9. Marie Louise Harvey

6.6.9.2.9 Marie Louise Harvey (1841-1934), 6e génération

Marie Louise sera la première à partir tenter sa chance dans l’Ouest canadien au tout début du siècle dernier.  Elle fera un très long et sinueux trajet avant d’atteindre les Prairies.

Marie Louise est issue d’une famille ayant migré à différents endroits sur le territoire.  Elle et son mari, lorsqu’ils vivront en Ontario, se laisseront tenter par une campagne organisée conjointement par les gouvernements du Canada et de l’Ontario.  On visait à déverser le trop-plein de population de cette province dans les vastes Prairies canadiennes récemment acquises de la Hudson Bay Company.  Ils n’étaient pas les premiers de la famille à s’expatrier, car Maxime Hervai (1830-1906), un frère de Louise, était parti travailler à Lowell dans l’État du Massachusetts vers 1880.

Marie Louise a comme généalogie patrilinéaire les journaliers Pierre Hervez (1799-1867), Dominique Isaïe Hervé (1775-1851), le pilote du Saint-Laurent Dominique Hervé (1736-1812), le colonisateur de l’Isle aux Coudres Sébastien Hervé (1695-1759) et le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).

C’est en fouillant au-delà des recensements et de la recherche du patronyme que l’on découvre l’arrivée de Marie Louise Harvey (1841-1934) en Alberta au tout début des années 1900, alors qu’il ne s’agissait pas encore d’une province, mais d’un vaste espace appartenant toujours aux Territoires du Nord-Ouest.  L’acquisition de la Terre de Rupert, jusque-là propriété de la Hudson Bay Company représentait, pour les gouvernements d’Ottawa et de l’Ontario, l’un des principaux moyens de réduire l’exode des Canadiens de naissance vers les États-Unis. C’est dans le cadre de l’ouverture de cette nouvelle frontière agricole, mise à la disposition de la population excédentaire de l’Ontario, que Marie Louise Harvey prendra la direction de l’Ouest[1].

Dominique Isaïe Hervé, le grand-père de Louise, fut cultivateur comme tous l’étaient un peu, mais il fut principalement journalier à la solde des autres.  Sans revenus suffisants pour établir tous ses enfants, il les verra partir un à un en des lieux éloignés.  De tous les descendants du migrant Sébastien Hervet (1642-1714), Dominique Isaïe, cadet d’un premier lit, est celui qui a le plus contribué à la dispersion des Harvey partout au Québec, dans l’Ouest canadien et aux États-Unis.  Louise dont il sera question ici fut l’une des descendantes du grand-père qui s’exilera.

L’histoire de Marie Louise Harvey débute le 14 septembre 1841 alors qu’elle voit le jour à Sainte-Agnès dans la seigneurie de Murray Bay.  Fille du journalier Pierre Hervez (1799-1867) et de Marie Tremblay (1801-1891), elle est baptisée le lendemain de sa naissance dans l’église Saint-Étienne de la Malbaie, là où un prêtre est disponible[2].  Sa mère a déjà donné naissance à huit enfants, mais seulement quatre sont encore vivants.  Après elle, un seul autre enfant naîtra.

Si son père est demeuré toute sa vie dans Charlevoix, il en est tout autrement de ses oncles et tantes.  L’un d’eux était déjà aux États-Unis en 1843, quatre de ses tantes sont sur la Côte-Nord et un autre de ses oncles, qui deviendra sous peu son beau-frère, est aux fins fonds du lac Saint-Jean.  Avant que Marie Louise ne quitte son hameau des hauteurs charlevoisiennes, sa fratrie a déjà également éclaté : sa sœur Joséphine (1824-1912), l’aînée, est à Saint-Thècle en Mauricie, Louis (1828-1917), le plus vieux de ses frères est à la baie des Mille Vaches sur la Côte-Nord avec les tantes et Maxime (1830-1906), son autre frère, rendu à Beauharnois, est sur le point de partir vivre en Nouvelle-Angleterre.  

