15. Thimothé Hervé

4.6.15 Thimothé Hervé (1790-1867),  4e génération

C’est le 22 octobre 1790 que « la grande Madeleine»[1] met au monde à l’Isle aux Coudres le dernier fils du pilote Sébastien Dominique Hervé (1736-1812).  Si Magdeleine Dufour (1757-1832) n’a que trente-trois ans à la naissance de son cinquièmement enfant, le père en a déjà cinquante-quatre. 

On présume que celui qui est nommé «Thimothé Hervé» [2]à son baptême le 22 est né le même jour, mais on n’en est pas certain puisque le curé Charles Joseph Lefebvre Duchouquet (1771-1817) omet de mentionner la date de la naissance de l’enfant.  Le mystère planera également peut-être pour les générations futures sur l’identité du parrain et de la marraine puisque le quatrième curé de l’Isle, qui est arrivé depuis octobre 1788, oublie d’en noter les noms, un geste qui est aussi machinal que prescrit par les autorités religieuses[3].  Il n’avait pourtant pas oublié ces détails lors de sa dernière inscription, le 6 octobre dans le cas du baptême de «Théophile Demeul»[4].

Dans un pays coupé de ses origines où, en général, dès la seconde génération on était illettré, il ne faut pas se surprendre que même les notaires et les membres du clergé n’eussent pas la plume de Voltaire, celui qui avait dénigré la Nouvelle-France[5].  Le nom de Thimothé, comme celui de la plupart des gens de son époque, sera donc orthographié de diverses façons.  Par exemple, on retrouvera son prénom inscrit dans les registres civils et religieux sous les formes : «Thimothé, Timothé et Timothée».  Si comme son père et tous les membres de sa fratrie Thimothé porte le patronyme Hervé à sa naissance, l’histoire des variations orthographiques de son patronyme est celle de tous les Harvey du XIXe, descendants de Sébastien Hervé (1695-1759) qui ont vu leur patronyme passé de la forme Hervé à celle de Harvey en empruntant plusieurs formes transitoires dans ce long chemin de plus d’un siècle.  Le sujet est longuement discuté au chapitre 02 — Le patronyme Harvey.

L’Isle aux Coudres

Il ne faut pas se faire une opinion trop rapide sur le caractère qu’aura ce cadet qui naît après que quatorze autres enfants ont vu le jour dans la famille.  Thimothé ne sera pas l’enfant choyé et dorloté par de grandes sœurs et protégé du travail sur la ferme par ses grands frères.  À sa naissance, à l’exception de Dominique Isaïe (1775-1851), la totalité des six autres enfants du premier lit qui sont toujours vivants a déjà quitté l’île pour la Côte-du-Sud, Murray Bay ou Mount Murray.  De plus, l’aîné de sa fratrie, parmi les quatre enfants de sa mère Magdeleine Dufour, n’a pas huit ans.  Nul doute, en revanche, qu’avant d’avoir l’âge d’être utile sur la terre de son père, pilote et navigateur, Thimothé accompagna souvent ce dernier sur le Saint-Laurent au cours de son enfance[6].  

L’île où Thimothé voit le jour fut colonisée il n’y a pas si longtemps par son grand-père et une dizaine d’autres colons, tous issus de la première ou de la deuxième génération des colons français installés en Nouvelle-France.   Son père tout comme son grand-père avant lui s’étaient adaptés aux contraintes climatiques liées à leur insularité.  Maison et granges ont été érigées à combles hauts et fortement inclinés pour le dégagement de la neige.  Avec la peau de marsouins tannés, ils ont appris la fabrication d’attelages autant pour les chiens que pour les bœufs ou les chevaux.  Quand le cheval n’était pas disponible, ils ont grandement appris à utiliser le chien pour les déplacements sur la neige ou sur la glace; ils ont même gardé son utilisation pendant les étés dès qu’un semblant de route ceintura l’île.  Outre pour les soins médicaux, l’isolement dû à l’insularité n’a jamais constitué jusqu’à présent un handicap majeur en raison de l’autosuffisance relative de l’économie.  Ce que les insulaires ne produisent pas, ils l’obtiennent le plus souvent en troquant les dérivés du marsouin à Québec ou ailleurs, car ils sont navigateurs.  C’est cet héritage que Thimothé trouve à sa naissance.  

L’île de son enfance n’est habitée que par cinq cent soixante-six individus répartis dans soixante-cinq chaumières, toutes plus ou moins reliées entre elles puisque l’on y trouve que vingt-deux patronymes différents[7].  Toute la surface de l’île étant maintenant concédée, à peu près plus personne n’y vient s’établir.  Si à sa majorité, le père ne lui concède pas l’une des nombreuses terres qu’il possède, l’exode sera son unique chemin.  En cela, il ne sera guère différent des autres insulaires de sa génération; sur les quelque deux cents hommes qui y seront nés avant 1852, plus de la moitié auront quitté l’île[8].  

L’enfance de Thimothé sera ponctuée de naissance et de décès comme dans la plupart des familles nombreuses, plus particulièrement à l’île où la médecine est absente et le restera pour tout le siècle à venir.   Deux ans après la naissance de Thimothé, Marie Margueritte voit le jour, suivi deux ans plus tard des jumelles Marie Anne et Marie Madeleine dont la première ne vivra que quelques mois.  En 1795, c’est au tour d’Élisée de naître et en 1797 celui de Marie Antoinette.  Ces deux dernières ne survivront pas à leur naissance, ce qui laissera à Thimothé une fratrie immédiate de deux frères et quatre sœurs.

Dans quelques années, après le départ de Dominique Isaïe pour Mount Murray en 1797, ce sera donc sa mère, «la grande Madeleine», aidé de son frère aîné Joseph (1782-1867) et lui qui verront aux travaux de la terre nourricière, car son père et son frère Louis (1784-1863) sont le plus souvent sur le fleuve, le premier à piloter et le second à en apprendre les rudiments.  Il ne fait aucun doute que Marie Modeste (1786-1813), Marie (1788-1854), Marguerite (1792-1857) et Madeleine (1794-1882), ses quatre sœurs, participeront également.  Thimothé dut prendre le large avec son père également.  Tous ses frères l’avaient fait avant lui et l’avenir le conduira sur la mer comme nous le verrons.

Thimothé est âgé de douze ans lorsque Joseph, son frère aîné, se marie à l’automne 1802[9].  Son père, qui est maintenant âgé de soixante-six ans, bien que pilote sur le fleuve, est un censitaire bien établi à l’île et possède plusieurs terres.  Il les a réservés comme héritage pour Joseph et Louis, les frères de Thimothé.  L’avenir de ce dernier n’est donc pas sur l’île puisque plus aucune terre n’y est disponible.  Il passera donc son adolescence à travailler sur les terres familiales qui ne seront jamais siennes.  Thimothé ne devait en revanche pas s’inquiéter puisque son père avait été en mesure de pourvoir une terre à chacun de ses six frères aînés et de fournir une dote raisonnable pour chacune de ses trois sœurs déjà mariées.  La dernière acquisition de son père pour ses fils avait eu lieu huit ans plus tôt en 1794.  Le père avait alors obtenu du seigneur Malcom Fraser (1733-1815), une terre de trois arpents de front, bornés par devant par le fleuve, sur trente arpents de profondeur dans le nouveau rang du fleuve situé dans l’endroit nommé l’anse du cap à l’Aigle, au nord-est de la pointe du Heu.  Le père s’était porté garant auprès du seigneur de Mount Murray pour Dominique Isaïe qui n’était pas encore majeur[10].  Comme ce dernier n’avait que dix-huit ans, l’histoire ne dit pas qui du père ou du fils assuma la rente annuelle et le cens auprès du seigneur jusqu’à sa majorité.  De toute façon, l’obligation de tenir «feu et lieu» sur une censive était depuis longtemps disparue avec les souvenirs de la vieille France, car le seigneur ne semble pas s’en préoccuper outre mesure.  Si le censitaire s’acquittait de son dû annuel, il pouvait bien prendre des décennies avant de développer sa terre, pour le seigneur le compte était bon.  Dans l’intervalle, nonobstant son âge, Dominique Isaïe aurait pu faire bon usage de la terre en y coupant le bois, source principale de revenus des censitaires dans la seigneurie de Mount Murray. 

L’année suivante, sa sœur Marie Euphrosine dite Marie Modeste, dix-sept ans, quitte le nid familial pour épouser Louis Lajoie (1778-1840) le 7 novembre 1803.  Marie Modeste est la première à partir après Dominique Isaïe; lors de son mariage l’automne précédent, son frère Joseph était demeuré dans la maison du père qui deviendra sienne.  À l’été 1806, avec l’aide des nombreux parents et du voisinage on construit la maison de Louis sur la terre que son père lui a réservée tout en haut du Cap à Labranche, car il se mariera à l’automne (sur la terre de Louis, coule le ruisseau Georges-Harvey[11] là où, en 2023, on y trouvait encore la boulangerie Bouchard fondée en 1945).  Sa sœur Marie quant à elle quittera la maison en 1810 pour se marier à Joseph Louis Tremblay (1788-1864) le 19 novembre 1810.  Outre Dominique Isaïe qui est parti rejoindre un frère et trois sœurs établis dans la paroisse Saint-Étienne de Murray Bay, ses frères et sœurs du deuxième lit du père habitent tous l’Isle aux Coudres.

Au début de juin 1806, Thimothé seize ans, est choisi par son cousin Étienne Savard (1773-1859) et son épouse Charlotte Verreault (1773-1830) comme parrain d’un de leur enfant.  Étienne est le fils de Jean Baptiste Savard (1734-1803), le frère de Geneviève Savard (1736-1781), la première épouse du père de Thimothé.[12]

Il perd son père le 8 mars 1812.  Ce dernier est probablement décédé du typhus, tout comme un autre pilote de l’équipe de la station de pilotage de l’Île aux Coudres quelques jours auparavant[13].  On n’a aucune indication nous permettant de savoir si le père, avant une mort aussi imprévisible, avait eu le temps d’établir Thimothé. Comme le passé est garant de l’avenir, il ne faut sans doute pas en douter.  Dans une société où l’homme est encore pourvoyeur et où il pense longtemps d’avance à établir ses enfants, le père de Thimothé s’était, sans nul doute, assuré que ce dernier ait une terre comme il l’avait fait pour chacun de ses six autres fils.  Sébastien Dominique en avait les moyens et pour chacun de ses fils, il avait prévu le coup bien avant qu’ils n’atteignent leurs majorités.  Comme on le verra, la terre où s’établira Thimothé, acquise par son père avant son décès ou avec son héritage ne sera pas piqué des vers.  On n’aura rien ménagé pour ce cadet du deuxième lit puisqu’il s’établira sur une terre parmi les meilleures de la vallée de la rivière Murray[14].

C’est à cette même période que bouillonnent la guerre entre les Britanniques et les anciens sujets du roi au sud de la frontière.  Les États-Unis déclarent finalement la guerre à l’Empire britannique le 18 juin 1812, entraînant dans le conflit le Bas-Canada de Thimothé.  

Maintenant majeur, son père partit, plus rien ne retient Thimothé sur l’île.  Cinq mois plus tard, il épouse une fille de l’endroit, Émérantienne Martel (1789-1817) le 18 août 1812 dans la chapelle de Saint-Louis de l’Isle aux CoudresÉmérantienne est la fille de Louis Joseph Martel (1754-1831) et d’Angélique Savard (1757-1833), un couple du hameau de la Côte à La Baleine.  La mère d’Émérantienne est la petite-fille du frère de la première épouse de Sébastien Dominique Hervé, le père de Thimothé.  Ce dernier ne sera pas le seul de son clan à épouser un enfant du couple Martel-Savard.  Sa nièce Adèle Hervé (1806-1880), fille de son demi-frère[15] Joseph Sébastien (1767-1834) épousera le cadet de cette famille.  Comme pour la presque totalité des mariages à l’Isle, les époux avaient obtenu préalablement une dispense de consanguinité; rien d’anormal dans une région où quatre-vingt-dix pour cent des gens y sont nés.  L’un des témoins de Thimothé est «Thimothé Dufour son parrain».  Thimothé Dufour (1766-1847) est l’un des frères puînés de « la grande Madeleine», mère de Thimothé.  On se souviendra qu’au baptême de ce dernier le curé avait omis les noms du parrain et de la marraine.  Peut-être que les nouveaux mariés avaient compris qu’une fois uni, Thimothé ne partirait pas à la guerre ce qui sera effectivement le cas puisque seuls les célibataires sont choisis.

Après la mort du père cette année-là, Thimothé ne sera pas le seul à quitter le toit familial, devenu celui de l’aîné Joseph.  Sa sœur Madeleine, dix-huit ans, épouse Vital Desbiens (1791-1861) au début de l’automne, le mardi 6 octobre[16].  On ne sait pas si Thimothé et Émérantienne passèrent l’hiver 1812-1813 à l’île ou s’ils étaient simplement de passage pour le mariage de sa sœur puînée.  Quoi qu’il en soit, le lendemain, Thimothé y est toujours puisqu’il est choisi comme parrain au baptême d’un enfant de son beau-frère Abraham Martel (1786-1831) et de Rosalie Boily (1785-1869) né le jour même[17].  C’est ce même Abraham Martel qui, en 1831, se noiera en traversant le fleuve avec Marcel Hervay (1811-1831), l’un des neveux de Thimothé, fils de son frère aîné Joseph.

Où vivra le couple au début? Thimothé et Émérantienne ont sans doute choisi de demeurer à l’île pour l’hiver dans l’une des maisons des parents, comme beaucoup de nouveaux mariés le faisaient encore.  Au printemps, ils seront partis vers la seigneurie de Mount Murray au temps des semailles. 

La Première concession le long de la rivière Murray

La région où s’établit Thimothé s’était anglicisée lorsque des membres du 78e régiment, «Fraser Highlanders» s’était vu attribuer la région de la Malle baye, en remerciement pour avoir combattu aux côtés des Anglais pendant la guerre de Sept Ans cinquante ans plus tôt.  Le général James Murray, un Écossais d’ascendance Jacobite, avait alors scindé en deux la veille seigneurie de la Malle baye et l’avait confié à deux jeunes officiers écossais, Malcom Fraser et John Nairne (1731-1802), formant ainsi la première communauté anglo-écossaise au pays[18].  Ce n’est pas un hasard si Fraser et Nairne s’étaient vu donner ce territoire.  Il l’avait visité et dévasté lors de la conquête anglaise en 1759.  Bien qu’ils aient aussi incendié la Côte-du-Sud, ce ne sont pas les plus beaux champs de blé de Kamouraska, les coquets et verdoyants coteaux de Cacouna ou de Rimouski, ni même les côtes du Bic qui avaient retenu leur attention.  C’est plutôt la nature sauvage, éloignée de la civilisation de l’époque, fait de points de vue majestueux, de gorges impénétrables, de caps rocheux, de paysages austères et de forêt à perte de vue leur rappelant leurs highlands de l’Écosse que choisirent et demandèrent de recevoir comme butin de guerre Malcom Fraser et John Nairne[19].  Bien qu’ils amenèrent avec eux quelques soldats démobilisés et attireront quelques autres anglophones, l’immigration de colons d’origine française du pays avait tôt fait de les submerger.  Néanmoins, comme ce seront les Écossais qui tiendront les rênes des seigneuries de Mount Murray et de Murray Bay pendant longtemps, la région développera un caractère unique attirant déjà la petite bourgeoisie anglaise dominant la colonie.  À l’arrivée de Thimothé à Mount Murray, largement faute de femmes écossaises, l’assimilation de la plupart des Écossais avait fait son œuvre.  Ainsi, outre les Fraser et les Nairne de la classe dirigeante, les Blackburn, McNeil, McNicoll, Warren et autres avaient pour la plupart tous épousé des Canadiennes et ceux qui n’étaient pas catholiques déjà, n’avaient guère eu le choix d’épouser également la religion.  Leurs enfants parlaient tous français.  Cependant, dans leur manière de vivre, chacun avait enrichi la culture de l’autre. 

Même s’il souhaitait avant tout exploiter ses forêts plutôt que de pratiquer l’agriculture Malcom Fraser, à l’époque, possède tout de même trois fermes dans sa seigneurie : la grande ferme de la Comporté, la plus veille et la plus grande avec ses douze arpents de fronts sur la rivière Murray, la petite ferme de la Comporté et la ferme de la pointe à Gaz (pointe Fraser), où est construit le manoir seigneurial.  Si Thimothé a du cœur au ventre, il n’aura guère de difficulté à exploiter la terre où il vient de s’installer avec Émérantienne, près de la petite ferme de la Comporté, car il a la carrure d’un laboureur et probablement l’habileté d’un bûcheron comme tout et chacun.  À cinq pieds neuf pouces[20], il fait bien au-delà de la moyenne de ses compatriotes de l’époque qui est alors de cinq pieds cinq pouces[21].  Pourtant, dans quelques années, ce sera sur l’eau qu’il œuvrera la plupart du temps.

Bien que dans Mount Murray, les meilleurs établissements sont situés là où réside Thimothé, sur les bords de la rivière Murray, et qu’ils s’étendent aussi loin que ceux qui sont sur le rivage opposé, cela ne change pas le fait qu’une bonne portion de ces terres n’offrent qu’une petite portion de terres cultivables, en comparaison à leurs dimensions[22].  La terre sur laquelle le couple s’installe est justement bordée par la rivière Murray (aujourd’hui Rivière-Malbaie).  Chose certaine, cette terre a été rachetée d’un autre censitaire puisque l’endroit choisi, la «Première concession le long de la rivière Murray», est occupé depuis plus de trente ans.  Si les actes de concession ou d’acquisition ont été trouvés pour chacun de ses frères, celui de Thimothé demeure introuvable à ce jour.  En revanche, on sait par divers documents qu’il habitera cette concession sur une terre de trois arpents de front, borné par devant par la rivière Murray, sur quarante arpents de profondeur, borné par derrière par la forêt de pins rouges du seigneur et légèrement en amont de l’endroit où la rivière de la Comporté se jette dans la Murray[23].  Il faut donc conclure qu’en faisant l’acquisition de cette terre pour son cadet, Sébastien Dominique Hervé lui avait procuré par le fait même un toit puisque cette terre était déjà occupée. 

Thimothé sera de plus privilégié par l’existence d’un chemin, la route du Nord-est de la rivière Murray (chemin de la Vallée aujourd’hui), qui longe les terres de la concession et qui traverse la sienne près de la rivière.  Ce chemin, construit depuis 1795, se rend jusqu’au passage de la rivière au cap Fortin, utilisé par tous et exploité par un passeur[24].  Depuis le début du siècle, il se prolonge vers la Pointe à Gaz où se trouve la maison du seigneur et se poursuit vers la première concession le long du fleuve[25], ce qui permettra à Thimothé de se rendre chez ses frères David (1764-1837) et Dominique Isaïe au cap à l’Aigle.  Comme le moulin banal de la seigneurie se trouve sur les terres du seigneur à la grande ferme de la Comporté, il n’aura pas deux kilomètres à faire pour faire moudre son grain.

À l’époque de son installation dans la concession, il n’existe toujours pas de pont reliant les deux seigneuries.  Faire un saut à l’église qui se situe à environ trois kilomètres du côté sud-ouest de la rivière par exemple, exige que l’on emprunte la barque du passeur si on ne possède pas soi-même une embarcation et un accès à l’eau.  L’avenir nous révélera que Thimothé possédera tout ce qu’il lui faut pour naviguer.

Issu d’un peuple insulaire d’agriculteurs-pêcheurs, après les crues printanières il profitera de la rivière et de son saumon qui la remonte pour se nourrir et gagner un revenu supplémentaire; les seigneurs qui, autrefois, interdisaient la pêche ont depuis longtemps appris que les eaux ne leur appartenaient pas[26].  Le saumon pêché dans la seigneurie, entre Murray Bay et la rivière Noire, est vendu à Québec[27]Thimothé, navigateur, n’aura pas à passer par un intermédiaire pour acheminer ses prises à Québec, d’abord sur le «marché d’en bas» puis dans quelques années, à la halle à poisson du «marché Finlay» dans sa partie nord, appelée quai Saint-André[28].

Une des fermes du seigneur, la petite ferme de la Comporté, la plus près, n’est d’ailleurs qu’un peu plus grande que la sienne, elle fait quatre arpents de front contre trois pour celle de Thimothé et elle en a la même profondeur. 

