Le premier descendant du migrant français à s’établir en Gaspésie est sans doute Michel Harvey. Il est né le 9 septembre 1847 en Chaudière-Appalaches et baptisé deux jours plus tard à l’église Notre-Dame de Bonsecours de L’Islet dans le fief et la seigneurie de Bonsecours[1]. Il est le fils d’Étienne Hervé (1811-1889) et de Constance Bélanger (1815-1886). Michel a comme généalogie patrilinéaire Sébastien Hervé (1767-1834) à Sébastien Dominique Hervé (1736-1812) à Sébastien Hervé (1695-1759) chez le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).
En 1855, peu de temps après l’abolition du régime seigneurial au Québec, la municipalité de Notre-Dame-de-Bonsecours se constitue sur les territoires des anciennes seigneuries de L’Islet Saint-Jean et de Bonsecours où Michel grandit. Le passage de l’énumérateur en 1861 sera la dernière apparition de Michel en Chaudière-Appalaches. À quatorze ans, il vit toujours chez ses parents, de même qu’un frère et deux sœurs, mais plus pour très longtemps. Son père est journalier et pour autant que ce que l’on a déclaré à l’énumérateur soit véridique, Michel ne travaille pas et ne va pas à l’école[2].
La famille vit difficilement. Sa mère éprouve des problèmes mentaux de même que l’une de ses sœurs. Lui et son frère cadet Joseph (1851-1928) auront quitté la maison avant le tournant de la décennie. Son frère partira travailler dans une manufacture de la Nouvelle-Angleterre dès février 1868 ; il sera d’ailleurs le premier Harvey à participer à l’exode des nôtres vers les États-Unis. On peut présumer que Michel, quatre ans plus âgés que son frère, a quitté le nid familial depuis belle lurette.
On retrouve Michel en Gaspésie à la Pointe-Saint-Pierre au début de 1871. Il y est depuis un certain temps. À l’époque, des Charlevoisiens et des gens de la Côte-du-Sud se dirigeaient vers le golfe du Saint-Laurent, comme travailleurs, car des compagnies comme la Robin et d’autres entreprises anglo-normandes embauchaient des pêcheurs et des graviers pour leurs activités de pêcherie[3]. C’est une goélette qui l’aura conduit dans ce secteur de pêche. Lorsqu’il débarque dans cette baie du golfe, Michel sera d’abord journalier pour un certain temps auprès de membres de la communauté jersiaise qui domine l’industrie de la pêche dans la région à cette époque. L’anglais sera donc sa langue de travail qu’il devra apprendre bien vite s’il veut maintenir un emploi.
À l’arrivée de Michel dans la baie de Malbaie, l’endroit a toujours une certaine importance dans la pêche commerciale de la région grâce à son havre naturel et sa grève de galets propices au séchage de la morue. La baie de Malbaie est privilégiée, car elle est particulièrement riche en poissons de toutes sortes dont est friande la morue. Trois rivières s’y déversent formant un barachois à la rencontre de l’eau douce et de l’eau de mer. L’endroit se reconnaît par son banc de sable abritant le marais salé. Plus de quatre cents hommes y prennent la mer chaque jour sur près de deux cent cinquante embarcations[4]. Les prises sont bonnes et Michel y voit un endroit où se tailler un avenir puisque l’emploi ne manquera pas.
C’est vers la fin de la décennie 1860 que Michel courtise Marie Rail. Le premier Rail à mettre les pieds au pays fut Julien Rehel (1715-1774). Arrivé de France un peu avant 1743 et établi à Saint-Roch-des-Aulnaies il s’était épris d’une autochtone avec qui il avait eu un enfant. Bien que Michel et sa famille aient également habité Saint-Roch-des-Aulnaies, Julien Rehel quittera l’endroit pour le Bas-Saint-Laurent bien avant que les Hervé ne débarquent dans ce village de Chaudière-Appalaches. La présence de l’ancêtre Rehel à Saint-Roch n’a donc rien à voir avec la relation qu’entretiennent Michel et Marie.
Michel épouse Marie Rail le 21 janvier 1871 dans la petite église du village de Saint-Pierre de Malbaie en Gaspésie. Saint-Pierre de Malbaie est situé à vingt-cinq kilomètres derrière Percé, le chef-lieu, en direction de Gaspé. Il est l’un des nombreux villages de pêche de cette côte ; le village de Saint-Pierre de Malbaie partage la baie avec Pointe-Saint-Pierre et Grande-Grève. À une telle distance de chez lui, son témoin est un confrère de travail alors que la sœur de la mariée agit comme telle pour Marie (1847-1877). Les deux époux ont tous deux vingt-trois ans. La mère de la mariée est décédée en 1857 ; son père se remarie peu de temps par la suite. Le père Pierre Rehel dit Rail (1823-1874) qui est pêcheur du lieu, n’assiste pas à la cérémonie[5].
Vingt-neuf semaines plus tard naît le premier enfant du couple. On pourrait penser avoir trouvé ici le motif de l’absence du père à la cérémonie. Cela est peu probable, car Marie Rail elle-même était née six mois après le mariage de ses parents.
« Michel Harver » fils, né le 16 août, sera baptisé trois semaines plus tard. Parrain et marraine « ... ainsi que le père n’ont pu signer » [6]. On a ici la confirmation que Michel, le père n’a jamais fréquenté l’école.
La famille vivra du fruit des pêches de Michel. Six ans après son premier accouchement, Marie Rail met au monde un second fils le 6 novembre 1877. Elle ne se relèvera pas de ce dernier accouchement. L’enfant est baptisé le 12 novembre et portera le nom de « Pierre Harvey ». Michel est absent de la cérémonie du baptême. Il est auprès de Marie qui agonise. Elle succombe cette même journée[7].
