07. Ferdinand Harvay

6.6.11.3.07 Joseph Ferdinand Harvay (1845-1928), 6e génération

Celui que l’on prénommera indifféremment Ferdinand ou Ferdinat au cours de sa vie naît le 7 avril 1845. Ce quatrième fils né de l’union de Germain Hervé et d’Archange Desbiens est baptisé le même jour. Joseph Ferdinand a pour parrain Louis Marie Savard (1815-1884), le second époux de sa tante Marie Anne Hervé (1803-1846). Le parrain ne sera pas présent dans la vie de Ferdinand, car il quittera l’Isle peu de temps après le décès de tante Marie Anne dans moins d’un an. La cousine de l’enfant Marie Émélie Dufour est sa marraine et deviendra un jour la mère de la femme du nouveau-né, mais comme le mariage ce ne sera que dans une trentaine d’années, laissons d’abord à Ferdinand le temps de vieillir. Émilie est la fille d’Augustin Dufour (1796-1880) et de Luce Desbiens (1797-1859).

Le quatorzième curé, Jean Baptiste Pelletier, arrivé à l’Isle en octobre 1843, écrit pour sa part notre patronyme « Harvay ». Joseph Ferdinand est donc le premier d’une longue série de Harvay puisque le curé demeurera à l’Isle pour plus de trente ans[1].

L’Isle aux Coudres de l’enfance de Ferdinand

« est bornée à l’Ouest par la rivière du Gouffre, à l’Est par le Cap Saint-Martin des Éboulements, son circuit est d’environ quinze milles, le Chemin de sa communication est alentour, les rivières qui la traversent sont au nombre de deux, l’une à l’ouest appelé rivière de la marre sert d’égout partiel des eaux des terres de la 1ère concession, l’autre au sud ouest appelée rivière rouge sert à l’égout de l’autre partie de la dite première concession, fait d’ailleurs mouvoir un moulin à farine, pendant une partie de l’année, y compris un ruisseau du même nom servant à égoutter les terres de la deuxième et troisième concession. »

C’est du moins ainsi que la décrivent les énumérateurs du gouvernement lors de leur passage à l’Isle entre le 12 et le 22 janvier 1852. En ces temps-là, Ferdinand, qui a sept ans, fréquente la maison d’école du Cap à Labranche[2].

Comme ses frères, Ferdinand passera son enfance, son adolescence et une partie de sa vie de jeune adulte à travailler sur la terre familiale[3]. Malgré cela, il aura eu le temps d’apprendre à lire et un peu à écrire grâce aux enseignements acquit à la maison d’école du Cap à Labranche pendant le court temps qu’il l’a fréquenté. C’est vers la vingtaine qu’il commencera à quitter l’Isle au printemps avec ses frères plus âgés, pour aller travailler comme débardeur au bord de l’eau[4] dans le port de Montréal et à en revenir à l’automne pour passer ses hivers à fabriquer bottes et chaussures comme on le fait dans la famille. Ils partent ensemble un peu après la pêche du printemps et reviennent tout juste à temps l’automne pour la pêche aux marsouins qui se font de moins en moins nombreux[5].

En 1871, alors qu’il a maintenant vingt-six ans, Ferdinand vit toujours chez ses parents quand il est à l’Isle et ces derniers doivent commencer à lui forcer la main vers un mariage. Les décennies passées ont bien changé la vie sur la terre familiale et avec le décès de son frère Didier au printemps, il ne semble pas bien pressé de laisser ses vieux parents et ses jeunes frères Marcel, Hercule et Héli. Pourtant il le faudra bien, car c’est son frère aîné Paul qui est l’héritier naturel de cette terre sur laquelle il vit et travaille.

La décennie qui commence amène sans doute Joseph Ferdinand à remarquer un peu plus la jeune Zénobie Bouchard qui entame à peine sa vingtaine. Celle qui est issue de la lignée de Bouchard ayant demeuré dans l’une des maisons voisines du moulin[6], n’est pas la première Bouchard à avoir attiré les regards d’un Harvay. Près de cent ans plus tôt, François Hervé (1760-1843), l’aîné chez Sébastien Dominique, avait convole en justes noces avec Félicité Perpétue Bouchard (1758-1843) en la chapelle Saint-Louis-de-France de l’Isle-aux-Coudres.

Le 31 janvier 1873, le notaire public Joseph Perron de la baie Saint-Paul s’amène donc à l’Isle pour officialiser civilement les intentions de mariage des amoureux. Bien que le notaire soit natif de l’Isle et qu’il a été admis par la Chambre des notaires de Québec le 7 février 1859 à pratiquer à l’Isle-aux-Coudres, il demeure maintenant dans la paroisse de Saint-Pierre et Saint-Paul[7]. Le tout se passe dans la maison du père de Ferdinand. Outre les clauses habituelles du contrat, Germain Hervé et Archange Desbiens ne dérogent pas à la tradition d’établir les fils de famille qui perdure depuis l’ancêtre Sébastien Hervé (1695-1759). Le Sieur Germain et dame Archange par l’entremise de son mari, s’engagent par hypothèque et promettent « de donner et payer à leur dit fils, futur époux,... la somme de Cent cinquante louis courant... dans le cas où les dits Sieur et dame Germain Harvay refuseraient de pourvoir à leur établissement en leur donnant partie de leurs biens avec un ménage convenable pour un habitant. » La garantie hypothécaire que met de l’avant le patriarche Germain est constituée d’une terre de « cinq perches de front sur cinquante arpens de profondeur bornés par devant au chemin à la haute marée du Fleuve St Laurent et par derrière au bout de la dite profondeur, joignant au Nord Ouest à Jacob Bouchard et de l’autre côté au Sud Est au terrain appartenant aux dits Sieur et Dame Germain Harvay. » La promise est donc encore une voisine. Ce sont Germain et Archange qui servent de témoins à la signature du contrat pour leur fils. Du côté de la future mariée, ses témoins sont son père Jacques dit Jacob Bouchard (1815-1903) et Denise Tremblay (1837-1898) une amie, celle qui lui a appris à lire et écrire, laquelle sera de fait sa belle-sœur dans quelques jours puisqu’elle est la veuve de Didier Harvé, le frère de Ferdinand. Le marchand du lieu, le voisin de feu Didier et de Denise Tremblay, Louis Boily signe également avec le notaire[8]. Louis Boily est un petit-cousin par alliance puisqu’il est marié à Éléonore, la fille d’Arsène Dufour (1815-1854), autrefois sage-femme du Cap à Labranche, elle-même fille de l’oncle Augustin et de tante Luce Desbiens.

Ferdinand qui a vingt-sept ans épouse donc une fille de l’Isle, Zénobie Bouchard qui en a vingt-deux, le 11 février 1873. On ne va pas chercher les épouses bien loin à l’Isle ; Zénobie est la petite-fille de Luce (1797-1859), la sœur de la mère de Ferdinand qui, de son vivant, était mariée au cousin du père de ce dernier, le voisin Augustin Dufour. Comme on l’a vu, Zénobie est la fille de feu Marie Émélie Dufour (1829-1851), cousine et marraine deFerdinand. Le couple avait donc dû payer une dispense pour troisième et quatrième degré de consanguinité.