Le 26 octobre 1813, lors de la bataille de la Châteauguay, les Américains sont repoussés au prix de la vie de douze Voltigeurs canadiens et de vingt blessés sérieux dans leur rang.  La nouvelle parvient dans la paroisse en novembre.  À la fin de 1813 Joseph François Hervé (1794-1890), un neveu de Thimothé qui n’a pas encore vingt ans, est recruté par tirage au sort des célibataires pour la guerre qui bat son plein au sud de Montréal et dans le Haut-Canada.  David et son épouse sont probablement dévastés de voir ainsi leur second fils partir se battre sous les drapeaux du roi anglais, sans savoir s’il allait en revenir.  Comme bien d’autres, Thimothé devait être soulagé d’avoir convolé l’année précédente.   

Si les pensées des familles de la région vont vers les leurs partis combattre, le fleuve emportera plus de vie parmi les nôtres que ne l’aura fait la bataille de la Châteauguay lorsque le traversier, entre Trois-Rivières et Sainte-Angèle-de-Laval, coule à pic le 11 septembre 1814, emportant quarante personnes dans la mort.  L’inquiétude des uns ne se mesurera pas à la peine des autres.  C’est cette même journée-là que se conclut la victoire américaine de la bataille de Plattsburgh à laquelle participait le neveu Joseph François.

Le mariage de Thimothé et son arrivée à Mount Murray coïncident avec l’âge d’or du commerce du bois dans la région.  La guerre qui se termine en février 1815 n’aura pas mis fin aux besoins des Britanniques pour le bois de sa colonie.  Ils ont pris goût à la qualité du produit et surtout à son faible prix.  Le nombre de moulins avait commencé à se multiplier sur tous les rivières et ruisseaux de la région depuis le début de la décennie; on en comptera près d’une vingtaine vers 1820.  Si par le passé le moulin était la première chose construite par les colons pour suffire à l’édification des maisons, des granges, des étables et bien plus tard de leur église, les nouveaux moulins visent dorénavant le marché extérieur. Pour approvisionner ces clients par-delà les montagnes où les deux seigneuries sont coincées, le fleuve est la voie naturelle.  Thimothé saura en profiter.

Thimothé n’est à Murray Bay que depuis deux ou trois ans lorsque son seigneur rend l’âme le 15 juin 1815 dans la ville de Québec.  Il est fort probable que le jeune homme n’a eu que peu de contacts avec ce vieux seigneur, absent et âgé de quatre-vingt-deux ans.   Au cours des dernières années, le vieil homme s’appuyait sur quelques personnes de confiance pour la gestion de sa seigneurie.  Les années qui vont suivre seront fort différentes dans les deux seigneuries.  Dans celle de Murray Bay la veuve du seigneur règne en maître, mais dans celle de Mont Murray Marie Ducros dite la terreur (1763-1837), la maîtresse de Malcom Fraser, celle de Mount Murray, n’aura guère d’influence sur le futur de l’endroit.  Ce seront les trois enfants qu’il avait eus avec cette dernière qui récupéreront éventuellement la seigneurie.  Sa maîtresse de Beaumont et ses cinq enfants qu’il eut avec elle ayant déjà reçu leurs dus sur la Rive-Sud et à Québec, Murray Bay restera entre les mains des Fraser-Ducros.  Quant aux quelques autres enfants dit «illégitimes» qu’il n’a pas reconnus et qui lui sont aujourd’hui attribués, ils feront leurs chemins sans le support de leur géniteur (voir 11-1.1, La belle-fille de Rose Hervé).  Outre une nouvelle personne à qui apporter sa rente annuelle et son cens au manoir seigneurial à la Saint-Rémi, pour Thimothé, ce changement de régime aura-t-il eu des implications en raison de la division de la seigneurie entre les deux fils du seigneur? C’est John Malcom Fraser (1800-1860), quinze ans, qui hérite du territoire le long de la rivière Murray s’étendant sur trois lieues (quatorze kilomètres et demi); les deux fermes de la Comporté, le moulin à farine et les moulins à scie sur ce territoire.  En raison de son âge et de celle de son frère William (1794-1830) qui héritait du manoir seigneurial et du territoire le long du fleuve, une longue période s’écoulera pendant laquelle Thimothé devra faire affaire avec des procureurs nommés pour gérer la seigneurie.

Pendant ce temps, Émérantienne Martel accouchera de trois enfants en 1813, 1815 et 1816.  Les deux premiers décéderont à la naissance alors qu’on aura le temps d’amener le troisième pour son baptême.  Ce dernier sera baptisé sous condition, car la sage-femme avait pris soin d’ondoyer le poupon à sa naissance en raison, on présume, de son frêle état; il sera prénommé «Joseph» comme son parrain.  Thimothé et Émérantienne avaient choisi le neveu Joseph Hervé (1794-1890), fils de David et la sœur de ce dernier, Geneviève Hervé (1781-1815) pour parrain et marraine.   L’enfant décédera quand même le jour de sa naissance, «quelques heures après son baptême».  Tous ces enfants avaient vu le jour dans la maison familiale de Mount Murray[29].

Le 7 juin de l’année suivante, Émérantienne Martel décède à son tour à l’âge de seulement vingt-huit ans.  Considérant les trois premières naissances, il est fort probable qu’elle soit décédée d’une grossesse difficile en cette année 1817[30].  Quoi qu’il en soit, Thimothé se retrouve veuf à vingt-sept ans.

Lors des funérailles deux jours plus tard on compte un grand nombre de connaissances présentes.  Il faut y regarder de plus près pour se faire une idée concernant l’entourage de Thimothé après quatre ans de vie à Mount Murray.  On y voit par exemple Roch Bois (1785-1846), l’un des rares ayant la permission de chasser sur les terres du seigneur[31].   Il y a aussi François Tremblay Picoté (1778-1864), l’agent local du marchand de bois de Québec Charles Pacaud (1784-1835), lequel ne réside pas encore à Murray Bay[32] ; natif de l’Isle aux Coudres, François est le frère aîné d’Alexis Tremblay Picoté (1787-1859), le futur instigateur de la Société des Vingt-et-un.  Est aussi présent un autre natif de l’île, Joseph Marie Dallaire (1787-1833), dont la mère est la nièce de la première épouse du père de Thimothé.  On note aussi la présence de François Boulianne (1778-1869) un autre petit-cousin natif de l’Isle aux Coudres, marié à sa petite-cousine Angélique Dufour (1777-1842) et qui est l’homme de confiance le plus apprécié du seigneur de Mount Murray[33].  Il faut sans doute voir dans la présence de Boulianne aux funérailles une fonction sociale que ce dernier exerce au nom du seigneur protestant puisqu’il est de toutes les cérémonies de mariage ou de funérailles des censitaires de Mount Murray[34].  Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, il est aussi possible que Thimothé ait travaillé à l’une des fermes de la Comporté appartenant au seigneur.  Boulianne est le fermier de la grande ferme de la Comporté depuis 1807 et, à ce titre, il n’y lève pas le petit doigt; ce sont des engagés qui font tout le travail à la plus ancienne et la plus importante ferme de la seigneurie[35].  En se voyant accorder la seigneurie de Mount Murray en 1762, Fraser avait ainsi hérité de cette ferme constituée sous le régime français dans la seigneurie de la Malle Baye.  C’est d’ailleurs Joseph Dufour (1709-1774), le grand-père de l’épouse de Boulianne, qui en était alors le fermier[36].  Joseph Dufour est également l’oncle de « la grande Madeleine», la mère de Thimothé

Pendant leur vie commune, les passages de Thimothé et d’Émérantienne Martel à l’église Saint-Étienne, en dehors de leurs visites dominicales, nous en apprennent un peu plus sur leur entourage immédiat.  Ainsi, au printemps 1814, Thimothé avait été choisi comme parrain du quatorzième enfant de son frère David et de Marie Louise Lebreton dite Lalancette (1769-1865), son épouse de quarante-cinq ans, couple de qui il semble très près.  Bien que la marraine de l’enfant soit prénommée Ursule, les parents avaient choisi d’honorer l’épouse de Thimothé en la baptisant «Émérentienne Hervey».  La marraine «Ursule Baret» (1790-1822) est la femme de Joseph Marie Dallaire dont le père fut marié à la cousine Madeleine Savard (1757-1795)[37]La filleule de Thimothé n’a pas vu l’hiver.  Elle était décédée en novembre 1814[38].  Deux ans plus tard, en janvier, il avait été à nouveau choisi comme parrain.  Cette fois-ci, c’était pour le baptême d’un enfant de Louis Gagnon (1782-1855), un autre natif de l’île, et de Rosalie Saint-Gelais (1792-1831).  Louis Gagnon est le fils de Marie Augustine Bouchard (1755-1833), une belle-sœur de François Hervé, frère de Thimothé[39].  Il récidivait en novembre 1816 alors qu’il était parrain au baptême du premier enfant de sa nièce Marie Madeleine Hervé (1797-1875), fille aînée de son frère Dominique Isaïe[40].  Marie Madeleine est mariée à René Duchesne (1793-1831).  Quatre membres de la fratrie de René Duchesne ont épousé ou épouseront des enfants de David et de Dominique Isaïe Hervé.  Finalement, Thimothé assistait aux funérailles de Raymond Tremblay le 16 décembre de la même année.  On connaît bien peu de chose sur ce célibataire de trente-neuf ans, mais on peut présumer qu’il est natif de l’Isle aux Coudres puisque les frères Alexis et Louis Tremblay Picoté (1793-1862) assistaient aussi de même que René Duchesne marié à la nièce de Thimothé et son frère Paul Duchesne (1787-post.1842).  Bien entendu le représentant du seigneur François Boulianne y assistait également[41].

1818, une seconde épouse et un changement de cap

Après un long conflit entre les habitants des deux rives de la rivière Murray, conflit qui dure depuis 1815 au sujet de la construction du pont qui reliera les deux seigneuries, on s’entend finalement à la fin de 1817.  L’ouvrage qui sera construit l’année suivante coûtera cent livres sterling et chacun des habitants des deux seigneuries devra participer d’une quelconque façon à sa construction.  Thimothé, au prorata de la dimension de sa terre, doit donc s’acquitter de sa quote-part établie à trois cinquièmes du coût total pour les censitaires de Mount Murray qui sont ceux ayant le plus à gagner.  Depuis trois ans, c’est eux qui faisaient le plus de bruits pour son obtention.  Comme on permettait le règlement du paiement par des corvées, parions que Thimothé doit passer quelques journées dans la construction de l’ouvrage[42].


À la fin mai 1818, Thimothé est témoin au mariage de Louis Bois (1791-1871) et d’Angélique Filion (1796-1860).  Outre le fait que Louis Bois soit du même âge que lui, on ne lui trouve aucun lien de parenté.   Cependant, Louis est le fils de Roch Bois qui assistait aux funérailles d’Émérantienne un an plus tôt.  On peut présumer que ces Bois sont voisins dans la concession.  Comme ils sont également nouvellement installés et qu’ils ont précédemment habité deux villages de la Côte-du-Sud où ont demeuré François, David et Joseph Sébastien Hervé, trois frères de Thimothé, le père est peut-être une de leurs connaissances[43].

La vie de Thimothé semble avoir passablement changé après le décès de son épouse.  À partir de ce jour, il semble s’être accroché à David, son demi-frère de plus de vingt-cinq ans son aîné, comme à une bouée.  Il le suivra pendant une vingtaine d’années et après la mort de ce dernier, il sera dans la vie des fils de celui-ci.  De cultivateur-bûcheron, il passera à navigateur-bûcheron, mais pour cela, il devra se rapprocher du fleuve et acquérir une goélette.  Il quitte donc sa terre pour s’établir au cap à l’Aigle voisin de ses demi-frères.  Thimothé ne se départit pas de sa terre de la «Première concession le long de la rivière Murray»; il la loue sans doute puisqu’elle demeurera sa possession jusqu’à sa mort.  Les terres au nord-est de la rivière sont les plus productives des deux seigneuries.  Ce n’est pas un hasard si les Français y avaient implanté la grande ferme de la Comporté.  L’orientation du soleil et la qualité du sol leur donnent un avantage sur toutes les autres de la région.  De fait, elles sont deux fois plus productives que celles du cap à l’Aigle[44], secteur que privilégie maintenant Thimothé.     Comme ce dernier n’a pas comme priorité la culture de la terre, mais plutôt besoin de financer son projet d’acquérir une goélette pour se faire navigateur, le rapprochement au fleuve et le prix de location qu’il obtient pour sa terre du Nord-Est de la rivière satisfont sans doute ses besoins immédiats.

Il se sera passé à peine un an avant que Thimothé ne retrouve l’amour.  En secondes noces, il épouse Marie Elizabeth Audet dite Lapointe le 8 août 1818.  De six ans sa cadette, Elizabeth est également native de l’Isle-aux Coudres, mais ses parents sont établis dans la paroisse de Saint-Étienne depuis peu.  Elle est une fille de Jean Louis Audet dit Lapointe (1769-1832) et de Magdeleine Perron (1770-1823).  Charlotte Hervé (1751-1822), la grand-mère maternelle d’Elizabeth, est la cousine germaine de Thimothé.  Charlotte avait près de quarante ans à la naissance de Thimothé, cadet de sa famille; elle est l’unique enfant de l’oncle Zacharie Sébastien (1726-c.1813), l’aîné de la famille de son père qui en est le cadet.  Le père de la mariée est lié aux Hervé depuis longtemps.  Avant de son mariage, il avait quitté l’Isle et était parti tenter sa chance sur la Côte-du-Sud un peu après ses devanciers François (1760-1843), David et Joseph Sébastien Hervé (1767-1834), trois des demi-frères de Thimothé, qui l’avaient fait eux aussi.  Jean Louis Audet dit Lapointe fut alors choisi comme parrain de Marie Anastasie Arvé (1800-1879), fille de François Hervé et de Félicité Perpétue Bouchard (1758-1843), sœur de sa mère Madeleine Bouchard (1743-1837)[45].  Cette proximité entre les deux familles explique sans doute la rapidité avec laquelle Thimothé retrouva l’âme sœur.

En épousant Elizabeth Audet dite Lapointe, Thimothé devenait le beau-frère de Zacharie Audet (1807-post.1843) et d’Adolphe Audet (1809-1814).  Les deux frères Audet dit Lapointe épouseront deux filles du petit-cousin Joseph Marie Dallaire et d’Ursule Barrette, un couple souvent présent dans la vie de Thimothé[46].

Le mariage de Thimothé et d’Elizabeth, bien que rapide, n’était pas un mariage obligé.  Néanmoins, contrairement à l’habitude d’établir un contrat de mariage avant l’union à l’église, ce n’est qu’un mois plus tard qu’ils se présentèrent à l’étude du notaire Chiniquy avec de nombreux témoins pour signer ledit contrat[47].

La terre où Thimothé et Émérantienne s’établissent est donc dans la «Concession du Cap à l’Aigle», ouverte depuis maintenant vingt ans.  Elle est située à environ un kilomètre et demi du début du rang qui longe le fleuve.  Bien qu’elle fasse trois arpents de front sur le fleuve, elle n’en fait que trente de profondeur contrairement à celles de la «Première concession le long de la rivière Murray» qui en font quarante puisque le seigneur s’est réservé la forêt de pins rouge située à l’arrière de ces terres.  Ses voisins sont ses frères Dominique Isaïe, le cadet du premier lit et l’un des premiers habitants du cap à l’Aigle (du Heu) et David (1764-1837) aussi du premier lit et autrefois de Saint-Roch-des-Aulnaies, mais au cap à l’Aigle depuis probablement 1802[48].  Pour conserver cette terre du secteur au nord-est de la pointe du Heu, borné par devant au fleuve Saint-Laurent et par derrière au bout des trente arpents, courant nord-ouest et sud-est, Thimothé, pour ses trois arpents, devra payer chaque année la rente seigneuriale de sept livres et six sols et le cens établi à six sols, le tout en monnaie française qui a toujours cours et que le seigneur reconnaît[49].

La Concession du Cap à l’Aigle

L’agriculture est difficile dans la seigneurie de Mount Murray où peu de bonnes terres sont cultivables.  Pour peu qu’il y en ait, elles sont surtout situées le long de la rivière Murray, sur une distance d’environ neuf kilomètres.  Les sols du cap à l’Aigle le long du fleuve sont plutôt montagneux.  De plus, outre le fait que ces terres ne soient pas productives Thimothé doit faire plus de huit kilomètres pour aller faire moudre son grain.  Malcom Fraser a été avare pour la construction de moulins banaux; le moulin de la rivière Comporté, datant de l’époque du Régime français et rafistolé à quelques reprises était demeuré le seul existant dans toute la seigneurie jusque vers la fin du siècle dernier.  Fraser avait finalement doté sa seigneurie d’un moulin banal tout neuf en 1798, mais toujours localisé sur le domaine de la Comporté[50].  Bien que le sol y soit pauvre et qu’il ne se prête guère à une culture suffisante pour en faire le commerce, Thimothé saura tirer de la terre ce qu’il faut pour nourrir sa famille.  De toute façon, comme on le verra, ce n’est pas pour l’agriculture que Thimothé a ainsi changé sa vie.   Si au cap à l’Aigle l’agriculture est un défi, le bois de toutes espèces est abondant et heureusement, le secteur est arrosé de nombreux petits ruisseaux qui suffisent à faire marcher des moulins à scie,[51] moulins qui fourniront le gagne-pain principal de Thimothé.

La concession du Cap à l’Aigle est située au sommet d’une longue falaise qui domine le fleuve sur sa rive nord.  Ce hameau qui accueille Thimothé est fait de relief vallonneux et un sentier mène à la grève, ce qui est heureux compte tenu du métier qu’il choisira s’il ne le pratique pas déjà.  Les eaux du Saint-Laurent et celle de la rivière Murray continueront longtemps d’être la voie de transport pour Thimothé et sa famille.  L’accès au rivage est malaisé pour les bateaux et les goélettes en raison des battures étendues qui rendent l’approche difficile, voire presque impossible, à marée basse. Néanmoins Thimothé, fils de navigateur, a déjà appris à tirer profit de la marée haute, laquelle peut atteindre quatre à cinq mètres.  Il pourra ainsi aller rejoindre ses parents à l’Isle ou sur la Côte-du-Sud ou simplement se déplacer pour ses besoins aux environs.

La seigneurie de Mount Murray, celle de Thimothé, n’a pas l’homogénéité de l’île de son enfance.  Il y verra s’installer ou passer plusieurs personnes qui ne sont pas des descendants des premiers colons français.  Si les censitaires écossais vont de soi, considérant l’origine des seigneurs de la région, on en verra bien d’autres venant des îles britanniques, des Irlandais en autres, mais également beaucoup d’anglais.  Aussi, depuis 1816, Hans Georg Bührer (1791-1844)[52], l’un des voisins de Thimothé au cap à l’Aigle, natif d’Ottoschwanden dans le grand-duché du Bade (aujourd’hui une commune d’Allemangne)[53].  Hans Georg Bührer et sa femme Catherina Graftmüllerin (1793-1884) se sont mis au service du seigneur comme fermier dès leur arrivée[54].  Les enfants de Hans grandiront avec les Hervé du coin si bien que deux d’entre eux épouseront des Hervé[55].

Elizabeth Audet dite Lapointe mettra au monde dix enfants dont huit atteindront l’âge adulte.  Thimothé et cette dernière se mettent à la tâche rapidement puisque le 24 juillet 1819, naît leur premier enfant.  David Hervé, frère de Thimothé choisi comme parrain, portera l’enfant à son baptême le lendemain avec la marraine Magdeleine Perron (1770-1823), grand-mère maternelle de l’enfant.  Comme le veut la tradition, on aura choisi les grands-parents comme parrain et marraine de «Marie Hervey» et, ici, David le plus vieux de la fratrie à Mount Murray remplace le père décédé[56].  

Un mois plus tard, Thimothé est témoin au mariage de sa nièce Geneviève Hervé (1798-1881), fille de son frère David.  Geneviève épouse Joseph Duchesne (1797-1879); elle est la deuxième de la famille Hervé à épouser un fils de René Abraham Duchesne dit Samson (1760-1825)[57].

