2. Ephrême Hervai

6.5.7.7.2 Ephrême Hervai (1831-1904), 6e génération

Cela fait maintenant trois ans que Timothée Hervey (1806-1880) et Françoise Bouchard (1809-1879) sont mariés lorsque cette dernière accouche de son premier fils le 9 juin 1831.  Le nouveau-né est porté à l’église Saint-Étienne de Murray Bay pour son baptême le même jour.  Il est nommé «Ephrême Hervai»[1]. 

À sa naissance Ephrême a déjà une sœur, Honora dite Fedora (1829-1904), de laquelle il sera toujours très près comme nous le verrons.

L’enfant qui vient de naître fréquentera l’école.  Les registres civils l’attestent et l’on retrouve sa signature sur de nombreux contrats et dans les registres religieux; il déclarera toujours savoir lire et écrire.  Ephrême signera toute sa vie «Ephremme Harvaiy»; fils aîné d’une famille nombreuse, on l’aura retiré de l’école du rang à un très jeune âge.  Si on ne voyait qu’une seule signature, on pourrait douter de la présence d’un «i» devant le «y», mais comme il insistera toute sa vie pour mettre un point bien en évidence à cet endroit il n’y a aucun doute qu’il s’agit bien d’un «i».

À vingt ans, Ephrême ne travaille déjà plus à la ferme familiale, mais y demeure encore.  Il est journalier et amasse un pécule pour acquérir une terre[2].

Il a déjà près de vingt-huit ans lorsqu’il unit sa destinée à Honorine Célina Asselin, une jeune fille d’à peine dix-neuf ans.  Célina est native de Baie-Saint-Paul où le mariage a lieu le 22 février 1859[3].  Elle est l’une des nombreuses filles de François (1810-1889), «tanneur du lieu», et de Sophie Lefrançois (1814-1880).



C’est dans la première concession au nord-est de la rivière Murray (aujourd’hui Rivière-Malbaie) que le couple s’installe, là où depuis quelques années, Ephrême possède une terre et une maison d’un étage construite en bois comme toutes les autres dans cette concession[4].  La terre d’Ephrême fait trois arpents de front sur la rivière et cinquante arpents de profondeur, bornée à l’arrière par les tenures de ce que l’on appelait alors Fraserville.  Son voisin du côté sud est Cyrille Couturier (1820-1896); Cyrille est marié à la cousine Eleonore Hervai (1824-1894) à Michel Herver (1795-1851) chez Michel Hervé (1771-1810).  Du côté nord, le voisin est Roger Dufour (1806-1880) dont l’un des fils, Adolphe (1833-1893) est marié à une autre cousine, Modeste Élisa dite Edesse Hervai (1831-1903), la soeur cadette d'Eleonore.

C’est donc dans ce secteur qui était autrefois compris dans la seigneurie de Mount Murray que Célina accouchera de six enfants à La Malbaie : Joseph (1862-1947), Malvina (1864-1868), un enfant mort-né en 1866, Louis Hercule (1867-1868), Alfred (1869-1952) et Alvina (1871-1943).   Ephrême qui en a les moyens construit une maison plus spacieuse au début des années 1860 pour remplacer la «vieille maison» qu’il habitait déjà quand il était célibataire.

Le 20 octobre 1862 naît donc le premier rejeton du couple[5].  L’enfant qui sera prénommé Joseph est porté à son baptême le jour même.  Contrairement à l’habitude, ce n’est pas le grand-père de l’enfant qui est choisi comme parrain, mais plutôt Joseph (1845-1913), un jeune frère d’Ephrême.  

Joseph Harvey (1862-1947)

En 1886 Joseph épousera Marie Lapointe (1874-1937) à Saint-Alphonse au Saguenay.  Le couple aura seize enfants dont seulement cinq survivront à leur enfance; parmi eux, une fille décédera à l’adolescence.  Neuf sont mort-nés.  Joseph marquera l’histoire de sa région.  La première mention d’existence de l’industrie laitière, première forme de spécialisation de l’agriculture au Saguenay, date de 1894, alors qu’il se dira fromager à la sépulture d’un de ses enfants en juin[5a]Après avoir tenu une fromagerie à Saint-Fulgence pendant plusieurs années, Joseph s’amène avec sa petite famille en 1901 pour fonder une autre fromagerie à Amqui dans la vallée de la Matapédia.  Quelques années après son arrivée il se retirera, passera la main à l’un de ses fils et vivra chez lui un certain temps.  Après le mariage du fils beurrier, Joseph et son épouse acquerront une maison à Saint-Léon-le-Grand, un village situé à une douzaine de kilomètres au sud-ouest d’Amqui.  Joseph y finira sa vie.  Il s’éteindra dans ce village en décembre 1947.

