1. Un mariage en période trouble

Petite vérole et conquête anglaise 

Le 17 novembre 1756, Pierre Hervé assiste à une dernière cérémonie de mariage à titre de célibataire.  Marie Magdeleine (1739-1758) la cadette, épouse Jean Debien (1736-1811).  Jean Marc Boulianne dit le Suisse, Jean Baptiste Martel, Jacques Godreau, Joseph Debien, Zacharie Hervé et Étienne Debien sont aussi présents.  Le jésuite, Claude Godefroy Coquart qui dessert l’Isle depuis 1751, célèbre le mariage[1].

 

Le 18 novembre 1756, la récente veuve, Marie Jeanne Glinel, marie trois de ses filles.  Marie Françoise (1730-1758) et sa sœur Marie Louise (1736-1758) épousent respectivement les frères Pierre (1737-1809) et François Louis Savard (1733-1815), alors que Magdeleine Tremblai (1833-1811) épouse son cousin Pierre Hervé[2]

Pierre sera pour cette génération l’un des deux ancêtres de la majorité des Harvey du Québec

Encore une fois, une dispense sera nécessaire pour une parenté déclarée au deuxième degré, mais la réalité est un peu différente, car feu Guillaume, l’oncle de Pierre et père de la jeune épouse, n’était que le demi-frère de la mère de Pierre.  La consanguinité s’étirait donc jusqu’à deux degrés et demi.  Le couple eut de nombreux enfants suffisamment sains pour procréer généreusement à leur tour.

Le père du marié n’assiste pas à la cérémonie.  On le sait malade depuis plusieurs années et il demeure de l’autre côté du fleuve à Saint-Roch-des-Aulnaies; âgé de soixante-deux ans, il ne traversera pas à l’Île en cette fin d’automne.  L’aîné Zacharie agira comme témoin pour son jeune frère[3].

Marie Madeleine et Pierre s’étaient présentés devant le notaire au début du mois pour y signer un contrat de mariage, et bien évidemment, aucune donation de terre de la part du père de Pierre n’accompagnait le contrat de mariage[4].  L’ancêtre Sébastien Hervé n’avait pas de surface de terre suffisante pour installer ses trois fils.  Sa terre fut passée à Zacharie Sébastien alors que Sébastien Dominique bénéficiera de la dote que son épouse lui apportera lors du mariage pour se munir d’une première terre.  À vingt-trois ans à peine, Pierre n’a pu accumuler les économies nécessaires pour acquérir la terre de quatre arpents du bout d’en bas de l’Isle qu’il cultivera toute sa vie.  Bien que l’on n’en trouve pas trace, il apparaît certain que la mère de Madeleine dut fournir à sa fille une dote sous forme de cette terre de quatre arpents.  

L’oncle Guillaume Tremblé, avant de mourir, possédait suffisamment de terre pour soutenir sa famille.  Pilote du Saint-Laurent de son métier, en plus de sa terre linéaire de la Coste de la Baleine qui faisait cinq arpents sur toute la largeur de l’île de son côté sud jusqu’à la côte faisant face aux Éboulements, le patriarche possédait la pointe du bout d’en bas de l’Isle.  C’est sur cette pointe qu’était située la terre de Pierre et Marie Madeleine.  Avec cette seconde génération d’insulaires, le morcellement des terres originalement concédées avait déjà commencé et Marie Jeanne Glinel dite la veuve Tremblay y a assurément participé en installant ses enfants. 

Pierre emménage donc chez sa belle-mère le temps de se construire, ce qu’il fera rapidement sans doute avec l’aide de ses frères et de ses nombreux beaux-frères. 


Bien que le couple ait respecté la coutume en se présentant devant notaire avant la cérémonie religieuse pour rédiger leur contrat de mariage, ce n’est qu’en février de l’année suivante que l’habituel notaire Michel Lavoye de Petite-Rivière-Saint-François en enregistrera l’entrée à son minutier[5].  Le texte du contrat est par contre bien daté du 7 novembre 1756. 

