la terre passera à son fils, Augustin Dufour (1765-1834) puis, à son petit-fils, aussi prénommé Augustin (1796-1880) et ainsi de suite.  Petit à petit, notre ancêtre se bâtit une terre qui lui permettra d’établir ses fils, mais pour l’heure, cette troisième terre sera une terre à foin[2].  

Comme tous les résidents de l’Isle, Dominique et sa famille sont très dévots.  Ils ne passent donc jamais devant la croix du Cap sans y faire une prière.  Après tout, c’est Sébastien père et les quelques voisins du Cap-à-Labranche qui l’avaient érigé en 1749.  En 1776, Thomas Anburry, un officier de l’armée anglaise, se plaint avec exaspération dans une de ses lettres, des dévotions des habitants envers les croix de chemin :  « Ces croix… sont une cause de retard, ...car le conducteur d’une calèche... arrive près d’une de ses croix se met à genoux et récite une longue prière, quelques soit la rigueur de la saison... »[3]. 

Les années passent et les neveux et nièces se marient.  C’est l’occasion pour Dominique de fêter avec ses deux frères Zacharie Sébastien et Pierre ainsi que sa sœur Marguerite Rosalie, ses seuls parents toujours à l’Isle.  Ainsi en février 1777, Marie Des anges dite Marie Ange Gagnon (1753-1836), la fille de cette dernière épouse Joseph Marie Terrien (1751-1840) ce qui distrait le long hiver à l’Isle.  Pendant longtemps, les trois frères Hervé avaient été seuls à demeurer sur l’île puisque leurs sœurs étaient parties vivre sur la terre ferme, mais maintenant Marguerite Rosalie y est revenue après vingt ans d’absence.  

En 1778, les insulaires obtiennent la permission de tendre des pêches à anguilles au pied de la côte des prairies qui demeure avec les berges, les battures et les moulins, le seul domaine restant au seigneur, ces messieurs du Séminaire.  La redevance devant être payée au seigneur s’élève comme toujours à «six livres tournois» pour chaque centaine d’anguilles.  Le seigneur précise par contre qu’il leur est interdit d’y couper du bois.  Dominique qui se rend au Mouillage régulièrement pour s’embarquer sur les navires afin de les piloter jusqu’à Québec, profita peut-être de cette nouvelle permission pour y installer une pêche.  Le seigneur rappelle aussi aux insulaires qu’ils ne peuvent pas ramasser le bois rejeté sur la grève par la marée à cet endroit comme nulle part ailleurs autour de l’Isle sans obtenir sa permission[4]

Le 15 février 1779, la sœur de Dominique, Rose prend pour deuxième mari Michel Migneault dit Aubin à Saint-Roch-des-Aulnaies.  Son nouveau beau-frère est de la lignée des premiers Acadiens ayant abouti sur la rive sud du grand fleuve à la suite de l’attaque de Phipps à Port-Royal en 1690.  On se souviendra que Marie Rose avait perdu son premier époux des suites de la bataille des Plaines d’Abraham en 1759.  Le fleuve étant impraticable, il n’y assistera pas et l’apprendra au printemps.  

À l’été 1779, une invasion de grosses chenilles ravagent non seulement les récoltes, mais aussi détruisent complètement les pâturages, le foin des prairies et même les feuilles des arbres.  On en parle dans toute la colonie[5].  Les habitants de l’île devront se passer des produits de la terre durant cet hiver et se tourner vers le poisson comme source de nourriture. 

En janvier 1780, le jeune Jacques Bouchard (1752-1829) et sa femme Marie-Josèphe Ouellet (1754-1826) font confiance à Dominique comme parrain de leur nouveau-né, François Julien.  La sœur de Jacques épousera sous peu l’aîné de Dominique.

Dominique continue de cultiver sa terre, et comme les autres habitants, espère que la récolte sera meilleure en cet été 1780 et que la calamité ne les frappera pas à nouveau.  Déjà, François lui donne un bon coup de main quoiqu’à vingt ans, il est probablement sur la mer avec son père qui navigue et c’est probablement David Louis Dominique dix-sept ans qui dirige les opérations, aidé de Joseph Sébastien treize ans qui est à la tâche également.