En 1868, le père d’Ephrême se présente au village à la maison de son notaire, Jean Gagné (1808-1893), avec l’intention de se donner à son aîné EphrêmeTimothée Hervey qui vient pourtant tout juste d’entrer dans la soixantaine a des projets et il veut sans doute assurer la pérennité du capital familial[6].  

Ephrême est dans les chantiers lorsque naît son cinquième enfant au printemps 1869.  Trois autres avaient vu le jour depuis la naissance de l’aîné Joseph sept ans plus tôt, mais ils n’avaient pas survécu.  Au lendemain de la naissance de Joseph Alfred, c’est le voisin qui porte l’enfant à son baptême[7].

Alfred Harvey (1869-1952)

Alfred partira avec ses parents vers Saint-André-de-Kamouraska au début des années 1890.  Rapidement après son arrivée sur la Côte-du-Sud, il ouvrira une fromagerie au village.  Il y épousera Isabelle Larouche (1876-1901) le 15 janvier 1894.  Le couple aura quatre enfants dont un seul survivra.  Isabelle décédera en couche à l’été 1901.  Douze mois plus tard, Alfred épousera Marie Leda dite Alida Dumais (1872-1946) dans l’église de Saint-Alexandre, un village voisin de Saint-André.  De cette union, huit enfants naîtront, tous à Saint-André.  Un seul décédera en bas âge.  En 1906, Alfred abandonnera sa fromagerie et achètera un hôtel de Saint-André qu’il gardera au moins jusqu’en 1916.  Après la naissance de son dernier enfant, Alfred vend l’hôtel et la famille ira s’établir à Causapscal dans la vallée de la Matapédia; elle y sera déjà en 1918.  Vers la fin de la décennie 1920, Alfred et Alida habiteront chez l’un de leurs fils, qui est cultivateur à Causapscal.  Il décédera le 29 septembre 1952 à cet endroit.

Célina Asselin met au monde son sixième enfant le 8 avril 1871.  Cette fois-ci, c’est une fille et elle survivra.  Ephrême est à nouveau absent au baptême qui se déroule le lendemain.  Le parrain choisi est son beau-frère Adolphe Boudreau (1826-1903).  Sa sœur puînée, Merence dite Emerentienne Hervai (1836-1918), est la marraine de celle que l’on prénomme Marie Alvina.

Alvina Harvey (1871-1943)

Marie Alvina épousera Hermias Savard le 15 mai 1900 à Saint-Félicien.  Le couple aura quatre enfants.  Après la mort de son père en 1904, la mère d’Alvina et sa sœur cadette Jessé viendront habiter chez elle.   Moins d’une semaine après qu’Alvina aura accouché de son dernier enfant, son mari sera emporté par la maladie.  Alvina tiendra bon avec sa mère jusqu’en 1914 alors qu’elle épousera à Saint-Félicien le veuf Origène Hamel (1873-1947) le 1er février 1914.  Origène est cultivateur à Saint-Cyrille de Normandin.  À son décès survenu en 1912, sa première femme lui a laissé sept enfants âgés de deux à seize ans.  Alvina quant à elle ajoutera quatre enfants et sa propre mère à la maisonnée en quittant Saint-Félicien pour s’établir chez son nouvel époux à Normandin.  Elle s’éteindra au village de Saint-Cyrille de Normandin le 7 septembre 1943 à l’âge de soixante-douze ans.

Au printemps 1871 Ephrême, son beau-frère l’entrepreneur Adolphe Boudreau marié à sa sœur aînée Fedora, et son père planifient une prise de possession terrienne au Saguenay unique à ce jour chez les Harvey.  Le trio part pour l’Anse-aux-Foins afin de se faire une idée sur une vaste étendue de cinq mille deux cents acres qu’ils projettent d’acquérir du marchand David Edward Price (1826-1883).

Pour mettre à exécution leur plan, chacun doit se départir de ses avoirs dans la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie.  C’est ce que fait Ephrême le 1er mai 1871 lorsqu’il vend à ses deux voisins, pour la somme de «huit cents livres argent courant», les terres et bâtiments qu’il possédait sur la rivière Murray.  Il se garde le droit d’occuper, sa terre et ses bâtiments «jusqu’à son départ pour le Saguenay qui doit avoir lieu dans le cours de l’été»[8].