Thimothé semble s’écarter des convenances et habitudes de l’époque.  Serait-il un peu rebelle ou simplement navigateur de tempérament? On se souviendra qu’il avait fait rédiger son dernier contrat de mariage un mois après la cérémonie plutôt qu’avant.  En octobre, il décide de faire effectuer par le notaire la vente des meubles ayant appartenu à la communauté qu’il formait avec sa défunte épouse Émérantienne Martel, que l’on surnommait Émerance. Une telle prise d’inventaire suivi de la vente des biens communs était normalement conduite avant qu’un veuf ne prenne une nouvelle épouse afin de régler la succession qui, dans ce cas-ci, concernait les parents d’Émerance.  Et pourtant, Thimothé aura attendu treize mois après son second mariage et près de trente mois après le décès de sa première épouse pour l’accomplir[58]

Navigateur comme son père

En 1820, Thimothé possédera déjà une goélette[59].  Curés et recenseurs se ligueront pour le déclarer «laboureur» et au mieux «cultivateur», confondant ainsi «la propriété terrienne et la fonction de l’occupant».  En cela, il sera comme la plupart, car la société du temps vénère la terre et répugne l’argent.  Les navigateurs, sans raison valable, ont alors mauvaise presse. Tout comme les bûcherons, ils sont souvent perçus comme des insoumis blasphémant, buvant et vivants hors des lois de l’église.  Bien sûr, Thimothé possédera toujours une terre comme la plupart pour nourrir sa famille, mais ses revenus seront principalement tirés de la forêt comme plusieurs du clan des Hervé.  Dans son cas, c’est plutôt le transport de ce qui sort des forêts qui lui apportera un revenu respectable.  À Mount Murray tout comme à Murray Bay, le fleuve est un incontournable pour le transport des madriers que les divers moulins et marchands de bois livrent à Québec, pour être ensuite être chargé sur de plus gros navires en partance pour les îles britanniques.  Les routes de l’époque dans la région sont de vulgaires chemins qui ne permettent aux habitants que de tourner en rond à l’intérieur de cette enclave limitée à l’ouest par les Caps puisque le chemin qui permettrait un accès vers Québec n’existe toujours pas.  Les Fraser et leurs moulins, celui sur la Comporté d’abord et les autres qui viendront par la suite, ont besoin des navigateurs et de leurs goélettes pour ce transport.  Il en est de même pour les marchands de bois de Murray Bay.  Près de chez Thimothé, la demande de transport de madriers ne manque pas.  Sur la rivière de la Comporté se trouve le moulin à deux scies des Fraser qui est en activité depuis 1793 et sur lequel François Boulianne est à bail après avoir succédé à son père.  En face, tout juste de l’autre côté de la rivière, il y a aussi le moulin du sud-ouest de la rivière Murray, celui de ses cousins Pierre (c.1759-1857) et Dominique Romain dit Joseph (1768-1830) Hervé et celui de leur frère Louis Hervé (1762-1842) qu’ils opèrent depuis un certain temps.

À l’automne 1819, son frère David avait signé un contrat de bois pour la vente de madriers au marchand Amable Bélair (1781-1841)[60].  Bélair est le second époux d’Anne Fraser (1792-1877), fille de feu Malcom Fraser et de sa maîtresse de Mount Murray, Marie Ducros dite la terreur.  C’est un peu ce Bélair qui, à titre de procureur, dirige la seigneurie de Mount Murray dans cette période incertaine qui suit la mort du seigneur.  Le bois de David est promis pour un moulin à scie au Bas-de-l’Anse, là où se jette au fleuve la rivière à la Loutre dans la seigneurie de Mount Murray au nord-est dans la concession du Cap à l’Aigle[61].  Ce moulin, dont le contrat de construction n’est accordé par Bélair qu’en janvier 1820, n’entrera finalement en activité qu’à la fin de l’été[62].    Le bois du contrat de David doit être livré, pour la fin du printemps ou au début de l’été suivant.  La famille élargie y passera l’hiver, car les contrats de bois étaient toujours une question d’équipe, un seul homme ne pouvant, à lui seul, abattre et transporter au moulin les quantités de madriers prévus aux contrats.  Comme le moulin ne sera prêt qu’à la fin de l’été, on ne sait pas si les madriers furent livrés sur le terrain du moulin en construction ou s’ils furent acheminés au moulin de Michel Gagné sur la rivière Mailloux dans la seigneurie de Murray Bay où Bélair est à bail[63].  Peu importe l’endroit, la goélette de Thimothé a dû avoir été mise à profit.  Comme les activités forestières requièrent plusieurs hommes et sont affaire de famille, il y a de fortes chances que ce contrat avec le marchand Bélair explique l’acquisition d’une goélette par Thimothé

Le père de Thimothé lui avait bien fait comprendre, comme à ses autres frères d’ailleurs, que le sol relativement pauvre de la région n’était pas une source assurée de revenus, mais plutôt une source de subsistance.  On sait peu de choses sur les activités de Thimothé à Murray Bay avant 1820 alors qu’il enregistre sa première goélette connue sous le nom de «La Clara», d’une jauge respectable de quarante-cinq tonneaux[64].  Par ce tonnage et la conception des goélettes du temps, elle fait probablement un peu plus de cinquante pieds.  Il s’agit sans aucun doute d’un bâtiment à quille portant deux mâts et des voiles auriques, la norme pour l’époque, car les goélettes à fond plat mieux adaptées aux échouages obligés en raison des marées commencent à peine à les remplacées[65].  Ce type de goélette est réputé pour sa maniabilité, sa bonne tenue en mer et elle ne requière qu’un équipage restreint.  Thimothé l’utilisera pour le cabotage, réalisant ainsi le transport de marchandises le long des côtes entre les villages pour les marchands de l’endroit, mais, compte tenu de son tonnage, plus certainement pour le transport de madriers vers Québec.  Depuis 1818, on exporte des madriers d’épinette vers les marchés extérieurs à mesure que les réserves de grosses pièces de pin pour la mature diminuent.  La catégorie de bois qui prend graduellement le plus d’importance dans le commerce des marchands de bois de la région est le madrier dit du standard de Québec ou de La Malbaie.  Les navigateurs comme Thimothé ont beau jouir d’une mauvaise réputation et être regardés de haut par certains, il n’en demeure pas moins qu’ils sont essentiels à l’économie des seigneuries de Mount Murray et de Murray Bay.  Ce métier, Thimothé le partage à l’époque avec Archibald Maclean, Pierre Denis, Édouard Verreau, Hubert Simard, Joseph Hovington, Paul Savard, Régis Jean, Joseph Lemaître et Jean Marie Desbiens[66].

Évidemment pour Thimothé, la navigation demeure saisonnière même si elle s’étend de la fonte des glaces à la fin de l’automne.  Comme plusieurs autres navigateurs, il doit tirer ses revenus d’une autre source pendant la saison morte.  Comme la forêt occupe le plus clair de l’activité hivernale dans la seigneurie, s’il ne s’active pas déjà à la construction d’une autre goélette, il est sûrement dans les bois à bûcher avec ses frères David et Dominique Isaïe et leurs nombreux fils pour le compte d’un des nombreux propriétaires de moulin.  

Si à l’automne Thimothé s’enfonce en forêt dans l’un des campes le long de la rivière Murray (aujourd’hui la rivière Malbaie), le printemps, navigateur habitué à l’onde, il devait participer à la drave sur cette rivière.  Si tel a été le cas comme je le pense, les fils de Dominique auraient participé à cette tranche importante de l’histoire.  Ils auraient ainsi dirigé le flottage du bois dans la descente de cette rivière au moment des crues liées à la fonte des neiges.   À l’époque et pour longtemps dans notre histoire, ce métier dangereux de draveur exaltait la fierté des hommes pour qui cette périlleuse activité marquait la fin d’un long hiver passé à bûcher en forêt et leur retour auprès de la famille.

On apprendra plus tard que Thimothé est l’un de ceux de Mount Murray qui construisait ses propres goélettes, métier qu’il a peut-être enseigné à son neveu François (1800-c.1871), fils de David, puisque ce dernier sera aussi constructeur de goélettes[67].  À cette époque plus de soixante pour cent des propriétaires de goélettes ne se soumettaient pas à l’obligation de les enregistrer.  Thimothé possédait peut-être «La Clara» bien avant 1820,[68] mais on peut sans doute présumer, compte tenu du nom du navire, qu’il n’a pas construit celui-là.  En effet, aucune femme de son entourage ne portait ce prénom.  Les goélettes selon leur tonnage ont des équipages variés allant de deux à quatre hommes en moyenne.  On ne sait pas qui composait son équipage.  Mentionnons cependant qu’on faisait souvent appel à des célibataires de la famille pour ce travail.  Son frère David, qui a navigué a cinq fils en âge de prendre la mer et dont l’un, François, sera bientôt navigateur de métier et propriétaire d’une goélette.  Dominique Isaïe pour sa part a trois fils en âge de naviguer.

Lorsqu’en février 1820, le neveu Pierre Lumina Hervé (1796-1858), fils de son frère David, épouse Geneviève Fortin (1791-1826), Thimothé est encore témoin au mariage[69].  Marie Anne Duchesne (1756-1822), la mère de Geneviève, est la tante par alliance des quatre neveux et nièces de Thimothé qui ont épousé des Duchesne.

En juin, Thimothé est choisi comme parrain de «Vital Daler».  Six ans plus tôt, il avait été parrain d’un enfant avec la mère de Vital, «Ursule Baret» mariée au petit-cousin Joseph Marie Dallaire[70]

Elizabeth Audet dite Lapointe met au monde son deuxième enfant le 27 janvier 1821.  Le lendemain «Louis Hervey» est porté pour son baptême de l’autre côté de la rivière.  Les participants à la cérémonie n’ont plus à attendre la barque du passeur puisque l’on traverse aisément la rivière par le nouveau pont.  Le parrain choisi est Louis Gagnon (1789-1878) marié à la nièce Marie Josephte Perron (1801-1883), fille de Félicité Hervé (1769-1846).  Si le choix du parrain peut être motivé par le lien de parenté l’unissant à Thimothé, il pourrait également s’agir d’un lien d’affaires puisque Louis Gagnon sera impliqué dans le commerce de madriers de pin[71].  La marraine est évidemment une proche de la famille; le nom d’«Ursule Baret» revient encore.  Comme on ne cour guère une grande distance pour aller quérir parrain et marraine, il faut nécessairement présumer que cette marraine est une voisine[72]

L’instabilité vécue à la mort de l’ancien seigneur prend fin après six ans en 1821.   La seigneurie devait alors être codirigée par les frères William et John Malcom Fraser.  Or, ce dernier avait hérité du territoire longeant la rivière Murray et il vient d’atteindre sa majorité.  Il cède immédiatement par procuration les pouvoirs à son frère William.  À titre de nouveau seigneur de Mount Murray, l’une des premières tâches de William Fraser (1794-1830) sera de présenter au gouverneur colonial Dalhousie un Aveu et dénombrement en 1822.  Thimothé se présentera devant le notaire Charles Pierre Huot (1791-1865), pour lui déclarer sa concession afin de recevoir un nouveau titre pour sa propriété de la «Concession du Cap à l’Aigle» où sont établis la majorité des censitaires de la seigneurie[73].  Au total, dans la seigneurie, ils ne sont que cent quinze censitaires dont quarante-sept ont les pieds dans la Rivière-Malbaie et les autres, comme Thimothé, sont essaimés le long du fleuve.  Ils sont déjà trois fois plus nombreux dans la seigneurie voisine de Murray Bay, au sud-ouest de la rivière[74].  

Thimothé et Elizabeth perdent leur premier enfant le 24 mai 1822.  Marie Hervey n’avait pas trois ans.  Le bedeau Mathieu (Mathias) Savard (1778-post.1832)[75], petit-cousin de Thimothé, procède à l’inhumation de l’enfant[76].  Les chances pour Thimothé d’avoir une descendance s’amenuisent.  Deux semaines plus tard, le samedi 8 juin, c’est au tour de Louis, le petit dernier de succomber à ce qui a toutes les apparences d’une maladie qui avait fait son chemin dans la maisonnée.  L’enfant de dix-sept mois est porté en terre deux jours plus tard par son père et le bedeau Savard[77]Elizabeth, bien qu’elle se retrouve seule plus souvent qu’à son tour, Thimothé ayant la mer comme échappatoire, ne perd pas espoir puisqu’elle est enceinte de trois mois au décès de Louis.

«Marie Elisabeth Hervai» voit le jour le 31 décembre.  Elle est baptisée le jour même, ce qui démontre une fois de plus la proximité de la maison familiale du cœur du hameau qui se développe lentement de l’autre côté de la rivière où se trouve l’église Saint-Étienne.  La marraine choisie par les parents est la nièce homonyme, Marie Elisabeth Hervé (c.1803-1851), quatrième fille de David.  Le parrain quant à lui est Zacharie Audet dit Lapointe (1807-post.1843), frère de la mère[78]Elizabeth apportera certainement du bonheur à Thimothé et Elizabeth, puisque l’enfant sera le premier à survivre.

Elisabeth Hervai

Elisabeth épousera Séraphin Villeneuve (1825-1906) en 1846[79].  Né de parents insulaires, Séraphin sera cultivateur dans la paroisse Saint-Étienne toute sa vie active.  Elisabeth donnera naissance à six enfants dont quatre survivront.  Avec une si petite famille, le couple pourra se gâter.  En 1860, ils feront l’acquisition pour la somme de neuf livres d’«une bonne calèche complète, bien faite & bien peinte & bien vernie & bien bourrée, avec un essieu de bois — ladite calèche faite avec du bois bien sec.»[80]  Elisabeth ne jouira pas de sa calèche très longtemps.  Le 19 février 1865, elle s’éteindra à l’âge de quarante-deux ans[81].  Séraphin prendra une seconde épouse cinq mois plus tard[82]

Thimothé, trente-deux ans, est de cet âge où l’on est appelé fréquemment à diverses fonctions sociales.  Bien qu’il soit le plus souvent sur la mer, ses hivers sont comblés par de tels événements.  Il est encore une fois choisi comme parrain au baptême d’un enfant, à la fin février 1823, celui d’Évariste Barrette.  Joeph François Barrette (1789-1824), père de l’enfant, est un cousin de feu Ursule Barrette déjà rencontrée,[83] mais il est surtout un navigateur tout comme Thimothé.  Joseph François, trois mois plus tôt, se départait de sa petite goélette de vingt-cinq pieds, la «Sophie», au profit de François Duchesne[84].  Parions que Thimothé et Joseph François qui construit également lui-même ses goélettes[85] passeront une partie de cet hiver 1822-1823 à construire la goélette de remplacement de la «Sophie».

C’est en avril 1823 que le petit-cousin Joseph Marie Dallaire, qui a perdu son épouse Ursule Barrette l’année précédente, convole en secondes noces.  Il épouse Victoire Gaudreau (1795-1848).  Thimothé agit comme témoin du marié[86].

À la mi-octobre Elizabeth Audet dite Lapointe perd sa mère.  Âgée de cinquante-trois ans Magdeleine Perron avait élevé sept enfants.  C’est Thimothé qui porte sa belle-mère en terre[87].  Une quinzaine de jours plus tard François Hervé fils de David, navigateur comme son oncle Thimothé, épouse une Audet dite Lapointe.  Antoinette (1806-1892) est la cousine d’Elizabeth[88].  La vie de François se passera sur l’eau et selon toute vraisemblance il se noiera dans une cinquantaine d’années[89].

C’est aux environs de 1824[90] que vient s’établir à Mount Murray un nouveau forgeron.  Avec la construction d’autant de moulins et de goélettes, ce métier est en grande demande.  Basile Thivierge (1794-1856) s’amène alors de l’île d’Orléans pour combler les besoins.  Il est un descendant de sixième génération d’une Hervet.  Son ancêtre, Renée Hervet (1636-1702) était la sœur du migrant Sébastien Hervet (1642-1714), l’ancêtre de la plupart des Harvey du Québec.  Renée avait été la première Hervet à débarquer en Nouvelle-France lorsqu’elle arriva à Québec en 1662.    

Lorsque, le 13 septembre 1824, décède son neveu Dominique Hervay (1789-1824), l’aîné de son frère David, c’est Thimothé qui, avec le cousin et bedeau Mathieu (Mathias) Savard, le porte en terre deux jours plus tard[91].  Une série d’événements suivront ce décès, événements qui entraîneront tout un bouleversement pour le clan des Hervé du Cap à l’Aigle.  Le premier survient deux mois plus tard alors que Dominique Isaïe, cadet du premier lit, quitte définitivement la seigneurie de Mount Murray en 1824.  Le 13 novembre, il obtient une terre de la seigneuresse Christiana Emery (1743-1828) dans la concession Saint-Charles de la seigneurie voisine de Murray Bay; cette terre est adjacente à celle du neveu décédé[92].  Alors que Thimothé vient tout juste d’atteindre trente-quatre ans, que David en a maintenant soixante et Dominique Isaïe près de cinquante la connivence des trois frères s’estompe.

En octobre, à l’inhumation de René Abraham Duchesne dit Samson, père de cette grande famille qui donna quatre de ses enfants à marier à des Hervé, Thimothé fut encore une fois celui qui le porta en terre avec Mathieu (Mathias) Savard le bedeau[93]

Au cours de ce même automne, Marie Marguerite (1792-1857), sœur puînée de Thimothé avait accouché de son cinquième marmot.  C’est ce dernier qu’elle avait choisi comme parrain de l’enfant lors de son baptême[94].   Thimothé devait avoir un caractère amène pour qu’il soit choisi aussi souvent comme témoin lors de mariages de parents, d’amis ou de confrères ainsi que comme parrain lors de baptêmes.

Marié depuis bientôt treize ans, Thimothé voit enfin naître un garçon qui survivra à sa naissance.  Le 18 janvier 1825, Elizabeth accouche de «Benjamin Hervai» qui sera baptisé le lendemain.  Le couple choisi pour parrain Jean Louis Audet dit Lapointe, grand-père maternel de l’enfant pour parrain.  Catherine Barrette (1786-1843), sœur de la défunte Ursule, est la marraine choisie[95].

Benjamin Hervai

Alors qu’il n’aura pas encore atteint sa majorité, Benjamin vivra quelque temps à Saint-Alphonse dans la baie des Ha! Ha! Il y sera en 1843, probablement venu au temps de l’établissement de ses cousins Joseph (1794-1890) et Pierre Lumina (1796-1858) Hervé chez son oncle David.  Selon les paroles rapportées bien plus tard par l’une des filles d’Alexis Simard (1788-1875), l’un des Vingt-et-un, Benjamin n’aima pas le Saguenay : «Mon Dieu, quelle vie, quel martyre! Ah! la mauvaise idée qu’on a eu de laisser Charlevoix où on était si bien pour venir s’faire dévorer tout rond, ici par les maringouins!... »[96] Bien que l’on puisse douter que la vieille dame se soit souvenue des paroles exactes de ce fils de navigateur, d’autant plus que la région de Charlevoix ne portera ce nom qu’à compter de 1855, son souvenir traduit sans aucun doute le sentiment de Benjamin pour le Saguenay puisque deux ans plus tard il l’aura quitté pour revenir sentir l’air salin du fleuve.  Le 25 novembre 1845, il épousera Louise Belley (1826-1921), une fille de Sainte-Agnès[97].  Le couple s’établira sur une terre de la seigneurie de Murray Bay dans les limites de ce qui était alors Saint-Étienne de Murray Bay.  Ils auront sept enfants entre 1847 et 1859 dans la «Concession nord-est du Gros Ruisseau».   L’année suivante, Benjamin vendra sa propriété pour en acquérir une autre à Saint-Fidèle de Mount Murray, dans le secteur qui deviendra la paroisse de Saint-Siméon en 1874.  C’est cette même année qu’il fait l’acquisition de la goélette «Éphrem Bouchard», des mains de la veuve Blackburn, pour un montant de quarante livres[98].  Benjamin prend donc la mer comme son père avant lui[99].  À Saint-Fidèle, Louise Belley accouchera de quatre autres enfants, dont le dernier naît en 1871.  Benjamin s’éteindra à soixante-dix-sept ans, sur le bord de la mer à Saint-Siméon, le 2 mars 1902[100].  Louise lui survivra jusqu’en 1921[101].