Ferdinand et Zénobie s’établissent à l’Isle chez le père de Zénobie. Ferdinand y sera cultivateur à temps partiel et fournira les bras manquants sur la terre du beau-père quand il ne travaillera pas comme débardeur au bord de l’eau à Montréal avec ses frères. Son arrivée sur la ferme est sans doute fort bienvenue, mais le fait que Zénobie ne quitte pas la maison est encore plus important. Jacob Bouchard son père est veuf et il n’est plus jeune. De plus, Alfred (1846-1925), son unique frère qui demeure également sous le toit du père n’a que de très jeunes enfants. Ce dernier lorsqu’il perdit sa femme Marie Justine Festa Harvay (1846-1869) et son beau-père Joseph (1809-1869) chez Louis (1784-1863) fauchés par l’épidémie des fièvres typhoïdes il y a quatre ans, avait compté sur Zénobie pour veiller sur ses enfants en bas âge. Depuis, Alfred s’est remarié à Marie Valérie Harvay (1845-1901) à George Hervai (1814-1889) chez Louis. Ferdinand se retrouve donc dans une famille très près de celle des Harvay. L’arrangement fait donc l’affaire de tous.

L’année suivante, Zénobie donne à Ferdinand son premier fils. Germain Didier Harvay voit le jour le 28 juillet 1874. L’enfant a pour parrain son oncle Marcel Harvay et pour marraine Marie Olympe Dufour (1858-post.1911)[9]. Olympe est la fille de Joseph Nathanaël Dufour (1832–1911), l’un des nombreux fils d’Augustin et de Luce Desbiens, la tante de Ferdinand. Ce dernier, alors qu’il était mineur, avait marié une mineure également Marie Pedneault en 1851, une domestique de sa mère de qui il avait eu neuf enfants dont Olympe. Comme on le verra, l’enfant qui vient de naître s’établira à Montréal au début du siècle prochain. Le logement d’Olympe sa marraine, située au 56 de la rue Saint-Paul en plein cœur du Port de Montréal où elle s’établira après son mariage, servira de pieds à terre à Germain Didier, comme pour beaucoup d’autres hommes de l’Isle qui y feront des passages saisonniers comme débardeurs[10].

Pendant que l’on traverse la crise qui a débuté en 1873, on ne vit pas riche sous le toit de Jacob Bouchard. Ferdinand et son beau-frère Alfred peine à écouler les maigres surplus de la petite terre depuis la chute des prix du blé en autres denrées et les profits sont minces. Cela n’empêchera pas le couple de procréer. Zénobie accouche d’une première fille le 1er juillet 1878. Marie Emélie Harvay est baptisée le même jour. Les parents choisissent Alfred, le frère de Zénobie comme parrain et Denyse la sœur de Ferdinand comme marraine[11]. Encore une fois, Emélie comme les autres enfants du couple, passé et à venir, avaient été conçues pendant la période morte alors que Ferdinand était de retour à l’Isle pour l’hiver, car ce dernier travaillera comme débardeur à Montréal, d’avril à octobre, chaque année que la vie du couple durera sur cette île.

Au printemps 1881 ils sont douze à résider chez le veuf Jacques dit Jacob Bouchard : son fils Alfred avec sa femme et leurs cinq enfants, Ferdinand et Zénobie avec leurs deux enfants. Ceux qui sont en mesure de travailler la terre sont le patriarche, soixante et cinq ans, Alfred, trente-quatre ans, un jeune de douze ans et Ferdinand quand il est là. Les deux épouses ne devaient pas avoir le choix de donner un coup de main aux hommes[12].

Les accouchements de Zénobie sont plus espacés qu’elles le sont normalement dans la famille et à l’Isle. Dans une petite communauté soumise à l’église et à son curé, on ne peut penser que le couple limite les naissances. Il faut donc croire qu’il en était ainsi par nature. Si Zénobie a fait des fausses-couches, elle n’aura pas amené ces enfants à terme puisqu’aucun enfant mort-né n’est inscrit au registre.

Le prochain enfant à voir le jour est Louis Zénon et comme le nouveau curé Jean Alphonse Pelletier, arrivé de la terre ferme, a remplacé son frère Jean Baptiste et modifié notre patronyme, Zénon sera un Harvey plutôt qu’un Harvay comme son père. Les curés Pelletier vouaient une certaine passion pour la lettre « y » et pour les noms à consonances anglaises. Le premier arrivé à l’Isle en 1843 avait non seulement transformé le patronyme d’Harvé à Harvay, mais il avait, en plus, fait de tous lesHenri et Denise de l’Isle des Henry et des Denyse, les George étaient devenus des Georges et les Elisabeth des Elizabeth. À compter de 1879 son frère suivit son exemple et c’est avec l’orthographie nouvelle que fut baptisée Zénon Harvey le 16 octobre 1881. Le cousin de Zénobie, Henry Bouchard (1860-1931), le fils de son oncle Zénon (1825-1899), est le parrain. C’est Marie Éléonore dite Olivine Harvey (1866-1933), la fille aînée de feu Louis Didier, le frère de Ferdinand qui est choisi comme marraine. Dorénavant, le nouveau curé qui a réécrit notre patronyme à la manière de la terre ferme, prénommera le père de l’enfant Ferdinat[13].

C’est trois ans plus tard, le 10 décembre 1884, que naît Joseph Alfred Harvey, le troisième fils et quatrième enfant du couple. Celui qui sera baptisé le lendemain de sa naissance a pour parrain Zacharie Tremblay (1830-1910) et pour marraine sa tante Phébé Harvay. Le parrain est un neveu de la deuxième épouse de Thomas Bergeron. Thomas est un proche de la famille ; on se rappellera que cinq des enfants qu’il eut en premières noces avec Marthe Desbiens (1794-1836) ont épousé des Harvay. Cette dernière est l’une des tantes que Ferdinand n’a pas connues. Lors du baptême qui a lieu dans la vielle église de bois construite en 1771, le père est prénommé Ferdinat une fois de plus par le curé[14]. Ce sera le dernier enfant de Ferdinand et Zénobie à y être baptisé puisque le curé et son conseil de fabrique ont pris la décision de la remplacer par une toute neuve dès l’été prochain. Le curé a informé les insulaires qu’elle ressemblerait à la basilique de Sante-Anne-de-Beaupré[15]. D’ailleurs, une peu avant la naissance de Joseph Alfred, une corvée auquel a participé son père à l’automne a été organisée pour sélectionner et abattre sur les terres des insulaires le plus beau bois que l’on puisse trouver pour sa construction. On passera donc l’hiver à le débiter en préparation de la construction de la nouvelle église au printemps prochain. Les navigateurs de l’Isle ont été mis à contribution ; ils ont déjà transporté dans leur goélette à voile une bonne partie de la pierre de granit qui servira à son revêtement extérieur et qui est empilée dans l’Anse de l’église pour y passer l’hiver. Comme les navigateurs livraient déjà de la pitoune au moulin de Donnacona depuis un certain temps, ils ne leur faillaient qu’un petit détour pour aller prendre livraison de la pierre provenant de Saint-Marc-des-Carrières plutôt que de revenir lège.

