10. Le toit des Hervet

Le toit des Hervet, du mariage à la fin de leur vie

 

Où demeuraient donc Sébastien et Françoise depuis leurs épousailles? Françoise étant l’aînée, les Hervet demeuraient probablement dans la maison Philippeau auparavant, maison qui fut vendue en mars 1694.  On peut le penser puisque Sébastien, le potier d’étain, au nom de sa femme Françoise, recevra paiement de sa part et portion de cet héritage de la vente de la maison des mains de son beau-frère Thomas Barthélemy (1669-1722) et de sa belle-sœur Anne Philippeau (1669-1703), le 27 juin 1697, pour la somme de deux cents livres[1].  Il est coutume à l’époque pour les enfants de demeurer avec leurs parents après le mariage, une coutume qui perdurera encore longtemps jusqu’au milieu du vingtième siècle dans certaines familles.  C’est donc dire que le couple Hervet et leurs enfants ont dû demeurer jusqu’en automne dans cette grande maison familiale. 

On peut aussi croire que le beau-père Claude Philippeau (1638-1713) ne quitta peut-être pas sa maison avant son mariage ce même automne.  En ces temps-là, Québec est divisé « en haute et basse ville qui n’ont communication ensemble que par un chemin assez escarpé» qui est justement la rue où se situe la maison familiale des Philippeau.  «Les églises et les communautés sont toutes à la haute ville.  Le fort est sur la croupe de la montagne et commande la basse ville où sont les plus belles maisons et où demeurent tous les marchands.»  C’est là que Sébastien et Françoise auraient élu domicile au début de leur union.

  «Le Palais où demeure M. l’Intendant est presque détaché de tout le reste de la ville; il est situé sur la gauche, sur le bord de la petite rivière (Saint-Charles) et au bas de la côte.»[2]  Les manants pour leur part demeurent à l’extérieur de la ville, de l’autre côté de la rivière Saint-Charles en grande partie.


Tous les événements de l’année 1694 allaient inciter Sébastien et Françoise à prendre un nouveau logis[i] (voir la sous-section intitulée «Maison de Sébastien Hervet sur la rue De Meulles» au bas de cette page).


Par un contrat du notaire Louis Chambalon parafé le 23 décembre par Sébastien, on apprend que la petite famille emménage dans une maison sise près de la Fontaine de Champlain à la Basse-Ville sur le quai de la baie du Cul-de-sac, à quelques pas de la résidence de sa sœur Renée[3].

La Fontaine de Champlain

La fontaine de Champlain érigée par Samuel de Champlain au début du siècle se situait au bas de la falaise, derrière ce qui est connu aujourd’hui (2017) comme le Théâtre Petit-Champlain situé au 68 rue du Petit-Champlain, adjacent au parc Félix Leclerc.

Le nouveau logis appartient officieusement au marchand de la Basse-Ville Pierre Constantin (1666-1751), un proche de François Hazeur (1638-1708), et est loué cent livres par an.  Large de «vingt deux pieds de front sur la rue» cette habitation offre une cave, une cuisine voisinant une chambre et «un grenier par dessus dans lequel est une petite chambre qui fait partie d’ycelluy».  Le contrat de location mentionne aussi la jouissance d’un four, d’un dressoir, d’une cour et d’une dépendance.  Constantin ne deviendra officiellement propriétaire du logis qu’à la fin de 1696 mais cela ne l’empêche pas de le sous-louer à Sébastien en 1694.  Une entente verbale entre Constantin et l’ancien propriétaire du bâtiment semble avoir tenu force de loi durant cette période.   

Le domicile de Sébastien et Françoise est situé sur le quai de la baie du Cul-de-sac et il y fait face, comme toutes les autres du temps.  La maison se situe dans le prolongement de la « rue qui conduit à la fontaine Champlain» que l’on peut voir sur le plan ci-dessous.  Cette rue est l’actuelle rue du Petit-Champlain.  À l’époque où la famille Hervet emménage, le sentier qui courait à l’arrière des terrains des maisons le long de la falaise et qui mène à la fontaine de Champlain devient progressivement une rue que l’on appelle depuis 1688 la rue De Meulles.  La maison elle-même est donc située entre la rue De Meulles (Petit-Champlain) et le Quay du Roy qui longe le premier port de la Nouvelle-France dans l’anse du Cul-de-sac.  Construite entre le fleuve Saint-Laurent et la falaise, la maison des Hervet jouit d’un emplacement névralgique.  Le lieu est alors un véritable carrefour de la réception et l’expédition des marchandises.