C’est en 1825 que Thimothé enregistre sa deuxième goélette connue, « La Diligente», une goélette à fond plat d’une jauge de quarante-quatre tonneaux.  L’histoire ne dit pas s’il s’était départi de la première.  Quoi qu’il en soit, «La Clara» aura été mise au rancard avant 1851 puisque cette année-là son petit cousin le marchand André Hervé (1804-1893), conjointement avec le marchand Georges Tremblay feront construire une goélette de quarante-neuf pieds dotés d’une jauge de quarante-six tonneaux que l’on nommera également «La Clara» du nom de la fille d’André, Marie Clara (1848-1909)[102].

Thimothé continuera donc de gagner son pain et son beurre à transporter les produits des fermes environnantes et ceux de la forêt vers Québec.  La longueur moyenne de la goélette du Saint-Laurent de l’époque est de cinquante pieds, tandis que le tonnage moyen est d’environ cinquante tonneaux.  La goélette à voiles à fond plat de Thimothé à un gréement bien différent de «La Clara» puisque le grand mât a pris la place du mât de misaine à l’avant, tandis que ce dernier est reporté à la place du grand mât.  Pour les navigateurs du temps, la goélette à fond plat est un «bateau», c’est ainsi qu’il la nomme.  Comme il s’agit d’un navire d’échouage, le genre de fond du «bateau» de Thimothé ne sert pas uniquement à faciliter les chargements et les déchargements, il permet aussi de réduire au minimum le tirant d’eau, ce qui est important dans les eaux peu profondes et bordées de grandes battures comme celles de la Malle baye.  Malheureusement pour lui, se rendre à Québec sera dorénavant plus long, car la réduction du tirant d’eau de son fond plat ralentira sa nouvelle goélette.

«À quai, les “bateaux” faisaient merveille, mais au large, hélas! ils étaient tout le contraire de fins voiliers. Sorte de voitures sans ressorts, ils avaient horreur du roulis comme du tangage. Bâtis pour être mus par le vent, la houle les rendait malades»[103].

Bonne affaire cependant que cette nouvelle grosse chaloupe qu’a acquis Thimothé ; pour naviguer dans un fleuve aux eaux peu profondes et bordées de grandes battures où les quais sont encore inexistants dans tous les villages, il aura sans doute eut raison.  Si le train prend la relève des goélettes sur la Côte-du-Sud vers les années 1860, Thimothé n’a pas à s’inquiéter puisqu’il ne le verra pas arrivé dans son coin de pays de son vivant.

Lorsque le recenseur colonial du Bas-Canada se pointe le né à l’été 1825, ils sont cinq dans la chaumière familiale.  Outre leurs deux enfants, un autre enfant au-dessus de six ans et au-dessous de quatorze ans, demeure chez Thimothé et Elizabeth.  Il s’agit sans doute d’une parente épaulant la mère qui se relève de son accouchement cinq mois plus tôt.  Peut-être aussi s’agit-il de l’une des quatre filles du neveu Dominique (1789-1824), l’aîné chez son frère David, décédé en septembre de l’année précédente, lequel avait laissé à sa veuve six orphelins de père, dont Christine (1815-1879) qui pourrait être venue vivre chez Thimothé le temps de la grossesse d’ElizabethThimothé est toujours voisin de son demi-frère David.  

Bien que l’ordre d’inscription des noms des habitants par l’énumérateur ne soit pas garant de leur localisation, la terre de Thimothé devait être l’une des premières de la concession du Cap à l’Aigle.  Précédent Thimothé dans l’ordre d’énumération, on retrouve des Savard parmi les premiers à s’être établi dans la concession lors de son ouverture en 1794, le Dr William Fraser, seigneur de Mount Murray dont le manoir est toujours celui construit par son père sur la pointe à Gaz, et la ferme de la pointe à Gaz (pointe Fraser) ainsi que le marchand Hubert (Simon) Cimon (1789-1859).  Ce recensement regroupe les deux seigneuries.  La vallée de la rivière Murray constitue la principale zone de peuplement en 1825.  Dans la seigneurie de Mount Murray où habite Thimothé, un petit hameau s’est développé à l’embouchure de la rivière.  On ne compte alors qu’environ mille personnes réparties sur cet immense territoire où cent vingt emplacements ont été accordés[104].  Sur la rive opposée, ils sont plus de deux mille dans la seigneurie de Murray Bay.  Le village de Nairne sur la rive droite de l’embouchure de la rivière où se situe l’église[105] ne compte guère qu’environ cent cinquante habitants à cette date[106]

Le mardi 24 janvier 1826 sera fort occupé pour Thimothé.  Le fleuve étant gelé, il ne peut être en mer, mais on présume qu’il s’était permis une pause du travail d’abattage en forêt.  Il agit alors comme témoin au mariage de son neveu Joseph Brassard (1803-1877), fils de sa demi-sœur Geneviève Hervé (1791-1815), qui épouse Josephte Bouchard (1809-1884), fille d’un autre expatrié de l’Isle.  La même journée, quand Anne Savard (1808-1831), la fille de son cousin Dominique Savard (1862-1811), natif de l’Isle aux Coudres, épouse Damase Gauthier (1801-1867) dans l’église Saint-Étienne, c’est Thimothé qui lui sert de père.  Ce cousin, aujourd’hui décédé, s’était amené dans la paroisse avec sa famille un peu avant l’arrivée de Thimothé[107].

Si en 1826 Thimothé devait se rendre à Québec pour y livrer du bois ou autres marchandises, il aura dû rester à quai.  Une épidémie d’influenza y sévit et plus de trente mille personnes seront atteintes parmi lesquels on comptera plusieurs morts.  Triste sort que celui de marin qui ne peut visiter les auberges et tripots de la Basse-Ville.  S’il vécut certaines restrictions au port de Québec cette année-là, il devra s’y habituer, car ce ne sera certainement pas la dernière fois que les autorités portuaires imposeront des mesures sanitaires.

C’est cette même année que le seigneur William Fraser décide de remplacer le manoir seigneurial fort rustique que feu son père avait fait construire en 1790 sur le rivage de la pointe à Gaz.  Il faudra deux ans pour construire le nouveau manoir.  Situé au début de la concession du Cap à l’Aigle et juché sur le Cap Fortin il dominera la baie de façon impressionnante.  Encore à l’époque, le chemin du roi passait alors le long de la baie menant au Cap à l’Aigle, Thimothé aura donc un peu plus de distance à parcourir pour aller au manoir seigneurial afin de payer sa rente annuelle et son cens[108].

Il est heureux que Thimothé ait choisi le métier de son père, car celui d’agriculteur n’est guère facile dans la seigneurie de Mount Murray.  En existence depuis près de soixante-dix ans, ses seigneurs n’ont pas fait de grands efforts pour doter les censitaires de moulin à farine adéquat.  Il n’y en a toujours qu’un seul, celui de la Grande ferme de la Comporté qui a remplacé le vieux moulin français rafistolé plusieurs fois au siècle dernier.  

C’est avant la fin de cette décennie que s’opère dans la famille élargie un second changement majeur.  Après son frère Dominique Isaïe, lequel avait pris le chemin de la concession Saint-Charles dans la seigneurie voisine en 1824, ce sera au tour de Thimothé et de son frère David de laisser derrière eux le cap à l’Aigle pour partir vivre dans la «Concession Terre Bonne» de la seigneurie de Murray Bay.  On ne sait pas si les deux frères quitteront en même temps le cap à l’Aigle, mais chose certaine ce changement s’opérera pour les deux frères après l’été 1825 et avant le 1er juin 1831 et les deux se retrouveront voisins dans cette concession qui les accueillera[109].

Si Thimothé a l’heur de satisfaire tout un chacun quand vient le temps d’accepter le parrainage d’un enfant, c’est surtout pendant la longue période d’inactivités d’hiver qu’il s’exécute.  Il y a bien quelques exceptions pour des familles de qui il est plus proche.  C’est le cas lors du baptême de Télesphore Lalancette à la fin octobre.  Ce dernier est le fils de Jean Baptiste Lebreton dit Lalancette (1779-1858), frère cadet de sa belle sœur Marie Louise mariée à son frère David et de Catherine Imbeault (1788-1875).  L’une des filles du couple épousera un fils de Thimothé et d’Elizabeth[110].  Il récidive en saison morte alors qu’en janvier 1827 il est choisi comme parrain au baptême de Marie Hervai (1827-1911).  Marie est la première fille du neveu et navigateur François fils de David qui, probablement en forêt, est absent de la cérémonie[111] .

Le 2 avril 1827, Elizabeth Audet dite Lapointe accouche de sa troisième fille.  L’enfant est conduite à l’église Saint-Étienne le même jour.  On aura choisi Olivier Audet dit Lapointe (1802-post.1845) pour parrain de «Mathilde Hervai», frère de la mère et pour marraine Françoise Bouchard[112].  Il est difficile d’affirmer avec certitude l’identité de cette dernière, mais il pourrait s’agir de Françoise Bouchard (1809-1879), future épouse du petit-cousin homonyme.  Cette Françoise semble être la seule dans la paroisse à l’époque.  Elle épousera Timothée Hervey dit Cendron (1806-1880), fils du cousin Michel Hervé (1771-1810) chez l’oncle Pierre Hervé (1633-1699) l’année suivante. 

Mathilde Hervai

En 1852, Mathilde épousera le veuf Mars Duchesne (1824-1902) qui venait de perdre son épouse des suites d’un accouchement[113].  C’est dans le secteur de la paroisse Sainte-Agnès qui deviendra celle de Saint-Hilarion en 1864 que Mathilde élèvera les deux jeunes enfants de Mars ainsi que les sept qui seront issus de leur union entre 1853 et 1871.  Elle perdra son époux le 25 mai 1902 et elle le suivra dans la tombe quatre mois plus tard le 18 septembre[114].

Fidèle à ses habitudes pour ses ouailles ordinaires, le curé Pierre Duguay (1786-1843) bénit le mariage de Bellarmin Malteste (1796-1865) et de la cousine Geneviève Gagnon (1771-1847) un mardi.  De fait, si on n’appartient pas à la petite bourgeoisie de Murray Bay qui regroupe les deux seigneuries, on se marie toujours un mardi et le plus souvent en hiver, question de ne pas retarder les travaux essentiels à la vie économique du patelin.  Geneviève est la nichouette[115] de feu Marguerite Hervé (1728-1818), tante de Thimothé.  Mariée une première fois en 1791 à l’Isle, Geneviève convole une deuxième fois dans sa paroisse d’adoption.  Thimothé lui sert de témoin[116].

Le samedi 2 juin, le curé Duguay fait exception et accepte aussi un double rôle lors du baptême d’un enfant du «Sieur Jean Baptiste Duberger» (1795-1865) et de Dame Suzanne Glackmayer (1802-1885) ».  Le père est un fils de Jean Baptiste Duberger (1767-1821), le déjà célèbre cartographe et arpenteur royal du corps de génie à qui l’on doit un plan détaillé de la ville de Québec et de ses ouvrages de défense; son œuvre maîtresse, «la maquette Duberger» est exposée en permanence depuis 1981 au lieu historique national du Parc-de-l’Artillerie à Québec[117] .  La mère de l’enfant est la fille du musicien allemand Frederick Glackmayer[118].  Le parrain n’est nul autre que le curé Duguay alors que la marraine est «Matilde Duberger Fraser» (1797-1886), sœur du père de l’enfant et épouse de William Fraser, seigneur de Mount Murray[119] .

La même déférence ne se fait pas sentir dans le registre du curé quatre jours plus tard lorsqu’il procède à l’inhumation d’«Elisabethe morte avant hier âgée de trente ans environ épouse légitime de Joseph Baret».  Pourtant, on connaissait celle qui ne méritait que l’épithète d’épouse de, car elle fût bien mariée dans cette même paroisse huit ans plus tôt et tout le monde connaissait les parents de cette enfant illégitime née dans la paroisse en 1802.  Duguay semble progressivement abandonner la coutume française de conserver le patronyme des femmes en adoptant la façon anglaise comme pour Matilde Duberger qui avait laissé tomber son patronyme pour prendre celui de Fraser de son époux[120].

Où était Thimothé à l’été 1828 quand la bouilloire du vapeur Lady of the Lake fit explosion au quai de Québec? Il devait être en mer quelque part entre Mount Murray et Québec.  Où qu’il fût, il dut entendre parler du drame qui avait tué plusieurs immigrés arrivés dans la capitale et qui se rendaient à Montréal.  Pour assurer la desserte entre ces ceux villes, le Lady of the Lake était alors l’un des rares navires qui n’appartenaient pas à John Molson[121].

Le 1er mai 1829, Thimothé n’est pas en mer lorsqu’Elizabeth accouche de son troisième fils et sixième enfant.  Le jour même, il accompagne Louis Gagnon, le parrain, et Zénobie Dallaire (1814-1864), la marraine, pour le baptême de «Thomas Hervai».  On se rappellera que onze ans auparavant, Thimothé avait été parrain d’un enfant de Louis Gagnon (1782-1855) et de Rosalie Saint-Gelais (1792-1831).  Louis et Rosalie sont voisins des frères Hervé depuis longtemps et ont réciproquement agi au moins une fois comme parrain ou marraine de l’un de leurs enfants.  Ce Louis Gagnon n’est pas le Louis Gagnon (1789-1878) marié à la nièce Marie Josephte Perron (1801-1883), fille de Félicité Hervé (1769-1846) qui avait été parrain du deuxième enfant de Thimothé et d’Elizabeth en 1821.  La marraine Zénobie pour sa part est une fille de Joseph Marie Dallaire et feu Ursule Barrette, si souvent rencontrés dans la vie de Thimothé[122].

Thomas Hervai 

Thomas Hervai épousera Louise Lebreton dite Lalancette à Murray Bay le 6 août 1850.  Possédant une terre dans le rang Terrebonne, voisin de son frère Benjamin, il cultivera cette terre jusque vers 1868 tout en étant journalier où l’on voulait de ses bras.  Il s’installera alors à Saint-Fidèle de Mount Murray.  Vers 1875, il quittera Charlevoix pour le quartier Saint-Roch à Québec.  Il y sera déjà au mariage de son fils Nérée en 1877.  En 1891, il demeurera encore dans ce même quartier où il sera laitier alors que ses fils seront cordonnier, homme de police, conducteur de machine et journalier.  Dix ans plus tard, il est toujours laitier à Québec, mais plus pour longtemps.  Il partira finir ses jours chez l’un de ses fils à Montréal où il décède dans la paroisse Sainte-Brigide le 15 décembre 1911 à l’âge de quatre-vingt-deux ans[123].  

Le veuf Jean Louis Audet dit Lapointe, maintenant âgé de soixante ans, veut sans doute se rapprocher d’Elizabeth, sa fille aînée.  Le 13 octobre il acquiert de Thimothé une parcelle de terrain pouvant tout au plus lui permettre de devenir emplacitaire s’il y fait construire une maison[124].

Thimothé n’a jamais appris à lire et à écrire et ne l’apprendra jamais.  Les registres civils ou religieux ne comportent que des «X» ou la mention «ne sait signer».  C’est en 1830 que l’on entame le projet de construction d’une école au cap à l’Aigle sur la terre de Basile Savard (1877-1843).  Basile est l’un des sept Savard de l’Isle aux Coudres qui avaient obtenu une terre en 1794 à l’ouverture de la concession du Cap à l’Aigle tout comme Dominique Isaïe et Thimothé par l’entremise de leur père respectif.  Les autres Savard en question, tous parents des frères Hervé, sont Jean François, Philippe, Isaac, Joseph Marie, Laurent et le bedeau Mathieu (Mathias).  En novembre le navigateur Charles Pacaud (1784-1835) et sa femme Marie Louise Gatte dite Bellefleur (1784-1850) inaugurent l’enseignement dans la nouvelle école, un agrandissement d’une maison existante.  Charles s’occupe des garçons et laisse les filles à Marie-Louise[125].  Il paraît évident que l’instruction n’était pas une priorité pour Thimothé, du moins avant qu’elle ne devienne chose plus courante pour des fils ou des filles de navigateur sans instruction.  Ses cinq plus vieux, qui sont ou seront en âge de fréquenter l’école, n’y mettront pas les pieds ou si peu qu’ils ne sauront même pas signer.  Il en sera tout autrement pour les trois derniers qui naîtront dans la seigneurie voisine et qui sauront lire et écrire.  

Murray Bay pour finir sa vie

À l’arrivée de Thimothé dans la seigneurie, la seule survivante de la famille du seigneur John Nairne est Magdalen (Maddy) Nairne (1790-1839), épouse de Peter McNicoll (1776-1834).  Sa vie durant elle sera l’héritière de la seigneurie de Murray Bay, du manoir et du domaine.  Elle est donc la seigneuresse de Thimothé

On se souviendra qu’en 1829, le père d’Elizabeth avait acquis de Thimothé une parcelle de terrain.  Il récidive le 10 mars 1831, cette fois-ci du côté de la concession Terre Bonne[126].  Sans que l’on ait le détail de cette dernière transaction, pourrait-elle indiquer que le départ de la famille du cap à l’Aigle vers la concession de Terre Bonne se serait produit entre ses deux acquisitions?

C’est à compter du début de la décennie qui s’entame que l’on voit se multiplier le nombre de navigateurs qui construisent eux-mêmes leur goélette.  Le transport de tout le bois qui sort des forêts des deux seigneuries est en demande croissante et jusqu’à présent, rapporte aux propriétaires de goélette un revenu décent.  Si, jusqu’ici, on se doutait que Thimothé fut l’un de ces charpentiers de navires, on en a la certitude maintenant[127].

Comme mentionné précédemment Thimothé habite déjà dans la «Concession Terre Bonne» en 1831, sur une terre de cent douze arpents.  Il est alors voisin de deux de ses neveux, Louis Denis (c.1803-1887) et François, fils de son frère David qui, d’ailleurs, habite maintenant chez Louis Denis.  Alors que l’on devrait compter six personnes dans la chaumière de Thimothé et Elizabeth, ils sont huit en réalité.  Outre ses quatre enfants, Elisabeth, Benjamin, Mathilde et Thomas, on présume que deux des enfants de son neveu Dominique chez David, décédé en 1824, demeurent avec eux.  En 1825, on avait soupçonné Christine (1815-1879) d’y être et tout porte à croire qu’elle y est toujours; du moins, une jeune fille de son âge s’y trouve.  Son frère Flavien (1816-1837), en âge d’être fort utile sur une terre ou en mer, pourrait-être la huitième personne sous le toit de la famille.  À la mort du neveu et par la suite lors du second mariage de son épouse deux ans plus tard, les enfants de Dominique avaient été éparpillés dans la famille proche.  Navigant le plus clair du temps, il ne peut sans doute compter que sur sa femme et sur celui que l’on présume être Flavien pour cultiver la terre; seuls cinquante arpents sont en culture et pour la plus grande part c’est le blé qu’il fait pousser.  De fait, comme la plupart des cultivateurs de la région[128], quarante pour cent de sa production est consacré au blé et près de trente pour cent à la pomme de terre qu’il pourra écouler au marché de Québec.  Le reste de sa production, l’orge (16 %), les pois (9 %) et l’avoine (6 %) serviront sans doute à nourrir la famille et les animaux, car il possède tout de même douze bêtes à cornes, deux chevaux, vingt-neuf moutons et dix cochons.  Ils sont déjà un peu plus de deux mille huit cents personnes à vivre dans la seigneurie de Murray Bay.  Tout un contraste avec ce qu’il avait connu au nord-est de la rivière Murray[129].  

En 1831, Elizabeth Audet dite Lapointe est enceinte de son septième enfant.  Elle accouche d’un quatrième garçon le 12 octobre.  Thimothé est sans doute en mer[130] au moment de l’accouchement, car le curé Duguay note son refrain habituel de «père absent» lors du baptême qui a lieu le jour même.  C’est François Tremblay Picoté (1778-1864), natif de l’Isle, celui qui avait assisté à la sépulture de la première femme de Thimothé, qui conduit «François Xavier Hervai» à son baptême.  Le Picoté est agent local de marchands de bois de Québec depuis longtemps.  Après avoir agi pour Charles Pacaud un certain temps, il l’avait été pour William Price (1789-1867) par la suite.  C’est lui, tout comme son frère Alexis, qui traite avec les cultivateurs qui vendent leur bois comme les frères Hervé[131].  La marraine qu’Elizabeth a dégotée, en l’absence de Thimothé, est Antoinette Audet dite Lapointe (1806-1892), l’épouse du neveu François, leur voisin.  Antoinette est avant tout une cousine germaine d’Elizabeth[132].  