Depuis son mariage à Zénobie, Ferdinand, bien qu’il débarde au bord de l’eau à Montréal tous les étés, a toujours été cultivateur à l’Isle, les registres civils et religieux ainsi que le dernier recensement en font foi. En 1887, sa vie prend une nouvelle tournure sans doute, de cultivateur qu’il était, il deviendra journalier « emplacitaire » à l’Isle. Sans que l’on sache exactement la nature de ce qui précipita ce bouleversement, il y a sans doute un lien à faire avec le trop-plein de la maison qui loge deux familles. Son beau-frère a maintenant dix enfants et sa femme doit accoucher d’un onzième cette année[16]. Cette nouvelle tournure dans la vie du couple n’est sûrement pas étrangère également aux changements et bouleversements qui se produisent cette année-là dans sa famille et dans la maison de son père. Sa mère est malade et l’un de ses frères également. On sait que la femme de feu son frère Louis Didier, sa belle-sœur Denyse Tremblay, prépare ses baluchons, car elle a décidé de quitter son Isle pour l’aventure dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre aux States. À l’exception d’Hercule, tous ses frères puînés ne sont toujours pas installés et ils vivent eux aussi pour l’essentiel de leur travail de débardeur au port de Montréal l’été. Tous pourraient bien avoir envie de l’aventure américaine et Ferdinand également, car ce sans-terre cherche un avenir. Le gouvernement qui se traînait les pieds pour favoriser les grandes compagnies a lancé certains projets timides de colonisation et on parle d’accélérer l’ouverture de paroisses plus au nord offrant ainsi des terres pour les jeunes, mais beaucoup reste à faire. Le patriarche décide donc, en ce début d’année 1887, de régler de son vivant ses comptes avec ses enfants dans un effort ultime d’éviter l’éclatement et la dispersion de la famille. Comme il le fera avec chacun de ses fils, il honore son engagement pris lors de la signature du contrat de mariage de Ferdinand et Zénobie en lui remettant « six cents piastres en argent courant ». Le notaire Joseph Arthur Tremblay de la paroisse de Notre Dame de Bonsecours dite Les Éboulements se présente en la demeure de Magloire Bergeron (1824-1893) pour prendre note des arrangements et faire signer une quittance à Ferdinand[17]. Le patriarche avait tardé à rembourser son fils. Appréhendait-il un départ ? Ferdinand a un projet, mais ce n’est pas celui de se lancer à l’aventure et de quitter l’île pour le lac Saint-Jean puisqu’il se construit cette année-là à l’Isle-aux-Coudres sur une parcelle de terrain appartenant à son père. La maison en pièces sur pièces fera vingt pieds de longueur par dix-huit pieds de profondeur. Il devait sûrement avoir besoin de cet argent pour son projet et aura demandé au père son dû[18]. Était-ce une décision précipitée ? Avait-il même le choix ? Comme on le verra, cet investissement ne lui sera profitable que pour quelques années.

Les prochains douze mois allaient être difficiles dans la famille de son père. Au printemps, son frère Joseph (1842-1887) décède alors qu’il n’a que quarante-quatre ans, laissant derrière lui neuf orphelins. Archange Desbiens, sa mère, suit son fils dans l’au-delà à l’automne.

Tout de même fort de leur nouvelle réalité et d’un toit pour la famille, le couple engendre un enfant encore une fois. À la fin de juillet de l’année suivante naît celle qui sera nommée Marie Archange Harvey lors de son baptême le 1er août 1888 au lendemain de sa naissance. Comme la coutume le voulait, la première fille à naître dans la famille avait pris le prénom de sa grand-mère décédée. Paul Harvé, le frère aîné de Ferdinat est choisi comme parrain alors que la belle-sœur Eléonore Bouchard (1848-1924), la sœur aînée de Zénobie, agit comme marraine. Comme on l’a vu, Ferdinand et Zénobie n’engendrent pas au rythme habituel des insulaires. On aura eu le temps de construire une nouvelle et grande église de pierres depuis la naissance de leur dernier enfant, car le baptême de Marie Archange Harvey eut lieu dans cette nouvelle église que Mgr Dominique Racine, l’évêque de Chicoutimi, avait bénie deux ans plus tôt en août 1886.

Au moment du décès de Marie Emelie Dufour, la mère de Zénobie, en 1851, son père qui jouissait toujours des avoirs familiaux, n’avait pas encore divisé la part de sa défunte femme entre ses trois enfants. En épousant Zénobie, Ferdinand devenait l’héritier de cette part. À la fin de l’automne 1888, Ferdinand au nom de sa femme, son beau-père Jacques dit Jacob Bouchard et son beau-frère Alfred traverse le fleuve pour se rendre à l’étude du notaire Boivin de Baie-Saint-Paul, car il deviendra évident que ce notaire ne semble pas se déplacer à l’Isle comme le faisaient les notaires auparavant. Son beau-père lui remet en argent courant la valeur de l’héritage de sa femme provenant de sa mère et se fait signer une quittance. Moyennant une certaine somme, il cède également le même jour à son beau-frère Alfred ses droits sur la portion de la terre de son beau-père lui revenant[19].

Au printemps 1891, avant de partir avec ses frères travailler au bord de l’eau à Montréal, il participe à la construction de la maison de son frère Hercule, voisine de la sienne comme l’avaient fait ses frères pour lui en 1887. Ils sont maintenant sept à la maison, mais à son retour de Montréal à l’automne Zénobie accouche de leur dernier enfant le 5 octobre, ils seront donc huit à y habiter[20]. Leur troisième fille et sixième enfant se prénommera Marie Anne. Elle a pour parrain Étienne Dallaire (1848-1901), l’époux de la sœur aînée de Zénobie et pour marraine Luce Dufour (1864-post.1904). Cette dernière est la sœur de celle qui fut marraine pour le premier enfant de Ferdinat et Zénobie[21]. Elle est donc aussi la fille de Marie Pedneault mariée à Joseph Nathanaël Dufour, l’un des nombreux fils d’Augustin et de Luce Desbiens, la tante de Ferdinand.

Plus personne ne cultive la terre familiale qui a été divisée et vendue en parcelles. Zénobie à tout juste l’emplacement pour un jardin, suffisamment grand pour nourrir sa famille, mais pas assez pour que l’on en retire des surplus, de nature à compléter le nécessaire pour faire vivre une famille et cela même avec le travail saisonnier de Ferdinand au port de Montréal. Depuis qu’il ne travaille plus à la ferme de son beau-père durant les hivers, avec huit bouches à nourrir, il ne semble plus capable de joindre les deux bouts. On ne saura jamais ce qui incita le couple à prendre la décision d’abandonner leur maison et de quitter l’Isle, mais le motif devait être le même que pour leurs autres devanciers, ces jeunes qui depuis des générations partaient pour un avenir meilleur, car le propre de cette petite île fut toujours de déverser ses surplus d’enfants dans les campagnes avoisinantes, faute de terres suffisantes pour les nourrir. La recherche d’un emploi à temps plein sans doute attira Ferdinand vers de nouvelles terres, car c’est ce qu’il trouvera sous peu.