Ephrême a une bien petite famille pour l’époque.  Avec seulement trois enfants vivants, sa terre et les revenus d’appoint qu’il tire de son travail dans les chantiers ont de quoi mettre le pain et le beurre sur la table[9].

Le 14 juin 1871, l’achat de «La ferme de la Rivière Valin» et les cinquante-cinq lots qu’elle comprend «sur le cinquième, sixième, septième, huitième, neuvième et dixième rang du township de Tremblay» est complété[10].


Ephrême, qui était demeuré à Murray Bay, renonce à ses parts trois mois plus tard, probablement à cause de l’énormité de la transaction.  Le 11 août, devant le notaire Kane à Murray Bay, il vend sa part à son beau-frère Adolphe Boudreau[11].




Saint-Fulgence de l’Anse-aux-Foins

On ne sait pas comment Ephrême s’est arrangé avec les voisins auxquels il avait vendu sa terre, mais lui et sa famille étaient toujours à Murray Bay à la mi-août.  Notons que ces acheteurs étaient tous un peu des parents.  Célina avait accouché d’un enfant en avril et une fois la mère rétablie, après le 11 août 1871, la petite famille embarque sur une goélette et remonte le Saguenay vers la paroisse de Saint-Fulgence de l’Anse-aux-Foins où ils vivront un peu plus de vingt-cinq ans[12].  On présume qu’Ephrême et sa famille habiteront d’abord la maison du père ou celle de l’un de ses frères, le temps de s’organiser.



Le 6 juillet 1872 Ephrême, déjà «cultivateur demeurant dans la dite paroisse de St-Fulgence de l’Anse au foin», acquiert un terrain d’un arpent situé sur le premier rang, terrain qui appartenait conjointement à William Simard, un des pionniers de l’endroit, et à Louis Boivin (1840-1926)[13].  Le terrain qu’il acquiert pour la somme de «deux cents quatre vingt deux piastres argent courant» dans le canton Harvey est bordé par devant au chemin public et par-derrière à la rivière Saguenay.  Du côté sud-est ses voisins sont sa sœur Fedora et son beau-frère Adolphe Boudreau; le terrain joint du côté nord-ouest la ligne qui divise le township Harvey et celui de Tremblay.

Si lors de la transaction de l’été 1872, Ephrême est considéré comme «cultivateur demeurant dans la paroisse », sa terre est difficile à situer.  Selon la tradition orale, Ephrême se serait vu donner l’une des nombreuses terres que son père avait acquises en 1871 dans le canton Harvey.  Bien que je n’aie pu trouver l’acte notarié de la transaction, Ephrême jouira toujours d’une terre voisine de l’église dans le premier rang du canton Harvey.  Cette terre est à la limite nord du canton Harvey et longe le canton Tremblay.  Il hypothéquera d’ailleurs cette terre en 1877[14].  Même s’il est sur le point de faire l’achat d’une nouvelle terre dans le canton Tremblay, toutes les transactions notariales le concernant mentionneront qu’il est résident du canton Harvey et qu’il demeure dans le premier rang sur une terre de quatre arpents de front sur la rivière Saguenay.  C’est sur cette terre de l’Anse-aux-Foins que la maison familiale sera située et où Célina accouchera de trois autres enfants : Jessé (1873-1965), Arthur né en 1877 et qui ne vivra qu’une dizaine de jours et Derilla (1880-1938).

À la fin de juillet 1873, Célina Asselin accouche d’une troisième fille, la seconde qui survivra.  En l’absence du père, Hermias Harvey (1852-post.1931), marchand au village et oncle de l’enfant est choisi comme parrain.  La marraine est une peti
te-cousine, Émérantienne Harvey (1850-1936) à Célestin Hervey (1812-1887) à Joseph Hervé (1768-1830) chez Pierre (1733-1799).  Marie Jessé est baptisée le jour de sa naissance; il faut dire que l’église est à quelques pas de la demeure [15]

Jessé Harvey (1873-1965)

