09. Sa vie sociale

La vie sociale de Sébastien et Françoise 


Le 16 janvier 1694, Sébastien et Françoise perdent leur premier fils, François qui n’a pas encore deux ans.  Il est inhumé le même jour au cimetière de la paroisse Notre-Dame de Québec en présence de Jean Gautier (1671 — ), Charles Saucier (1672-1723) et de François Dupré, second curé de la paroisse de 1687 à 1707[1]Sébastien et Françoise Philippeau, bien qu’ils sachent écrire, n’ont pas signé le registre; une pratique courante du curé Dupré lors des sépultures.  L’enfant a-t-il été emporté par la vague de typhus qui touche la colonie depuis 1687? Quoi qu’il en soit, à la même période, Françoise perd sa mère, Jeanne Esnard (1637-1694)[2].  Après ces moments de découragement que la vie apporta au couple, peu de temps après, Françoise et Sébastien défieront la fatalité puisque neuf mois plus tard…

Comme il était coutume à l’époque, par son mariage avec Françoise Philippeau, Sébastien était devenu héritier en partie des biens de feu Jeanne Esnard, la mère de Françoise.  C’est ainsi qu’avec les autres héritiers et Claude Philippeau (1638-1713), le père, il vend la maison et l’emplacement de cette dernière située dans la Basse-Ville à son beau-frère Thomas Barthélémy (1669-1722) et Anne Philippeau (1669-1703), sa femme, au prix de mille six cents livres, le 2 mars 1694.  L’histoire ne nous dit pas pourquoi Claude Philippeau décide de vendre la maison familiale sise «sur la rue comme l’on va de la Haute-Ville à la Basse-Ville de Québec»[3] ; on peut croire que cette grande maison où il a élevé ses sept enfants est maintenant trop grande pour le quinquagénaire qui vit maintenant seul et qui a probablement mieux à faire avec les mille six cents livres que lui coûterait le rachat de la part de feu dame Jeanne Esnard, maintenant dévolue à leurs enfants selon les règles successorales de la Coutume de Paris[4].  Une autre raison aurait pu inciter le beau-père de notre potier d’étain Sébastien à se départir à ce moment-ci de cette maison, il avait assurément un autre endroit où crécher.  Le nid chaud de la veuve qu’il courtise, Charlotte de la Combe, n’est qu’à quelques maisons de la sienne sur la rue du Sault-au-Matelot[5].  On se souviendra que Charlotte de la Combe avait été, vingt ans plus tôt, une créancière de feu Gabriel Hervet.  Après la mort de ce dernier, alors que Sébastien trafiquait les fourrures à «La Chesnaye», elle s’était adressée au Conseil souverain pour recouvrer son dû auprès de Renée Hervet, l’héritière connue du défunt.


Le 6 août 1694, Sébastien est de nouveau témoin d’un contrat de mariage passé « pardevant le sieur Chambalon, notaire royal en la ville et Prévôté de Québec, entre Charles Chartier (1666-1705) marchand et Louise Lemaistre (1669-1704)»[6].

Sébastien est en demande parmi les nobles et bourgeois de Québec puisque le lendemain il assiste encore une fois comme témoin d’un contrat de mariage passé entre un marchand de la basse-ville comme lui :

«Louis de Niort, sieur de LaNoraie, fils de Louis de Niort (1639-1708) et de Marie Magdeleine Lemaître (sic) Sevestre (1639-1706); et Marie Sophie Vanneck (1653-1707)[7], veuve en premières noces de feu Édouard Scott, vivant marchand bourgeois des Antilles habitant la Menade, en la Nouvelle-Angleterre, et veuve en secondes noces de feu Eustache Lambert dit Dumont (1658-1691), vivant marchand de Québec; en présence de monsieur François Provost (1638-1702), lieutenant du Roi au gouvernement de Québec, et Geneviève Macard, son épouse; Louis Rouer (1629-1700)[8], écuyer et seigneur de Villeray, premier conseiller au Conseil souverain de Québec, et Marie Anne Dusaussay (1649 — )[9], sa femme; Claude de Bermen (1636-1719), écuyer et seigneur de LaMartinière, aussi conseiller audit Conseil souverain; François Hazeur et Jean Sébille, son beau-frère, marchands et bourgeois de Québec; tous parents et amis des futurs époux; sont également présents comme témoins les sieurs Antoine Fauvel et Sébastien Hervet». [10]

On se rappellera que Jean Sébille est l’époux de Marie Anne Hazeur, la marraine du premier fils de Sébastien et Françoise alors que Geneviève Macard était en premières noces l’épouse de Charles Bazire, celui qui estimait suffisamment Sébastien pour lui laisser une portion d’île en héritage.   

