6. Certains Harvey de l’Estrie
avaient la cote auprès des descendants de
Pierre Boucher, seigneur de Boucherville

6. Saviez-vous que… certains Harvey de l’Estrie avaient la cote auprès des descendants de Pierre Boucher, seigneur de Boucherville 

Au début du siècle dernier, les enfants de grandes familles de cultivateurs de Charlevoix qui voulaient poursuivre le métier de leur père n’avaient guère d’autres choix que d’aller voir ailleurs pour se trouver une terre comme l’avaient fait ceux des générations précédentes sur la Côte-du-Sud, au Saguenay, au lac Saint-Jean et sur la Côte-Nord.

C’est exactement ce que feront quelques familles lorsqu’elles quitteront Charlevoix pour la riche région agricole de Barford dans les Cantons de l’Est.  Comme pour d’autres migrations sur le territoire, les Harvey ne partent jamais seuls et ceux dont il est question ici rejoindront des Bergeron, Bouchard, Dallaire, Gagnon, Gaudreault, Perron, Savard et Tremblay, partis dans la même période, avec ou avant eux.  On ne sait pas ce qui attira les frères Henri (1892-1978)[1] et Liguori (1894-1982)[2] Harvey dans la région de Coaticook, mais la qualité des terres et leur disponibilité pourraient bien en être les motifs. 

Natifs de Saint-Fidèle de Mount Murray, ils laissent derrière eux leurs parents Henri (1845-1928) et Marie Eliza Gagnon (1859-1933) ainsi que trois frères et quatre sœurs aînés. 

Henri part le premier pour s’établir dans les Cantons de l’Est.  Marié depuis 1917, c’est au printemps 1920 qu’il quitte Saint-Fidèle avec sa femme et ses deux premiers enfants. 

Le cadet Liguori, se marie en 1922.  L’année suivante, après la naissance de son premier enfant à Saint-Fidèle, il part rejoindre son frère dans le rang de Barford.

Le canton de Barford où la famille atterrit est un hameau situé au sud-est de la petite ville de Coaticooket il est limitrophe de l’État du Vermont.  Cette région prospère avait d’abord été occupée par les loyalistes au siècle précédent (1802).  Les familles de ces derniers étaient beaucoup moins nombreuses que celles des Canadiens français; la relève sur leurs terres ancestrales est absente, de plus, nombre d’entre eux ont quitté leur Eastern Townships pour l’Ontario et de nombreuses terres sont devenues disponibles.  De fait, des cent vingt-cinq familles du secteur où les Harvey s’installent, il n’y en a plus que quatorze pour cent dont l’ascendance est loyaliste.  Les dix-neuf familles originaires de Charlevoix qui y habite sont plus nombreuses que les familles anglophones.  La revanche des berceaux a eu raison des intentions de la couronne britannique de former une région anglophone au sud de Montréal, du moins dans ce secteur où seule la toponymie anglophone a été conservée[3].

Après le décès du père d’Henri et Liguori en 1928, Marie Éliza Gagnon vient se réfugier chez son cadet Liguori pour y finir sa vie[4]

La population de Coaticook et des alentours est d’environ quatre mille âmes en 1931.  On y compte alors vingt-cinq industries dans les secteurs du textile, des meubles et des jouets.  Les douze filles d’Henri et de Liguori n’auront donc aucune difficulté à trouver un emploi afin d’augmenter le revenu familial[5].

La partie du canton de Barford où s’établissent les Harvey est comprise dans la paroisse Saint-Edmond de Coaticook.  C’est d’ailleurs dans l’église Saint-Edmond que seront baptisés les quatorze enfants additionnels d’Henri et de son épouse Marie Laure Tremblay (1896-1964) qui naîtront dans le canton tout comme les trois de son frère cadet Liguori et de sa femme Germaine Girard (1889-1971).  La rivière Coaticook qui longe les terres des Harvey a donné son nom à la petite ville de Coaticook où se trouve l’église.

Avec autant d’enfants chez les Harvey, en plus de ceux du lointain cousin Ernest (1880-1945) qui s’amènera dans le c
anton voisin de Barnston avec une dizaine de ses enfants au tournant de la décennie, il ne faut pas se surprendre si, en 2014, la MRC de Coaticook est l’une de celles où les Harvey représentent un pourcentage non négligeable de
la population locale (voir le chapitre Le patronyme Harvey - Répartition géographique sur le territoire). 

Les frères Harvey cultivent donc de belles grandes terres, mais ils ont conservé leur habitude charlevoisienne de monter dans les chantiers l’hiver.  Cependant, dans leur terre d’accueil, on ne monte pas, mais on descend plutôt vers les chantiers sud, puisque c’est dans les forêts du Vermont qu’on travaille l’hiver.  D’ailleurs Paul Émile, le cadet chez Liguori sera bûcheron au Vermont et y finira sa vie.

Les Harvey du coin exploitent des fermes en majorité laitières.  Avec une population qui explose à Montréal, la demande est grande et la région possède un moyen efficace d’écouler sa production.  Un train quotidien en partance de Coaticook, appelé « le train des canices à lait », ramasse le matin les bidons de lait et autres produits frais et les amène à Montréal. Les bidons sont ramenés aux cultivateurs par le train du soir.  Pour compléter leurs revenus, les Harvey peuvent faire le commerce des sapins de Noël que lon exporte également par train vers New York, Boston et d’autres grands centres américains.  Près de cent mille sapins et épinettes sont ainsi expédiés[6].

