6 Jean Baptiste Hervé

5.6.02.6 Jean Baptiste Hervé (1798-1862), 5e génération

Près de treize ans après leur mariage, le couple formé de François Hervé (1760-1843) et Félicité Perpétue Bouchard (1758-1843) aura son premier fils.  Jean Baptiste Hervé naît le 5 août 1798 à Saint-Roch-des-Aulnaies.  Il est baptisé le jour même.  Son parrain est Jean Baptiste Joseph David Gagnon (1751-1839) « cousin… de germain à l’enfant » ; il est le fils aîné de Marguerite Rosalie Hervé, tante du père de Jean demeurant à l’Isle.  Jean Baptiste Joseph David avait migré de l’Isle-aux-Coudres à Saint-Roch-des-Aulnaies à la même époque que les trois frères Hervé et André Couturier.  La marraine est Josephte Richard (1785-1867), fille de Pierre Lambert et de Marie Josephte Martin ; cette dernière, en 1791, fut la marraine de Marie Marguerite, la sœur de Jean[1].

Jean Baptiste travaille à la ferme familiale pendant toute son adolescence.  Le 3 novembre 1822, il se présente avec son père chez le notaire Rémi Piuze qui pratique à Saint-Roch-des-Aulnaies depuis 1808 pour établir son contrat de mariage[2], car il épousera Maxime Dubé le lendemain à Sainte-Anne-de-la-Pocatière[3]Marie Maxime est née à Sainte-Anne de la Grande Anse du Sud ; elle a vingt-trois ans et elle est la fille du laboureur Jean Dubé (1772-1851) et de Marie Theotiste Anctil dite Saint-Jean dont la ferme est dans le voisinage[4]Jean Baptiste portera le prénom écourté de Jean après son mariage. 

Jean et Maxime auront six enfants qui naîtront tous à Sainte-Anne-de-la-Pocatière : Ephrem, Julie[5], François Xavier, Marie, Marie Louise dite Élise et Marie.  Une bien petite famille pour l’époque, surtout que Julie décède à l’âge de deux ans et sa sœur Marie, celle née la première, décède alors qu’elle n’a pas encore neuf ans.  À la fin de l’été 1839, ils n’ont donc plus que quatre enfants à la maison qu’ils élèveront à Sainte-Anne de la Pocatière.  

Jean continuera d’être cultivateur sur la terre de son père, devenue sienne à son mariage, jusqu’en 1849[6].  Pendant cette période il procédera à plusieurs transactions qui auront comme résultante un morcellement substantiel de sa terre.  Il emprunte à plusieurs reprises en autres à son seigneur et à des hommes d’affaires influents comme Jean-Baptiste Dupuis (1814-1889)[7].  Il vend également beaucoup.  En 1837, une portion de sa terre est vendue à son beau-frère François Gagné dit Bellavance, marié à sa sœur Perpétue qui était toujours demeurée chez lui[8].  En 1840, une autre portion de terre sera achetée par le fils d’un voisin, Louis L’Étoile dit l’Italien (1791-1876)[9].  Finalement, en 1844, il vend de nouveau à son beau-frère François Gagné dit Bellavance, ce qui semble lui rester de sa terre[10].  Les arrangements de la vente lui permettent de demeurer dans la maison familiale pour le moment.

Ses parents étaient décédés l’été précédent et, sans que l’on ne sache pourquoi, on voit changer la destinée de Jean et de sa famille.  À l’époque, le trop-plein démographique des paroisses de la Grande Anse et des paroisses avoisinantes débordait plus à l’est dans la région du Bas-Saint-Laurent ; en 1831, cette migration avait déjà amené plus de dix mille personnes dans le bas du fleuve.  Mais Jean avait hérité d’une terre énorme et prospère alors pourquoi quitté Sainte-Anne-de-la-Pocatière ? Il est difficile d’en comprendre les motifs.  Peut-être ne pouvait-il pas réunir les fonds nécessaires au remboursement de la part du patrimoine familial qui revenait à ses cinq sœurs toujours vivantes[11].  Était-ce simplement que ses deux garçons avaient le goût d’une terre bien à eux et que, de les suivre, était la décision à prendre maintenant qu’il avait atteint cinquante ans ? On ne le saura sans doute jamais.  Ce faisant cependant, il part rejoindre sa sœur Marguerite qui a quitté Sainte-Anne-de-la-Pocatière pour s’établir à Sainte-Flavie dans le bas du fleuve avant 1841, ainsi que sa sœur Madeleine.  Il y retrouvera également plusieurs natifs de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et de Saint-Roch-des-Aulnaies ; ils sont nombreux à avoir répondu à l’appel des sœurs Drapeau, co-seigneuresses de l’endroit, qui offrent des terres à défricher.   