Avec le temps, la petite rue du Cul-de-sac se prolonge et longe ce « Quay» à l’endroit connu sous les noms de l’Anse du Cul-de-sac et havre du Cul-de-sac[4].  Ce bassin naturel où s’échouent les navires pour se faire radouber et caréner sur la grève sert de port, de lieu de mouillage et d’hivernement pour les petits bateaux.  «… les navires surpris par un hiver hâtif, y attendaient que les soleils d’avril vinssent rompre leurs chaînes en fondant le glaces du fleuve.»[5]  Sébastien n’est pas le seul commerçant sur ce «Quay».  En effet, de nombreux travailleurs, commerçants et artisans y vivent des activités portuaires.


La rue De Meulles du domicile de Sébastien et Françoise

Dans un contrat daté du 7 mars 1668, cette rue est désignée comme la «rue tendante à la fontaine Champlain… et par derrière le costeau dessoubs du fort St. Louis».  Elle portait à l’époque le nom de rue Champlain.

Le nom de Rue De Meulles (1688) rappelle Jacques de Meulles, seigneur de La Source (c.1650-1703), intendant de la Nouvelle-France de 1682 à 1686.  Dans le recensement de 1716, la rue est encore mentionnée comme «Rue de Meules et Champlain. Depuis le haut de l’escalier jusqu’au bout du Cap au Diamant».  La partie nord de cette voie était désignée De Meule selon le recensement de 1744.  Les dénombrements de 1770-1771, de 1792 et de 1818, entre autres, attestent que cette rue avait repris son appellation de Rue Champlain.  Notons en passant que la rue voisine du Cul-de-sac (recensement de 1716) ou rue Sur le Quai du Cul de Sac (dénombrement de 1744), à l’est près de la grève, a également reçu, en 1876, le nom de rue Champlain, parce que cette voie était le prolongement naturel de la rue appelée Champlain, grand axe sud-nord s’étendant sur dix kilomètres, jusqu’à l’endroit où était situé le marché Champlain.  Il y avait ainsi deux rues Champlain parallèles et voisines : la plus étroite et la plus courte prit le nom de Petite rue Champlain, odonyme qui devint par la suite Rue du Petit-Champlain.  Aujourd’hui, l’odonyme Rue Champlain détermine une voie de communication qui s’étend du pied du cap aux Diamants au carrefour du boulevard Champlain avec la rue de la Nouvelle-France.  Cette artère, parallèle au boulevard Champlain, est un reliquat de l’ancienne rue Champlain qui, depuis le XVIIIe siècle, fut progressivement prolongée au sud et au sud-ouest, le long de la falaise, pour atteindre l’Anse-des-Mères et plus tard Sillery.

La maison des Hervet devait ressembler à celle qui est ci-dessous, montrée sur le plan du quai de Robert de Villeneuve (1645-1692), ingénieur, cartographe et dessinateur envoyé en Nouvelle-France par le Roy.  Du temps des Hervet, et jusque bien après la Conquête, le fleuve n’était pas encore rempli à la hauteur de la baie du Cul-de-sac qui n’existe plus aujourd’hui.  Sébastien devait tenir commerce au premier étage comme pour les autres artisans du secteur.  Les artisans comme Sébastien sont surtout localisés sur cette rue qu’habite la famille; de fait, ils représentent vingt-deux pour cent de la population du secteur de Place-Royale en 1682[6].


Grâce aux recherches récentes relatives à la localisation de la Fontaine de Champlain, on peut estimer la position de la maison des Hervet.  Elle devait se situer entre les numéros 52 et 56 du boulevard Champlain actuel.  La maison des Hervet, comme la plupart des maisons de ce quartier d’artisans, ne survivra pas au Siège de Québec et sera détruite à la Conquête en 1759.  Ses fondations qui seules survécurent aux bombardements, comme celles de ses voisines, seront plus tard à la fin du XVIIIe et au XIXe, les assises d’une série d’édifices abritant, manufactures, logements et commerces situés entre les escaliers du Quai-du-Roi et du Cul-de-sac[7]

Ces immeubles ont deux façades, une donnant sur la rue du Petit-Champlain, l’autre sur l’actuel boulevard Champlain. 