La nouvelle mariée sera rapidement enceinte.  En août 1757 naît le premier enfant du couple.  Le «prêtre missionnaire de la Compagnie de Jésus» de passage à l’Isle baptise la petite «Marie Magdeleine Hervé» le jour de sa naissance.  Le parrain choisi est «François Bouchard» (1724-1807) marié en 1750 à Geneviève (1732-1773), la sœur de Marie Madeleine, «et la marraine Charlotte Tremblai femme de Zacharie Hervé»[6]

En novembre de la même année, c’est maintenant au tour de Louis Tremblay (1735-c.1759), le frère de Marie Madeleine à quitter la maison.  Il épouse Marie Catherine Pedneau (1740-1798)[7] mais il vivra à peine assez longtemps pour voir naître son premier enfant au printemps de la Conquête, car il disparaît pendant cette triste période.  Avec Pierre et Marie Madeleine, la maison de Marie Jeanne Glinel ne loge plus que dix personnes[8].

En 1758, Pierre et son épouse effectuent un échange de terre avec Marie Jeanne Glinel, dite Marie Jeanne Delinelle, belle-mère de l’un et mère de l’autre.  Aux termes de cette transaction, Pierre et Madeleine échangent:

 «leur part de terre échue par le décès de feu Guillaume Tremblay et ce qui pourra leur échoir après le décès de la ditte Delinelle entre eux seulement et ce qui leur est pareillement échu en meubles de la succession de feu Guillaume Tremblay »  contre  «quatre arpents de terre de front par la profondeur à la cotte du nord de l’ille aux Coudres à prendre selon le partage qui serat fait de la terre dont le dix terrein est détaché entre la ditte veuve et Ses enfants.  La terre fait partie de la moitié d’une terre provenant du conquet de la Communauté entre elle et le dit feu son mary (les terres en cause font partie du lot 26 à la Coste de la Baleine)... à payer au prorata de ce que la terre payant (il s’agit donc d’une terre louée) dont le dit terrain sera rattaché... à avoir et prendre lors du partage qui sera fait entre tous les heritiers du feu Tremblay...»[9].  

Cet échange nous fait assister à la naissance de la Côte des roches, près de vingt ans avant que les titres de concession de celle-ci ne soient distribués.  L’échange avec la tante de Pierre, mère de Madeleine, n’aura cependant lieu qu’à la mort de Marie Jeanne Glinel.  Il s’agit d’une sorte de promesse de donation en avance d’hoirie[10], pour laquelle une autre part d’héritage sert de paiement.  Pierre abandonne donc ses droits à l’héritage du père de Marie Madeleine en échange d’une terre qui lui reviendra à la mort de sa tante et belle-mère[11].  Comme nous le verrons, ce sera l’un de ses fils, qui surtout en bénéficiera.   

Pierre et son frère Zacharie se présentent devant le notaire Lavoye en août 1758 pour finaliser des questions d’héritage.  Pierre fournit à son frère une quittance pour la somme de cent trente-quatre livres que vient de lui remettre Zacharie et que le notaire intitule héritage du père, rente de sa terreOn peut penser que son frère lui paye à l’avance sa portion d’un arpent et trois perches appartenant au père et qui devait être payée à la mort de ce dernier pour une somme de quatre-vingts livres.  En plus, il règle à un montant convenu entre eux d’une rente pour avoir permis à Zacharie d’exploiter cette parcelle de terre jusqu’à ce jour[12].  Pierre, maintenant marié, a besoin d’argent, puisque comme on l’a vu, il a effectué une transaction avec sa belle-mère un mois auparavant.    

À l’automne 1758, plusieurs bouleversements attendent Pierre et Marie Madeleine.  Tout comme son père en 1755, la sœur de Marie Madeleine est la première à l’Isle atteinte par une nouvelle épidémie[13].  Marie Françoise Tremblay est emportée le 21 octobre par ce qui a les apparences du grand mal de l’année 1755. 