Le 10 septembre 1873, Marie Louise a déjà trente-deux ans lorsqu’elle épouse un veuf natif des Éboulements, Abel Girard (1832-1919) qui en a quarante et un[3]. Abel demeure à la baie des Mille Vaches tout comme Louis, l’un des deux frères de Marie LouiseAbel est un petit-cousin par alliance de feu Suzanne Hervey (1808-1858), une tante de la baie de Milles Vaches.   La première épouse d’Abel est décédée trois ans plus tôt en mettant au monde son neuvième enfant[4].  Elle laissait sept orphelins; le plus jeune ayant maintenant trois ans et la plus vieille, sur le point de se marier, à dix-neuf ans.  En se mariant, Marie Louise hérite donc d’une famille déjà toute faite[5]

Peu de temps après la cérémonie de mariage, le veuf repart avec sa nouvelle épouse pour la Baie de Mille-Vaches où il vit d’agriculture et de l’exploitation du bois.  Même si on avait ouvert la route entre Les Escoumins et Saint-Paul-de-Mille-Vaches deux ans plus tôt, il est probable que le couple a plutôt pris une goélette de Saint-Irénée pour se rendre sur la Côte-Nord, car le trajet par les difficiles sentiers de l’époque aurait été qualifié de pèlerinage plutôt que de voyage de noces.

Le développement de l’endroit où Marie Louise aboutit ne date que d’une vingtaine d’années, car c’est en 1853 qu’un groupe de colons étaient venus défricher le lieu; ils venaient des régions de Charlevoix, Kamouraska, Sainte-Françoise, Saint-Onésime et Saint-Simon.  Cinq ans plus tard, la compagnie Têtu des Escoumins qui avait recruté les colons-bûcherons, mettait en opération un moulin à scie au Sault-au-Mouton.  Abel, qui était arrivé avec sa première femme et ses enfants vers 1865, avait immédiatement commencé à travailler pour cette entreprise de foresterie.

Marie Louise accouchera de six enfants à la Baie des Milles Vaches, le dernier en 1883.  Ils seront tous baptisés dans la chapelle Saint-Paul-du-Nord[6].  Depuis leur mariage, cinq des enfants de la première union d’Abel se sont mariés et ont quitté la maison.  Lors de la naissance du dernier de Marie Louise, seuls deux enfants du premier lit sont encore à la maison. 

Dans le hameau de Mille-Vaches sur la Haute-Côte-Nord, le moulin du Sault-au-Mouton a des ratés et, progressivement, l’ouvrage vient à manquer.  Pendant ce temps, dans le nord de l’Ontario, on recrute des bûcherons, mais aussi des mineurs, car on a découvert du Nickel.  Abel et Marie Louise, comme plusieurs autres de leur région, décident d’y tenter leur chance.  Ils sont probablement partis dès 1887, car Abel ne semble pas assisté aux obsèques de son fils Elzéar (1855-1887), obsèques qui ont lieu en janvier dans la chapelle du village de la baie des Milles Vaches[7].

La famille est assurément dans la municipalité de Mc Kim du district de Nipissing en Ontario dès 1889.  À leur arrivée ils achètent une petite maison de la rue Larch à McKim[8].  De toute évidence, les enfants du premier lit d’Abel, en majorité mariés et tous âgés de plus de dix-neuf ans, sont restés au Québec. 

Le tiers des travailleurs ayant répondu aux appels de recrutement sont des Canadiens français.  Comme partout ailleurs où ils s’établissement, les travailleurs arrivent par grappes provenant des mêmes localités.  Marie Louise est donc entourée de connaissances, ayant comme voisins des gens de la baie des Mille Vaches.  À leur arrivée dans la région de Sudbury, il y a déjà plus de deux cent dix familles francophones dans le secteur.   Le bassin de Sudbury n’étant pas situé sur une voie navigable d’importance, c’est la construction du chemin de fer transcanadien qui avait permis son développement et c’est par ce moyen que Marie Louise et sa famille se sont amenées dans la région.  Abel et Mars, le fils aîné de treize ans déjà en âge de travailler, n’ont pas de difficulté à trouver de l’embauche, lui comme journalier et son fils comme mineur; il en est de même pour les plus vieilles des filles.  Les entrées d’argent ne manquent donc pas, contrairement aux maigres revenus sur la Haute-Côte-Nord.



Comme Abel et Marie Louise sont d’abord agriculteurs, ils projettent sans doute d’acheter une terre.  En attendant, ce sont la foresterie et les autres menus travaux qui leur fournissent le pécule nécessaire à leur projet.  Quelques années plus tard, ils achèteront une terre.

Les mariages se succéderont, avec comme conséquence une baisse significative des revenus familiaux.  Trois des filles se marient en moins de trois mois en 1895 : Claudia (21 ans), Mathilda (18 ans) et Sévérine (18 ans)[9]Marie Louise et d’Abel sont maintenant âgé respectivement de cinquante-quatre et soixante-trois ans.  On peut présumer que leur intention d’acquérir une terre et de repartir vivre en milieu rural, à soixante kilomètres vers le sud-ouest, a influencé la précipitation des filles vers le mariage. 