Jean prend donc le chemin que sa sœur Marguerite avait pris une douzaine d’années plus tôt.  Lui et Maxime partent avec leurs quatre enfants célibataires accompagnés de leur aîné Ephrem (1824-1902) marié depuis trois ans. 

Le 5 octobre 1849, il procède donc à l’achat de deux terres de Daniel Ross (1813-1881), un cultivateur qui passe plus de temps sur l’eau qu’à labourer puisqu’il est pilote sur le fleuve[12].  Daniel est le petit-fils de William Ross (1732-1808), un officier écossais du 78e Fraser Highlanders de la compagnie de John Nairne ayant combattu pour Wolfe lors de la guerre de la conquête[13].  Ross avait d’ailleurs eu mal à partir avec Nairne le 29 juillet 1759 et les deux Highlanders en étaient venus à un duel qui se termina à l’avantage de Nairne ; on comprendra que Ross ne fut pas le bienvenu dans la seigneurie de Nairne après la conquête, il se réfugia sur la Côte-du-Sud[14].  William Ross habitait également Sainte-Anne-de-la-Pocatière et fut aussi pilote à l’époque où le père de Jean exerçait ce même métier.

L’une des terres est située dans le deuxième rang des concessions de Sainte-Flavie et fait deux arpents de front et trente de profondeur ; une maison et des dépendances sont aussi parties de la transaction.  La seconde terre est de seize perches de front et trente arpents de profondeur ; elle est située dans le troisième rang des concessions et comprend également une maison et des dépendances[15].  D’ailleurs, Desanges l’Italien, la femme d’Ephrem, accouchera sous ce nouveau toit du premier Harvey à naître dans cette région ; bien que la famille soit « de la paroisse de Ste Flavie », Marie Rosalie sera baptisée à Sainte-Luce au début de 1850, car la construction de l’église paroissiale de Sainte-Flavie ne se fera qu’à l’été 1850[16].  La paroisse fut mise sous le patronage de sainte Flavie en l’honneur de la co-seigneuresse Flavie Drapeau. 

Il est à propos de mentionner ici une anecdote particulièrement amusante.  Alors que son fils Ephrem, tout comme ses sœurs se déclareront d’origine anglaise dans quelques années[17], ce que Jean et sa famille ignorent c’est qu’ils s’établissent sur les terres ayant appartenu à un parent d’origine française tout comme eux et même un peu de la famille.  En effet, comme on l’a vu lors du récit de la vie du migrant Sébastien Hervet (1642-1714), le neveu de ce dernier, fils de sa sœur Renée Hervet (1636-1702), fut le seigneur des lieux du temps de la Nouvelle-France.  En 1696, Gabriel Thibierge (1654-1726) avait obtenu du vice-roi de la Nouvelle-France le territoire de la « Seigneurie Lepage-et-Thibierge » qui s’étendait alors de la seigneurie Lessard jusqu’au fief Pachot.  Aujourd’hui, on y retrouve les municipalités de Saint-Octave-de-Métis, de Saint-Joseph-de-Lepage, de Mont-Joli, de Price et de Saint-Jean-Baptiste.  Le territoire couvrait aussi une partie de Saint-Donat et de Sainte-Angèle[18].  Il faut se rappeler que Jean et ses sœurs n’ont probablement pas connu leur grand-père mort à l’Isle-aux-Coudres en 1812 et il est fort probable que le vieux loup de mer qu’était leur père ait peu parlé de ses origines.

Quoique furent les intentions de Jean en s’amenant à Sainte-Flavie, ce n’était sûrement pas de continuer à labourer sa terre, car dès 1851 il procède à une donation à la faveur de ses deux fils ; probablement qu’au fil de ses ventes à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, il n’était plus capable de les établir comme il le faisait aujourd’hui par cette donation qui assurait un partage égal entre les deux fils et compensations pour leurs deux sœurs[19].

Deux semaines plus tard, Jean nous confirme qu’il a toujours des affaires en cours à Sainte-Anne-de-la-Pocatière puisqu’il signe devant notaire une procuration à l’intention d’un de ses créanciers, François Miville, pour que ce dernier voie à leurs intérêts communs[20].