Sébastien et Françoise connaissaient la nouvelle mariée Marie Sophie Vanneck.  Cette dernière habitait depuis 1688, et pour quelques années, la Place Royale à deux pas de chez elle.  Elle y tenait demeure avec Eustache Lambert dit Dumont, Sieur de Clermont, son deuxième époux.  Du temps, l’histoire de cette mère de cinq enfants est connue à la Basse-Ville puisque son époux, à l’été 1691, s’embarqua pour un voyage d’affaires sur le Saint-François-Xavier en partance pour la France.  Le navire n’atteignit jamais sa destination.  Cela prendra deux ans avant que Marie Sophie Vanneck puisse procéder à l’inventaire des biens qui la déclara veuve[11].  Entre-temps, cela ne l’empêchera pas de se mettre dans de beaux draps. 

En septembre 1692, Marie Sophie Vanneck participa à l’évasion de la prison de Québec de deux déserteurs de la marine française de même que d’un groupe de trafiquants hollandais.  Pour aider leur évasion, elle leur fournit des armes et favorisa leur fuite vers la Nouvelle-Angleterre.  Des soupçons de complicité pesèrent sur elle à cause de ses sympathies pour ses anciens compatriotes.  Les déserteurs français furent repris par Pierre Le Moyne d’Iberville (1661-1706) et accusèrent Marie Sophie Vanneck de complicité.  Le 30 janvier 1693, elle avoua son crime et fut emprisonnée à la conciergerie du Palais.  Moins d’une semaine plus tard, elle fut relâchée par ordre du Conseil souverain; son beau-frère, René Louis Chartier, Sieur de Lotbinière, lieutenant-général de la Prévôté de Québec intercédât en sa faveur.  Elle obtint un sursis, paya les frais de la cause et s’engagea à garder la paix pendant deux ans[12]

C’est à travers ces intrigues entre nobles et bourgeois que Sébastien et Françoise faisaient leur petit-bonheur.  On voit souvent Sébastien qui agit à titre de témoin dans différentes transactions notariées.  Il faut comprendre que l’appareil de l’état largement géré par des Français d’origine encourage l’utilisation de Français dans tous ses soubresauts.  Il se développe déjà à la fin du XVIIe siècle une vive compétition entre Canadiens et Français si bien que dans quelques années, l’intendant demandera aux autorités de France d’envoyer trois ou quatre cents colons pour renouveler «la race de Français, celle que les premiers y ont formée devenant fière et canadienne à mesure qu’elle s’éloigne de son principe»[13].    

Lors de la signature de nombreux actes notariés, Sébastien devait tirer quelques revenus du temps passé à témoigner dans le bureau du notaire Chambalon, mais peut-être voulait-il ainsi seulement conserver la faveur des plus grands.  Ce même 7 août 1694, il sert également de témoin à son ancien seigneur Charles Aubert de la Chesnaye avec qui il continue d’entretenir des relations d’affaires et sans doute aussi d’amitié.  Aubert cette journée-là concède à Robert Paradis (1672-1696) une terre dans sa seigneurie de Kamouraska qu’il commence à peine à exploiter.  Outre le seigneur et son nouveau concessionnaire, un natif de l’île d’Orléans, le contrat est scellé en «présence des Sieurs Sebastien Hervet et Antoine Fauvel marchands témoins».[14]

Le 12 septembre de la même année, Sébastien se rend à l’étude du notaire Guillaume Roger (1632-1702), en compagnie d’une vingtaine d’autres témoins, pour la signature du contrat de mariage qui unira Marie Thibierge (1675-1748), l’une de ses nombreuses nièces, à Pierre Gendron (1667-1747).  Bien que l’on retrouve de nombreuses épouses à l’événement, Françoise Philippeau n’accompagne pas SébastienAvait-on voulu la protéger d’une blessure, elle n’est pourtant enceinte que de cinq mois[15] ?