Au fil des années, les enfants grandissent et l’aînée chez Liguori est courtisée par Lionel de la Bruère (1919-1987), un garçon du rang.  Lorsqu’en 1944, elle épouse un de la Bruère, Gertrude (1923-1999) ne sera pas la dernière Harvey à s’unir à un enfant de cette famille[7].  Deux ans plus tard, sa sœur puînée Thérèse (1925-2014) se marie à Hubert de la Bruère (1921-2007)[8].  Jusque là rien de bien différent que dans de nombreuses familles où deux membres d’une même famille en épouse deux autres aussi d’une même famille.  En 1949, la cadette Clémence convole en justes noces elle aussi avec un de la Bruère, Reynald (1924-1989)[9].

On n’allait pas en rester là chez Liguori Harvey et Germaine Girard.  Après avoir vu leurs trois filles suivent à l’autel trois de la Bruère, en 1955, leur cadet Paul Émile Harvay (1928-2006) prend pour épouse Jeanne de la Bruère (1936-2023)[10].

L’histoire des de la Bruère commence avec Gaspard Boucher (1599-1663), un menuisier de Mortagne-au-Perche immigré en Nouvelle-France en juin 1634.  L’un de ses fils, Pierre Boucher (1622-1717), obtiendra ses lettres de noblesse en 1661; il s’agit de Pierre Boucher, fondateur et seigneur de Boucherville, une ville de 500000 habitants aujourd’hui.  Les fils de ce dernier adopteront divers noms, la plupart choisis par Pierre Boucher lui-même et inspirés du terroir percheron.  Ils formeront les familles Montarville, Montbrun, Grosbois, Grandpré, Montizambert, La Perrière, Boucherville et La Bruère.  C’est à cette dernière famille que s’uniront les Harvey du canton de Barford dont il est question ici.  Pierre Édouard Hippolyte (1864-1925), grand-père des de la Bruère qui épousèrent des Harvey, était cultivateur et celui qui migra de la Montérégie vers le canton de Barford; le père de ce dernier, Pierre (1837-1917), était avocat, journaliste, auteur et homme politique de Saint-Hyacinthe.  Les ancêtres précédents sont Pierre Claude (1807-1871), médecin arrêté comme patriote pour avoir comploté et pris les armes à Saint-Charles contre la couronne britannique, René (1770-1855), Pierre René (1740-1794), René (1699-1773), coseigneur de Boucherville, Pierre (1653-1740), seigneur de Boucherville et de Montarville et finalement Pierre (1622-1717) le fondateur et seigneur de Boucherville[11].

BOUCHER, PIERRE,

Après avoir vécu quatre années chez les autochtones, il sera interprète auprès des Premières Nations pour le compte du gouverneur de la Nouvelle-France.  Soldat rapidement promu il deviendra gouverneur de Trois-Rivières, juge royal, fondateur et seigneur de Boucherville.  Baptisé à Mortagne, au Perche en France, le 1er août 1622, fils de Gaspard Boucher et de Nicole Lemer, il décéda à Boucherville le 19 avril 1717 et il est inhumé dans l’église paroissiale deux jours plus tard.

Henri et Liguori Harvey partagent à peu près les mêmes ancêtres que les champions fondeurs Pierre (1957 — ) et son fils Alex (1988 —) Harvey.  Ils ont comme généalogie patrilinéaire, de Saint-Fidèle dans Charlevoix, le cultivateur Henri (1845-1928), le cultivateur et bedeau de Mount Murray Cléophas Hervei (1818-1891), les cultivateurs à L’Île-aux-Coudres Michel Hervé (1791-1841), André Laurent Hervé (1764-1831) et Pierre Hervé (1733-1799), l’un des colonisateurs de l’île Sébastien Hervé (1695-1759) et le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).

[1] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Fidèle de Mount Murray, 31 juillet 1892.

[2] Ibid., 3 septembre 1894.

[3] B.A.C., G., Recensement de 1931, district de Stanstead, Township de Barford, microfilm e011601102 à e011601117 inclusivement.

[4] B.A.C., G., Recensement de 1931, district de Stanstead, Township de Barford, microfilm e011601110.

[5] B.A.C., G., Bureau fédéral de la statistique, 1931.

[6] PERRON, Carmen. Le Courant, le chemin de fer à Coaticook, automne 2010. [En ligne]. https://societehistoirecoaticook.ca/fr/le_courant/articles/automne_2010/le_chemin_de_fer_a_coaticook [page consultée le 2/11/2023].

[7] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Edmond de Coaticook. 17 juin 1944.

[8] Ibid., 28 septembre 1946.

[9] Ibid., 30 août 1949.

[10] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Jean l’Évangéliste de Coaticook. 27 juin 1955.

[11] Il ne faut pas confondre c’est de la Bruère avec les Bruyère de Toulouse ou les Bruyère, huguenots français passés en Grande-Bretagne à la suite de la révocation de l’édit de Nantes en 1685 et émigrer au Québec lors de la conquête.  Lors de l’enregistrement des mariages des Harvey avec des de la Bruère dans la base de données en ligne BMS2000, diffusée sur internet avec la collaboration du Centre de généalogie francophone d’Amérique, les de la Bruère ont été associé aux Bruyère par erreur.