Lorsque son père décédera à Causapscal après le tournant du siècle, Marie Jessé suivra sa mère pour aller vivre chez sa sœur Alvina à Saint-Félicien. Elle n’y vivra pas très longtemps.  Déjà en 1907, elle sera de retour à Saint-André-de-Kamouraska auprès de ses frères Alfred et Derilla qui y vivent toujours.   Jessé travaillera alors à l’hôtel dont son frère Alfred vient de faire l’acquisition.  On peut présumer que les contacts seront fréquents à cette période entre les Harvey de Saint-André et ceux de la vallée de la Matapédia. Rappelons que l’express maritime, de même que l’Intercolonial et le chemin de fer A.Q. & W. assurent la desserte de sorte que tous les jours on peut prendre un train et qu’en une journée on atteint notre destination[16].   Ces contacts auront permis qu’au printemps suivant, Jessé épouse son cousin Henri Zoël Boudreault (1872-1949), fromager demeurant à Causapscal.  Zoël est l’un des fils de la tante Fedora.  Jessé et son époux prendront le train pour Causapscal où elle ira faire sa vie. Le couple aura quatre enfants.  Jessé dite Jessy s’éteindra le 17 juin 1965 dans son village de Causapscal, au Bas-Saint-Laurent, à l’âge de quatre-vingt-onze ans.

À l’automne 1873, Ephrême qui demeure dans le «Township Harvey» achète donc de Louis Boivin une terre de cent acres comprenant trois lots, les quatorze, quinze et seize, du huitième rang du «Township de Tremblay»Il ne débourse que «cinq cents piastres courant» pour le tout.  Somme toute une bonne affaire puisqu’en plus il acquiert du même coup deux bœufs, les attelages et du matériel agricole[17].

Tout comme dans la première concession de la rivière Murray, à l’Anse-aux-Foins, la famille aura vécu de l’agriculture[18].

En 1876, par acte de donation, le père partage ces vastes terres de deux mille six cents acres entre trois de ses enfants.  Les frères d’Ephrême, Joseph, Michel et Timothée bénéficient de l’exercice,[19] car il est lui-même exclu du morcellement du patrimoine familial, ayant déjà reçu sa part par la terre du premier rang.





En 1877, Ephrême a besoin de liquidité.  Il emprunte donc du curé une somme de «trois cents piastres» par l’intermédiaire du bon curé Apollinaire Gingras qui prétend ne pas avoir cette somme et se fait procureur d’Ephrême pour la lui trouver auprès d’une personne aisée, d’une communauté ou d’une corporation, moyennant un intérêt ne dépassant pas sept pour cent[20].  L’aisance passée de la famille ne semble plus être au rendez-vous ou c’est Ephrême qui veut taire ses besoins auprès des siens.

Apollnaire Gingras (1847-1935)

Né à Saint-Antoine-de-Tilly, le 7 mars 1847, Apollinaire Gingras est le fils de Joseph Gingras, cultivateur, et d’Adélaïde Côté.  Gingras étudie au séminaire de Québec. Il est ordonné prêtre en 1873.  De 1873 à 1901, Gingras exerce son ministère dans les paroisses de Saint-Fulgence, de Saint-Édouard de Lotbinière, de Sainte-Claire de Dorchester, puis à Château-Richer.  Il est reconnu pour sa soumission à la Grande-Bretagne et comme un ardent défenseur de l’Inquisition qui constitue, selon lui, la plus belle institution politique.  En 1880, alors qu’il est curé à Saint Édouard de Lotbinière, il prononce une conférence où il glorifie l’Inquisition. Ultramontain, il dénonce le divorce forcé de l’Église et de l’État.  En 1901, Gingras, très malade, prend sa retraite.  Il passe les trente dernières années de sa vie à publier des poèmes. Sa poésie prend parfois la forme de chants patriotiques.  Il est appelé le Prédicateur-poète et le chantre du patriotisme canadien.  Il a publié plusieurs ouvrages.  Il est décédé à Chicoutimi le 1er mars 1935.

S’il a obtenu son prêt du curé, il aurait pu ne pas être en dette très longtemps.  Trois mois plus tard, en janvier 1878, il vend pour la somme de «deux cents piastres courant» le terrain qu’il avait acquis en 1872 de William Simard et Louis Boivin.  L’acquéreur est Eucher Lemieux (1824-1889), agriculteur et forgeron du village de Chicoutimi.  Si Ephrême perd au change dans cette transaction puisqu’il avait acheté ce terrain pour quatre-vingt-deux piastres de plus, la transaction aurait sûrement pu l’aider à rembourser son voisin le curé avant que les intérêts ne s’accumulent un peu trop dans la bourse de l’ecclésiastique, mais Ephrême a encore d’autres plans semble-t-il[21].

