George Harvey

(1832-1892) 

George, de la sixième génération de Harvey, quittera Chicoutimi au Saguenay avec sa famille en 1888 pour aller vivre à Lowell au Massachusetts comme sept autres familles de Harvey.  Né le 2 février 1832 à Saint-André de Kamouraska, il est le second fils de Louis Hervé (1802-1866) à Louis Hervé (1762-1842) chez Pierre Hervé (1733-1799).


George est également le second d’une famille de onze enfants qui, pour la plupart, avaient vu le jour à Saint-André de Kamouraska.  Son grand-père était un entrepreneur forestier à l’aise de Murray Bay.  À vingt-trois ans, son père avait vendu ses droits sur la succession et était venu habiter Saint-André de Kamouraska[1].  C’est à cet endroit qu’il avait rencontré sa femme Marie Priscille Caron (1809-1865).  George passera le plus clair de son enfance à travailler la terre avec son père. 

Quand ce dernier décide de déménager sa famille à Chicoutimi en 1846, George n’a que quatorze ans.  C’est à cet endroit qu’il fera la rencontre de Marie Elisa dite Eliza Gagnon (1838-1900).  Native de Murray Bay, les parents d’Eliza s’étaient amenés à Chicoutimi une douzaine d’années auparavant.  Le couple convole en justes noces le 27 octobre 1857 à l’église Saint-François-Xavier de Chicoutimi[2].  

De cette union naîtront douze enfants sur une ferme de la paroisse de Chicoutimi.  Quatre d’entre eux y décéderont avant le départ de la famille pour les États-Unis.  Prime (1830-1887), le frère aîné de George est son voisin.  De fait, les deux frères se partagent une partie du domaine que le père avait acheté à son arrivée au Saguenay.  



Dans les années 1880, certains bouleversements familiaux amèneront George et Eliza à réfléchir sur l’avenir de la famille et à prendre une décision qui allait en changer le cours.  D’abord, en février 1885, le couple marie un premier enfant, Louise qui n’a que dix-huit ans[3].  La maison commence à se vider de ses enfants.  Puis, la même année, Emilie, l’aînée des filles quitte la maison familiale pour aller travailler à la E. B. Eddy Match comme «faiseuse d’allumettes» dans une usine de Hull à l’autre bout de la province.  Elle va rejoindre sa tante Geneviève (1835-1898) et son oncle Achille Harvey (1844-1926) qui y sont établis depuis 1876.  Elle ne part pas seule; la petite Alice qui n’a que quatre ans l’accompagne et vient vivre chez sa tante Geneviève également[4].  Au moment du départ d’Emilie et Alice pour Hull, plusieurs jeunes gens de Chicoutimi semblent avoir fait de même.  Deux ans plus tard, Emilie épousera l’un de ceux-là, Joseph Gaudreault (1859-1937) natif de Chicoutimi; le mariage a lieu en avril 1887[5].  Après avoir vécu au cœur du quartier modeste de Hull où elle tirait le diable par la queue à travailler dans la salle d’empaquetage d’allumettes où les ouvrières s’entassaient comme des sardines, Emilie l’allumettière et Joseph reviennent s’établir à Chicoutimi après leur mariage probablement à l’automne[6].  Enfin, à la fin juin de la même année, George perd son frère aîné et voisin qui décède à l’âge de cinquante-sept ans[7].  Moins de quinze jours plus tard, en juillet 1887, George marie son aîné Louis qui épouse Angeline Gaudreault, la sœur de Joseph marié à Emilie[8].

Il y avait longtemps que George et Eliza n’avaient pas perdu un enfant.  Cela faisait dix-huit ans et encore là, il s’agissait d’un enfant en bas âge comme les deux précédents, mais en avril 1888, George et son gendre mettent en terre Louise qui s’était mariée trois ans plus tôt.  Elle n’avait que vingt et un ans[9].

Ce sera le dernier indice de la présence de George et Eliza en terre saguenéenne.  Le couple quitte Chicoutimi pour la Nouvelle-Angleterre.  On ne connaît pas les motivations qui ont emmené George à quitter le pays pour tenter sa chance aux States.  La mort de son frère aîné avec qui il avait partagé sa vie comme voisin aura sans doute facilité la décision de départ s’il y réfléchissait depuis un certain temps.  Il y a aussi le fait que le reste de sa fratrie avait quitté Chicoutimi depuis longtemps pour aller vivre à Roberval au lac Saint-Jean et à Hull à l’autre bout de la province


Lorsque George qui a déjà cinquante-six ans et Éliza Gagnon qui en a cinquante arrivent à Lowell dans le comté de Middlesex au Massachusetts, les enfants suivants sont avec eux : Louis (1862-1916) et son épouse, Marie Priscille (1871-1947), Edmond (1873-1930), Joseph (1876-1946), Delphis (1878-1955), et Thomas (1883-1964).  Seuls Emilie et son mari n’embarqueront pas dans l’aventure américaine et feront leur vie au Saguenay.  Alice (1881-1959) qui demeurait dans la région d’Ottawa au Canada chez sa tante Geneviève vient rejoindre la famille par train à l’automne[10].