Le 9 avril 1895, Ferdinand traverse le fleuve avec Pamphile Harvay (1863-1901) pour se rendre à l’étude du notaire Boivin de Baie-Saint-Paul. Le vendeur devait être bien pressé de régler la transaction pour s’aventurer à travers les glaces encore dangereuses de ce début de printemps. Joseph Pamphile à Jude Harvé (1837-1912) chez Joseph (1809-1869) est un cousin de troisième niveau. C’est ce dernier qui se porte acquéreur de la maison de Ferdinand et Zénobie, ce qui leur permettra de réaliser le rêve qu’ils chérissent depuis un certain temps. Pamphile ne profitera pas de son nouveau bien très longtemps et sa famille non plus. Il décède en 1901 et son épouse Arsène Bouchard et sa dizaine d’enfants quitteront l’Isle-aux-Coudres pour s’établir eux aussi à Lowell au Massachusetts vers 1902. La famille ne reviendra plus au Québec, sauf pour deux de leurs filles qu’on retrouvera à Montréal. Ce sont « vingt-cinq piastres courant que ledit vendeur reconnaît avoir reçu» pour sa maison et le lot sur lequel elle est bâtie. Ardûment, Ferdinand apposera sa dernière signature sur cet acte. Après ce jour, il déclarera ne savoir signer[22].

Riche de ses économies et de sa vente, Ferdinand avec ses six enfants et son épouse Zénobie Bouchard partent donc coloniser le lac Saint-Jean, pas comme habitants cependant, mais plutôt comme journalier. Au moment de leur départ au printemps 1895, ils ont déjà environ cinquante et quarante-cinq ans, des âges avancés pour une telle aventure. Ils ne le font pas seuls. Ferdinand entraîne avec lui un troupeau de jeunots de l’Isle dont il semble être le berger. D’abord ses frères puînés, le célibataire de quarante et un ans Marcel, puis le suivant Hercule qui, bien que marié, semble être parti avec son fils aîné, Joseph Ovide Harvey qui n’a pas encore seize ans ; sa nièce de vingt-huit ans Marie Éléonore dite Olivine Harvay, la fille de son frère Didier décédé, son époux et leurs six enfants ainsi que sa petite-cousine, Marie Césarine Harvé à Joseph chez Louis, avec son mari[23].

Ils durent s’embarquer sur une goélette d’un parent au mouillage ou dans l’une des anses du sud-ouest où se trouvent les meilleurs ancrages. Ce sera probablement pour Marcel la dernière fois qu’il verra l’Isle-aux-Coudres, car on ne retrouvera pas de traces de son passage à l’Isle par la suite. La maison de Ferdinand semble avoir été abandonnée un instant, mais un parent s’y installera dans peu de temps[24]. En quittant cette Isle, il laisse derrière lui le sobriquet de Ferdinat que lui avait attribué Jean Alphonse Pelletier ce nouveau curé qui avait changé le prénom et le patronyme de Ferdinand sans le consulter dès leur première rencontre ; il faut bien dire que les hommes d’église de l’époque ne consultaient guère.

Une fois rendus à Québec, avec les économies qu’ils ont ramassées, Ferdinand, Zénobie, leur famille et les autres du voyage empruntent la nouvelle liaison ferroviaire de deux cent quatre-vingt-dix-neuf kilomètres de la Quebec and Lake St-John Railway qui relie Québec à Roberval depuis 1888[25].

Le groupe se disperse à son arrivée au terminal du chemin de fer à Roberval. Alors que les plus jeunes partent s’établir sur une terre qu’Olivine et son mari cultiveront toute leur vie à Saint-Félicien[26], Ferdinand et sa famille n’iront pas plus loin ; Roberval sera leur port d’attache. Le 6 mai 1895, Euloge Ménard vend à Ferdinand une maison où la famille emménage[27]. Ancien maire du village, Euloge est un commerçant prospère et la vente de cette maison fut l’un de ses derniers faits de commerce avant sa mort[28].

L’établissement de la famille de Ferdinand a peut-être été laborieux, car le 16 novembre 1895, décède dans ce village « Marie Anne Hervé, enfant de Ferdinand Hervé journalier, et Zénobie Bouchard… » La petite venait d’avoir quatre ans. Il y avait alors un curé au Lac pour se souvenir de l’origine française du patronyme Harvey puisque lors de l’inscription de la sépulture, le célébrant emploiera la forme du patronyme originale Hervé[29].

L’établissement de la famille de Ferdinand a peut-être été laborieux, car le 16 novembre 1895, décède dans ce village « Marie Anne Hervé, enfant de Ferdinand Hervé journalier, et Zénobie Bouchard… » La petite venait d’avoir quatre ans. Il y avait alors un curé au Lac pour se souvenir de l’origine française du patronyme Harvey puisque lors de l’inscription de la sépulture, le célébrant emploiera la forme du patronyme originale Hervé[29].

Le choix de Roberval n’est pas anodin, car le gouvernement encourage le développement autour du lac Saint-Jean pour contrer l’exode des jeunes vers les manufactures américaines qui se poursuit. L’ami du père de Ferdinand l’abbé Henri Raymond Casgrain fut le premier prêtre à visiter les colons de Roberval vers 1855 et il encouragera longtemps les jeunes sans terre des paroisses à aller s’y établir. Aurait-il planté cette idée dans la tête du jeune Ferdinand adolescent lors de l’une de ses visites à la maison de son père? Comme on le verra, un oncle de Zénobie pourrait avoir facilité l’établissement des insulaires dans la région.

La population du village de Roberval est grandissante en raison des nombreux chantiers de bûcherons de la région et avec l’arrivée du train en 1888. Le village servant de terminus pour cette ligne pendant une vingtaine d’années, l’endroit connut alors un véritable boom économique. Le riche américain marié à une Canadienne française qui avait favorisé l’arrivée du chemin de fer avait aussi construit l’hôtel Roberval qui attirait les touristes fortunés. Des navires à vapeur luxueux au départ du village de Roberval se multipliaient sur le lac. De plus, un vaste moulin à scie venait d’y être construit. La région était prospère et Ferdinand ne manquerait pas de pouvoir y travailler à l’année[30]. Comme on le verra, ses deux frères puînés, Hercule et Marcel, finiront par travailler tous deux pour le chemin de fer. Serait-ce le chemin de fer qui sera dorénavant l’employeur de Ferdinand alors que la gare du terminus de la ligne est à Roberval ?

Ferdinand est bien installé en 1896, car il y fait déjà des affaires. Il procède, devant notaire, à deux ventes consécutives aux frères Alphonse et Edmond Parents le 2 mars[31]. Bien que l’on ne sache pas où il a trouvé fortune, il continuera d’effectuer des ventes et des achats dans ce village pour plusieurs années.