Ephrême et Célina savent tous deux lire et écrire.  Il sera donc important pour eux que les enfants fréquentent l’école.  L’aînée Joseph l’avait fait alors que la famille était encore à Murray Bay.  Dans les années 1870 les trois suivants toujours vivants, Alfred, Alvina que l’on prénomme le plus souvent Malvina tout comme sa sœur décédée en 1868 et Jessé iront à l’école du village.  Derilla, le cadet à naître, le fera dans la prochaine décennie.

Ephrême perd sa mère en 1879 et son père l’année suivante.  S’en suivront plusieurs bouleversements dans la famille. 

C’est le 15 mars 1880 que Célina, quarante et un ans, accouche de son dernier enfant.  Après avoir vécu neuf accouchements et perdu quatre enfants dont le dernier en 1877, la naissance d’Ephrem Dorilla doit être difficile puisque l’on prendra quatre jours pour conduire l’enfant à l’église voisine pour son baptême.  Le père est encore une fois absent de la cérémonie, il est dans les chantiers.  Michel (1841-1908), l’un des frères d’Ephrême est parrain alors que la marraine est Fedora, sa sœur aînée[22]

Derilla Harvey (1880-1938)

Ephrem Derilla épousera Laure Larouche le 6 septembre 1899 à Saint-André de Kamouraska.  Ils auront cinq enfants dont quatre survivront à leur enfance.  Derilla qui travaillera comme fromager dans l’entreprise de son frère Alfred jusqu’en 1902 quittera alors l’entreprise familiale pour se joindre, comme mécanicien-patenteux, à la compagnie Desjardins, une manufacture d’équipements agricoles qui vient d’ouvrir ses portes.  Le propriétaire de l’entreprise Charles-Alfred Desjardins et sa femme seront d’ailleurs parrain et marraine d’un des enfants de Derilla et Laure.  Cette dernière, tout comme sa sœur six ans plus tôt, décédera en couches en 1907.  Derilla quitte Saint-André avec ses quatre filles de moins de sept ans pour aller habiter chez sa sœur Jessé à Causapscal.  Jessé qui n’aura alors qu’un enfant saura épauler le mécanicien qui se fait agent d’assurance à son arrivée à Causapscal.  Derilla demeurera veuf pendant dix ans.  Au cours de cette période, il quittera le domaine de l’assurance pour devenir barbier au village.  Le 8 janvier 1917, il épousera Marie Louise Bérubé (1888-1971), une fille de Saint-Damase, village situé à une soixantaine de kilomètres à l’autre bout de la vallée de la Matapédia.  Derilla et Marie Louise auront onze enfants.  Après ce second mariage, Derilla demeurera non loin de sa sœur Jessé au village.  Continuant de couper les cheveux, il ouvrira un magasin général avec Marie Louise.  Il sera toujours patenteux et reconnu ainsi.  En 1927, il inventera une grille à placer à l’intérieur d’une pipe afin d’en améliorer la combustion, une création qui sera homologuée.  Dans les années 1930, il se fera plombier puis s’éteindra à Causapscal le 4 mars 1938 à l’âge de cinquante-sept ans.

Comme le faisait son père et le font ses frères, des entrepreneurs et marchands qui brassent bien des affaires, Ephrême emprunte et hypothèque ses avoirs à plusieurs reprises au cours de son long passage à l’Anse-aux-Foins.  Il l’a fait une première fois en 1872, puis une seconde en 1877.  Il emprunte à nouveau en 1881 pour obtenir un prêt de «deux cents piastres».  Le document de cette transaction permet de confirmer qu’il habite toujours sur sa terre avec sa famille.  Cette terre qui fait toute la profondeur du premier rang est bordée à l’avant sur quatre arpents par la rivière Saguenay.  Sa sœur Fedora et son beau-frère qui éprouvent quelques difficultés financières ne sont plus ses voisins du côté sud-est; ils ont vendu au cousin Michel Harvey (1849-1926) le fils de l’oncle Joseph dit Lélé (1808-1884).  L’emprunt qu’Ephrême avait fait à son curé en 1877 et pour lequel il avait hypothéqué certains lots de sa terre en faveur de l’église n’est toujours pas remboursé.  Les emprunts aidants il acquiert d’autres terresau fil des ans en plus des trois lots contigus de cent arpents chacun qu’il possède dans le huitième rang du canton Tremblay, dans la paroisse de Saint-Fulgence[23].