Après s’être loué un appartement au 11 de la rue Bay Street, George et les enfants se trouvent rapidement des emplois au complexe de la Boott Cotton Mills.  Comme on y travaille dès l’âge de huit ans, on peut présumer que seuls Alice et Thomas sont exempts de corvée de coton.  La famille partage le quotidien des autres Canadiens français de Lowell et aussi leur grande pauvreté.  Le taux horaire dans les moulins de Lowell est de dix sous alors qu’il se chiffre à vingt et un dans les autres manufactures au pays de l’oncle Sam.  On y exploite la population migrante qui n’a pas d’autres options.  La semaine normale de travail est de cinquante-sept heures, mais les employés du coton doivent, pour leur part, en ajouter neuf de plus. Dans de telles conditions, il n’est pas surprenant que la famille entière de George doive travailler pour arriver à joindre les deux bouts[11].

L’aîné Louis fait bande à part et se trouve un emploi de menuisier.  Il se loge avec sa femme à moins de deux kilomètres dans une maison de l’avenue Caledonia dans un bled nommé Dracut, de l’autre côté du réservoir du ruisseau Beaver, un affluent du fleuve Merrimack.  Dracut n’est en fait qu’une banlieue de Lowell. 

Les salaires des membres de la famille sont faibles, mais bien plus élevés que ce qu’ils auraient été dans les manufactures des grandes villes au Québec.  Les accidents de travail à la Boott Cotton Mills sont fréquents. La chaleur générée par les machines et le manque de ventilation approprié est saisissant pour ses fils et filles du Saguenay.  Le bruit de dizaines de machines fonctionnant toutes en même temps est assourdissant et peut être entendu à des centaines de mètres de l’usine.  Les heures de travail sont longues, entre dix et douze heures par jour, six jours semaine, dont une grande partie est passée debout tout en ayant à l’œil son métier à tisser. 

George s’adapte-t-il mal à ce confinement en usine dans ce nouveau paysloin des grands espaces de son Saguenay? La poussière de coton est partout à la filature où il travaille et elle affecte les poumons des ouvriers, dont ceux de George.  Comme plusieurs avant lui et d’autres qui viendront, il décède le 3 septembre 1892 des suites d’une bronchite à l’âge de soixante ans.  Il n’aura travaillé à la filature de Lowell que cinq ans[12]

Quelques années plus tard, quand tous les enfants travailleront au moulin, Eliza emménagera chez Louis son plus vieux, avec son fils Joseph[13]. 

Marie Priscille, Edmond, Alice et Thomas quant à eux, sont allés habiter dans une maison de chambres au 654 de la rue Merrimack, voisine du moulin de la Boott Cotton Mills dans le quartier du «Petit Canada»[14]Delphis est à un pâté de maisons de ses frères et sœurs, aussi dans une maison de chambre au 2 de la rue Decatur du même quartier. 

La matriarche du clan, Eliza Gagnon, décède chez son fils Louis à Dracut le 9 juillet 1900 à l’âge de soixante et un ans[15]Alice n’attendra pas la fin de l’année pour épouser Joseph Rondeau, un chambreur de la maison où elle loge depuis quelques années[16]Alice et son époux s’établiront dans une autre ville cotonnière, celle d’Adams à deux cent kilomètres plus à l’ouest dans le même État puis après y avoir eu tous ses enfants le couple s’établira dans la ville de Norwich au Connecticut où Alice décédera en 1959[17].


La matriarche du clan, Eliza Gagnon, décède chez son fils Louis à Dracut le 9 juillet 1900 à l’âge de soixante et un ans[15]Alice n’attendra pas la fin de l’année pour épouser Joseph Rondeau, un chambreur de la maison où elle loge depuis quelques années[16]Alice et son époux s’établiront dans une autre ville cotonnière, celle d’Adams à deux cent kilomètres plus à l’ouest dans le même État puis après y avoir eu tous ses enfants le couple s’établira dans la ville de Norwich au Connecticut où Alice décédera en 1959[17].

L’année suivante, c’est au tour de Delphis d’épouser Orie Lefebvre dans l’église Saint-Joseph du «Petit Canada» à Lowell en mai 1901 comme l’avait fait Alice l’année précédente au même endroit[18].  Le couple s’établira à Dracut en banlieue de Lowell près de son frère aîné.  Delphis y décédera en 1955[19].