Zénobie et Ferdinand ne tarderont pas à connaître la modernité. À leur arrivée au village le téléphone y est déjà[32] et dès l’année 1897 on y amène l’électricité à partir d’un barrage sur la rivière Ouiatchouan à moins de dix kilomètres dans le canton Charlevoix, nommé ainsi parce qu’il avait été colonisé par des gens venus de Charlevoix[33]. L’électricité est un luxe qui n’arrivera à l’Isle-aux-Coudres qu’une cinquantaine d’années plus tard. La famille a même accès à un médecin. Malgré, et sans doute en raison de toute cette modernité, les finances de la famille sont difficiles. La Banque Nationale enregistre en septembre un premier protêt pour une somme que Ferdinand avait obtenue en prêt quelques mois auparavant et qu’il n’a pu rembourser à l’échéance[34]. Il a de quoi se consoler, car les difficultés de paiement sont monnaie courante dans ce pays ; dans ce seul mois, la même banque a enregistré dix autres protêts à l’égard de citoyens du village et cela uniquement chez ce même notaire alors qu’ils sont plusieurs à y pratiquer. Il dut s’acquitter de cette dette peu de temps après, car on entendra plus parler de ce dû par la suite.

Ferdinand fait encore des affaires à l’été 1898, cette fois-ci avec les autorités du village de Roberval alors qu’il cède une portion de terrain[35]. Quelques mois plus tard, on semble se hâter pour un mariage. La jeune et mineure Emélie Harvay, vingt ans, obtient la dispense de deux bans de mariage et, le 18 octobre épouse Joseph Imbault (1878-1942), un journalier du village. C’est Ferdinand qui conduit sa fille à l’autel de l’église de Notre-Dame du Lac pour le mariage et donne son consentement. Dans le cas de Joseph qui est pourtant mineur également, aucun membre de sa famille ne semble présent ; c’est un ami qui lui sert de témoin et sans que l’on sache par quel subterfuge, il est déclaré le « fils majeur, de Séraphin Imbault, journalier et de Démerise Roussel, de la paroisse de Chicoutimi… » Le nouveau couple part s’installer à Chicoutimi. Même si, enfant, il avait fréquenté la maison d’école à l’Isle-aux-Coudres, encore une fois ici on note l’incapacité de Ferdinand de signer[36]. Si l’on retrouve quelques signatures ardues du temps de l’Isle-aux-Coudres, Ferdinand a maintenant cessé de faire comme s’il savait écrire et une fois le mariage passé il déclarera toujours ne savoir lire et écrire sauf lors de la vente de sa maison à l’Isle.

Marcel, le frère de Ferdinand, est toujours cultivateur chez sa cousine à Saint-Félicien au moment de son mariage avec Adèle Morin, moins d’un mois plus tard le 8 novembre 1898 à Roberval. Le vieux garçon de quarante-quatre ans ne sera pas cultivateur pour bien longtemps, car il s’installe au village de Roberval après son mariage et devient journalier. Originaire de Charlevoix, Adèle est la fille d’un journalier venu gagner sa croûte au village de Roberval. Marcel l’a probablement rencontré lorsqu’il a aidé son frère à s’établir à Roberval lors de leur arrivée au Lac. De plus, depuis que la tribu s’est établie dans la région, les trois frères, Ferdinand, Marcel et Hercule devaient bien se rendre visite de temps en temps, car la distance les séparant n’était que de vingt-cinq kilomètres et plusieurs vapeurs assuraient déjà le transport des passagers. Le Péribonka par exemple, fait alors la navette entre Roberval et les nouvelles paroisses de colonisation autour du lac comme Saint-Félicien. En l’absence de leur père, c’est Ferdinand qui sert de témoin pour le mariage de Marcel[37].

Le 9 juillet de l’année suivante, Emélie, la fille aînée de Ferdinand et Zénobie, accouche d’un garçon[38]. Le mois suivant c’est au tour de Marcel, le frère de Ferdinand, de voir naître son premier fils. Didier, le fils aîné sera parrain de l’enfant[39].

Le 14 août 1899, Ferdinand se présente à nouveau devant un notaire, cette fois-ci c’est un dénommé George Leclerc qui, avant de partir s’installer à Saint-Félicien, lui rétrocède une propriété qui avait été sienne et qu’il avait vendue au dénommé Leclerc deux ans plus tôt[40]. Le lendemain, il cogne à la porte du même notaire pour revendre cette propriété à Michel Fortin. Une autre vente par Ferdinand à un certain Mérédé Girard de l’Anse, là où sont les Girard à Roberval à l’époque, sera enregistrée par le notaire Timothée Dufour dit Latour le 2 novembre de la même année. Ces transactions ont le mérite de nous informer que les affaires de Ferdinand roulent allègrement[41].

Le 12 mai 1900, Ferdinand et Zénobie perdent un deuxième enfant. Marie Emélie Harvay décède à Chicoutimi où elle vit alors qu’elle n’a pas encore vingt-deux ans[42]. L’histoire ne nous a pas appris si son décès faisait suite à un accouchement difficile l’été précédent. Quoi qu’il en soit, après le décès de son épouse, son mari Joseph Imbault revient vivre à Roberval sous le toit de Ferdinand et Zénobie, ses beaux-parents après avoir placé son fils, car ce dernier ne revient pas avec lui[43]. Ce fils fera sa vie à Chicoutimi où il se mariera en 1920 et décédera en 1952. Joseph se remariera quatre ans plus tard.

Un mois plus tard en juin, l’un des trois frères, Hercule et sa famille, quittent la région pour aller s’établir au Saut Montmorency dans la paroisse de Saint-Grégoire de Montmorency après avoir liquidé leurs biens[44].

Au début du vingtième siècle, la famille réside toujours au village de Roberval. Le petit village qui est le chef-lieu du comté compte déjà nombre d’institutions religieuses, un grand hôpital, des commerces et des hôtels ; il est reconnu comme étant quelque peu aristocratique. Il se glorifie d’être le centre intellectuel, commercial et judiciaire de la région. « Assise au bord des eaux du lac Saint-Jean, comme une reine, elle paraît se prélasser avec grâce sur son divan de verdure, et déplorer complaisamment, aux yeux des voyageurs, ses grandes rues asphaltées, bordées de maisons jolies où habitent l’aisance et le bonheur»[45]. L’auteur de ces lignes, un frère mariste, voit le tout du haut de sa confortable école, mais sans doute pas avec les yeux des journaliers comme Ferdinand qui s’échinent à cœur de journée à rendre la vie des mieux nantis, qui foisonnent au village, aussi facile et pleine de bonheur.