Ephrême n’a que cinquante-six ans lorsqu’en juillet 1887 lui et Célina se donnent à leur aîné Joseph qui demeure toujours avec eux.  Aujourd’hui, il est difficile de comprendre pourquoi les avoirs du couple passent si tôt aux mains de l’aîné qui aura la charge de ses parents jusqu’à leur mort.  Ephrême et Célina s’assurent également que leurs deux filles et les deux autres garçons reçoivent une part du patrimoine familial à leur majorité ou lors de leur mariage[24]Joseph avait épousé une fille de Saint-Alphonse l’année précédente et elle venait tout juste de leur donner une petite-fille.  Le couple a-t-il voulu éviter que leur aîné n’ait l’idée d’aller s’établir dans la paroisse de son épouse? Depuis quelques années, il était celui qui avait la main mise sur la ferme familiale. 

La prise en charge du destin de la ferme familiale par Joseph n’aura pas duré trois ans et la manœuvre des parents pour tenter de garder l’aîné à leur côté aura échoué.  Le 9 avril 1890, ce dernier rétrocède à son père l’entièreté de ses biens ce qui annule bien entendu toutes les obligations qui découlaient de la donation.  Que s’est-il passé? Ce ne sera assurément pas l’acte du notaire qui enregistre la volonté des deux parties qui nous l’apprend puisque les motifs n’y sont pas mentionnés.  La raison est bien simple, Joseph l’aîné part rejoindre sa belle-famille au village de Saint-Alphonse où il sera journalier pour les Price[25].  Le notaire cependant nous fait part de l’état des lieux qui montre que la terre d’Ephrême entourait donc sur deux côtés l’église et ses dépendances :

«quatre arpents de front sur vingt huit de profondeur du lot numéro sept du premier rang du Township Harvey, borné en front à la rivière Saguenay, en profondeur à Alfred Gagnon, d’un côté au sud-ouest à Michel Harvey... à la réserve de deux arpents de large sur cinq de longueur où est batie l’église et toutes autres bâtisses et dépendances»[26]

Ephrême qui vient de récupérer sa terre bien malgré lui ne la gardera pas très longtemps.  Avant la fin du mois, malade et incapable de se déplacer jusqu’à Chicoutimi, il confie à son fils Alfred le soin d’aller chez le notaire pour procéder à la vente de sa terre.  Il n’en gardera que le lopin sur lequel est située sa maison et un autre qu’il réserve pour Alfred dans l’éventualité où il reviendrait s’y bâtir.  Il ne fera pas un agriculteur de ce dernier fils, car c’est tout le matériel agricole et les animaux qui passe également dans la transaction : «une jument âgée de seize ans, une pouliche de trois ans, un poulin (poulain) d’un an, six vaches à lait, cinq taurailles, six mèses brebis, un cochon hiverné, six poules, deux oies...»  Ephrême mettra du temps à se remettre de sa maladie.  Ce ne sera qu’à la fin juillet que son fils pourra l’amener à Chicoutimi pour ratifier l’entente de la vente faite à la fin avril, vente pour laquelle il a tiré «dix sept cents cinquante piastre argent courant» [27].

L’expérience de l’aîné Joseph à Saint-Alphonse n’aura pas été concluante. Il est de retour autour de 1892, après deux ans d’exil de l’autre côté de la rivière, mais il est trop tard.  Le père a liquidé ses avoirs et s’apprête, s’il ne l’a pas déjà fait, à laisser derrière lui une vingtaine d’années de vie active pour une retraite très loin du Saguenay.

La Côte-du-Sud

En effet, après avoir vendu leur terre, Ephrême et Célina sont demeurés à Saint-Fulgence encore une autre année, peut-être deux.  Ils quitteront l’Anse-aux-Foins avec leur fils Alfred, lequel a décidé de partir vivre à Saint-André-de-Kamouraska, de l’autre côté du fleuve pour y ouvrir une fromagerie.   Alfred a acquis du métier en fromagerie auprès de Michel Hervey (1841-1908) un frère d’Ephrême qui est fromager au village de Saint-Fulgence.  À Saint-André, le travail ne manquera pas, les hôtels sont nombreux et la compagnie Desjardins qui fabrique de la machinerie agricole roule à pleine mesure.  Évidemment, Alvina, Jessé et Derilla, les plus jeunes sont du voyage. 