On ne doit pas se surprendre des nombreuses absences de Thimothé aux célébrations ayant lieu pendant les hivers.  Avant l’ouverture du Saguenay, les forêts de la rivière Murray sont très importantes pour l’exploitation forestière.  Le secteur de l’embouchure du fleuve jusqu’à la chute est déjà largement déboisé.  Au-delà des Hautes-Gorges, les coupes forestières battent leur plein.  On fait la drave sur la rivière, ce qui permet de faire descendre très facilement le bois sur de longs tronçons, en raison de la rapidité du courant.  De nombreux camps de bûcherons sont établis dans ce secteur et les censitaires du comté vont y travailler l’hiver dans des conditions souvent pénibles.  Comme le fleuve est fermé à la navigation et que sa terre ne requiert aucune attention, il est plausible de croire que c’est là que Thimothé, tout comme ses frères d’ailleurs, passe ses hivers malgré les maigres gages et l’éloignement qui nécessitent que les bûcherons y passent l’hiver.  Il aura tout de même droit de revenir dans la concession Terre Bonne pour les fêtes du Nouvel An, seule exception permise à ceux demeurant dans le secteur de Murray Bay[133].

La mort chez Thimothé et dans la colonie

En 1832, face au danger que pose la pandémie de choléra qui fait rage en Europe, le gouvernement du Bas-Canada crée un lieu de quarantaines pour les immigrants arrivant par le Saint-Laurent; il s’agit de la Grosse-Île située à quelques jets de pierre de l’Isle aux Coudres[134], où les navires s’arrêtent toujours pour prendre un pilote.  Un poste de quarantaines existe déjà à la Pointe de Lévy, mais les autorités le trouvent trop près de Québec.  L’immigration irlandaise s’est accrue depuis 1820 et nombreux sont les projets d’immigration subventionnés par les Britanniques pour faire venir des fermiers irlandais.  Les autorités coloniales tentent désespérément de contrer l’expansion des francophones dans l’ouest et le nord du Haut-Canada. 

L’année 1832 commence bien mal dans la famille lorsque le père d’Elizabeth décède le 15 février 1832, à l’âge de soixante-deux ans[135]. Deux des beaux-frères de Thimothé demeuraient toujours avec le père dans la concession Terre Bonne[136].

L’hiver fut dur ou l’enfant chétif, quoi qu’il en soit, le 16 mars décède François Xavier Hervai, qui n’a que cinq mois.  Le couple n’a donc encore que quatre enfants, alors que Thimothé a déjà quarante et un ans et Elizabeth trente-six; une bien petite famille pour un cultivateur de l’époque; il faut cependant noter que Thimothé est plus navigateur-bûcheron que laboureur.  C’est encore un Savard qui met l’enfant en terre; cette fois c’est Flavien Savard (1811-1876), un cousin du bedeau Mathias.  Les Savard pourraient sembler s’être approprié le métier de fossoyeur, mais Flavien n’est pas seul pour procéder à l’enterrement, car le jeune Côme Hervey (1820-1886) y participe.  Ce dernier est le fils de Thomas (1795-1832) chez le cousin Louis Hervé (1762-1842)[137]

L’année se poursuit comme elle avait commencé, la maladie continue à faire des victimes.  Vers la fin du printemps, le brick « Carrick» s’arrête à l’Isle aux Coudres pour y prendre un pilote.  Parti de Dublin en avril, il a transporté le choléra; quarante-deux des cent soixante-treize passagers, des immigrants irlandais, étaient morts durant la traversée.  Le navire parvient à Québec le 3 juin[138].  Ce sera le début de la première épidémie de choléra à toucher le continent américain et c’est à Québec que tout commence en juin.  Lorsque l’épidémie sera jugulée en octobre, trois mille huit cents personnes en seront mortes dans la région de Québec, soit dix pour cent de sa population. La colonie compte neuf mille victimes. 

Le 23 juillet, Thimothé est probablement en mer lorsque s’éteint sa mère Marie Magdeleine Dufour, inhumée deux jours plus tard à l’Isle aux Coudres où elle avait toujours vécu.  Seuls ses enfants vivant sur l’île assistent à la cérémonie[139].  L’histoire ne nous révélera jamais si son décès était attribuable à l’épidémie, mais un mois plus tard, on retrouvera le corps d’une jeune Irlandaise sur la grève tout près de chez la mère de Thimothé.  La pauvre sera inhumée par le curé Jos Asselin (1798-1856) avec Germain Dufour (1793-1881) et le capitaine de milice Joseph Perron (1792-1872), «vis-à-vis le lieu où le corps a été trouvé, à l’endroit appelé communément le cap à la Branche», là où la maison familiale de Sébastien Dominique Hervé et Marie Magdeleine Dufour est située[140].   Germain est un cousin de Thimothé alors que le capitaine de milice est le fils de feu Charlotte Hervé, sa cousine.  Sept mille immigrants irlandais arriveront à la Grosse-Île au cours de l’année; tassés dans des vaisseaux surchargés, plusieurs seront victimes du choléra.  Il est probable qu’en raison des conditions sanitaires mises en place à Québec, après l’éclosion du choléra, Thimothé ne pourra y faire ses livraisons habituelles, laissant sa goélette à l’ancre pour une bonne partie de l’été. 

L’épidémie faisait rage à Québec, particulièrement dans sa Basse-Ville. C’est pendant cette difficile période que Godfroid (Godefroy) Tremblay (1800-1879) est nommé vicaire dans la paroisse Saint-Roch. Ce prêtre est fils de François (1775-1852), un cousin de Thimothé.  Comme lors de toutes les épidémies à Québec, les mieux nanties se réfugient chez des parents dans les campagnes.  Godfroid est l’un de ceux qui profitent de la présence d’une goélette de la Malbaie à Québec.  Le 25 juin, il s’embarque pour rendre visite à ses parents à l’Isle aux Coudres où il est laissé au passage par le capitaine.  Suite aux expériences d’épidémies déjà vécues, le comité local d’hygiène ne perd pas de temps pour intervenir afin d’éviter la propagation du mal qu’aurait pu apporter Godfroid (Godefroy).  Dans cette île où un nouveau fait deux fois le tour en moins de vingt-quatre heures, la présence de ce dernier fut connue dès la fin de l’après-midi.  Après une rencontre du comité, la décision fut prise de chasser l’intrus.  En fin de soirée, il est avisé de ne pas sortir de chez ses parents.  Le visiteur indésirable est reconduit au quai dès le lendemain matin.  Ses statuts de prêtre, d’insulaire et de parents de plusieurs membres du comité ne lui sont d’aucun secours.  Godfroid (Godefroy) se réfugie alors au presbytère de Saint-Étienne de Murray Bay et, sur les recommandations du curé Duguay, il s’y terre comme un animal traqué pour éviter une autre expulsion[141].  Sorti de sa tanière après quelques semaines pour retourner à Québec, Godfroid (Godefroy) revient comme vicaire de la Malbaie à l’automne. 

Tous ces malheurs de juin n’empêcheront pas Thimothé et Elizabeth d’accroître leur famille; le 17 mars 1733, cette dernière accouche de son cinquième fils.  Les glaces étant toujours prises sur le fleuve, Thimothé assiste donc au baptême qui se déroule le même jour et c’est son petit-cousin Godfroid (Godefroy) Tremblay qui baptise l’enfant.  Adolph Audet dit Lapointe (1809-1874), frère cadet d’Elizabeth, est choisi comme parrain d’«Adolphe Hervay» alors que la marraine est Marie Brassard (1806-1881), nièce de Thimothé, fille de sa demi-sœur Geneviève Hervé (1781-1815).  La mère de Geneviève étant morte en la mettant au mondec’est la mère de Thimothé, entrée dans sa vie moins de dix mois plus tard, qui lui avait toujours servi de figure maternelle.

Adolph Hervay

Adolph Hervay épousera Léocadie Villeneuve (1828-1880) le 5 septembre 1854 à Murray Bay.  Ils auront sept enfants.  Après le mariage, la famille partira s’établir entre Port-au-Saumon et Port-au-Persil, secteur qui sera rattaché l’année suivante à la nouvelle paroisse de Saint-Fidèle de Mount Murray.  Adolph cultivera la terre et la famille reviendra à Murray Bay dix ans plus tard.  Son épouse décédera en 1880 et Adolph se remariera en 1883 à l’une de ses jeunes belles-sœurs, Adélaïde Villeneuve (1846-1929) qui lui donnera cinq autres enfants.  Il abandonne l’agriculture en 1889 pour devenir boucher.  Adolph décédera le 28 juillet 1905[142].

En ce début de printemps 1833, Thimothé est de nouveau choisi comme parrain lors d’un baptême.  Cette fois-ci, c’est celui de «Geneviève Hervai» (1833-1884), le quatrième enfant de son neveu et voisin Louis Denis Hervé fils de son frère David[143].  

En 1833 toujours, après avoir ensemencé ses champs au printemps et pour la seconde année consécutive, Thimothé devra subir plusieurs vagues de gel.  Les cultivateurs de la région perdront leur récolte et entreront dès lors dans la plus grande crise agricole que les seigneuries de Murray Bay et Mount Murray n’aient jamais connue.  En janvier, la Chambre d’assemblée avait voté des subsides pour fournir aux agriculteurs de la région des grains de semence en raison des mauvaises récoltes de l’année précédente.  Au grand plaisir des marchands, tout un chacun diminue le prix des billots de bois afin d’obtenir un maigre revenu pour nourrir sa famille.  Avec réticence, l’évêché accepte que de l’argent soit distribué aux familles indigentes pour leur permettre d’ensemencer.  Au début de l’année suivante, ils sont trois cent cinquante censitaires de la seigneurie de Murray Bay à demander de l’aide pour l’achat de semences.  Une centaine de familles ne pourront pas payer la dîme en 1835[144] et ce sera ainsi jusqu’en 1838.  Année après année, les gels s’éternisent ou surviennent bien après les gels printaniers habituels et les semences sont détruites.  On ne sait pas si Thimothé fut du nombre des indigents, mais chose certaine, si ceux qui lui demandaient de transporter leur bois vers les moulins obtiennent moins pour leurs billots, ses revenus durent aussi être affectés.

Le curé Duguay se serait-il laissé influencé par son vicaire Godfroid (Godefroy) Tremblayen modifiant sa façon d’attribuer les bancs d’église? Au premier janvier 1834, on procède à l’attribution des bancs de l’église, mais le conseil de fabrique ne sera pas celui qui mènera le bal comme par le passé, le curé a plutôt choisi de confier la tâche au notaire Charles Herménégilde Gauvreau (1787-1839) qui rédige de courts actes de distribution de «Titre de bans de la Fabrique Saint-Étienne Malbaie»Thimothé, «fils de feu Dominique», et André Hervé le riche marchand, fils de feu son cousin Dominique Romain dit Joseph Hervé (1768-1830), sont parmi les vingt-cinq personnes qui règlent leur ban d’église cette journée-là.  Pour qu’il puisse ainsi être parmi la poignée d’individus à pouvoir régler son dû à l’église, si tôt dans l’année, la crise agricole qui fait rage n’aura donc pas encore eu d’effets sur la bourse de Thimothé, lequel tire probablement ses revenus principalement de la navigation.  La majorité des autres censitaires se traîneront les pieds jusqu’au printemps pour s’acquitter et plusieurs ne le pourront pas[145].

La seigneuresse Maddy Nairne et son fils John McNicoll avaient décidé d’honorer le nom du premier seigneur John Nairne qui allait s’éteindre en l’absence de tout héritier masculin.  C’est pourquoi après la mort de son père en 1834 John McNicoll, par proclamation royale, adopta le nom de Nairne et fut ainsi nommé par la suite.  Le même décret lui attribuait les armoiries correspondant au nom.

Pendant ce temps, il ne devait pas être facile pour Thimothé de livrer à Québec le bois d’œuvre produit par les moulins.  Une seconde épidémie de choléra fit rage en 1834.  Introduit par un navire venu d’Irlande, bien que moins importante que la précédente, la maladie fait tout de même plus de deux cent cinquante morts à Grosse-Île, près de trois mille dans le Bas-Canada, dont mille huit cents à Québec.  Heureusement, comme l’épidémie ne sévira que de la mi-juillet à la fin septembre, les interdictions des autorités sanitaires de débarquer au port de Québec seront plus limitées.

En 1834, le Parti des Patriotes à la tête duquel se trouve Louis Joseph Papineau obtient une éclatante victoire aux élections.  Il fait parvenir à Londres une liste de quatre-vingt-douze résolutions pour résoudre la crise politique au pays.  Chacune d’entre elles sera rejetée par les autorités britanniques.  Thimothé ne semble pas s’être intéressé aux questions politiques qui étaient débattues autour de lui.  Si les noms de plusieurs de ses cousins de Murray Bay apparaissent dans les débats politiques qui ont cours dans la région, on ne retrouvera le sien sur aucune des nombreuses pétitions de l’époque.

Au début de juin 1835, Thimothé et Baptiste Lebreton signent, devant notaire, un accord concernant la coupe de bois [146]Thimothé avait été parrain d’un enfant de Jean Baptiste Breton dit Lalancette quelques années plus tôt.

C’est au cours de cette période trouble que voit le jour le sixième fils de ThimothéElizabeth accouche de «François Nérée Harvay» le 9 août 1835.  Thimothé est encore en mer.  Elizabeth choisit son voisin, « Louis Denys Harvay», neveu du père de l’enfant, comme parrain.  Le baptême aura lieu le jour même en l’église Saint-Étienne et la marraine sera Euphrosine Perron (1786-1871)[147].  En premières noces, la marraine était mariée à Jean Marc Demeules (1776-1830), un petit cousin de Thimothé par le premier mariage de son père.  Depuis l’an passé, elle est l’épouse de Louis Gagnon, celui pour qui Thimothé avait été parrain de l’un de ses enfants en 1816.

François Nérée Harvay

Le 15 février 1858, François Nérée épousera une fille des Éboulements travaillant à Murray Bay.  À son mariage avec Marie Joséphine Coulombe (1837-1875) dans l’église Saint-Étienne de la Malbaie, il signera «François Néré Harvay», mais pas pour longtemps.  Moins de dix ans plus tard le journalier, sera connu sous le prénom d’Henri.  Le couple vivra voisin du père sur une parcelle de terrain que Thimothé aura cédé à Henri dans la concession Terre Bonne.  Marie Coulombe y donnera naissance à six enfants.  Comme son père, François Nérée ou Henri ou Honoré, ou François ou Néré, c’est selon, vivra de la forêt, du moins pour un certain temps.  Il possédera une terre à bois aux fins fonds de la seigneurie de Mount Murray dans la concession de Sainte-Anne[148].  Marie Coulombe décédera à Murray Bay en 1875.  Les enfants travailleront pour la plupart dans les hôtels de Pointe-au-Pic à l’époque.  En 1881, «Néré Harvay» transportera sa famille à Québec après avoir rencontré Catherine Tardif, une veuve de l’endroit, native de Saint-Augustin-de-Desmaures, veuve qu’il épouse dans la cathédrale Notre-Dame le 20 juin.  La famille se disloquera alors que trois de ses enfants partiront pour la paroisse Saint-Joseph de Montréal. Un autre suivra quelques années plus tard.  Nérée reviendra à Murray Bay après le départ des trois premiers enfants pour Montréal.  Il y décédera le 23 décembre 1897.

Le souvenir de Malcom Fraser, l’un des conquérant de 1759 et ancien seigneur de Mount Murray, refait surface le 24 avril 1837 lorsqu’on porte en terre Marie Ducros dite la terreur, sa maîtresse de Mount Murray.  Évidemment, le curé ne fait aucune mention à son registre du lien qui unissait Marie au seigneur, même si elle était assise devant lui tous les dimanches sur le banc du seigneur que, pour le presbytérien, les curés avaient réservé dans la première rangée de l’église.  L’affaire avait fait grand bruit à l’époque.  Après un court débat, l’évêché avait tranché en faveur de «Madame» et de l’Écossais.  Même s’il ne l’avait jamais utilisé, Malcom Fraser avait, pour sa maîtresse, tenu à s’assurer d’une place de choix dans l’église[149].

Le 6 juin 1837, Thimothé a sans doute beaucoup de peine quand s’éteint son demi-frère David[150].  C’est David, celui qui lui avait servi de figure de père depuis son arrivée à Murray Bay vingt-quatre ans plus tôt.  C’est aussi lui que Thimothé avait suivi dans ses projets d’exploitations forestières, car si Thimothé transportait le bois c’était, comme on le présume, David qui en gérait la coupe et obtenait les contrats auprès des marchands.  David avait été son voisin toutes ces années aussi bien à Mount Murray qu’à Murray Bay.

En 1837, la colonie bouillonne aux mains des Patriotes.  John McNicoll, dit John Nairne depuis 1834, est autorisé à faire prêter le serment d’allégeance aux habitants, afin de démontrer que ceux-ci ne sont pas des sympathisants de la cause du rebelle Papineau.  Même si on lui avait donné le pouvoir colonial, Nairne n’aura guère de succès pour l’exécution de ce serment.

Les Patriotes affrontent l’une des plus grandes puissances militaires de l’histoire.  Ils le font sous la menace de l’excommunication.  Leurs armes ne font pas le poids et ils le savent.  Ils espèrent une intervention américaine qui ne viendra pas.  Ils espèrent aussi l’appui des Autochtones, mais ne l’obtiendront pas non plus.  Le soulèvement a quand même lieu.  Battus une première fois en 1837, ils viennent tout juste de se soulever à deux reprises en février pendant que Thimothé est à Québec.  Ils se soulèveront à nouveau en novembre et seront encore battus[151].

Un navigateur turbulent ?

Mais entre-temps, on retrouve justement Thimothé à Québec en février 1838.  Que faisait-il dans la capitale en plein hiver? Il ne s’y était tout de même pas rendu avec sa goélette, car les années sans glace sur le fleuve ne survenaient pas encore au XIXe siècle.  

Le 13 février, un certain «Timothé Harvey» est arrêté pour vol et incarcéré à la prison de Québec sur ordre du sergent C. Hoffman.  Il sera relâché le lendemain par une ordonnance d’Habeas Corpus, car il était détenu sans raison valable aux yeux du juge.  Il n’est pas le seul à être ainsi emprisonné injustement.  On est en 1838 et les autorités sont sur les dents; à la moindre échauffourée, ils incarcéraient n’importe quel individu en invoquant le premier prétexte qui leurs venants en tête[152].

Il subsiste peu de doute quant à l’identité de l’individu incarcéré.  Celui qui fut arrêté le mardi 13 février est âgé de quarante-sept ans, exactement l’âge de Thimothé chez Sébastien Dominique et de plus, il est Canadien.  À l’époque il n’existe que trois Thimothé Harvey dans la colonie, les deux autres sont : Cendron, le jeune cousin de trente et un an et un certain Timothy Harvey, un loyaliste né au New Hampshire établi au pays dans le comté de Shefford au sud de Montréal.  Ce dernier, un cultivateur avec huit enfants, est marié en secondes noces à Pamela Lawrence et il a également quarante-sept ans.  Cependant, il n’est pas Canadien.  Il y a peu de chance que le préposé aux écrous ait commis une erreur de nationalité aussi grossière, en plus d’inscrire le prénom «Timothé» plutôt que celui de «Timothy».  Lorsque l’on regarde de plus près le registre, on remarque que l’on réserve encore le terme «Canadien» aux descendants français né au pays.

Que faisait donc Thimothé à Québec? En 1833, Londres avait attribué des terres sans consulter le parlement.  Plus de huit cent mille acres de terres à avait été accordé à la British American Land Company pour favoriser l’implantation de colons britanniques et les Canadiens devaient dorénavant entreprendre un voyage jusqu’à Québec pour demander personnellement les titres au gouvernement[153].  Il est peu probable que Thimothé y était pour obtenir une terre alors que la colonie est en pleine rébellion et qu’il avait toutes les occasions de faire une telle demande lors de l’une de ses nombreuses livraisons avec sa goélette en été.