En 1895, Marie Louise et Abel quittent donc la région de Sudbury pour le township de Lorne où ils acquièrent une terre et redeviennent fermiers, tout près du hameau de Nairn Centre.  La cadette Antonia (16 ans), devait, elle aussi, craindre l’aventure des parents puisqu’elle se marie l’année suivante à un homme de trente-huit ans[10] .  Trois ans plus tard, l’aîné Mars, toujours mineur, se marie également[11].  dans son cas cependant, il restera sous le toit familial avec sa nouvelle épouse.  Le cadet Clovis est encore à la maison et la famille tire un léger revenu d’Ernest Desgagnés, un chambreur natif de Sainte-Luce-sur-mer au Québec[12] .

Ils ne resteront pas dix ans dans le canton de Lorne.  En 1902, après le décès du cadet Clovis (19 ans), réalisant que l’agriculture n’est pas ce qu’ils espéraient dans le Nord ontarien, ils réussissent à convaincre leur fils aîné d’abandonner son travail à la mine pour l’agriculture, en lui faisant miroiter un audacieux projet pour lui et sa famille.  Ils se tournent alors vers l’Ouest canadien, plus précisément la région d’Alberta, reconnue comme une partie des Territoires du Nord-Ouest depuis 1875. 


L’Alberta que l’on connaît aujourd’hui n’est pas encore une province quand, en 1904, Marie Louise Harvey y met les pieds avec sa famille.  Il est peut-être difficile de concevoir qu’à soixante-douze ans et soixante-trois ans Abel et Marie Louise envisagent encore de cultiver la terre, mais de toute évidence, c’est ce qu’ils font lorsqu’en janvier 1905, suite à une demande officielle pour l’obtention du lot qu’ils occupent déjà au moins depuis l’année précédente, dans le hameau de Brosseau, à environ cent cinquante kilomètres au nord-ouest d’Edmonton qui est également sur la rivière Saskatchewan Nord[13].

Marie Louise et Abel quitte l’Ontario pour Brosseau avec leur aîné Mars, sa femme et leur unique enfant.  Leur fille aînée Claudia, son mari et leurs six enfants sont aussi du voyage; Claudia qui est enceinte accouchera de l’enfant peu de temps après leur arrivée en 1904.  Sévérine, son mari et leurs quatre enfants embarquent également dans l’aventure.  Si Mars continuait d’habiter avec sa famille chez Marie Louise, les filles de cette dernière et leurs maris obtiennent aussi des lots à Brosseau. On soupçonne qu’encore une fois certains des nouveaux colons, comme Jules Grenon, Jean Bergeron, Fernand Ouellette, Philippe Paradis, Pierre Brault et Martin Lavallée proviennent des mêmes patelins du Québec que ceux qui se sont retrouvés dans le nord de l’Ontario[14].  Même si l’aîné est maintenant âgé de vingt-neuf ans, c’est encore le père qui assume le rôle de chef de famille.  La concession obtenue est d’ailleurs à son nom.

Le hameau de Brosseau, sur la rive nord de la rivière Saskatchewan Nord, vient tout juste d’être fondé par Edmond Hector Brosseau, un québécois né près de Montréal qui était devenu Franco-américain.  Il avait épousé Mademoiselle Hirondelle, la fille d’un traiteur de fourrures métis de Saint-Albert, une communauté près d’Edmonton.  Il possédait un hôtel et un magasin, aux abords du pont qui venait tout juste d’être construit pour enjamber la rivière Saskatchewan Nord afin de relier Brosseau au hameau franco-albertain de Duvernay situé sur l’autre rive.  Marie Louise et Abel ainsi que leurs deux aînés sont parmi les premiers colons à s’y installer. 

Non satisfaits de leur situation dans le nord de l’Ontario, Marie Louise Harvey et Abel Girard s’étaient laissé tenter par le discours d’un missionnaire colonisateur, en visite de recrutement de colons.   Leur aîné et deux de leurs filles avaient été séduits par les images qu’ils leur étaient présentés de l’Ouest canadien, ses vastes terres ne demandant qu’à être colonisées.  À son âge, bien qu’habitué aux changements que lui avait imposés son mari, Marie Louise avait sûrement du mal à s’adapter aux rudes conditions météorologiques si différentes de ce qu’elle connaissait.  Même avec l’aide du plus vieux, les tâches liées au défrichage et à la construction de la ferme furent certainement très ardues.  Malgré ce bouleversement ils devaient repartir à zéro.  Elle et son vieux se sentaient isolés au milieu de l’immensité des Prairies.  Néanmoins, ce sera leur dernier arrêt sur ce long chemin qui les avait conduits à près de quatre mille kilomètres de la baie des Milles Vaches.  Rien ne laisse supposer que Marie Louise ait revu ses deux filles laissées derrière elle, si loin dans le nord de l’Ontario.  