Les activités des quelque soixante familles de l’île sont centrées principalement sur l’agriculture, la pêche et la navigation.  Les recensements de l’époque révèlent que Dominique pratique une agriculture traditionnelle fondée sur le blé, l’orge et l’avoine, auxquels s’ajoutent les légumes d’usage.  Cette agriculture est essentiellement axée sur les besoins familiaux; il élève en outre une variété de bestiaux destinés à la consommation de sa famille et à la vente.  La terre de Dominique comme toutes celles de la côte du Cap-à-Labranche bénéficient de l’influence du fleuve Saint-Laurent, influence grâce à laquelle les cultures ont trois semaines d’avance sur l’arrière-pays[6].

À « l’île aux Coudres, où l’on a toujours tendu depuis assez longtemps, à peu d’interruption près »[7], la pèche aux marsoins, continus.  Chaque année, Dominique se joint aux autres habitants de l’Isle qui ont « …coutume de tendre la pêche du huit au vingt-cinq d’avril, époque vers laquelle arrivent le capelan et l’éperlan qui viennent frayer le long de la grève », c’est alors que le marsoin s’approche de terre et se met à leur poursuite.  La pêche est profitable pour les résidents de l’Isle, chacun s’en retourne avec une flique[8] dans sa chaudière, ou accrochée au bout d’une petite branche.  De plus, comme un marsoin donne jusqu’à trois cents pots (une barrique et demie) d’huile servant à l’éclairage des lampes, à la cuisson de certains aliments et au graissage des cuirs, la revente est payante bien que l’effort soit énorme.   La peau du marsoin est très épaisse et d’une force extraordinaire; après avoir été corroyée et tannée, on en tire un cuir au poli superbe qui, à l’époque, est très prisé pour la confection de bottes.  La « pêche à marsoin » se pratique surtout sur la pointe sud-ouest de l’île, très près de chez Dominique, de fait, au bout de la terre familiale dont a hérité son frère Zacharie.

Dominique pilote toujours et à Québec au printemps 1780, il apprend sans aucun doute que le seigneur Nairne de Murray Bay, toujours à la solde de l’armée britannique, a accepté que l’on construise un camp de détention près de son manoir pour les prisonniers américains capturés pendant le conflit qui s’éternise depuis 1775[9].  Les prisonniers qui y ont été amenés entament eux-mêmes l’érection de leur corps de logis constitué de trois baraques.  Le moyen de détention choisi par les britanniques tient plus de l’éloignement de Murray Bay de toutes routes pouvant ramener les Américains chez eux que de tout autres moyens qui auraient pu les contraindre à y demeurer.  Néanmoins, après le dégel du fleuve, huit prisonniers aidés ou non, trouvent le moyen de s’évader bien avant la fin de la construction de leurs habitations en traversant dans des bateaux plats vers Kamouraska.  Alors que Nairne est parti à leurs recherches sur la Côte-du-Sud, quatre autres prisonniers prennent la poudre d’escampette.  Quelques jours plus tard, deux autres font de même.  La nouvelle de ces évasions se répand dans la région comme une traînée de poudre.  Cet épisode n’est pas sans inquiéter les censitaires qui voient le conflit se transporter chez eux.  C’est assurément le cas pour Germain Dufour (1754-1814), homme de confiance de Malcom Fraser, le seigneur de Mount Murray, le neveu du voisin de Dominique, le pilote Gabriel Dufour (1717-1781)[10].  Bien que le peu d’empressement de la milice locale à contenir les prisonniers sera par la suite mise en cause, les talents de geôlier de Nairne ne seront sans doute alors pas reconnus puisque Haldimand, une fois informé des événements, dépêche un contingent de mercenaires allemands des troupes du régiment d’Anhalt-Zerbst pour garder les prisonniers restants à Murray Bay.  Alors que l’un de ces mercenaires déserte à son tour, c’en est assez, l’idée de ce camp de prisonniers est abandonnée à la satisfaction de la population probablement[11]



Au lendemain de la Conquête, ce que l’on appellera plus tard « la revanche des berceaux »[12] allait débuter.  Les familles n’auraient plus quatre ou cinq enfants ; elles en auraient douze, quinze, vingt et même plus. 


Geneviève Savard qui décède, en couches, le 16 janvier 1781 à l’âge de quarante-cinq ans à la naissance de Marie Geneviève aura contribué à ce bel effort de guerre de « la revanche des berceaux »

À son départ, la situation de sa famille est comme suit : 

Ce ne sera donc pas dans la joie que l’on procédera au baptême de Marie Geneviève deux jours après sa naissance.  Dominique choisit comme parrain Jacques Bouchard fils, le petit-cousin qui l’avait choisi comme parrain lui-même l’an passé.  Marie Dorothée Paré, la seconde épouse de Charles Savard le frère de Geneviève, est la marraine[13].