Rappelons-nous que depuis novembre 1837, la colonie vit la rébellion des Patriotes, ce mouvement d’émancipation des Canadiens et des Irlandais catholiques contre le gouvernement colonial britannique et l’oligarchie marchande.  Après les batailles de Saint-Denis et de Saint-Charles sur le Richelieu, la loi martiale avait été décrétée et le pouvoir colonial procédait à des arrestations par centaines.  L’anglais vient de défaire les nôtres deux mois plutôt à Saint-Eustache après avoir brûlé soixante-cinq des cent cinquante maisons du village.  Ils laisseront soixante-dix Patriotes morts au combat et une quinzaine de blessés, tout en prenant cent vingt prisonniers dont plusieurs seront exilés en Australie, alors que d’autres seront pendus.

On ne connaît pas les circonstances de l’arrestation de Thimothé, mais les bagarres et menus larcins sont fréquents dans les rues de la ville qui compte un nombre croissant de cabarets.  Rien que pour la basse-ville, on en comptait une quinzaine. La plupart se situaient le long de la rue Champlain, qui en détenait presque le monopole.  Un bon nombre de ces cabarets sont tenus par des veuves irlandaises. Quoique fussent les raisons de la présence de Thimothé à Québec, il est certain que le navigateur connaissait bien ces endroits qu’il devait fréquenter lors de ses nombreux passages dans cette ville[154].  Aura-t-il été arrêté dans une rafle alors qu’il avait siroté un peu trop de gin, de rhum ou de whisky? Probable puisque l’année précédente, pour faire face aux nombreuses bagarres dans les tripots le Gouverneur-Général du Bas-Canada, le comte Gosford, avait créé la Police riveraine.  Cette police avait justement pour tâche de veiller sur les cabarets, les maisons de prostitution et autres lieux de rassemblement; elle relevait directement du gouvernement colonial et non pas de la ville de Québec.  Au temps de la rébellion des Patriotes, il était donc assez facile pour le gouverneur de calmer tout débordement dans la capitale, sans avoir à compter sur les autorités municipales complaisantes auxquelles il n’avait guère confiance[155].

Comme nous sommes dans la dernière année de la longue crise agricole que connaissait la région depuis 1833, il est possible que Thimothé soit venu travailler à Québec comme journalier, le temps d’un hiver.   Puisqu’on diminuait le prix des billots de bois vendu au marchand, le prix donné pour leurs transports devait être affecté à un point tel que l’on ne pouvait plus faire vivre une famille avec ce maigre revenu.  L’absence de son frère David et de ses contacts auprès des marchands a pu affecter les projets de coupes forestières de cette famille élargie.  Quoi qu’il en soit, Thimothé est de retour à Murray Bay au début mars alors qu’il contracte une obligation auprès du marchand Hubert Cimon[156].  Il n’est pas le seul cultivateur à être ainsi obligé d’emprunter pour finir l’hiver.  Le notaire Isidore Levesque (1782-1853) en a inscrit une vingtaine à lui seul depuis janvier et il n’est plus le seul notaire du coin[157].

Les récoltes difficiles, le départ de celui qui assumait le rôle de chef du clan des Hervé dans la concession Terre Bonne de Murray Bay et l’arrestation de Thimothé à Québec l’hiver dernier n’empêcheront pas Elizabeth Audet dite Lapointe d’accoucher de sa nichouette le 9 juin 1938.  Comme toujours pendant la saison de navigation, le «père est absent».  Fidèle à ses habitudes, Elizabeth a recours à un voisin pour porter l’enfant à son baptême le jour même.  Cette fois-ci, c’est l’autre voisin, celui du côté opposé au dernier, le neveu navigateur François, fils de feu David, qu’elle choisit comme parrain de «Marie Émilie Harvey».  La marraine est une certaine «Marie Boudrault».[158]  Il y a bien une Boudreault du prénom de Marie (1801-1874) dans la région à l’époque, mais elle demeure à Sainte-Agnès.  De plus, outre le fait que son père est natif de l’Isle, il est difficile de lui trouver un quelconque lien de parenté.  Il faut noter cependant que contrairement à tous les membres de sa fratrie, Marie Émilie est baptisée à Sainte-Agnès, paroisse de Marie Boudreault, et non pas dans l’église Saint-Étienne à Murray Bay.  Aujourd’hui encore, on ne s’explique pas pourquoi le neveu François a fait tout ce bout de chemin d’une quinzaine de kilomètres pour faire baptiser l’enfant dans une autre paroisse que la sienne.  Quoi qu’il en soit, Marie Émilie est la première chez Thimothé à recevoir le patronyme Harvey à son baptême.  Si le père portait le patronyme d’Hervé, ses enfants auront montré à travers leur baptême l’évolution du patronyme dans la seigneurie de Murray Bay, cinq reçurent celui de Hervey, cinq celui Hervai, un seul de Hervay et un seul également de Harvay.  Antoine Gosselin (1802-1875), curé de Sainte-Agnès depuis trois ans et qui est sur le point de se voir confier la cure de Saint-Bruno de Madawaska au Nouveau-Brunswick, avait dû rencontrer des Harvey des îles britanniques lorsqu’il était missionnaire à Bonaventure et Paspébiac, dans la baie des Chaleurs où ils étaient présents, car c’est ainsi qu’il baptise Marie Émilie[159].

Marie Émilie Harvey

C’est dans l’église Saint-Étienne que Marie Émilie épousera Pierre Gilbert (1826-1901) le 7 mars 1859.  Pierre est fils d’une vieille famille établi dans la paroisse depuis soixante-dix ans.  Émilie accouchera de neuf enfants entre 1859 et 1882.  Le couple gagnera les hauteurs du canton de Settrington très rapidement après leur mariage et s’établira à Saint-Hilarion où Émilie décédera le 16 février 1908, sept ans après son mari[160].

Pendant que Thimothé et Elizabeth cajolent la petite dernière, leur neveu Joseph François fils de feu son frère David, et deux fils de ses cousins chez son oncle Pierre sont partis pour le Saguenay avec l’intention de s’y établir à demeure.  La bataille de la «Société des Vingt-et-un» pour l’ouverture du Domaine du Roy avait été gagnée pendant que les autorités coloniales en avaient plein les bras avec la Rébellion des Patriotes.  Les deux voisins de Thimothé, ses neveux François et Denis, frères de Joseph François, même s’ils sont coassociés à la société, ne s’établiront jamais au Saguenay, mais grâce à leurs efforts la voie est ouverte pour les parents et tous ceux qui le désirent parmi les gens du coin.   Pendant ce temps, Thimothé devait regarder dans une autre direction puisqu’aucun de ses enfants ne s’établira au Saguenay.  Son fils Benjamin sera le seul à y faire une bien courte trempette au début de la prochaine décennie alors que deux autres lorgneront du côté de Québec.

La nouvelle de la noyade d’une quarantaine de membres de la haute société britannique, lors du naufrage du navire anglais Colborne à Port-Daniel dans la baie des Chaleurs au début de l’automne, n’avait guère mis de baume sur le décès de nombreux Patriotes dans les batailles de 1837 et 1838.    

Ils sont près de neuf cents Patriotes incarcérés après les soulèvements et plusieurs sont recherchés.   De la fin novembre jusqu’en février 1839, la cour martiale condamne à mort quatre-vingt-dix-neuf Patriotes, pour la plupart accusés de haute trahison.  Douze sont effectivement pendus, cinquante-huit sont plutôt exilées en Australie, mais la majorité s’exilent volontairement aux États-Unis, et certains en Argentine, ces «Canadiens errants» de la célèbre chanson composée par Antoine Gérin-Lajoie[161].  Ces pendaisons marquent les esprits de façon durable.  Il ne faut donc pas se surprendre de la lenteur des secours au printemps 1839, quand le vapeur John Bull, appartenant à la Molson’s Steamboat Co., prend feu en amont de Sorel si près des insurrections.  Les troubles de 1837 et 1838 sont encore trop récents et les habitants des rives du Saint-Laurent ne se pressent pas pour secourir les passagers que le feu pousse à se jeter à l’eau ni à tenter de sauver un navire qui appartenait à John Molson.  Quarante anglophones y périront[162].

Quand le 31 mars 1839, la seigneuresse Maddy Nairne décède à Québec, son fils John McNicoll, dit John Nairne, le second, administre la seigneurie.  Le jeune seigneur prend bientôt pour femme la jeune Catherine Leslie, dix-sept ans, fille du lieutenant-gouverneur du Haut-Canada[163].  Quittant Québec il s’installe à Murray Bay.

La navigation a repris sur le fleuve et Thimothé doit avoir fait déjà quelques voyages à Québec quand, le 16 mai 1841, une partie du cap Diamant glisse sur huit maisons de la rue Champlain.  Le navigateur connaît probablement bien cette rue de tripots et de cabarets dans la Basse-Ville de Québec.  Trente-deux personnes périssent.  Thimothé n’est pas le seul à bien connaître cette rue.  Rappelons que, pendant la première moitié du siècle, Québec est le seul grand port maritime de la colonie et accueil un très grand nombre de navires.  Avant 1850, on estime à près de huit cents le nombre de navires étrangers qui mouillent au port chaque année.  Tous les matelots, de rudes hommes de mer des navires marchands, investissent la ville et ont bien l’intention de profiter de leur séjour.  Il faut ajouter à ces matelots les Jack tar, surnom des membres d’équipages des vaisseaux de guerre britannique qui visitent régulièrement le port et qui ne sont pas tous des anges.  Finalement, il faut compter aussi le grand nombre de caboteurs comme Thimothé.  C’est une importante clientèle pour la rue des cabarets. 

Il semble que Thimothé, qui passe maintenant la cinquantaine, n’a pu aller bûcher dans les chantiers de la Rivière-Malbaie durant l’hiver précédent, car au printemps 1842, il contracte une nouvelle obligation auprès du marchand Hubert Cimon, comme il l’avait fait quatre ans plus tôt[164]

Quant au début des années 1840, son fils Benjamin part au Saguenay avec son cousin Pierre Lumina Hervé et sa famille, il est fort probable que ce soit Thimothé qui les y amène, à bord de sa goélette La Diligente.   Le Saguenay, depuis 1838, est devenu une source importante de revenus pour les navigateurs qui vident les forêts de pins vers le marché de Québec.

Peu après la Rébellion des Patriotes, Londres proclame l’Acte d’Union visant à assimiler les Canadiens (francophones) et créer la province du Canada, comprenant le Canada-Ouest (l’actuelle province de l’Ontario) et le Canada-Est (l’actuelle province de Québec). De peine et de misère, les autorités feront quelques tentatives pour tenir un recensement, mais ne sont en mesure de le finaliser qu’à la fin de l’été 1844.  Dans «la paroisse de St-Étienne de la Mal Baie», l’énumérateur et neveu Hypolite Brassard (1805-1856), fils de Geneviève Hervé (1781-1815), effectue son travail le neuvième jour de janvier 1843.  Hypolite nous révèle que son oncle Thimothé est toujours voisin de ses neveux François et Denis.  Ils sont maintenant neufs sous son toit; il ne manque que son fils Benjamin qui lui tente l’aventure au Saguenay.  On voit bien que les bras manquent sur cette terre, car en douze ans, il n’y a, en culture, que dix arpents de plus qu’en 1831.  Si ses cultures sont sensiblement les mêmes que par le passé, la pomme de terre occupe désormais près de cinquante pour cent de sa production.  Doté d’une goélette, Thimothé à l’avantage de pouvoir écouler ses patates sur le marché à Québec pour un bon prix.  Elizabeth et ses filles n’ont pas chômé au cours de l’année 1842, elles ont produit vingt-six verges d’étoffe foulée, trente-six verges de toile, quatre-vingt-douze verges de flanelle et trente verges de laine.  Comme il y a une école dans le rang, peut-être que les plus jeunes, qui sauront écrire, sont parmi les dix-huit élèves qui la fréquente[165].  Ils sont maintenant tout près de sept cents milles habitants sur le territoire du Canada-Est.

Quand Thimothé se rend à Québec livrer ses cargaisons, il croise dorénavant les premiers vapeurs en fer.  Il n’a en revanche pas à s’inquiéter, la vapeur n’affectera la navigation à voile que bien après que Thimothé aura quitté cette terre.

C’est avec la même résignation que lors de la défaite des Patriotes que Thimothé et ses voisins accueillent la nouvelle du décès le 12 juin 1843, de huit grévistes et d’autant de portés disparus lors de l’intervention de l’armée anglaise à Saint-Timothée à l’ouest de Montréal pour briser les travailleurs affectés au creusage du canal de Lachine et du canal de Beauharnois.  Les disparus s’étaient engouffrés dans le Saint-Laurent pour échapper aux soldats.

La colonie, pour laquelle le père de Thimothé s’était battu, n’est plus reconnaissable, et cela sans que la majorité ne puisse en influencer le destin.  Les autorités coloniales décident cette même année de déplacer le siège du Parlement de la nouvelle province du Canada à Montréal.

Si Thimothé n’a pas donné de signe évident d’intérêt dans les questions politiques jusqu’à présent, il sera tout de même à une assemblée convoquée et tenue dans la salle publique de la paroisse le 7 janvier 1844.  Cette réunion a pour but de prendre en considération «l’appel fait aux sentiments canadiens» de la Société Saint-Jean-Baptiste.  Il y est question d’amasser de l’argent pour ramener au pays les «Canadiens errants», exilés en Australie, aux États-Unis et en Argentine, à la suite des troubles de 1837-1838.   Huit résolutions seront adoptées à cette assemblée dont la deuxième sera proposée par Louis Tremblay Picoté (1793-1862) et appuyée par Thimothé :

  «Que pour être effectif dans cette mesure, il est nécessaire qu’un comité, dénommé de la Délivrance, soit de suite organisé et composé des personnes suivantes : Philippe Warren, écuyer, capitaine Thomas Savard, François Girard, Jean Bouchard, Thomas Dufour, Benjamin Brassard, Joseph Brassard, écuyer, Joseph Lapointe, écuyer, François Maltais, écuyer, Abraham Tremblay, Hypolite Lapointe, écuyer, Louis Tremblay dit Picoté, écuyer, Bernard Brisson, Louis Dallaire, Louis Gagnon, écuyer, Thomas Simard, écuyer, Ed. Z. Boudreau, écuyer.»

Ainsi, chacune des personnes nommées ira par les différentes concessions et recueillera les dons qu’ils remettront au curé, lequel verra à les acheminer à la Société pour le paiement du rapatriement des Patriotes exilés[166].  Les derniers patriotes exilés en Australie reviendront au pays à la fin de 1846.

À Québec, le 28 mai 1845, le faubourg Saint-Roch est rasé par le feu.  On dénombre des dizaines de morts dans l’incendie.  Mille six cents maisons sont brûlées de même que la seconde église.   La nièce de Thimothé, Marie Céleste Hervé (1797-1878), fille de son frère Joseph Sébastien (1767-1834), qui habite le faubourg est jetée à la rue avec sa famille.  Ils vivront comme les douze mille personnes qui se retrouvent sans logis, grâce aux collectes de vêtements et de nourritures organisées aux quatre coins de la colonie pour leur venir en aide.  Lorsque le curé Bourret effectue la collecte, on peut s’imaginer que Thimothé n’a pas lésiné pour une nièce et sa famille.  

À l’époque où brûle le faubourg Saint-Roch à Québec, le seigneur de Murray Bay, ne sentant pas sa fin venir, fait bâtir un nouveau manoir seigneurial.  Les ouvriers mettront deux ans à exécuter les travaux. 

C’est Benjamin, l’aîné chez les garçons, qui ouvre la valse des mariages des enfants de Thimothé et d’Elizabeth, quand il épouse Louise Belley le 25 novembre 1845 à Sainte-Agnès.  En août de l’année suivante, c’est Elisabeth, l’aînée de la famille, qui épouse le cultivateur Séraphin Amyot dit Villeneuve (1825-1906).  

Le peu de terres rendues disponibles par les autorités coloniales pour les descendants français par les autorités coloniales entraîne, uniquement pour l’année 1848, l’exode de quarante mille «Canadiens» de langue française vers les États-Unis.  Les Harvey n’y échapperont pas.  C’est au cours de cette même année que Thimothé fait l’acquisition d’une autre goélette.   Son neveu François la lui vend pour la somme de quarante-cinq livres[167].

Thimothé rencontre assurément des embrouilles d’ordre sanitaires encore une fois au port de Québec en juillet 1849.  Une nouvelle épidémie de choléra fait rage dans la ville.  Entre le 4 et le 12 juillet mille personnes y décèdent.  Le même scénario se répète à partir d’août 1851 jusqu’au début d’octobre.  Il sera certainement risqué pour Thimothé de livrer sa récolte de pomme de terre cet automne-là.

Thomas épouse Louise Lebreton dite Lalancette le 6 août 1850, après s’être construit une maison en pièces sur pièces sur la terre de son père, maison qui pourrait accueillir deux familles[168].

Comme on l’a vu, Thimothé possède plus d’une goéle
tte.  Avec quatre fils en âge de prendre la mer, il ne manque pas de bras pour l’épauler sur la mer.  Il se départit d’un navire à Kamouraska le 28 juillet 1851; il le vend à Nazaire Dionne (1808-1892), un navigateur de Saint-Denis de Kamouraska.  Peut-être est-ce la goélette acquise de son neveu François trois ans plus tôt.  Il pourrait aussi s’agir d’une transaction résultant d’une commande passée par Dionne quelques mois plus tôt pour la construction d’une goélette puisque Thimothé construit des goélettes depuis les années 1830 et qu’il possède toujours sa terre au bord du fleuve[169].  Quoi qu’il en soit, Thimothé n’est pas le seul des Hervé/Harvey à posséder plus d’une goélette à l’époque.  André Hervé (1804-1893), le fils de son cousin Dominique Romain dit Joseph en possède trois : une de quarante-deux pieds, La Clara de quarante-neuf pieds et l’ANHo de soixante-huit pieds.  Il en est de même de son neveu François, fils de feu son frère David, qui possède une goélette de vingt-huit pieds et une autre, La Catherine, de quarante-quatre pieds.  

À soixante-deux ans, Thimothé engage un navigateur pour le remplacer comme commandant de La Diligente en 1852.   Il demeurera propriétaire de cette goélette qu’il possède depuis 1825, mais c’est Lambert Bérubé (1800-1873), un navigateur de Saint-Louis de Kamouraska, qui la commandera pour un an, moyennant un partage des revenus de la goélette de moitié-moitié[170].  On a souvent présumé que Thimothé vendait le produit de sa terre sur le marché à Québec.  En revanche ici, on voit qu’il fait affaire avec deux individus de la région de Kamouraska.  À l’époque, les échanges étaient nombreux entre les deux rives et il est fort possible que ce soit sur la Côte-du-Sud qu’il écoulait ses pommes de terre.  Comme on ignore si Thimothé avait encore une goélette, on ne sait pas s’il eut le temps de profiter du premier quai de Murray Bay construit cette année-là[171].

En 1852, ils sont nombreux les «Hervay» dans la concession Terre Bonne[172] ; vingt-deux au total sans compter les nombreuses épouses.  Elizabeth, l’épouse de Thimothé, n’est pas isolée non plus de ses parents; plusieurs Audet dit Lapointe habitent également le rang.  Sous le toit de la maison d’un étage de Thimothé construite pièces sur pièces on compte quatre de ses enfants, Mathilde, Adolph, François et Émilie. Il y a aussi chez lui un certain «Élie Hervay», un garçon de douze ans.  Ce dernier pourrait sembler un mystère, car Thimothé et Elizabeth n’ont pas d’enfant de cet âge portant ce prénom.  Cependant, leur fils Benjamin marié depuis six ans et voisin de Thimothé a un fils prénommé Élie (Héli) qui n’habite pas avec ses parents.  Bien qu’il n’ait que cinq ans, il est probable que l’énumérateur aura commis une erreur d’inscription pour l’âge de l’enfant et que le petit-fils vit avec ses grands-parents[173]

Si Mathilde était toujours chez Thimothé en début d’année, ce n’était plus pour bien longtemps.  À la fin de l’été, elle épouse le veuf Mars Duchesne.

Pendant qu’une profonde crise politique débute dans la colonie qui voit son gouvernement changer dix fois dans la décennie, une nouvelle épidémie de choléra est introduite par le navire Advance en provenance de New York le 25 septembre 1852 et le mal durera jusqu’au mois de novembre; il y aura cent quarante-cinq morts à Québec, ce qui compliquera encore une fois, à l’automne, la livraison des pommes de terre pour Thimothé.