Bien que l’on ne sache pas l’adresse exacte de la famille de Ferdinand et Zénobie, on les localise sur ce qui est connu aujourd’hui comme le boulevard Saint-Joseph, face au Lac. Ils sont voisins de l’école que les Frères maristes viennent d’ouvrir au village en 1897, le collège Notre-Dame[46]. Didier, Zénon, Alfred et Marie Archange résident toujours chez leurs parents en 1901. Le logeur et gendre Joseph y est toujours. Les garçons, tout comme leur père, sont journaliers. Didier l’aîné, le seul des enfants qui ne sache lire et écrire, à tout de même gagné autant que son père l’année dernière. Probablement travaillait-il tous deux au même endroit avec un gage de trois cents dollars chacun pour l’année ? Un dollar par jour c’était la paie habituelle des journaliers de l’époque, même à Québec et Montréal. À Roberval il y avait au moins le lac et le grand air. Zénon à dix-neuf ans s’en tire avec deux cents dollars et le jeunot de seize ans Alfred avec cent. Même la cadette de douze ans est mise à contribution ; elle est servante et a rapporté cinquante dollars à la maison pour son année. Tous ont travaillé pendant les douze mois de l’année précédente. La mère quant à elle assure le maintien de la maisonnée et sert de liseuse et de plume à Ferdinand aux besoins. C’est probablement elle qui maintient le contact avec la famille à l’Isle. Outre la pension que le chambreur Joseph devait payer, c’est près de mille dollars de revenus familiaux pour cette année du centenaire 1900 qui sont entrés dans la maison de Ferdinand. Bien que ce ne soit pas le Pérou, c’est probablement beaucoup plus que ce que la famille aurait pu récolter à l’Isle; Paul, son frère aîné, n’a pu travailler comme calfat que huit mois et n’a reçu en gage que soixante-quinze dollars alors que son fils Alfred, qui fait le même métier de débardeur que faisait Ferdinand lorsqu’il vivait à l’Isle, a quant à lui rapporté deux cent trente dollars pour sept mois de travail[47]. À la grande différence de l’Isle, ici au village de Roberval, tous les membres de la famille peuvent travailler, car l’emploi ne manque pas. Ici cependant, tous doivent travailler pour être en mesure de subvenir aux besoins de la famille, car y vivre coûte plus cher. En autres, le Lac ne fournit pas les abondances du fleuve et le jardin n’est pas aussi grand. Quand vient le temps d’acheter ses victuailles, Zénobie fait face à des étales biens maigres après que les nombreuses institutions religieuses et les hôtels de luxe y soient passés bien avant elle et aient déserté le marché à coup de grands chariots. Ce qui reste ne vaut pas le prix et se vend cher[48].

Le 4 juin 1902, le père de Ferdinand rend l’âme. Au printemps suivant, le 15 avril 1903, c’est au tour de Zénobie de perdre le sien qui s’éteint à l’âge de quatre-vingt-huit ans[49]. Il est difficile de savoir si les contacts restaient nombreux après qu’un enfant ait quitté l’Isle pour s’expatrier aux confins de la province. Il est peu probable qu’ils aient été avertis par téléphone. Même si cette possibilité existait, elle était coûteuse et compliquée pour ceux n’en disposant pas et, dans le cas qui nous occupe, aucune des familles impliquées n’en avait un sous son toit. Peut-être ont-ils reçu une lettre les avisant, mais encore là, Paul son frère ne savait pas écrire et Ferdinand ne savait pas lire. Alfred, le fils de Paul, aura écrit et Zénobie aura lu ces nouvelles funèbres.

L’été 1903 sera heureux. C’est le moment des retrouvailles en famille. De la grande visite arrive en ville par le train. Hercule, qui est maintenant forgeron pour les chemins de fer à Québec, n’a pas dû payer bien cher les billets pour lui et sa famille. Il débarque à la gare de Roberval vers la mi-juillet pour le baptême du troisième fils de son frère puîné Marcel, pour lequel l’une de ses filles sera marraine. On peut s’imaginer ses retrouvailles[50]. Hercule qui sera toujours un grand voyageur est le lien entre les membres de la famille de l’île et ceux qui se sont exilés comme lui. Il est possiblement celui qui amène à Zénobie le document témoignant de son héritage, à la suite au décès de son père.

En effet, Zénobie reçoit un petit héritage sous la forme d’un lopin de terre à l’Isle-aux-Coudres. Elle ne tarde pas à s’en départir et à le monnayer une semaine après la visite d’Hercule, le 25 juillet[51]. L’acheteur qui demeure aussi au lac Saint-Jean est Joseph Chouinard. Il est le fils de la cousine de l’île, Léocadie Mailloux, elle-même fille de sa grand-tante Félicité Bouchard[52]. Comme les femmes n’ont pas encore de statut légal, Ferdinand se présenta au bureau du notaire pour signer l’acte de vente de son X au nom de sa femme qui, si elle y avait été autorisée, était apte à le faire. Il faudra être patient pour voir évoluer le Code civil au Québec. C’est aussi en 1903 que ce village, qui avait accueilli la famille en 1895 devenait ville.

Deux ans plus tôt, le neveu de Ferdinand, fils cadet de son frère Louis Didier décédé depuis plus de trente ans, était revenu s’installer dans la région. Louis Dominique Harvay (1871-1939), après avoir vécu une quinzaine d’années à Lowell au Massachusetts, avait choisi de s’établir au lac pour y voir ses enfants grandir. Sa sœur aînée, Marie Éléonore dite Olivine, qui vivait à Saint-Félicien, l’avait d’abord accueilli chez elle. Par la suite, il s’était rapidement installé à Roberval, journalier comme ses deux oncles. À la fin de l’été 1904, il choisit Marie Archange, la fille de son oncle Ferdinand, comme marraine de son deuxième enfant né au lac[53]. L’année précédente, c’était un cousin de Zénobie, fils de son oncle Vital, qui avait été parrain d’un autre enfant de Louis Dominique[54]; les gens de l’Isle sont tissés serré.

Le jeudi 4 mai 1905, Louis Alphonse Langlois cède son bien à Ferdinand par une vente à réméré, obtenant ainsi les fonds dont il avait besoin, tout en conservant l’espoir de recouvrer un jour sa propriété, par une éventuelle amélioration de ses finances, en restituant à Ferdinand le prix et quelques intérêts entendus entre eux. Louis Alphonse pouvait aussi continuer à occuper les lieux pendant la durée du réméré, contre le paiement d’indemnités à Ferdinand. Ce dernier serait-il devenu un genre de prêteur sur gages ? Quoi qu’il en soit, on ne sait pas si Louis Alphonse récupéra son bien, car aucun autre acte notarié ne fut enregistré entre eux par la suite[55].