Mais revenons en 1694…

Comme Sébastien a gagné en notoriété et qu’on le qualifie maintenant de bourgeois, l’intérieur de sa demeure, comme celle de toute la petite bourgeoisie de Nouvelle-France, est sûrement composé de meubles de style Louis XVIII, que les artisans locaux arrivent à reproduire à moindre coût que ceux importés à grands frais par et pour les grands marchands et pour la noblesse.

Le 6 février 1703, Pierre Constantin renouvellera la location à Sébastien pour trois ans de la maison de vingt-deux pieds de front et l’emplacement de la rue De Meulles[8] à la Basse-Ville de Québec, au prix de cent livres par année[9]

Comme on le sait, le couple vit depuis 1694 sur cette rue des artisans, la rue De Meulles (aujourd’hui Petit-Champlain) près de la fontaine de Champlain tout à côté de l’escalier du Quai-du-Roi.  Ce nouveau contrat de location nous en apprend un tout petit peu plus sur cette demeure[10].

La maison en question appartenait à Sylvain Duplex ou Duplais (1656-1703), maître maçon de Québec quand Pierre Constantin, un marchand qui possédait plusieurs propriétés dans la basse-ville[11], l’acquière en 1696.  Sylvain Duplais y vécut avec sa première épouse Marie Minet dite Montigny (1663-1693) décédé en janvier 1693.  Il semble avoir quitté la maison par la suite.  Après la mort de sa femme, il avait cédé l’emplacement et le logis sous seing privé à Pierre Constantin.  Ce n’est qu’après l’inventaire des biens de la communauté que Duplais formait avec sa femme, tant en son nom que comme père et tuteur de leurs enfants mineurs, qu’il procéda officiellement à la vente[12]

Les Hervet continueront d’habiter cette maison pour le reste de leur vie même après le décès de Sébastien.

[i] Maison de Sébastien Hervet sur la rue De Meulles 

Le couple formé de Sébastien Hervet et Françoise Philippeau vécus sur la rue qui conduit à la fontaine de Champlain, face à ladite fontaine qui elle était située au numéro 51 (plan de la ville de Québec de 1685).  La carte est antérieure au mariage de Sébastien et de Françoise et à leur établissement dans cette maison.

 

Source : Bibliothèque nationale de France, département des cartes et plans.  La carte a été extraite de : Carte des environs de Québec en la Nouvelle France Mesuré sur le lieu très exactement en 1685 et 86 par le Sr Devilleneuve Ingénieur du Roy (Robert de Villeneuve).

Sébastien Hervet et Françoise Philippeau vécurent sur la rue De Meulles (aujourd’hui Petit-Champlain) face à la fontaine de Champlain qui elle était située au numéro de cadastre 2252 (plan de la ville de Québec de 1879).  Le lot de la fontaine est défini en jaune alors que la localisation approximative de la maison des Hervet est en face, identifiée en orange contre l’escalier.

 

L’endroit où était située la fontaine de Champlain est aujourd’hui propriété de la coopérative des artisans et commerçants du quartier Petit Champlain. Ces derniers possèdent les immeubles 66 à 78, rue du Petit-Champlain.

Le couple vécut sur la rue De Meulles (aujourd’hui Petit-Champlain) dans une maison qui ne faisait qu’un logement, mais qui pourrait comprendre aujourd’hui les adresses : # 54 et # 54 ½ sur le boulevard Champlain (façade de la maison) et # 69A, # 69B et # 71 sur la rue du Petit-Champlain (plan de la ville de Québec de 2014).  Le bâtiment aurait pu être le premier au nord, contre le petit escalier menant de la rue du Petit-Champlain au boulevard Champlain.  À l’époque, le domicile faisait face au fleuve et la cour arrière donnait sur ce qui est appelé aujourd’hui la rue du Petit-Champlain.

 

Les deux graphiques ci-dessus sont contemporains de la période à laquelle ont vécu Sébastien et Françoise.  Du temps, il n’y avait pas de maisons adossées à la falaise où se situait la Fontaine de Champlain et le Marché Champlain faisait place au Quai et à la baie du Cul-de-sac.