Pierre et Marie Madeleine avec leur jeune enfant d’à peine un an sont sûrement inquiets, car pour l’instant, le mal qui gagnera toute l’Isle sévit dans les chaumières du bout d’en basÀ la fin novembre, il frappe chez le quatrième voisin de la veuve Tremblé; là c’est le décès, à dix-neuf ans, de Marie Magdeleine sœur cadette de Pierre.  Elle qui s’était mariée à Jean-Baptiste Debiens la veille des noces de Pierre et n’avait pas encore goûté le bonheur d’enfanter.  C’est la première de la famille à partir.

Le 7 décembre décède une autre sœur de Marie Madeleine, Marie Louise Tremblay.  Cette fois-ci, ce décès fait une petite orpheline.  Les deux sœurs de Marie Madeleine sont celles qui, moins de deux ans plus tôt, avaient pris mari le même jour qu’elle-même. 

La nouvelle année ne sera pas beaucoup plus heureuse puisqu’à la fin du printemps, Pierre et sa famille doivent abandonner la maison, la ferme et le bétail pour quitter leur île comme tous ses habitants puisque l’anglais s’apprête à y débarquer.  La Conquête débute.

Pierre et Marie Madeleine qui vivront toute leur vie à l’Isle aux Coudres y auront neuf enfants, bien que leur prochain enfant ne sera peut-être pas insulaire de naissance puisque la famille s’était réfugiée dans les bois sur la terre ferme. 

Le prochain à naître est «Pierre Hervé»[14], du moins c’est ce que l’on peut estimer en fonctions de son âge déclaré à son décès[15].  On ne trouve pas trace de son baptême ni à l’Isle ni aux registres de Baie-Saint-Paul ni à Petite-Rivière-Saint-François.  Considérant la date de naissance de sa sœur aînée et celle de son frère le suivant, il serait né entre la fin de 1758 et le début de 1761.  Le registre de la chapelle de Saint-Louis-de-France à l’île s’était tu pendant la Conquête au début de mai 1759 et il ne reprit vie qu’à l’automne de cette même année.  On peut donc présumer que ce deuxième enfant et premier garçon du couple est probablement né comme d’autres dans l’une des cabanes à Baie-Saint-Paul où s’était réfugiée la majorité de la population de l’île avec les résidents du secteur, des parents en grande majorité.  Ces cabanes avaient été construites en forêt dans les bois autour de la baie, spécialement pour la circonstance.  Au plus fort de l’été, on y comptait près de six cents habitants terrés dans les bois.

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 17 novembre 1756.

[2] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de Baie-Saint-Paul, 29 novembre 1733.  Bien que son prénom soit orthographié Magdeleine au mariage, l’orthographe de son prénom au baptême était Madeleine.

[3] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 18 novembre 1756.

[4] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 7 novembre 1756.

[5] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 17 février 1757.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 27 août 1757.

[7] Ibid., 21 novembre 1757.

[8] Comme bien des couples nouvellement formés, Pierre et Marie Madeleine ont probablement vécu un certain temps chez la mère de celle-ci.  Une seule chose est certaine, en 1762, ils sont installés dans leur maison.

[9] A.N.Q., GN. Minutier Antoine Crespin père, 6 juillet 1758.

[10] Donation à un héritier présomptif par anticipation sur sa part de l’héritage.

[11] DESJARDINS, Louise. Op.cit., page 248.

[12] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 7 août 1758.

[13] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, du 21 octobre 1758 au 12 janvier 1759.

[14] Certaines sources le prénomment Louis Pierre, mais les registres de son mariage, de sa sépulture ainsi que des baptêmes et mariages de ses enfants mentionnent le prénom de Pierre uniquement.  Comme tous les missionnaires de l’époque écrivaient le patronyme Hervé, c’est ainsi que Pierre, fils sera nommé dans ces textes.

[15] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaye, 13 novembre 1857.  Le curé déclare au registre de sépulture que Pierre était «âgé de cent ans et un mois environ».  Le Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres ne supporte pas cette affirmation.