Déjà en 1881, Michel n’est plus au Québec. Peut-être est-il parti rejoindre Joseph, son frère cadet, qui vit à Salem au Massachusetts avec sa nouvelle épouse et travaille comme réparateur de métiers à tisser dans une importante filature. Il est probable qu’il est franchi la frontière bien que l’on n’en trouve aucune trace. Sa dernière apparition dans les registres civils ou religieux au pays fut lors de l’inhumation de sa femme. Il en est de même de ses deux fils. S’il a donné ses fils en adoption, ce n’est à aucun des parents de sa défunte femme.
Après la mort de Marie Rail on ne trouve, au pays, aucune trace de Michel et de ses deux enfants au cours des vingt prochaines années.
Une surprise nous attend cependant en 1893 ; son fils Michel, alors âgé de vingt-deux ans, réapparaît en Gaspésie. Il réside dans la vallée de la Matapédia, est fermier l'été et bûcheron les mois d’hiver. Il tient chaumière dans le hameau de Saint-Laurent de Matapédia sur le chemin Kempt dans le comté de Bonaventure. Si cela peut-être une indication de son passage en Nouvelle-Angleterre, il se fait désormais nommer Joseph Mitchell Harvey, parle anglais et se déclare d’origine écossaise. Si, comme je le crois, son père était parti vivre aux États-Unis après la mort de sa femme en 1877, Michel fils aura grandi dans un environnement anglophone. On présume qu’il est revenu avec son père et que son frère est demeuré en Nouvelle-Angleterre.
Le 11 novembre 1893, Michel fils maintenant dit Joseph Mitchell, épouse Frances Elizabeth S. Chambers (1860-1939), une presbytérienne du hameau où il vit. Cette femme, surnommée Fannie Chambers, est native de Runnymede dans la vallée de la Matapédia, un hameau voisin de celui de Michel fils. Cette petite enclave anglophone datant de 1807, constitue l’un des premiers établissements du canton de Matapédia. Le père de Fannie était un Anglais baptiste décédé alors qu’elle n’avait pas dix ans. Sa mère, pour sa part, était une descendante loyaliste du Nouveau-Brunswick qui déclarera être née aux États-Unis. Elle s’était remariée à un Écossais presbytérien au début des années 1870. On en connaît peu sur la vie précédente de la célibataire Fannie, mais l’on sait que lors de sa rencontre avec Michel fils, elle a déjà quatre enfants, « né de parents inconnus » ou « illégitime », car c’est ainsi que les registres les décrivent lors des baptêmes[8]. Ces enfants vivent avec le beau-père et la mère de Fannie ; ces derniers en ont la garde, alors qu’elle-même est domestique dans une famille du même secteur. Le lien entre le beau-père et les enfants est incertain.
Le mariage de Michel fils et de Fannie, célébré dans une église protestante de Campbellton au Nouveau-Brunswick[9], est inscrit également dans les registres de l’église catholique de l’Acadie[10]. Campbellton au Nouveau-Brunswick se trouve sur l’autre rive (sud) de la rivière Ristigouche. Michel, le père, n’agit pas comme témoin au mariage. Était-il présent ?
Quoi qu’il en soit, il semble être revenu avant le tournant du siècle puisque le dimanche 31 janvier 1897, il décède dans un hôpital de Campbellton au Nouveau-Brunswick[11]. La famille vit alors dans le hameau de Broadlands en Gaspésie, à une quinzaine de kilomètres en aval du village de Matapédia sur la rivière Ristigouche.
Michel fils et Fannie auront trois enfants dits « légitime » dans le hameau de Broadlands. Les quatre enfants de Fannie nés avant sa rencontre avec Michel fils adopteront le patronyme Harvey, un patronyme qu’ils garderont toute leur vie, tout comme leur descendance d’ailleurs. Des sept enfants constituant dorénavant cette famille, deux participeront à la Grande Guerre dont l’un, Hudson (1896-1917), décédera dans une bataille au Pas de Calais en France.
Michel fils s’éteindra le 16 mars 1921 à Campbellton au Nouveau-Brunswick où il était devenu sectionnaire pour le Canadian National Railway[12].
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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Bonsecours de L’Islet, 11 septembre 1847.
[2] B.A.C., G., Recensement de 1861, district du comté de L’Islet, sous-district de la paroisse de L’Islet, page 93-69. Le recensement a débuté officiellement le 14 janvier 1861.
[3] DESJARDINS, Marc, Yves FRENETTE, Jules BÉLANGER et Bernard HÉTU, Histoire de la Gaspésie. Sainte-Foy, Les Éditions de l’IQRC, collection « Les pays du Québec », no 1, 1999, pages 167.
[4] University of Saskatchewan, Canadian Historical Geographic Information System, St. Pierre de la Malbaie – 1881.
[5] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre de La Malbaie, 21 janvier 1871.
[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre de Malbaie, Barachois, 8 septembre 1871.
[7] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre de Malbaie, Barachois, 14 novembre 1877.
[8] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne-de-Ristigouche, 7 décembre 1885.
[9] Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, comté de Restigouche, 13 novembre 1893.
[10] Registre de l’église catholique de l’Acadie, 13 novembre 1893.
[11] Cette date de décès provient de la tradition orale familiale. Je n’ai pu trouver aucun document en soutien au décès ou au retour potentiel de Michel Harvey père au pays.
[12] Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, comté de Restigouche, 16 mars 1921.