Marie Harvey

 (1846-1934)

Marie Louise Harvey de la troisième génération de Hervy/Harvey quittera la Beauce en 1892 pour aller vivre aux États-Unis.  Né le 4 avril 1846 dans la paroisse de Saint-Pierre de Lavernière à L’Étang-du-Nord aux Îles-de-la-Madeleine, Marie Harvey est la deuxième de douze enfants de Narcis Arvis (1821-1890) chez François Hervy (1793-1881).

À l’opposé de ce que les Hervet/Harvey descendants du migrant Sébastien Hervet (1642-1714) ont connu, seul un très petit nombre de Hervy/Harvey madelinots ont pris la direction des États-Unis.  Certains individus tenteront tout de même leur chance vers les États, probablement au nombre de cinq.  La première Hervy/Harvey à y avoir mis les pieds à demeure est Marie Harvey (1846-1934), l’aînée des filles chez Narcis Arvis et Henriette Boudreau

Marie n’a que huit ans lorsqu’elle s’embarque sur le navire de pêche de son père avec sa mère et ses cinq frères et sœurs.  La famille quitte alors les Îles-de-la-Madeleine pour se sortir du joug d’un seigneur qui leur fait des misères.  Deux autres familles sont également du voyage.  Marie découvre alors les côtes vierges du Labrador.  Son père devient ainsi l’un des trois fondateurs de Kegashka avec Jean Boudreau et Urbain Bourgeois, tous trois originaires de L’Étang-du-Nord. L’endroit est à une cinquantaine de kilomètres par mer à l’est de Natashquan, en face de l’extrémité est de l’île d’Anticosti.  La famille y vivra de pêche, comme à son habitude,  à la morue et au hareng ainsi que de la chasse au loup-marin. 

Le 2 septembre 1869, alors âgée de vingt-trois ans, Marie épouse Bertrand Derapse (1840-1914), un Madelinot ayant migré au Labrador comme elle et sa famille.  Sa sœur Sophronie (1847-1934) se marie également dans cette double cérémonie de fin d’été à Kegashka[1].

Dix-sept ans après sa fondation, le village de Kegashka est abandonné par sa population[2]. L’endroit se vide définitivement à la suite d’une épidémie de diphtérie et d’une mauvaise année pour la pêche.  Marie y avait perdu un frère, Charles (1851-1868) emporté par l’épidémie. Elle et son mari quittent Kegashka le 10 novembre 1871 pour aller s’établir à Betchouane[3], lieu situé à un peu moins de vingt-cinq kilomètres de la Pointe-aux-Esquimaux[4], entre cette pointe et Piastre Baie[5].  Betchouane était inhabité à leur arrivée alors que, dix ans plus tard, il y avait déjà une trentaine de familles.  

Dans les années 1880, la vie de pêcheur sur les côtes du Labrador, métier de l’époux de Marie comme tous les autres à Betchouane, ne réussissait plus à mettre suffisamment de pain sur la table.  La famille de Marie et Bertrand comptait déjà neuf enfants au milieu de cette décennie.  La pêche et le prix de son fruit étaient en chute libre.  Depuis le début de la décennie, la chasse au loup marin et la pêche à la morue étaient à peu près nulles, et l’hiver de 1885-86 fut terrible à passer[6]

En 1885, l’abbé François de Borgia Boutin (1847-1919), natif de Saint-Georges de Beauce arrive à Natashquan comme missionnaire.  Devant la misère et la disette des pêcheurs causée par les pêches infructueuses, il organise, avec l’aide du gouvernement, le déplacement d’une partie de la population, pour l’installer sur des terres de la couronne dans la région de la Beauce[7]Marie, Bertrand et leurs enfants seront du nombre de ceux qui partirent en 1886.  Ils s’établiront à Saint-Théophile alors que l’endroit n’est même pas encore une paroisse[8]. De fait, les Madelinots venus du Labrador fondèrent Saint-Théophile[9].  

Tout le clan du père de Marie avait également choisi la Beauce.  Bien que la plupart s’installèrent à Saint-Zacharie-de-Metgermette dans le rang II, la concession des Acadiens[10], un certain nombre choisiront Saint-François alors que d’autres avaient pris le chemin de Saint-Théophile comme Marie et Bertrand.  Les terres de Saint-Théophile côtoient celles du Maine qui en sont la frontière sud-est.

La terre promise ne sera pas ce que cette population de pêcheurs avait espéré.  S’adaptant mal à la vie de défricheur-cultivateur, la majeure partie du clan Hervy/Harvey repartira pour le Labrador dans quelques années.