À son départ du Saguenay, Ephrême avait gardé sa maison et le petit lopin de terre sur lequel elle était bâtie, probablement à titre d’assurance pour le cas où l’aventure de la Côte-du-Sud tournait mal.  En 1898, il fait de son aîné Joseph, qui est toujours à l’Anse-aux-Foins, son «procureur spécial» pour liquider ses avoirs et régler toutes ses affaires au Saguenay.  Dans la transaction, l’aîné Joseph est qualifié d’«industriel».  Depuis son retour à Saint-Fulgence, lu aussi s’est lancé dans la fromagerie[28].

Entre-temps en 1894, Alfred s’était marié à Isabelle Larouche (1876-1901), fille de feu Louis Gauthier dit Larouche (1841-1888) et Émilie Simard (1841-1897).  Après le décès de son mari en 1888, la veuve Émilie Simard et plusieurs de ses enfants, bien qu’originaires de Sainte-Agnès, avaient été attirés à Saint-André par les nombreux emplois offerts.  Isabelle Larouche avait accouché de quatre enfants et était décédée en couches le 6 août 1901 à l’âge de vingt-quatre ans[29].  Deux ans plus tôt, en septembre 1899, le cadet Derilla avait lui aussi épousé une fille de feu Louis Gauthier et d’Émilie Simard, Laure Larouche (1879-1907); il travaillait à la fromagerie familiale également, mais avait élu domicile ailleurs au village[30].




Alina, maintenant majeure, est toujours «domiciliée à St André de Kamouraska» et vit chez ses parents.  Elle quitte cependant la Côte-du-Sud au printemps 1900 pour aller épouser un lointain cousin à Saint-Félicien au Lac-Saint-Jean où elle fera sa vie.  Le marié, Hermias Savard (1876-1908), est le fils d’une cousine d’Ephrême, fille de son oncle Joseph dit Lélé (1808-1884).  On comprend mal comment Alvina a pu rencontrer son époux qui est cultivateur à Saint-Félicien alors qu’elle demeure sur la Côte-du-Sud, d’autant plus que la mère du marié avait quitté Saint-Fulgence alors qu’Alvina n’avait pas encore trois ans.  Quoi qu’il en soit, Ephrême et Célina voient partir leur aînée à l’autre bout du lac Saint-Jean auprès de Marie Louise Harvay (1852-1952), cette cousine qui deviendra la première centenaire chez les Harvey.

En 1901 Ephrême, qui a maintenant soixante-dix ans, Célina son épouse, qui en a soixante-deux, leur cadette Jessé, veille fille de vingt-huit ans habitent toujours chez Alfred avec deux enfants de ce dernier qui ont survécu à leur naissance[31].

De sa fratrie, il n’y a pas qu’Ephrême qui avait quitté le Saguenay.  Sa sœur aînée Fedora est également dans la région du Bas-Saint-Laurent. Après avoir vécu une dizaine d’années à Pointe-au-Père près de Rimouski, elle s’est établie à Causapscal dans la vallée de la Matapédia.  Hermias (1852-post.1931), le cadet y est aussi.

Son fils aîné Joseph, après avoir vu sa femme perdre neuf enfants coup sur coup depuis 1892, a également vendu sa fromagerie de Saint-Fulgence en 1901 pour aller en ouvrir une nouvelle dans la vallée.  Après un an passé à Causapscal où il existe déjà une fromagerie, il part vivre à Amqui, village voisin.

La vallée de la Matapédia

Lorsque le veuf Alfred chez qui ils vivent décide de convoler en secondes noces en 1902, Ephrême et Célina quittent Saint-André-de-Kamouraska, prennent le train et partent vivre à Amqui chez leur aîné Joseph

Ce dernier bouleversement pour le patriarche de près de soixante-treize ans aura été le dernier.  Habitué aux grands espaces, d’abord le fleuve à Murray Bay, puis les rives du Saguenay à l’Anse-aux-Foins et à Saint-André il pouvait voir passer les navires et s’imaginer la Côte-Nord.  L’étroitesse de la vallée aura emporté, Ephrême Hervai qui s’éteint le 15 août 1904 à Amqui à l’âge de soixante-treize ans.  Comme la distance est courte entre Saint-André-de-Kamouraska et Amqui, moins de deux cent cinquante kilomètres par le train, Alfred et Derilla, ses enfants demeurant toujours dans ce village de la Côte-du-Sud, ont fait le trajet pour venir épauler leur mère[32].