Le lendemain, 19 janvier Dominique se présentait à nouveau à l’église de la paroisse.  Cette fois-ci, il s’agissait de procéder à la sépulture de Geneviève Savard[14].

La maisonnée de Dominique ne s’est pas encore relevée du décès de la mère que le jeune Joseph, qui n’a que sept ans, décède à son tour un mois plus tard le 8 février. Il ne sera inhumé que huit jours plus tard le 16 février[15].  La famille de Dominique prendra tristement toute une page du registre du curé en cette année 1781 avec trois inscriptions subséquentes.

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[1] A.N.Q., GN. Minutier Jean Néron, 17 avril 1776. Contrat de vente entre Joseph et Basile Villeneuve d’une part et Dominique Hervé d’autre part.

[2] A.N.Q., GN. Minutier de Jean Néron, 13 novembre 1781.

[3] GAUTHIER, Serge et al. Les croix de chemin dans Charlevoix: un héritage à conserver. Pointe-au-Pic, Conseil régional de pastorale de Charlevoix, 1990, 75 pages.

[4] A.S.Q., Seigneuries 46, no 8.

[5] MAILLOUX, Alexis. Histoire de l'Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu'à nos jours. Avec ses traditions, ses légendes, ses coutumes. Montréal, La Compagnie de lithographie Burland-Desbarats, 1879, pages 25-26.

[6] DESJARDINS, Louise. Op.cit., page 337.

[7] CASGRAIN, Henri Raymond. La Pêche aux marsoins dans le fleuve St. Laurent, précis historique, moeurs et capture du marsoin, préparation de ses dépouilles, huiles et cuirs. Montréal, Éditions de L'Opinion publique, 1873, 16 p.

[8] Grandes pièces de lard de marsoins auxquelles on donne le nom de flique, qui est une altération de l’anglais flake.

[9] B.A.C., G., Dans une missive du gouverneur Haldimand, datée du 26 janvier 1780, ce dernier ordonne à Nairne, alors major des Royal Highland Emigrants, de construire dans sa seigneurie un corps de logis afin d’y détenir des Américains faits prisonniers et des rebelles canadiens ayant pris les armes contre la couronne.  Dans ce même document, Haldimand ajoute qu’un certain nombre d’hommes seront envoyés pour participer au travail et qu’il devra aussi employer autant d’habitants qu’il pourrait le croire nécessaire pour exécuter les travaux.

[10] PELLETIER, Louis, La seigneurie de Mount Murray : Autour de La Malbaie 1761-1860. Sillery, Septentrion, 2008, page 85.

[11] LEMOINE, J.M.  «Causerie historique», Revue canadienne.  Tome huitième (1871), page 662 et Lemoine, J.M. The sword of Brigadier-general Richard Montgomery (1870), pages 34-35.  Extrait du journal de James Thompson, ancien sergent des Fraser Highlanders, et plus tard employé au bureau du génie de Québec envoyé à Murray Bay pour construire le corps de logis des prisonniers.  Le texte de son journal est accessible à BAnQ et fût publié en 1870 dans : Lemoine, J.M. The sword of Brigadier-general Richard Montgomery (1870), pages 34-35.  On retrouve des variantes de cette histoire citées dans : DES GAGNIERS, Jean. Charlevoix, pays enchanté; dans : DUBÉ, Philippe. Deux cents ans de villégiature dans Charlevoix ou l’histoire du pays visité; dans : Pelletier, Louis. La seigneurie de Mount Murray; dans : BOILY, Raymond. Le guide du voyageur à Baie-Saint-Paul au XVIIIe siècle.  En 2002, l’historien Serge Gauthier dans La Malbaie et Murray Bay (1608-1900), avance même que les prisonniers ainsi évadés n’auraient jamais été repris.

[12] WILKIPÉDIA. Revanche des berceaux. [En ligne]. http://fr.wikipedia.org/wiki/Revanche_des_berceaux [page consultée le 13/12/2013].

[13] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 18 janvier 1781.

[14] Ibid., 19 janvier 1781.

[15] Ibid., 16 février 1781.