Marie et sa famille se désillusionnent plus rapidement et devancent les autres.  Ils traversent la frontière de Jackman dès 1892.  Ils aboutiront à Winslow au Maine quelque deux cents kilomètres plus au sud comme l’on fait des milliers de Québécois au XIXe siècle en empruntant le Chemin du Vieux-Canada pour trouver un emploi saisonnier qui se transformera bien souvent en lieu de vie permanent dans la vallée de la rivière Kennebec. 

Pour Marie et son époux, ce sera la création d’un moulin de pâte et papier de la Hollingsworth & Whitney Company en 1892 qui sera à l’origine de leur décision de partir dans cette direction, car on y recrute de la main-d’œuvre en grand nombre selon ce qu’il s’en dit en Beauce.  Sans doute arrivé trop tard pour le recrutement au moulin, son mari y sera travailleur de ferme[11]

Puis, après quelques années, le journalier ira tenter sa chance au lieu appelé Lexington Plantation à près de soixante-dix kilomètres au nord-ouest de Winslow où ils vivaient depuis leur migration au Maine.  En 1910, seul trois de leurs dix enfants sont toujours avec eux bien que la famille de l’un d’entre eux soit voisine[12].

Une fois retraités, Bertrand et Marie iront finir leur vie sur les rives du lac Rangeley au village du même nom dans le comté de Franklin.  Le lieu compte à peine mille résidents.   La frontière n’étant plus qu’à soixante-dix kilomètres, Marie se rapprochait ainsi de sa sœur Sophronie (1847-1934), la seule à être demeurée en Beauce après le départ du clan de son père dans les années 1890.  Ils sont à peine établis dans un loyer à Rangeley quand son mari décède en août 1914[13].

Sans revenu, Marie se trimbalera alors chez l’un de ses enfants puis chez un autre le reste de ses jours.  D’abord aux portes de New York, à Milford au Connecticut, une ville de la côte atlantique à près de six cents kilomètres au sud-ouest d’où elle vivait.  Elle loge alors chez l’un de ses plus jeunes fils, Théodore (1884-1964)[14].  Un peu après 1920, elle revient vivre dans le comté de Franklin au Maine chez Jean (1870-1926) son aîné, lequel demeure à Avon, un hameau d’à peine trois cents personnes.  Marie s’éteindra vingt ans après son mari, en 1934 chez sa belle-fille.  Elle sera inhumée dans le village de Rangeley du comté de Franklin auprès de son mari qui y avait été enterré[15].

Contrairement au reste du Québec qui a vu partir près de trois quarts de million des siens pour travailler dans les filatures de Nouvelle-Angleterre avant le tournant du siècle, les Madelinots attendront au lendemain de la Première Guerre mondiale pour s’intéresser au rêve américain.  Marie fut l’exception chez les Harvey de la Côte-Nord et encore là, sa première destination comme adulte fut la région frontalière de la Beauce, à dix kilomètres de l’aventure américaine.

*********************************************************************************

Ceci termine la section des Harvey au Maine.

Pour passer aux ancêtres ayant migré au Massachusetts, cliquez ICI

***********************************************************************************

[1] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-des-Indiens de Natashquan, 2 septembre 1869.

[2] DUHAIME, Gérard.  Le Nord : habitants et mutations. Québec, les presses de l’Université Laval, 2001, page 30.

[3] Aujourd’hui, le plus souvent écris en anglais, Betchewun.

[4] VIGNEAU, Placide.  op.cit., page 69.

[5] Aujourd’hui Baie-Johan-Beetz.

[6] HUARD, Victor-A.  Labrador et Anticosti : journal de voyage, histoire, topographie.  Montréal, Éditions Beauchemin et fils, 1897, page 391.

[7] HUARD, Victor-A., op.cit.

[8] B.A.C., G., Recensement de 1891, district de Beauce, sous-district de Saint-Théophile, page 8.

[9] MUNICIPALITÉ DE SAINT-THÉOPHILE. L’arrivée des Acadiens. [En ligne]. https://www.sainttheophile.qc.ca/pages/larrivee-des-acadiens [page consultée le 15/02/2021].

[10] COLLECTIF. Saint-Zacharie de Metgermette : Hier, aujourd’hui, demain. Québec, Imprimerie de l’Action sociale limitée, 1919, page 26. Le rang II, la concession des Acadiens, devient le rang Sainte-Marie en 1892.

[11] National Archives and Records Administration Federal Population Schedules for the Twelfth Census of the United States, Maine, Kennebec County, Winslow Town, 9 juin 1900.

[12] 1910, Recensement fédéral américain, État du Maine, comté de Somerset, village de Lexington Plantation, page 10 B.

[13] State of Maine, Record of Deaths, 6 août 1914.

[14] 1920, Recensement fédéral américain, État du Connecticut, comté de New Haven, ville de Milford, page 21 B.

[15] Maine, Faylene Hutton Cemetery Collection, Rangeley, Franklin, 17 mars 1934.