Célina ne semble pas vouloir finir ses jours aux bons soins de sa bru.  Quelque temps après le décès de son mari elle part vivre chez sa fille Alvina à Saint-Félicien.  Sa fille Jessé qui a maintenant plus de trente ans part avec elle[33]Célina suivra sa fille aînée le reste de ses jours.  Elle décède à Normandin au Lac-Saint-Jean en 1916[34]

Si, au fil de vos voyages, vous rencontrez un Harvey entre Amqui et Matapédia dans la vallée du même nom, il y a de fortes chances qu’il soit un descendant d’Ephrême.

Ephrême Hervai, ses enfants, données généalogiques — 7e génération

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[1]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 9 juin 1931.

[2] B.A.C., G., Recensement de 1851, paroisse de Saint-Étienne le la Malbaie, microfilms e002315102.

[3] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paulde Baie-Saint-Paul, 22 février 1859.

[4] B.A.C., G., Recensement de 1861, paroisse de La Malbaie, microfilm 4108686_00092.

[5] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 20 octobre 1862.

[5a] SAINT-HILAIRE, Marc.  La structuration sociale en milieu de colonisation agro-forestière au XIXe siècle : Saint-Fulgence, 1852-1898.  Chicoutimi, les Presses de l’Université du Québec à Chicoutimi, 1984, page 57.

[6] A.N.Q., GN. Minutier Jean Gagné, no 3957, 21 avril 1868.

[7] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 23 avril 1869.

[8] A.N.Q., GN. Minutier John Kane, no 1070, 1er mai 1871.

[9] B.A.C., G., Recensement de 1871, district de Charlevoix, sous-district Malbaie, microfilm 4395454_00360.

[10] A.N.Q., GN. Minutier Élie Angers, no 690, 14 juin 1871.

[11] A.N.Q., GN. Minutier John Kane, no 1070, 11 août 1871.

[12] A.N.Q., GN. Minutier John Kane, no 1189, 29 août 1871.

[13] A.N.Q., GN. Minutier Ovide Bossé, no 3805, 29 juillet 1872.  Bien que l’ace de vente soit daté du 29 juillet, le libellé de l’acte parle du 26 juillet.  Lors de la vente de ce terrain dans quelques années, Ephrême et le notaire confirmeront que l’achat fut passé le 26 et non le 29.

[14] A.N.Q., GN. Minutier Ovide Bossé, no 4453, 10 octobre 1877.

[15] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Fulgence, 23 juillet 1873.

[16]  MASSICOTTE, Guy. Les transports et le développement de l’Est du Québec au début du siècle. Rimouski, Les Presses de l’Université du Québec à Rimouski, 1974, page 2. 

[17] A.N.Q., GN. Minutier Ovide Bossé, no 4049, 11 novembre 1873.

[18] B.A.C., G., Recensement de 1881, district de Chicoutimi et Saguenay, Saint-Fulgence, microfilm e008153256.  Et : Recensement de 1891, district de Chicoutimi, Saint-Fulgence, microfilm 30953_148193-00662.

[19] A.N.Q., GN. Minutier Thomas Zozyme Cloutier, no 1741, 10 avril 1876. 

[20] A.N.Q., GN. Minutier Ovide Bossé, no 4453, 10 octobre 1877.

[21] A.N.Q., GN. Minutier Thomas Zozyme Cloutier, no 2237, 26 janvier 1878. 

[22] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Fulgence, 19 mars 1880.

[23] A.N.Q., GN. Minutier Ovide Bossé, no 5181, 10 avril 1881.

[24] A.N.Q., GN. Minutier Jean Gagné, no 5524, 2 juillet 1887.

[25] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Alphonse de Bagotville, 6 décembre 1890.

[26] A.N.Q., GN. Minutier Jean Gagné, no 5900, 9 avril 1890.

[27] A.N.Q., GN. Minutier Jean Gagné, no 5905, 28 avril 1890.

[28] A.N.Q., GN. Minutier Thomas Zozyme Cloutier, no 8793, 6 septembre 1898. 

[29] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-André-de-Kamouraska, 9 août 1901.

[30] B.A.C., G., Recensement de 1891, district de Kamouraska, Saint-André, microfilm z000142910.

[31] B.A.C., G., Recensement de 1891, district de Kamouraska, Saint-André, microfilm z000142920.

[32] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Benoît-Joseph-Labre d’Amqui, 17 août 1904.

[33] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Félicien, 2 février 1905.

[34] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Cyrille de Normandin, 3 juillet 1916.