L'implication sociale de Françoise Philippeau

Comme il l’a fait depuis son retour à Québec, Sébastien sera présent lors de la signature des contrats de mariage de chacun de ses nombreux neveux et nièces.  On ne connaît pas la relation qu’entretenait Françoise Philippeau avec sa belle-sœur Renée Hervet et avec les membres de la famille de cette dernière, mais sans que l’on sache pourquoi, Françoise n’assistera à aucun de ces événements. 

Le 11 octobre 1694, Françoise verra son père prendre épouse à nouveau.  Claude Philippeau se marie avec Charlotte de la Combe à l’église Notre-Dame de Québec.  Sébastien, qui est proche de son beau-père et à peu près du même âge, lui sert de témoin[16].  Charlotte de la Combe (1640-1710), une fille du Roy, avait été la servante de l’intendant Claude de Bouteroue d’Aubigny (1620-1680) durant son court séjour en Nouvelle-France de 1668 à 1670.  Au départ de l’intendant en 1670, elle se maria à son maître d’hôtel Antoine Caddé (1644-1688).  Ce dernier était arrivé avec l’intendant en 1668 et poursuivit son métier si bien sous les administrations suivantes, qu’en 1679 devenu «Exempt de la maréchaussée en ce pays»[17], le gouverneur Frontenac et l’intendant Duchesneau lui concédèrent la seigneurie de la Rivière-de-la-Madeleine en Gaspésie[18].  Cette seigneurie faisait une lieue[19] de front sur le grand fleuve, dont la moitié en bas et la moitié en haut de la rivière de la Madeleine, sur deux lieues de profondeur.  Après le décès de Caddé, la veuve de la Combe, moyennant compensation, on ne peut en douter, abandonna la seigneurie en 1689[20] qui fut réunie au domaine royal puis concédé à nouveau le même jour par le gouverneur Denonville et l’intendant Champigny à Denis Riverin qui la vendra à François Hazeur en 1700.  Le père de Françoise épousait donc une ancienne servante fortunée.

Coïncidence, ce même jour du 11 octobre 1694, Sébastien Hervet, potier d’étain, se présente sur le parquet du Conseil Souverain pour obtenir justice en appel contre Charles Couture de Beaumont (1659-1709), «comparant pour lui maître Guillaume Couture juge de la seigneurie de Lauson son père d’autre part.»  Sébastien, malgré une opposition de taille, obtient justice.  Il enverra chercher par bateau huit cordes de bois de trois pieds et demi «entre deux-coupes et qu’il soit bon et loyal, de l’année passée et cordé sur le lieu»[21].  Les archives du Conseil souverain ont conservé les détails de mésententes survenues entre Guillaume Couture le père et les autres censitaires de la seigneurie de Lauson.  L’analyse de ces documents démontre que le héros de la Nouvelle-France qu’était Couture ne semblait pas d’un caractère commode.  Dans le cas qui confronte Sébastien à Couture, ce dernier tente d’utiliser le statut de sa robe de juge; or, selon ces mêmes documents des archives, il paraît à la fin de sa vie avoir outrepassé ses prérogatives de juge et de capitaine de la seigneurie à plus d’une reprise[22].

L’année 1694 allait-elle se terminer aussi mal qu’elle avait commencé dans la famille? Un mois plus tard, Sébastien, cinquante-deux ans, est hospitalisé.  De quoi souffre-t-il? Nul ne le sait, mais il apparaît bien au registre journalier des malades de l’Hôtel-Dieu de Québec du 9 novembre 1694[23].  Bien que des règles strictes régissent l’admission des malades et qu’ils ne sont reçus que sur l’avis du médecin et d’une administratrice, Sébastien, qui est Français d’origine et bourgeois de surcroît, a bien pu courir à l’hôpital en raison d’une simple fièvre.  N’oublions pas qu’il a perdu un fils dans la même année.  Il a bien pu comme plusieurs malades venir s’y faire soigner sans être nécessairement hospitalisés.  Selon une religieuse de l’époque, «Beaucoup de personnes... venoient a Cet hopital Se faire panser de legeres playes».[24]

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 16 janvier 1694.  Gautier et Saucier sont des individus secondant le curé Dupré.  On retrouve leurs noms à plusieurs pages du registre de la paroisse à cette période.  Charles Saucier est un peu parent puisqu’il est marié à la fille de Madeleine Thibierge, elle-même fille de Jacques Thibierge résidant à Blois en France et frère d’Étienne, le père d’Hypolite Thibierge, l’époux de Renée Hervet.