En 1853, à la fin du contrat d’engagement de Lambert Bérubé comme commandant de sa goélette La Diligente, Thimothé prend la décision de s’en départir au profit de son employé.  Lambert Bérubé lui donne la rondelette somme de soixante livres pour cette goélette qui avait servi Thimothé pendant vingt-huit ans[174].  Que fera Thimothé avec cette somme?

C’est en septembre 1854 qu’Adolph épouse Léocadie Villeneuve. Contrairement à ses frères qui sont demeurés au nord-est du Gros Ruisseau dans la concession Terre Bonne, il prendra la direction du Saint-Fidèle dans la seigneurie voisine.

La fin du régime seigneurial

L’année 1854 sonne le glas du régime seigneurial.  Les seigneurs se débâteront encore longtemps pour ne pas laisser aller leurs privilèges, néanmoins, l’année marque le début de la fin.  Thimothé aurait pu devenir propriétaire de sa terre «libre et clair de tous cens, lods et ventes, droits de banalité, droit de retrait et autres droits féodaux».  Il choisira plutôt de la partager entre deux de ses fils, qui auront à verser la rente annuelle qui subsiste, rente estimée à six pour cent de la valeur de la terre, afin de compenser le seigneur pour sa perte. Ses fils pourront aussi choisir d’acquérir leurs terres en payant l’intérêt et le capital.

Sa dernière goélette vendue, sa terre donnée à ses fils, Thimothé devra trouver un moyen de meubler sa retraite. 

En 1845, les autorités coloniales avaient eu l’idée de faire en sorte que Murray Bay, devienne une municipalité. C’était un très vaste territoire de cent soixante-dix-neuf kilomètres carrés.  L’organisation du territoire en municipalités n’a cependant pas fonctionné comme on l’avait souhaité.  En 1856, les maires des municipalités constituées sont maintenant élus par le peuple.  Louis Denis Hervé, voisin et neveu de Thimothé, est élu maire de Saint-Étienne de Murray Bay.  On retrouve sur les territoires des seigneuries de Murray Bay et de Mount Murray des populations diverses aux intérêts divergents.   Les nouvelles lois municipales ne font pas l’affaire de tous, à un point tel que diverses escarmouches surviennent dans le comté.  Le journal Le Canadien et le Journal de Québec parleront plutôt d’émeutes et colporteront les opinions de la minorité dans la paroisse.  Afin de rétablir les faits, une assemblée publique de tous les citoyens de la paroisse est tenue, «à l’issue du service divin du matin», le dimanche 22 juin 1856.  Thomas Simard (1796-1862), l’un des précurseurs de la défunte Société des Vingt-et-un, est nommé président, Thimothé est nommé vice-président et Cléophe Cimon (1822-1888), secrétaire de l’assemblée.  Une série de résolutions sont adoptées dans le but de rétablir les faits et sont envoyées aux journaux calomniateurs.  Des assemblées semblables avec les mêmes objectifs sont également tenues à Sainte-Agnès et Saint-Fidèle[175].  En 1857, à la suite des troubles dans le comté, le maire de Murray Bay Louis Denis, neveu de Thimothé, répondra à l’enquête de l’Assemblée législative du Canada-Uni, sur les motifs de l’échec de l’introduction des municipalités et dira : «Nous sommes d’opinion que la loi municipale actuelle n’est pas en accord avec les mœurs et coutumes de notre peuple…»

Maintenant qu’il n’est plus sur la mer et qui n’est plus celui qui se préoccupe de sa terre concédée à ses fils, Thimothé semble prendre plaisir à se fourrer le nez dans toutes les questions politiques.  Serait-il un peu l’instrument de son jeune voisin le maire Denis Hervé? À une autre assemblée celle la tenue le 3 octobre de la même année, Thimothé appuie résolument le candidat Laterrière pour représenter la division des Laurentides au conseil législatif à la prochaine élection[176].

Décidément, Thimothé n’est guère occupé et donne toutes les apparences de quelqu’un qui se cherche des activités.  On le retrouve parmi les meneurs à une autre assemblée politique le 6 décembre 1857 à la porte de l’église Saint-Étienne, toujours à l’issue du service divin du matin, où cette fois-ci Thimothé, identifié comme résident du rang Terrebonne, appuie Cléophe Cimon pour représenter le comté de Charlevoix dans le Bas-Canada[177].  On voit donc que même si Thimothé a concédé sa terre à ses fils, il s’est du moins gardé le lopin de terre où se situe sa maison où habitent également son fils Thomas et la famille de ce dernier.

Les nouvelles des tragédies maritimes sur le fleuve se multiplient, comme celle du vapeur Montréal qui entraîne dans la mort près de deux cent cinquante passagers en 1857.  Thimothé avait sans doute l’habitude de discuter des aléas du fleuve quand il était à Québec, sur les quais ou sur la rue Champlain.  Maintenant qu’il ne fréquente plus la basse-ville, peut-être que sa cadette Émilie lui lit les journaux.

Dans le cadre de l’abolition du Régime seigneurial, on avait confié à des commissaires la tâche d’inventorier le terrier de la colonie et d’établir le montant de la Rente Constituée qui devait être payée par le censitaire.  Le notaire Siméon Lelièvre (1805-1866) de Québec est chargé de la tâche pour les deux seigneuries.  Le travail est effectué en 1856 et 1857. 

Pour la seigneurie de Murray Bay, Lelièvre est secondé par Héli Hudon dit Beaulieu (1813-1869), un notaire local.  Le Cadastre abrégé de la seigneurie de Murray’s Bay est déposé en décembre 1858.  Le commissaire confirme que Thimothé ne possède plus de terre ouvrant droit à la propriété dans cette seigneurie.  Avec sa femme, il demeure dans la maison devenue celle de leur fils Thomas.  On y apprend que la concession Terre Bonne, qu’avait connu Thimothé à son arrivée dans la seigneurie, est maintenant subdivisée. On retrouve toujours des Harvey dans la «Concession Terrebonne, nord-est du Gros Ruisseau», mais ce sont ceux de la génération suivante qui occupe le territoire.  Ses fils, Benjamin (cent vingt-six arpents) et Thomas (cent seize arpents) où il habite, occupent toujours sa terre originale subdivisée.  Aussi, les frères François et Denis, fils de feu David frère de Thimothé y possèdent en commun deux terres, pour un total de cent soixante-dix-sept arpents.  Finalement, Narcisse Harvai (1820-1892) à Michel (1771-1841) chez André Laurent (1764-1831), le dernier descendant de son oncle Pierre Hervé (1733-1799) a avoir quitté l’île en 1845 est venu s’y installer également sur une terre voisine de cent quarante-sept arpents.  Dans la «Concession des Fourches du Gros Ruisseau», voisine de la leur et autre subdivision de la Concession Terre Bonne, les frères François et Denis possèdent, également en commun, une terre de soixante arpents[178].  Avec l’abolition du régime seigneurial, John Nairne reçut en compensation une large somme pour l’époque, argent qu’il n’aura pas le temps de dépenser puisque la fin de l’histoire de la famille Nairne s’arrêta avec sa mort en 1861.  Cent ans après que l’Écossais avait fait main basse sur la seigneurie, son petit-fils et seigneur s’éteignait[179].

Dans le cas de la seigneurie de Mount Murray, le dépôt du rapport du commissaire est retardé, car le seigneur John Malcom Fraser fait des siennes[180].   Il a beau se plaindre des conséquences de l’abolition du régime seigneurial, il se retrouve tout de même avec soixante-six pour cent du territoire en propriétés.  Il passera les dernières années de sa vie à se battre sur le sujet avec les autorités.  Mal lui en prit, il décède à Québec le 16 avril 1860.  En raison de ses demandes de révisions, le rapport ne sera clos qu’en mars 1861.  On y apprend qu’après toutes ces années, Thimothé a conservé sa terre de cent vingt arpents dans la «Première concession le long de la rivière Murray».  Comme il demeure dans la concession Terre Bonne depuis trente ans, on peut présumer qu’il a continué à tirer profit du loyer.  Il s’en est passé des choses dans cette concession pendant toutes ces années.  Des enfants sont nés et les terres originales de cent vingt arpents ont été subdivisées.  On y retrouve maintenant quatre-vingt-deux censitaires.  Thimothé est parmi les sept derniers à posséder encore une terre de très grande surface, les deux autres étant celles d’un fils du marchand Cimon décédé et celle de la veuve Cimon qui, à elle seule, occupe une terre de cent quatre-vingt-six arpents, résultats d’achats faits par feux son mari[181].

François Nérée, le cadet des garçons de Thimothé, à des projets; il se construit une maison sur la terre de son père en 1857 et épouse Marie Coulombe (1837-1875) en février 1858.  L’année suivante, le 7 mars 1959, c’est la cadette Émilie qui épouse Pierre Gilbert un lointain cousin.  Elle est la dernière à quitter le toit familial. 

En ce début de nouvelle décennie, si les enfants sont maintenant tous mariés, ils ne sont pas tous bien loin.  Thimothé et Elizabeth sont toujours dans la maison de leur fils Thomas et plusieurs autres sont aussi dans la concession Terre Bonne devenue le rang du même nom.  C’est le cas de François Nérée qui se fait maintenant prénommer Henri, d’Elisabeth, d’Émilie et de François.  Les grands-parents peuvent donc dorloter de petits-enfants sans avoir à trop s’éloigner[182]

Le fleuve est toujours gelé lorsque, le 5 mars 1863, décède à l’Isle aux Coudres, le juge de paix et capitaine de milice du lieu.  Thimothé perd ainsi son frère Louis Hervé âgé de soixante-dix-huit ans.  Il apprendra sans doute la nouvelle quelques jours plus tard[183].  À soixante-douze ans, comme Thimothé n’a plus guère d’activités, il dut avoir le temps de visiter la famille à l’île plus tard au printemps. 

Lorsqu’en février 1865 décède Elisabeth, l’aînée, cela fait trente-trois ans que Thimothé et Elizabeth n’ont pas perdu un enfant[184].  À regarder la régularité des accouchements d’Elisabeth, son décès à tout l’air d’un dernier accouchement qui l’aurait emporté.  Comme la femme du temps devait procréer sans cesse, elle a peut-être été victime des aléas de la maternité. 

Puis deux ans plus tard, Joseph, le frère aîné de Thimothé décède; c’était en mai 1867et il avait quatre-vingt-quatre ans[185].  Ces deux frères, du même lit que Thimothé, avaient toujours vécu sur l’île aux Coudres.  On les avait vus occasionnellement lors de fêtes familiales à Murray Bay et Thimothé les avait également visités.  Louis, qui était navigateur comme Thimothé avait aussi été pilote du Saint-Laurent comme leur père.  À cause de leurs activités, il avait sans doute été celui avec qui il avait eu le plus de contacts.

Thimothé, tout comme ses frères d’ailleurs, n’attendra pas l’avènement du Canada, en juillet, pour tirer sa révérence.  Après une carrière de navigateur rempli à laquelle il avait mis fin une dizaine d’années plus tôt, il avait réussi à meubler un peu son quotidien par des implications politiques temporelles, mais sûrement insuffisantes pour satisfaire les longues journées à regarder le foin poussé sur les terres de ses enfants.  Il décède au solstice d’été, deux jours avant d’avoir pu fêter la Saint-Jean-Baptiste.  À son décès le 22 juin 1867, Thimothé avait soixante-seize ans[186].  Cet insulaire de naissance s’était amené il y a cinquante-quatre ans dans la paroisse de Saint-Étienne de La Malbaie.  Lors de la subdivision de cette dernière, il avait vu naître de nouvelles paroisses, celle de Sainte-Agnès en 1825, de Saint-Irénée en 1840 et de Saint-Fidèle en 1855.  Comme sur l’île de son enfance, les terres vinrent un jour à manquer et on avait alors gagné les hauteurs de Saint-Hilarion.

En 1879, douze ans jour pour jour après le décès de Thimothé, ce sera au tour d’Elizabeth Audet dite Lapointe de tirer sa révérence.  Elle décède à l’âge de quatre-vingt-trois ans également, le 22 juin et est aussi inhumée le 24 juin, comme Thimothé l’avait été[187]

La descendance de Thimothé et d’Elizabeth

Thimothé et Elizabeth sont les ancêtres d’une centenaire, Marie Édée Harvey (1885-1986), institutrice au village de Saint-Siméon.  Après avoir vécu à Montréal un temps, cette dernière finira sa vie à Saint-Vincent-de-Paul sur l’île Jésus.  Fille d’Héli Harvey (1847-1906), elle était la petite-fille de Benjamin Hervai (1825-1902).

Ils sont également les ancêtres de quatre arrière-petits-fils qui se sont enrôlés lors de la Première Guerre mondiale : Joseph Charles Wilfrid Harvey (1896-1962), blessé sur le champ de bataille en France, Joseph Harvay (1897-1916), tué au combat en France également, Paul Harvey (1897-c.1919) qui, atteint de la grippe espagnole en Angleterre, fut ramené au pays et Joseph Harvey (1884-1946) handicapé par un éclat d’obus dans les terres françaises.

Thimothé Hervé, ses enfants, données généalogiques - 5e génération

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Ceci termine le chapitre consacré à Dominique Hervé.  

Le chapitre suivant est consacré à son frère aîné Pierre Hervé

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[1] MAILLOUX, Alexis. Promenade autour de l’Ile-aux-Coudres. Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Éditions Firmin H. Proulx, 1880, pages 48-49.

[2] Timothé est une variante orthographique de Timothée. Ce dernier est un prénom ancien, que l’on trouvait déjà dans les registres en France au XVe siècle.  Les registres au pays de la conquête et pour toute la période où une grande partie de la population sera analphabète, jusqu’au milieu du XXe siècle, contiendront autant de Timothée que de Timothé et même de Thimothé. 

[3] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 22 octobre 1790.

[4] Ibid., 6 octobre 1790.

[5] «Quelques arpents de neige» est l’une des citations de Voltaire par lesquelles celui-ci exprimait son évaluation dépréciative de la valeur économique du Canada et, par extension, de la Nouvelle-France, en tant que colonie au XVIII siècle.

[6] Les insulaires de L’Isle-aux-Coudres appellent le fleuve Saint-Laurent, «la mer» depuis aussi loin que la tradition orale nous permet de remonter.  Cette façon de désigner le fleuve apparaît dans les textes dès le début du XIXe siècle.  L’expression le «grand fleuve» est aussi utilisé pour le désigner surtout, mais pas uniquement, dans les écrits des ecclésiastiques.  Pourtant, «la mer» au niveau de l’île ne se caractérise que par des eaux saumâtres d’une teneur en sels minéraux inférieure à vingt-cinq pour cent (Brunel 1970 : 293).  Ses forts courants et un marnage de sept mètres peuvent peut-être expliquer pourquoi ses habitants d’origines des côtes françaises, pour la plupart, qualifient le fleuve Saint-Laurent de «mer».

[7] BAnQ., Aveux et dénombrements, Domination anglaise (C. 3), vol. 1, fol. 530-534, 1790.

[8] BOILARD Louise.  La mobilité interne dans Charlevoix : La première moitié du XIXe siècle.  Chicoutimi, les presses de l’Université du Québec, 1991, pages 78-79.

[9] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 15 novembre 1802.

[10] BAnQ., Almanach de Québec, 26 février 1794, Dominique Hervé citée dans PELLETIER, Louis, La seigneurie de Mount Murray : Autour de La Malbaie 1761-1860. Sillery, Septentrion, 2008, page 51.

[11] Le nom Georges-Harvey utilisé ici qui coulait sur les terres de Sébastien Dominique Hervé est un anachronisme.  Ce ruisseau ne prendra ce nom que bien plus tard et sa désignation officielle n’en sera faite qu’en 1972.  La commission de toponymie du Québec dans sa description de l’origine et la signification du nom mentionne qu’il rappelle probablement cet habitant de l’île, George Hervai, que l’abbé H.-R. Casgrain rencontre, en 1875, durant son pèlerinage autour de l’île aux Coudres.  Les insulaires à l’époque de mes ancêtres le nommaient indifféremment le ruisseau des Pruches ou la Rivière-des-Pruches.  Ce nom de Rivière-des-Pruches est relativement ancien puisque l’abbé Alexis Mailloux en parle dans son Histoire de l’Ile-aux-Coudres publiée après sa mort en 1879.  À la page 13 de son récit, il y est mentionné «... s’était bâti une petite maison sur une butte près de la rivière appelée Rivière-des-Pruches...» et à la page 52 «... le ruisseau des Pruches (celui qui coule sur la terre du sieur Georges Harvay)…»   Il est connu que la pruche est une essence forestière recherchée par les tanneries à cause de sa forte teneur en tanin.  Cependant, Jacques Rousseau, botaniste et ethnologue québécois, remarque en 1942, l’absence de cette variété d’arbres sur l’île aux Coudres.  Il suppose alors que les insulaires utilisaient ce nom pour désigner les épinettes. Ce petit cours d’eau se jette bien au nord de la Pointe de L’Islet.

[12] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 8 juin 1806.  Baptême de Marie Angelle Savard.

[13] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 10 avril 1812.  Cérémonie de sépulture des pilotes du fleuve St Laurent depuis le Bic jusqu’à Québec. Guillaume Martien et Dominique Hervé. 

[14] Bien que l’acte notarié de l’acquisition de cette terre n’ait pas été trouvé, le cadastre de la seigneurie de Mount Murray rédigé en 1858 et 1859 et clos le 18 juin 1859 par le commissaire Siméon Lelièvre établit hors de tout doute la propriété par Thimothé d’une terre dans la Première concession le long de la rivière Murray.

[15] Les termes demi-frère et demi-sœur sont peu utilisés dans le texte puisqu’il semble que les enfants de Dominique Hervé (1736-1812) aient fait peu de différence dans leurs relations entre les enfants du premier et du second lit de leur père.

[16] Ibid., 6 octobre 1812.

[17] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 7 octobre 1812. Baptême de Christine Martel.

[18] GAUTHIER, Serge et Guy GODIN.  Raconte-moi -- La Rivière-Malbaie.  Québec, Les Presses de l’université Laval, 2004, pages 74-77.

[19] COLLECTIF. «Causeries historiques», Le Journal de Québec. Québec, volume 29, N0. 95 (17 août 1871), page 2. 

[20] BAnQ, Québec, E17, S1, P3 (1960-01-036/1571), Registre d’écrou de la prison de Québec, 1838-1843, vol. 3, f. 4, 13 février 1838, Thimothé Harvey.

[21]KOMLOS, John. «Histoire anthropométrique de la France de l’Ancien Régime», Histoire, économie & société. Numéro 22, (Avril 2003), pages 519-536.

[22]BOUCHETTE, Joseph.  Description topographique de la province du Bas-Canada. Londres, 1815, pages 581-582.

[23] BAnQ., Cadastre abrégé de la seigneurie de Mount Murray, appartenant à John Malcom Fraser. Clos le 18 juin 1859, par Siméon Lelièvre, écuyer, commissaire, page 3.

[24] ROY, Pierre-Georges.  Inventaire des procès-verbaux des Grands Voyers conservés aux Archives de la province de Québec (1667-1841). Beauceville, APQ, Éditions L’Éclaireur limitée, 1923-1932, 6 volumes. 1795, Procès-verbal qui assure une route de sortie pour les habitants du côté nord de la rivière Malbaie.

[25] BAnQ., Québec, Fonds Grands voyers.  Procès-verbal qui fixe et règle le chemin royal de front de la première concession du fleuve en la seigneurie de Mount Murray, en la paroisse de Saint-Étienne de La Malbaie, dans le comté de Northumberland, 1801.

[26] Musée de Charlevoix, P3, Fonds de la seigneurie de Mount Murray, 11 octobre 1802, Avis Jean Antoine Panet, avocat.

[27] PELLETIER, Louis, La seigneurie de Mount Murray : Autour de La Malbaie 1761-1860. Sillery, Septentrion, 2008, page 122.

[28] Ville de Québec. Patrimoine, l’archéologie à Québec, Marché Finlay. [En ligne]. https://archeologie.ville.quebec.qc.ca/sites/marche-finlay/histoire-du-marche-finlay/ [page consultée le 06/07/2023].

[29] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 13 novembre 1813, 12 juin 1815, 27 et 29 mars 1816.

[30] Ibid., 9 juin 1817.

[31] BAnQ., Collection Francis Higginson Cabot : Rôle des loyers de la seigneurie ou du Domaine du capitaine Malcom Fraser, pages 229-230. 