À respectivement soixante et un ans et cinquante-cinq ans, Ferdinand et Zénobie perde leur troisième enfant qui, lui, n’avait pas encore vingt-quatre ans. Zénon Harvey s’éteint le 17 mai 1906. Le père et Élie Bouchard, « un cousin du défunt » agissent comme témoin de l’inhumation[56]. De fait, Élie Bouchard est un cousin de la mère de feu Zénon, puisque son père Vital, est l’oncle de Zénobie. L’histoire de cet oncle nous indique qu’il fut probablement parmi les premiers à quitter l’Isle-aux-Coudres et à s’établir dans la région du lac Saint-Jean. Lui et sa famille y sont déjà en 1873[57]. Quand ils ne partent pas en grand nombre, les gens de l’Isle s’expatrient généralement en territoire déjà conquis où ils retrouvent les leurs. Le choix de Roberval comme lieu de migration pour Ferdinand, Zénobie et leur famille, vient sans doute d’être expliqué. Pour en ajouter sur les liens familiaux reliant ce cousin Élie Bouchard, mentionnons qu’Éléonore Tremblay, la mère d’Élie est la sœur de feue Denyse, la belle-sœur de Ferdinand qui avait quitté l’Isle-aux-Coudres pour les manufactures de la Nouvelle-Angleterre, après le décès de son frère Louis Didier. Ce sont ses enfants, Marie Éléonore dit Olivine et Dominique, dont Ferdinand s’est un peu fait le protecteur.

C’est à cette période que Ferdinand commence a manquer de liquidité. Pourtant, à l’époque, on n’engraissait pas les embaumeurs lors d’une sépulture. Ce n’était sûrement pas la mort de Zénon qui avait hypothéqué la famille. Ferdinand a-t-il perdu son emploi? Quoi qu’il en soit, il emprunte plus du tiers de son revenu annuel de 1901, le 4 juin 1906, une somme de cent trente piastres qu’il promet de remettre dans les quatre mois. Il semble parvenir à remettre cette somme et les frais à la suite d’un protêt enregistré au début d’octobre, mais cela grâce à un nouvel emprunt au crédit d’un autre créancier. Quelques semaines plus tard, il tardera à rembourser ce nouveau prêteur qui lui aussi enregistrera un protêt. Avant que Noël n’arrive, il réglera sa dernière dette[58].

Après la mort de Zénon, sans que l’on ne sache pourquoi, ce sera l’abandon progressif, mais rapide, par la famille de cette terre d’accueil qui l’avait nourri, celle que l’on appelait déjà la Reine du Lac. Les parents verront leur progéniture restante quitter une région encore fort prospère d’ailleurs pour aller grossir les rangs des insulaires réfugiés dans les quartiers ouvriers de Montréal. On ne sait pas où travaillaient les membres de la famille, ce qui nous empêche d’expliquer le départ de certains. Les choix sont nombreux pour des journaliers. À Roberval, il y a une filature de laine, une fonderie, une manufacture de canots, des briqueteries. On y exploite également la pierre calcaire et le granit rose. Par ailleurs, la région vit de l’exploitation forestière; cependant comme ils vivent au village, il y a peu de chance pour qu’ils travaillent dans ces domaines. Les emplois ne manquent pas non plus dans les communautés religieuses et surtout dans les nombreux hôtels. L’immense Hôtel Roberval où les visiteurs affluaient du Canada, des États-Unis et des grandes capitales de l’Europe, attirés par la pêche à la ouananiche, disparaît dans un incendie en 1908 et deux ans plus tard la scierie Scott ferme, mais cela n’explique pas le départ de Didier qui se retrouve déjà à Montréal à l’été 1906 pour y entreprendre une nouvelle vie a trente-deux ans. L’emprunt de Ferdinand en juin avait-il été fait pour subvenir aux projets de Didier ?

À la fin de l’été suivant, alors qualifié d’artisan de la paroisse Notre-Dame de Montréal, Didier épouse la jeune veuve Rosanna Couturier originaire de Montréal le 9 septembre 1907. Rosanna avait épousé l’électricien Ferdinand Lapointe en 1904[59] mort électrocuté moins de dix-huit mois après leur union[60]. Ferdinand et Zénobie qui se consolaient qu’au moins leur fils ne soit pas parti se démener dans les manufactures américaines font le voyage et assistent à la cérémonie. Le long voyage de plus d’une journée avait justifié un arrêt à Québec où les parents ne manquaient pas. Hercule, par exemple, vit au Saut Montmorency pas très loin de la gare du train reliant Roberval à Québec, rue Saint-André au carré Parent près du port de Québec. Il n’a pas du manquer une occasion d’héberger son frère. Avant le départ pour Montréal, Ferdinand et Zénobie devaient être passés au grand magasin de Zéphirin Paquet, car les deux gares « déversaient tous les jours des ruraux comme eux désireux de se vêtir de pied en cap pour un mariage prochain »,[61] car tous deux, s’il l’avait déjà été, ne devaient plus être équipés pour un tel évènement à Montréal. Ils reprendront le train, à la vieille gare du Palais cette fois-ci, en direction de Montréal, pour une autre journée de leur aventure. Lors de la cérémonie, seule la mariée signe le registre, car son nouvel époux ne peut le faire. Ferdinand qui a toujours été journalier est qualifié d’artisan de Roberval par le curé de la paroisse Saint-Joseph de Montréal dans le quartier du même nom. Son fils y étant également qualifié ainsi, il faudra croire que c’est l’appellation d’usage d’un journalier pour ces Montréalais de l’ouest de la ville[62].

L’été suivant, vers midi le 31 juillet 1908, alors, que souffle un fort vent du nord-ouest, un incendie se déclare au grand hôtel Roberval, aussi appelé localement l’hôtel Beemer. Trois heures plus tard, il ne reste plus rien du splendide édifice[63]. Roberval se retrouvait au lendemain du drame avec un large surplus de main d’œuvre. En autres, Marie Archange, servante de son métier, comme tant d’autres, devra prendre le chemin de la grande ville pour s’y retrouver un emploi. Elle quittera Roberval sans doute dans quelques mois.

L’été suivant, vers midi le 31 juillet 1908, alors, que souffle un fort vent du nord-ouest, un incendie se déclare au grand hôtel Roberval, aussi appelé localement l’hôtel Beemer. Trois heures plus tard, il ne reste plus rien du splendide édifice[63]. Roberval se retrouvait au lendemain du drame avec un large surplus de main d’œuvre. En autres, Marie Archange, servante de son métier, comme tant d’autres, devra prendre le chemin de la grande ville pour s’y retrouver un emploi. Elle quittera Roberval sans doute dans quelques mois.

Les épousailles se poursuivent puisqu’au début de l’automne 1908, c’est au tour d’Alfred, que l’on sait perruquier en cette ville de Roberval, de se marier à une native de la place. Née Marie Louise Gratia Perron en 1887, celle qui signe simplement Gracia est la fille mineure d’Arthur Paradis, un menuisier de cette ville et Wilhelmine Paradis. Alfred, dans quelques années, soit en 1917, déménagera dans un quartier ouvrier à Montréal et se fera barbier uniquement, car les perruquiers, faute de petits bourgeois et de notables, n’y avaient pas la cote. Ferdinand soixante-trois ans, bien qu’il soit toujours journalier résident de cette ville et qu’il demeure à deux pas de l’église, ne semble pas assister à la cérémonie du mariage en ce dimanche 27 septembre? Le curé célébrant, Joseph Georges Paradis, grand-oncle maternel de l’épouse, donne sa bénédiction en présence du père de cette dernière et d’Eugène Saint-Pierre, un ami d’Alfred qui lui sert de témoin[64]. Difficile de comprendre cette absence de Ferdinand sans le recul des années, mais le cinquième curé de Roberval ne manqua pas de souligner à sa façon cette absence. Son seul fils demeurant encore au lac dû donc faire appel à un étranger pour lui servir de témoin. Il fallait que les raisons soient sérieuses pour une telle absence, car dans une petite communauté dominée par l’église, on ne fait pas un tel affront à une parente du curé sans subir par la suite l’opprobre des âmes charitables. Quoi qu’il ait pu se passer, les choses s’arrangeront dans les années qui suivront comme on le verra.