[2] Fichier Origine, Fédération québécoise des sociétés de généalogie et Fédération française de généalogie.  Fiche 300091.  ESNARD, Jeanne.  Claude Philippeau s’est remarié le 11 octobre 1694 alors qu’il était veuf. Le 2 mars 1694, il procédait à la vente de sa maison et au partage entre ses enfants de la part de leur mère qui leur revenaient.  Jeanne Esnard est donc décédée avant le 2 mars 1694.

[3] A.N.Q., GN. Minutier Louis Chambalon, 2 mars 1694.

[4] La Coutume de Paris est introduite en Nouvelle-France par la Compagnie des Cents associés en 1627 puis devient le seul système juridique sur les matières civiles de la Nouvelle-France en 1664, et ce, jusqu’en 1763.

[5] BAnQ., Registres des insinuations de la Prévôté de Québec, vol. 3 (anciennement registres 7, 8, 9, 10, 11 et 12) (15 octobre 1709 - 24 mars 1715), pages 62-66.

[6] BAnQ., Registres des insinuations de la Prévôté de Québec, vol. 1, pages 729-730.

[7] Entre 1693 et 1699, la Hollandaise Marie Sophie Vanneck se retrouva au moins cinq fois devant le tribunal criminel du Conseil souverain, soit pour ses propres frasques, soit conjointement avec son troisième mari, Louis de Niort, Sieur de LaNoraye

[8] En premières noces, il épousa Catherine Sevestre (1644-1670), il est donc le beau-frère de la mère du marié.

[9] Marie-Anne Du Saussay de Béniont retournera en France quelque temps après le décès de son mari en 1700.

[10] BAnQ., Registres des insinuations de la Prévôté de Québec, vol. 1, pages 730-731.

[11] A.N.Q., GN., François Genaple, 30 juillet au 4 août 1693.

[12] ROY, Joseph-Edmond. Histoire de la seigneurie de Lauzon. Lévis, Éditions Mercier & cie, 1897, volume 1, page 258-263.

[13] Lettre de 1727 de l’intendant Claude Dupuy au ministre de la Marine citée dans : GEORGEAULT Pierre et Michel PLOURDE. Le français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie.  Montréal, Les Éditions Fides, 2008, page 55.

[14] PARADIS, Alexandre. Kamouraska:1674-1948. Éditions G.S. Grandbois, Québec, 1948, pages 26-28.

[15] A.N.Q., GN., Guillaume Roger, 12 septembre 1694.  Être protégé d’une blessure signifiait à l’époque, être protégé d’une fausse couche.

[16] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 11 octobre 1694.

[17] BAnQ., Registre no 7 des arrêts, jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France (12 janvier 1688 au 22 décembre 1693), f. 67v.

[18] Musée de la Gaspésie. Centre d’archives de la Gaspésie. P3 Collection Guy W Richard. Boîte 4. «Acte de concession de la seigneurie de

Rivière-la-Madeleine», les 30 et 31 mai 1679.

[19] À l’époque de l’ancêtre, approximativement 4609 km, puisque la lieue équivalait à quatre-vingt-quatre arpents; un arpent à dix perches et une perche à dix-huit pieds.

[20] A.N.Q., GN. Minutier Gilles Rageot, 29 mars 1689. 

[21] BAnQ., Registre no 10 des arrêts, jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France (11 janvier 1694 au 30 mai 1702), f. 53-53v.

[22] DOUVILLE, Raymond. «Guillaume (Cousture) Couture». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1966, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1969, 15 volumes, volume II (Décès de 1701-1740).

[23] FOURNIER, Marcel et Gisèle MONARQUE. Registre journalier des malades de l’Hôtel-Dieu de Québec. Montréal, les éditions Archiv-Histo, 2005, page 258. «1694-11-09 — Hervez, Sébastien (53 ans), Blois».

[24] Archives du Monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec, Memoire Concernant Le retablissement De Lhotel dieu de Quebec, c. 1755, projets d’agrandissement et de rétablissement avant et après l’incendie de 1755, 1730-1758, T. 2, C. 96, no 4.