Marie Louise sait qu’elle ne peut pas s’attendre à retrouver tout ce qu’elle a laissé derrière elle.  Il faut qu’elle s’adapte encore une fois au nouveau pays, ce qui implique d’apprendre une nouvelle langue, car même si plusieurs des nouveaux colons sont du pays, beaucoup sont anglophones; étant dans la soixantaine ce fut probablement un apprentissage difficile pour elle et son mari.

Au tournant de la décennie, les quatre familles montent toujours la garde à Brosseau[15], mais plus pour longtemps, car Claudia et sa famille partent vivre dans le sud du Manitoba aux frontières de l’État américain du Minnesota.  À la même époque, leur fille Sévérine, son mari et leurs huit enfants partent également.  Ils vont s’établir à Battle River, un hameau situé à quelque deux cents kilomètres plus au sud en Alberta.

Marie Louise perd son partenaire d’aventure lorsqu’Abel Girard décède le 9 octobre 1919, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. 

Mars, l’aîné, ne poursuivra l’œuvre de son père que pour quelques années.  En 1921, il avait officiellement pris les rênes de la ferme familiale et Marie Louise Harvey habitait toujours sa maison avec la famille de son fils[16].

Cependant, le départ du père semble avoir scellé la tentative familiale de s’établir comme agriculteur en Alberta.  Avant les années trente, l’aîné et sa famille auront abandonné la ferme pour partir vivre à Edmonton où Mars travaillera pour les chemins de fer, tout comme deux de ses fils[17]

Pour sa part, Marie Louise Harvey décède à Brosseau le 31 octobre 1934, à l’âge de quatre-vingt-treize ans.  Elle est inhumée dans le même cimetière que son mari, avec une bonne douzaine de ses petits-enfants qui n’avaient pas survécu à la rude vie des premiers colons dans l’Ouest canadien.


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[1] LALONDE, A.-N. «L’intelligentsia du Québec et la migration des Canadiens français vers l’Ouest canadien, 1870-1930», Revue d’histoire de l’Amérique française, Numéro 33 (2), (1979), page 163.

[2] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 15 septembre 1841.

[3] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Irénée, 10 septembre 1873.

[4] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Paul du Nord, 18 décembre 1870.  Inhumation de Sophie Tremblay.

[5] B.A.C., G., Recensement de 1881, Mille Vache, microfilm C_13208-00202.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Paul du Nord, 31 mai 1874, 1er mars 1876, 25 novembre 1877 (jumelles), 24 mars 1880 et 21 janvier 1883.

[7] Ibid., 29 janvier 1887.

[8] Archives de la législature de l’Ontario, Liste des électeurs de 1889 pour la municipalité de Mc Kim, district de Nipissing, microfilm RDCAN1900B_109903__0001-00003.

[9] Registres de l’Église catholique de l’Ontario, registre de la paroisse Sainte-Anne-des-Pins (Sudbury), 28 août 1895, 21 novembre 1895, et 28 novembre 1895.

[10]  Registres de l’Église catholique de l’Ontario, registre de la paroisse Immaculée-Conception de Massey, 23 février 1896.

[11] Ibid., 10 janvier 1898.

[12] B.A.C., G., Recensement de 1901, Ontario, district de Nippissing, townsip de Lorne, microfilm z000084805.

[13] Alberta Homestead Records. University of Alberta, Edmonton, Alberta, Abel Girard, 11 janvier 1905.

[14] B.A.C., G., Recensement de l’Alberta de 1906, Brosseau, microfilm e001212681.

[15] B.A.C., G., Recensement fédéral de 1911, Alberta, Brosseau, microfilm e078_e001934152.

[16] B.A.C., G., Recensement de l’Alberta de 1916, Brosseau, microfilm 31228_4363978-00875.

[17] B.A.C., G., Recensement fédéral de 1921, Alberta, Brosseau, microfilm e002857641.

[18] B.A.C., G., Recensement fédéral de 1931, Alberta, City of Edmonton, microfilm e011751715.