Les patrons des moulins à coton de Lowell avaient tablé depuis longtemps sur le caractère hétérogène de la main-d’œuvre, Irlandais, Canadiens français, Polonais, Portugais et Grecques, ce qui ne favorisait pas l’union des forces, leur permettant ainsi de s’abstenir de fournir des conditions de travail décentes aux ouvriers.  En 1903 cependant, rien ne va plus dans les usines à coton de Lowell et les travailleurs se mettent en grève.  Si les Polonais, les Portugais et les Grecs s’organisent en 1903 au moment de la grève, il n’en va pas de même pour la population du «Petit Canada».  Plusieurs Canadiens français regagnent le pays ou se cherchent tout simplement du travail ailleurs en Nouvelle-Angleterre.  Après une semaine de grève, pas moins de mille Canadiens français ont quitté les lieux, laissant deux cents logements vacants[20]

Parmi les Canadiens français qui regagnent le pays, on compte trois des enfants de George :



Pendant cette période chaotique qui règne à Lowell, les autres enfants de George quittent également la ville et se trouvent du travail à Adams à l’autre bout de l’État. 

La décision de George et Éliza avait permis de fournir des emplois aux enfants, mais ces emplois mal payés avaient amené un éclatement de la famille suite aux revendications des travailleurs de Lowell.  Certains prendront racine aux États, alors que d’autres trouveront finalement leur compte au nord de la frontière.

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[1] A.N.Q., GN. Minutier Charles Herménégilde Gauvreau, no 146, 30 octobre 1825.

[2] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 27 octobre 1857.

[3] Ibid., 3 février 1885.

[4] National Archives and Records Administration, dossier de naturalisation fédéraux, Norwich, Connecticut, Alice Rondeau Harvey, 8 décembre 1938.

[5] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce de Hull, 18 avril 1887.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 24 janvier 1888.

[7] Ibid., 1er juillet 1887.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 11 juillet 1887.

[9] Ibid., 30 avril 1888.

[10] National Archives and Records Administration, dossier de naturalisation fédérale, Norwich, Connecticut, Alice Rondeau Harvey, 8 décembre 1938, op., cit.  Dans sa déclaration faite cinquante ans après son arrivée présumée à Lowell, Alice mentionne l’automne 1887 et non 1888.  Si cela fut effectivement le cas, il faudrait donc supposé qu’elle était venue rejoindre un membre de la famille qui y était déjà.  Or toute sa fratrie est toujours à Chicoutimi en 1888; il ne pourrait donc s’agir que d’un oncle ou d’une tante Gagnon, du partie de sa mère ce qui donnerait un motif quant au choix de Lowell par George et sa famille.

[11] Les données sur les tarifs horaires sont celles de 1900 alors que celles sur le nombre d’heures travaillées sont de 1903.

[12] State of Massachusetts. Record of Deaths for the city of Lowell, 3 septembre 1892.

[13] 1900, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, comté de Middlesex, ville de Lowell, page 4.

[14] Ibid., page 14.

[15] State of Massachusetts. Record of Deaths for the city of Lowell, 9 juillet 1900.

[16] State of Massachusetts, Record of Marriages for the city of Lowell, 1er octobre 1900.

[17] 1910, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, comté de Berkshire, ville d’Adams. Et 1940, Recensement fédéral américain, État du Connecticut, comté de New London, ville de Norwich. ET Registre du cimetière Saint Marys, Baltic, New London County.

[18] State of Massachusetts, Record of Marriages for the city of Lowell, 19 mai 1901.

[19] State of Massachusetts. Index to Deaths in Massachusetts for the year of 1955.

[20] SYLVESTRE, Paul-François. «Le Petit Canada» de Lowell, Massachusetts», Liaison, Ottawa, Les Éditions l’interligne, numéro 33 (hiver 1984-1985), page 38-39.

[21] B.A.C., G., Recensement de 1911, Manitoba, district de Provencher, Paroisse Sainte-Anne, page 7.

[22] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Jean-Berchmans, 25 juin 1917.

[23] State of Massachusetts, Record of Marriages for the city of Adams, 19 février 1906.

[24] 1910, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, comté de Berkshire, ville d’Adams, page 39.

[25] B.A.C., G., Recensement de 1921, district de Saint-Denis, ville de Montréal, microfilm e003101174.

[26] Registre du cimetière Le Repos Saint-François D’Assise (cimetière de l’Est) pour l’année 1947.  Il n’y eut qu’une seule Marie Priscille Harvey née au Québec aux XIXe ou XXe siècles.

[27] State of Massachusetts, Record of Marriages for the city of Adams, 5 septembre 1910.

[28] State of Massachusetts. Index to Deaths in Massachusetts for the year of 1930.

[29] State of Massachusetts, Record of Marriages for the city of Adams, 9 octobre 1905.