Le 7 janvier 1852, une certaine Mérance Harvey, née à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, prend mari.  Jean agit alors comme père de la mariée.  Le curé inscrit qu’elle est une fille naturelle.  Il est difficile aujourd’hui d’établir ce que cachait ce secret, mais comme on l’a vue, c’est chez Mérance que Madeleine, la sœur célibataire de Jean, passera les trente prochaines années de sa vie tout comme, Mérance avait passé au moins les dix dernières années avec Madeleine[21].

Toujours en janvier 1852, la famille Harvay est bien établie à Sainte-Flavie selon l’énumérateur du régime colonial qui fait sa visite.   Jean continue ses activités à la ferme, aidé de ses fils Ephrem et Xavier.  Les deux familles, la sienne et celle de son aîné résident dans la maison de bois d’un étage construite sur la terre familiale.  Pour sa part, le cadet François Xavier prépare son installation sur la terre du deuxième rang dont il a hérité lors de la donation, car il épousera Caroline Gagné le 19 octobre[22].  Comme on sait que la famille est ancrée au troisième rang des concessions de la paroisse, on apprend également que Jean n’est pas un voisin immédiat de ses sœurs Marguerite et Madeleine[23].  La famille demeurera à cet endroit une quinzaine d’années.     

L’année suivante, c’est au tour de Marie Louise, la fille légitime de Jean et Maxime, de prendre époux et de quitter la maison.  Comme à l’époque, on faisait usage de façon bien cavalière de ses deux, trois ou quatre prénoms donnés au baptême, Marie Louise avait transformé les siens en Élise lorsqu’elle épousa le fils d’un voisin, Jérôme Belzile dit Gagnon, le 7 février 1853 à Sainte-Flavie[24]Le couple ne vivra qu’une vingtaine d’années dans la région après quoi, vers 1875, il partira comme tant d’autres vivre l’aventure américaine à Fall River au Massachusetts, d’où Élise et sa famille ne reviendront jamais.  Elle y décédera d’ailleurs le 18 août 1907[25].

Chez Jean et Maxime, outre Ephrem et sa famille, il ne reste plus que leurs enfants François Xavier et Marie dite Claudia, car elle aussi avait eu la coquetterie de changer de prénom.  Alors qu’elle n’a que quatorze ans, Claudia meurt à son tour en 1859 alors que François Xavier suit le même chemin du cimetière l’année suivante[26] ; il avait trente-deux ans et sa femme était enceinte d’un cinquième enfant qui naîtra deux mois après sa mort[27]

Des six enfants de Jean et Maxime, ils n’en restaient plus que deux encore vivants et seulement un pouvant assurer leur descendance au Québec[28].   Ephrem sera à la hauteur avec ses sept fils et sa fille qui auront tous de nombreux enfants.

En 1861, Jean avait déjà passé la main à son fils Ephrem depuis dix ans.  Lui et son épouse Maxime vivent toujours sur cette terre familiale[29].  Jean décède le 13 décembre de l’année suivante[30] alors que Maxime filera jusqu’à son quatre-vingtième anniversaire et s’éteindra le 1er avril 1879[31]

Jean Baptiste Hervé, ses enfants, données généalogiques - 6e génération 

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 5 août 1798. 

[2] A.N.Q., GN. Minutier Rémi Piuze, 3 novembre 1822. 

[3] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 4 novembre 1822. 

[4] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 12 mars 1799. 

[5] Bien que son décès et sa sépulture soient inscrits au registre de la paroisse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière les 29 et 31 octobre 1828, son baptême ne se retrouve pas au registre de cette paroisse ni à ceux des paroisses avoisinantes de Saint-Roch-des-Aulnaies et de Rivière-Ouelle.  Lors de la sépulture, le curé inscrit qu’elle est âgée de deux ans. 

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 8 octobre 1848.  Baptême d’Augustin Harvez.

[7] A.N.Q., GN. Minutier Rémi Piuze, 15 avril 1833, 9 février 1839 et 3 mars 1841.  Minutier Louis Édouard Morin, 29 décembre 1842.  Minutier Luc François Moreau, 7 novembre 1848. 

[8] A.N.Q., GN. Minutier Rémi Piuze, 1er mai 1837. 

[9] Ibid., 5 mars 1840. 