[32] A.N.Q., GN. Minutier Charles Chiniquy, 15 novembre 1818.

[33] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 9 juin 1817.

[34] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 1810-1815.

[35] PELLETIER, Louis. Op. cit., pages 58, 71, 73 et 93.

[36] A.A.Q., Troisième registre de Tadoussac : Miscellaneorum Liber, folio 81, 24 mai 1751.

[37] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 26 mai 1814.

[38] Ibid., 7 novembre 1814.

[39] Ibid., 17 janvier 1816.  Baptême de Timothée Gagnon.

[40] Ibid., 17 novembre 1816. Baptême de Charles Duchesne.

[41] Ibid., 16 décembre 1816.

[42] Pelletier, op.cit., pages 114-119.

[43] Ibid., 26 mai 1818.

[44] VILLENEUVE, Lynda.  La socio-économie de Charlevoix au début des années 1830. Sainte-Foy, Presses Université Laval, 1992, page 102.

[45] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 6 décembre 1800.

[46] Zacharie épousera Basilisse Dallaire (1810-1887) en 1830 alors qu’Adolphe épousera Zénobie Dallaire (1814-1864) en 1837.

[47] A.N.Q., GN. Minutier Charles Chiniquy, 5 septembre 1818.

[48] Dans ce texte le terme frère est souvent employé alors qu’il désigne en réalité demi-frère.  David et Dominique Isaïe Hervé, enfant du premier lit du père, sont les demi-frères de Thimothé.  À une époque où les hommes se mariaient à nouveau après le décès de leur femme, le plus souvent décédée en couche, cette fine distinction n’avait guère cours.

[49] PELLETIER, Louis, La seigneurie de Mount Murray : Autour de La Malbaie 1761-1860. Sillery, Septentrion, 2008, pages 53-54.

[50] B.A.C., G., Fonds Nairne, MG 23 G III 23, volume 1.  Lettre de Malcom Fraser à John Nairne, 12 février 1797. 

[51] BOUCHETTE, Joseph. Description topographique de la province du Bas Canada. ditins W. Faden, Londres, 1815, pages 581-582.

[52] Aussi connu sous les noms suivants au pays : Ansiac Bherer, Ansiarque Bherer, Hans Georg Bhürer et Hans Georg Bherer.

[53] RÉPERTOIRE DU PATRIMOINE CULTUREL DU QUÉBEC.  Bührer, Hans Georg. [En ligne]. https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=8841&type=pge [page consultée le 03/02/2023]. Et : BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 30 septembre 1818.

[54] BAnQ., TALBOT, Éloi-Gérard. «La famille Bherer : Son origine», Journal Le Progrès du Saguenay. Chicoutimi, volume 54, N0. 40 (21 mai 1941), page 10. 

[55] Marie Adelle Hervai (1830-1913) à François Hervé (1800-c.1871) chez David Hervé (1764-1837) épousera Joseph Bherer et Cléophas Hervei (1818-1891) à Michel Hervé (1791-1841) chez André Hervé (1764-1831) épousera Louise Bherer (1823-1896)

[56] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 25 juillet 1819.

[57] Ibid., 24 août 1819.

[58] A.N.Q., GN. Minutier Charles Chiniquy, 27 octobre 1819.

[59] Les informations relatives à la vie de navigateur de Thimothé ont été tirées d’actes notariés, des documents d’enregistrement des navires de Bibliothèque et Archives du Canada et du livre : DESGAGNÉS, Michel. Les goélettes de Charlevoix. Ottawa, Édition Leméac, 1977, 182 pages.

[60] A.N.Q., GN. Minutier Charles Chiniquy, 27 décembre 1819. 

[61] A.N.Q., GN. Minutier Charles Chiniquy, 22 novembre 1819. 

[62] PELLETIER, Louis, op. cit., pages 110-111.

[63] A.N.Q., GN. Minutier Charles Chiniquy, 27 décembre 1819. 

[64] MALTAIS, Donald.  «Le clan Maltais et les premiers moulins du Saguenay», Saguenayensia, volume 58, numéro 3, 2017, page 32.

[65] FRANK, Alain.  «La Goélette à voiles du Saint-Laurent», Scientia Canadensis, volume 11, numéro 2 (33), automne–hiver 1987, page 114. e

[66] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 1818-1830.

[67] PELLETIER, Louis. Op. cit., pages 233 et 235.

[68] Ibid., page 235.  Le premier document trouvé de l’enregistrement d’une goélette au nom de Thimothé est celui de 1820.  Cela n’exclut pas qu’il ait pu posséder cette goélette bien avant sans que son enregistrement nous soit parvenu.

[69] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 8 février 1820.

[70] Ibid., 7 juin 1820.

[71] A.N.Q., GN. Minutier Héli Hudon dit Beaulieu, no 76, décembre 1841.  Ce contrat de quatorze mille billots de pins de douze pieds de long sur six pouces de large compte pour environ vingt pour cent des droits de coupe annuels de la société des pinières du Saguenay pour 1841, la dernière année du contrat.

[72]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 28 janvier 1821.

[73] A.N.Q., GN. Minutier Charles Pierre Huot, procès-verbal du terrier censier de la seigneurie de Mount Murray, 4 juillet 1822.

[74] PELLETIER, Louis, op. cit., pages 109-110.

[75] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 8 octobre 1819. 

[76] Ibid., 26 mai 1822.  Mathieu Savard est de fait le fils de Mathieu Savard (1742-1831), un neveu du père de Thimothé par sa première union avec Geneviève Savard.  Thimothé est le cadet du deuxième lit de son père.

[77] Ibid., 10 juin 1822.

[78] Ibid., 31 décembre 1822.

[79] Ibid., 25 août 1846.

[80] A.N.Q., GN. Minutier Héli Hudon dit Beaulieu, no 510, 21 février 1860.  

[81] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 21 février 1865.

[82] Ibid., 24 juillet 1865.

[83] Ibid., 27 février 1823.

[84] A.N.Q., GN. Minutier Charles Herménégilde Gauvreau, no 140, 25 novembre 1822.

[85] PELLETIER, Louis, op. cit., page 107.

[86] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 29 avril 1823.

[87] Ibid., 15 octobre 1823.

[88] Ibid., 28 octobre 1823.  Mariage de François Hervai et Antoinette Audet dite Lapointe.

[89] Il apparaît une dernière fois au recensement de 1871.  L’inscription de son décès et de sa sépulture n’apparaît dans aucun registre paroissial de la région.  Il est probable qu’il soit mort noyé en mer. 

[90] Ibid., 23 avril 1824. Baptême d’Éléonore Thivierge, première manifestation de la présence de Basile à Mount Murray.

[91] Ibid., 15 septembre 1824.

[92] A.N.Q., GN. Minutier Charles Pierre Huot, no 1751, 13 novembre 1824.

[93] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 23 octobre 1824.

[94] Ibid., 1er novembre 1824. Baptême de Théodule Tremblay.

[95] Ibid., 18 janvier 1825.

[96] POTVIN, Damase.  La Baie des Hahas : Histoire, description, légendes et anecdotes : Paroisses, vieilles familles, gens et choses de la région.  Éditions de la chambre de commerce de la Baie des Hahas, 1957, pages 50 et 51.

[97] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Agnès, 25 novembre 1845.

[98] PELLETIER, Louis. Op. cit., page 318.

[99] IL est possible que Benjamin ait toujours navigué.  Des recherches pus approfondies pourraient permettre de trouver s’il a été propriétaire de d’autres goélettes avant celle achetée en 1860.

[100] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Siméon, 4 mars 1902.

[101] Ibid., 30 avril 1921.

[102] PELLETIER, Louis. Op. cit., page 233.

[103] Harvey, Gérard. Marins du Saint-Laurent.  Les éditions du Jour, 1974, 310 pages.

[104] A.A.Q., op. cit.

[105] Au début du XIXe siècle, un noyau villageois que l’on nomme alors le village de Nairne se forme à l’ouest de l’embouchure de la Rivière-Malbaie, à la limite du domaine du seigneur John Nairne. L’actuel tracé de la rue Saint-Étienne est alors réalisé, reliant les divers lots des colons. L’église Saint-Étienne y est érigée en 1805 et agit à titre de paroisse pour les seigneuries de Murray Bay et Mount Murray.

[106] B.A.C., G., Recensement du Bas-Canada de 1825, district Northumberland, sous-district Malbaie, microfilm 004569588_00551, page 1994.  Ce recensement a eu lieu entre le 20 juin et le 20 septembre 1825.  Le microfilm C-718 comprenant tous les sous-districts du district Northumberland ayant été mal incorporé par Bibliothèque et Archives Canada à la base de données automatisée de ce recensement, certains ont pu croire que Thimothé résidait à l’Isle aux Coudres.  De fait, les habitants de l’Isle aux Coudres au nombre d’un peu plus de six cents sont énumérés aux pages 1995, 1996 et 1997 du recensement.  La page 1994 où apparaît Thimothé appartient à la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie.

[107] Ibid., 24 janvier 1826.

[108] A.N.Q., GN. Minutier Charles Herménégilde Gauvreau, no 202, 28 octobre 1826.

[109] B.A.C., G., Recensements du Bas-Canada de 1825 et de 1831.

[110] Ibid., 20 octobre 1826.

[111] Ibid., 10 janvier 1827.

[112] Ibid., 2 avril 1827.

[113] Ibid., 7 septembre 1852.

[114] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Hilarion 27 mai et 20 septembre 1902.

[115] Parlure de l’Isle-aux-Coudres et de Charlevoix.  Nichouette : la dernière de la famille.

[116] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 23 janvier 1827.

[117] POTHIER, Bernard. «DUBERGER, Jean Baptiste». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1969, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1987, 15 volumes, volume VI (Décès de 1821-1835).

[118] POIRIER, Lucien. «GLACKEMEYER, Frederick». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1969, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1988, 15 volumes, volume VII (Décès de 1836-1850).

[119] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 2 juin 1827.

[120] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 10 octobre 1802, 14 septembre 1819 et 6 juin 1827.

[121] BAnQ., COLLECTIF. «La navigation entre Montréal et Québec vers 1826», Journal La Patrie. Montréal, (12 novembre 1884), page 4.

[122] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 1 mai 1829.  Un livre traitant des Harvey publié en 2016 mentionne qu’il serait né à l’Isle aux Coudres.  Il s’agit d’une erreur, Thomas est bien né à Mount Murray et a été baptisé dans l’église Saint-Étienne de Murray Bay.

[123] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Brigide de Montréal, 18 décembre 1911.

[124] A.N.Q., GN. Minutier Charles Herménégilde Gauvreau, no 113, 13 octobre 1829.

[125] PELLETIER, Louis. Op.cit., page 125.

[126] A.N.Q., GN. Minutier Charles Herménégilde Gauvreau, no 26, 10 mars 1831.

[127] PELLETIER, Louis. Op.cit., page 235.

[128] VILLENEUVE, Lynda. Op.cit.

[129] B.A.C., G., Recensement du Bas-Canada 1831, pour le comté du Saguenay, sous-district de la paroisse de Saint-Étienne de la Malbaie, concession Terre Bonne, microfilms 004569577_00233 et 004569577_00234.  Ce recensement est partiellement nominatif ce qui veut dire que seuls les noms des chefs de familles ou de ménages ont été répertoriés; les autres membres des familles ou des ménages ont été comptés et leur nombre total a été inscrit selon la catégorie de sexe et des catégories d’âges prédéterminés. Le recensement a eu lieu entre le 1er juin et le 1er octobre 1831, donc avant la naissance de François Xavier.

[130] Les gens de la région, tout comme sud de la Côte-du-Sud, parlent d’être en mer lorsqu’il sont sur le fleuve.

[131] PELLETIER, Louis. Op.cit., page 100.

[132] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 12 octobre 1831.

[133] GAUTHIER, Serge et Guy GODIN.  Raconte-moi -- La Rivière-Malbaie.  Québec, Les Presses de l’université Laval, 2004, pages 74-77.

[134] Vingt et un milles nautiques ou quarante kilomètres.

[135] Ibid., 17 février 1832.

[136] B.A.C., G., Recensement du Bas-Canada 1831, pour le comté du Saguenay, sous-district de la paroisse de Saint-Étienne de la Malbaie, concession Terre Bonne, microfilm 004569577_00235.

[137] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 18 mars 1832.

[138] REINHARD, S. Speck.  The Cambridge World History of Human Disease - Cholera. Cambridge, Cambridge University Press, 1993, pages 646-648.  Une autre source (K.F. Kiple) avance que le Carrick avait 133 immigrants à son bord et que 59 d’entre eux étaient morts du choléra pendant la traversée.  Dans ce même mois de juin, le navire Le Voyageur partira de la Grosse-Île vers Montréal avec 450 passagers à bord dont l’un mourra du choléra avant d’arriver à Trois-Rivières, un autre, mourra le 9 juin dans une auberge de Trois-Rivières où on l’avait débarqué et un autre mourra sur le quai en arrivant à Montréal; c’est ainsi que débutera la propagation du choléra à l’intérieur de la colonie.

[139] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de l’Isle aux Coudres, 25 juillet 1832.

[140] Ibid., 4 septembre 1832.

[141] MAILLOUX, Alexis. Promenade autour de l’Ile-aux-Coudres. Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Éditions Firmin H. Proulx, 1880, pages 95-98. Biographie de M. Godefroy Tremblay. À la suite de sa «Promenade autour de l’Ile-aux-Coudres», Mailloux écrivit en addendum (pages 79-107) la biographie de son vieil ami et insulaire comme lui, l’abbé Godefroy Tremblay.  Bien que teintée de biais, cette biographie nous apprend certains détails historiques reliés à la vie de Magdeleine Dufour.

[142] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 30 juillet 1905.

[143] Ibid., 23 mars 1833.

[144] PELLETIER, Louis. Op.cit., pages 159-161.

[145] A.N.Q., GN. Minutier Charles Herménégilde Gauvreau, no 8 et 13, 1 janvier 1834.

[146] A.N.Q., GN. Minutier Charles Herménégilde Gauvreau, no 103, 1 juin 1835.

[147] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 9 août 1935.

[148] BAnQ., Cadastre abrégé de la seigneurie de Mount Murray, appartenant à John Malcom Fraser. Clos le 18 juin 1859, par Siméon Lelièvre, écuyer, commissaire, page 3. é

[149] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 24 avril 1837. Et : PELLETIER, Louis. Op.cit., pages 80-81.

[150] Ibid., 8 juin 1837.

[151] BAnQ., PEDNEAUD-JOBIN, Maxime. «Les patriotes, vrais vainqueurs de l’histoire», collaboration spéciale, Journal La Presse. Montréal (22 mai 2023).

[152] BAnQ, Québec, E17, S1, P3 (1960-01-036/1571), Registre d’écrou de la prison de Québec, 1838-1843, vol. 3, f. 4, 13 février 1838, Timothé Harvey.

[153] GROULX, Lionel. Notre maître le passé, tome 2.  Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, collection 10/10, 1977, page 76.

[154] BAnQ., ROY, Anne-Sophie. «La petite histoire des maisons closes à Québec », Radio-Canada en continu, Québec, (4 juin 2023).

[155] FYSON, Donald. Police d’empires — La police au Québec, 1760-1878 : des modèles impériaux dans une colonie nord-américaine.  Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, pages 95-113.

[156] A.N.Q., GN. Minutier Isidore Levesque, no 4372, 1er mars 1838. Il n’est pas certain qu’il s’agisse de Thimothé.  Il pourrait s’agir du petit-cousin Cendron puisque le notaire ne précise rien quant à l’identité du Thimothé en question.

[157] A.N.Q., GN. Minutier Isidore Levesque, no 4352-4372, 4 janvier au 1er mars 1838.

[158] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Agnès, 9 juin 1838.

[159] Université de Moncton, Fonds Antoine Gosselin.

[160] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Agnès, 9 juin 1901 et 18 février 1908.

[161] LACOURSIÈRE, Jacques.  Histoire populaire du Québec — De 1791 à 1841. Québec, Septentrion, 2008, pages 587-607.

[162] PAPINEAU, Amédée. Mémoires d’un Patriote. L’Assomption, Aubin-Blanchet recherches historiques, 2021, page 327.

[163] CLAVEAU, Jean-Charles. Les pionniers de la Seigneurie de Murray Bay. Québec, Éditions Fleur de lys, 1996, page 137.

[164] A.N.Q., GN. Minutier Isidore Levesque, no 4742, 15 avril 1842.  Il n’est pas certain qu’il s’agisse de Thimothé.  Il pourrait s’agir du petit-cousin Cendron puisque le notaire ne précise rien quant à l’identité du Thimothé en question.

[165] B.A.C., G., Recensement de 1842 du Canada-Est, pour le comté du Saguenay, sous-district de la Malbaie, microfilms 004569589_00180 à 004569589_00184. 

[166] BOURRET Louis Alexis. «Pour le Canadien», Journal Le Canadien. Québec, volume XIII, N0. 111 (28 janvier 1844), page 3.

[167] PELLETIER, Louis. Op.cit., Annexe 5. Ventes et achats de goélettes.

[168] B.A.C., G., Recensement de 1851 du Canada-Est, pour le comté du Saguenay, sous-district de Malbaie, microfilm e002315044.

[169] A.N.Q., GN. Minutier Pierre Garon, no 7122, 28 juillet 1851. 

[170] PELLETIER, Louis. Op.cit., pages 233, 235 et 237.

[171]  MALTAIS, Donald.  Op.cit., page 32.

[172] B.A.C., G., Recensement de 1851 du Canada-Est, pour le comté du Saguenay, sous-district de Malbaie, microfilms e002315043 et e002315044.  L’énumération connue sous le nom du Recensement de 1851 a débuté officiellement le 12 janvier 1852.

[173] Aucun des six Élie (Héli) Harvey dans la colonie n’a douze ans, ni même près de douze ans : Élie Hervé (1801-1832) chez Michel Hervé (1771-1810); Élie Harvey (1832-1905) à Élie Hervé (1801-1832) chez Michel Hervé (1771-1810), il demeure à Chicoutimi; Élie Harvé (1838-1892) à Michel Hervé (1791-1841) chez André Hervé (1764-1831), il habite chez son frère Narcisse Harvai (1820-1892); Élie Harvey (1845-1925) à Pierre Hervey (1807-1872) à Dominique Romain dit Joseph (1768-1830); Élie Hervai (1828-1891) à Denis Hervé (c.1803-1887) chez David Hervé (1764-1837); et finalement Élie (Héli) Harvey (1847-1906) à Benjamin (1825-1902) chez Thimothé (1790-1867).

[174] PELLETIER, Louis. Op.cit., Annexe 5. Ventes et achats de goélettes.

[175] CIMON, Cléophe. «Comté de Charlevoix», Journal Le Canadien. Québec, volume 26, N0. 24 (30 juin 1856), page 2.

[176] COLLECTIF. «Le National», Journal de Québec. Québec, volume 14, N0. 121 (9 octobre 1856), page 2.

[177] COLLECTIF. «Rumeurs électorales», Journal de Québec. Québec, volume 15, N0. 148 (19 décembre 1857), page 3.

[178] LELIÈVRE, Siméon.  Cadastre abrégé de la seigneurie de Murray’s Bay appartenant à John Nairne, Écuyer, 21 décembre 1858.

[179]CLAVEAU, Jean-Charles. Op.cit.

[180] BAnQ., Province of Canada, Lower Canada. In the matter of the Questions, framed by Her Majesty's Attorney General for Lower Canada, to be submitted for the decision of the Judges of the Court of Queen's Bench and of the Superior Court for Lower Canada, pursuant to the provisions of 'The Seigneurial Act of 1854' and fyles in the Office of the Court of Queen's Bench by the Honorable John Malcom Fraser, Seignior of the Fief ans Seigniory of Mount Murray in the District of Quebec, 17 mai 1855.

[181] PELLETIER, Louis. Op.cit., pages 262-263.

[182] B.A.C., G., Recensement de 1861 du Canada-Est, pour le comté de Charlevoix, sous-district de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, microfilms 4108686_00011, 4108686_00012 et 4108686_00013.

[183] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de l’Isle aux Coudres, 7 mars 1864.

[184] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 21 février 1865.

[185] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de l’Isle aux Coudres, 7 mai 1867.

[186] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 24 juin 1867.

[187] Ibid., 24 juin 1879.