 

Source (2011) : José Doré, consultant en histoire et patrimoine

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[1] A.N.Q., GN. Minutier Louis Chambalon, 27 juin 1697, Vente par Sébastien Hervet et Françoise Pliilipeaux à Thomas Barthélemy d’une portion de maison et emplacement que ladite Philippeaux a à la basse-ville de Québec.

[2] MYRAND, Ernest. Sir William Phips : devant Québec : histoire d’un siège. Québec, Imprimerie de L.-J. Demers & frère bureau de l’Événement, 1893, page 23.

[3] A.N.Q., GN. Minutier Louis Chambalon, 23 décembre 1694 et 29 juin 1695.

[4] Aujourd’hui occupée par la rue des Traversiers et la Gare fluviale. Pour sa part, le quai des traversiers Québec-Lévis est construit à l’endroit où était située la baie du Cul-de-sac.

[5]  LE MOINE, J.M. Histoire des fortifications et des rues de Québec. Québec, Typographie du Canadien, 1875, page 43.

[6] LAFRAMBOISE, Yves et Monique LA GRENADE-MEUNIER. La fonction résidentielle à Place-Royale, 1760-1820, synthèse.  Québec, Les Publications du Québec, «Collection Patrimoines», Dossier 751991, 1992, p. 10.

[7] DE BLOIS, Jacques.  Le rêve du Petit-Champlain, Vieux-Québec, 1976-1985. Québec (Sillery), Septentrion, 2007, p. 46.  La basse-ville a été intensément bombardée par l’armée anglaise lors de la conquête en 1759, la maison de Sébastien et ses voisines étaient dans la ligne de tir des batteries anglaises installées sur la Pointe de Lévy qui atteignaient la basse-ville.  Outre sa fondation et les pierres qui ont sans doute été récupérées lors de la reconstruction, la maison existante ne ressemble en rien à celle de la famille.

[8] Aujourd’hui la «rue du Petit-Champlain».  Cette rue est à l’origine un sentier qui mène à la fontaine Champlain. En 1688, ce sentier devient la rue De Meulles, en l’honneur de Jacques de Meulles, intendant de la Nouvelle-France de 1682 à 1686.  Avant 1703, la rue semble avoir repris le nom de «rue Champlain» comme en fait foi le contrat de location de Sébastien.

[9] A.N.Q., GN. Minutier Louis Chambalon, 6 février 1703.

[10] Le couple Sébastien Hervet et Françoise Philippeau vécu sur la rue De Meulles (aujourd’hui Petit-Champlain) dans une maison qui ne faisait qu’un logement, mais qui pourrait comprendre aujourd’hui les adresses : # 54 et # 54 ½ sur le boulevard Champlain (façade de la maison) et # 69A, # 69B et # 71 sur la rue du Petit-Champlain (plan de la ville de Québec de 2014).  Le bâtiment aurait pu être le premier au nord, contre le petit escalier menant de la rue du Petit-Champlain au boulevard Champlain.  À l’époque, le domicile faisait face au fleuve et la cour arrière donnait sur ce qui est appelé aujourd’hui la rue du Petit-Champlain.

[11] Pierre Constantin verra plusieurs de ses maisons du secteur expropriées lors de l’agrandissement du chantier naval.  Dans : Archives Canada-France, Fonds du secrétariat de la Marine et aux colonies, Archives nationales d’outre-mer (ANOM, France), COL C11A 90/fol.120-123, le 6 mai 1647.

[12] A.N.Q., GN. Minutier Guillaume Roger, le 30 décembre 1696. Contrat de vente par Sylvain Duplex (Duplais), maçon de Québec, veuf de feue Marie Minet, de Québec, tant en son nom que comme père et tuteur de leurs enfants mineurs, à Pierre Constantin, marchand de Québec, d’une maison de colombage sise rue Champlain en la Basse-Ville de Québec. Et dans : BAnQ., Registre des titres de propriété des emplacements de la Ville de Québec, de la Ville des Trois-Rivières et des autres concessions relevant de la censive du Roi (vers 1722-1726), volume 1, f. 243-244v., 30 décembre 1696.