[10] A.N.Q., GN. Minutier Louis Édouard Morin, 18 avril 1844. 

[11] Bien que la terre de son père soit parmi les plus belles de la région, Jean, pour des motifs qui nous sont inconnus, a contracté plusieurs emprunts et a cédé déjà une bonne partie de cette terre.  Il devait savoir depuis un certain temps qu’il ne serait pas en mesure de racheter les parts de ses sœurs pour y établir sa progéniture.  Les terres qu’il acquiert à Sainte-Flavie sont plus petites et de moindre valeur puisque le secteur est encore peu développé en comparaison aux terres de la Grande Anse. 

[12] COLLECTIF. « Le pilotage en aval de Québec », La Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent.  Volume VIII, numéro 3, octobre-décembre 1982, page 77.

[13] LE MOINE, James MacPherson.  L’album du touriste — Archéologie, histoire et littérature.  Québec, Imprimerie Augustin Côté et cie, 1872, page 175. 

[14] MASSÉ, Jean-Claude. Malcom Fraser : De soldat écossais à seigneur canadien 1733-1815.  Québec, les éditions Septentrion, 2006, page 19. 

[15] A.N.Q., GN. Minutier Walston P. Dubord, 5 octobre 1849.  Anciennement, le territoire de la municipalité de Sainte-Flavie couvrait une superficie beaucoup plus grande qu’aujourd’hui, s’étendant de Sainte-Luce à Métis et jusqu’à six rangs de profondeur.  Le deuxième rang correspondait à la route de l’aéroport de Mont-Joli alors que le troisième correspond aujourd’hui à l’avenue du Sanatorium en plein cœur de la ville de Mont-Joli. 

[16] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Luce, 23 janvier 1850. 

[17] B.A.C., G., 1871, Recensement de la province de Québec, district de Rimouski-Est, sous district du Chemin Matapédia, page 8 et B.A.C., G., 1881, Recensement de la province de Québec, district 40, sous district de Saint-Moïse, page 2.  À Saint-Moïse, Ephrem Arvé est d’origine anglaise en 1871, mais d’origine irlandaise en 1881. Son fils François, aussi inscrit d’origine irlandaise en 1881, est ensuite déclaré d’origine anglaise au recensement de 1901, puis d’origine écossaise en 1911.  Il faut prendre ses inscriptions avec un grain de sel, car les énumérateurs sont d’origine anglaise (Smith en 1881 par exemple).  De plus, on note partout dans la province un accroissement artificiel du nombre de personnes déclarées d’origines anglaise, écossaise et irlandaise là où les énumérateurs ne sont pas francophones.  Ce fut le cas dans plusieurs villages de Charlevoix et du Saguenay.  

[18] MAGNAN, Hormisdas. Dictionnaire historique et géographique des paroisses, missions et municipalités de la Province de Québec. Arthabaska, Imprimerie d’Arthabaska inc., 1925, page 369. 

[19] A.N.Q., GN. Minutier Joseph Roy, 3 février 1851. 

[20] A.N.Q., GN. Minutier Ovide Martineau, 17 février 1851. 

[21] B.A.C., G., 1871, Recensement de la province de Québec, district de Rimouski-Est, sous district du Chemin Matapédia, page 8. 

[22] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Flavie, 19 octobre 1852. 

[23] B.A.C., G., Recensement du Bas-Canada 1851, district de Rimouski, sous-district de Sainte-Flavie, page 63.  L’énumération connue sous le nom du Recensement de 1851 n’a débuté officiellement que le 12 janvier 1852.  Page 27 pour Marguerite et page 3 pour Madeleine. 

[24] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Flavie, 7 février 1853. 

[25] Massachusetts Vital Records, 1840–1911, Fall River, Bristol County, Massachusetts, 18 août 1907. 

[26] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Flavie, 10 septembre 1859 et 12 novembre 1860. 

[27] Ibid., 29 janvier 1861.  Baptême de Caroline Harvey fille de feu François Xavier Harvey.

[28] François Xavier eu un seul fils qui survivra au-delà de son enfance.  Par contre ce dernier, prénommé Joseph Alphonse, migrera à Nashua au New Hampshire vers 1880. 

[29] B.A.C., G., Recensement du Bas-Canada 1861, paroisse de Sainte-Flavie, comté de Rimouski, page 252-28. 

[30] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Flavie, 15 décembre 1862. 

[31] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Moïse, 3 avril 1879.