C’est aussi dans cette deuxième moitié de décennie que Marcel, le frère de Ferdinand, quitte Roberval pour s’établir dans la paroisse Saint-Charles-de-Limoilou sur le point d’être annexée à la ville de Québec et où il travaillera pour le chemin de fer.

En 1910, Ferdinand et Zénobie sont maintenant bien seuls à la maison, car Alfred n’est pas demeuré chez son père après son mariage deux ans plus tôt. Malgré l’incendie de l’Hôtel Roberval qui a porté un dur coup à l’économie locale, Alfred se débrouille sans doute encore très bien, car il emploie un domestique[65]. Marie Archange également avait quitté la maison après l’incendie, mais dans son cas c’était pour aller rejoindre son frère aîné Didier à Montréal et s’y trouver un emploi. Au début de l’été, Ferdinand et Zénobie cassent la monotonie et la solitude de la vie qui est devenue leur et prenne à nouveau le chemin de fer vers Québec. Après un arrêt chez les parents dans cette ville ils rejoindront leur fils aîné Didier à Montréal pour assister au mariage de leur fille, maintenant unique. Marie Archange Hervé n’aura pas été victime d’amour ancillaire, car le 27 juin 1910, après avoir quitté sa condition de servante dans un hôtel du lac, elle épouse Félix Vanasse Vertefeuille un conducteur de la paroisse Saint-Denis de Montréal, originaire de Maskinongé en Mauricie. La cérémonie se déroule dans la paroisse Saint-Enfant-Jésus du quartier du Mile-End de Montréal où réside la mariée. Bien que lors de l’inscription du mariage au registre, Ferdinat Hervé et Zénobie Bouchard sont dit de Roberval[66], ils n’y resteront encore que quelques années.

Ferdinand et Zénobie disparaissent pendant la tenue du recensement de 1911 qui avait débuté le 1er juin 1911. Où était-il? Ils n’apparaissent sur aucun des vingt-cinq microfilms du recensement de Roberval cette année-là[67]. On sait que leur cadette Marie Archange, qui vit à Montréal, accoucha d’un enfant à la fin avril. Le couple serait-il allé supporter leur fille pendant la période du recensement à Roberval tout en étant de retour avant la cueillette d’information de ce même recensement à Montréal? Ils demeurent introuvables. Ils sont pourtant toujours à Roberval, car lors du baptême de leur petit-fils, Joseph Fernand Gérard Harvey, Alfred choisit ses deux parents comme parrain et marraine. Évidemment, quelles que fussent les raisons de l’absence du père lors de son mariage trois ans plus tôt, les choses étaient rétablies. Zénobie, grand-mère et marraine, n’est pas peu fière de pouvoir signer le registre avec son jeune cadet[68].

Avec plus de vingt ans de vie commune au lac Saint-Jean, c’est en 1917 que Ferdinand et Zénobie laissent derrière eux ce pan de leur vie et quittent Roberval pour le quartier Hochelaga où résident beaucoup de Harvey à Montréal, avec leur fils cadet Alfred et sa famille.

Pour en être arrivé à une telle décision, un journalier de soixante-cinq ans tel que Ferdinand qui doit toujours travailler pour vivre devait avoir perdu son emploi. De plus, dans une famille ouvrière comme celle de Ferdinand et Zénobie, le salaire des enfants contribuait aux dépenses de la maisonnée. Ils n’avaient donc pas été pressés de voir partir leurs enfants qui leur avaient coûté pendant la douzaine d’années de leur enfance. Leur unique fille n’avait ainsi pas été encouragée à aller remettre ses gages trop tôt à un époux. C’est pourquoi, maintenant que tous leurs enfants sont partis, les troubles financiers se présentaient à leur porte les obligeant à vendre le peu qu’ils avaient pour, à leur tour, partir crécher chez le plus jeune qui lui n’avait pas encore totalement remboursé ce qu’il avait coûté.

La décennie qui s’achève avait marqué l’arrêt de l’essor touristique dans la région de Roberval à la suite de l’incendie, en 1907, d’un des bateaux à vapeur, de l’hôtel Roberval de deux cent cinquante-sept chambres en 1908 et en 1909, de l’Island House, chalet d’une trentaine de chambres pour les pêcheurs. Par ailleurs, la scierie Scott éprouvait des difficultés à cause des coûts prohibitifs de transport par voie d’eau et du caractère saisonnier de la navigation qui rendait le transport des billots non rentable, ce qui amena le propriétaire Benjamin Alexander Scott (1859-1928) à mettre la clef dans la porte en 1910[69]. En 1917, le Canadian Northern Railway qui avait racheté le Quebec and Lake St-John Railway quelques années plus tôt, est en difficultés financières ; avec le prolongement du chemin de fer jusqu’à Saint-Félicien la même année cela amène une diminution importante de la navigation sur le lac. Tout concourt à diminuer l’importance de Roberval et à affecter son économie alors que la ville n’est maintenant plus le terminus de chemin de fer. Il est possible que l’emploi de Ferdinand ait été relié au chemin de fer comme ses frères Hercule et Marcel à l’autre bout de la ligne à Québec.

Tous ensembles, ils louent un logement situé au bord de l’eau, dans le quartier Hochelaga à Montréal. Ils y vivront à sept, Alfred, sa femme et leurs trois enfants ainsi que Ferdinand et Zénobie, une famille bien petite dans ce quartier pour l’époque. Alfred et sa femme continueront à la faire grandir, car dès l’année suivante suivra un premier enfant né à Montréal[70]. Dans Hochelaga, ils sont en pays de connaissance, car outre leurs deux autres enfants qui habitent des paroisses voisines, neveux et nièces y abondent à deux pas de leur nouvelle demeure. Le logement est situé au numéro 2573 de la rue Notre-Dame Est. Georges, le fils de son frère Joseph décédé, demeure quant à lui au 1479 de la rue Dézéry à moins de cinq cents mètres. Il en est de même d’Alfred, le cadet de Paul, son frère aîné aussi décédé, qui sera à quelques pas sous peu, coin Dézéry et Sainte-Catherine. Ferdinand qui a soixante-douze ans en ce printemps 1917 de leur arrivée au bord de l’eau se cherchera un emploi un certain temps et réussira à se faire embaucher pour des menus travaux de journalier dans le port. À son âge il n’y gagnera pas une fortune en comparaison de son cadet qui, comme barbier, réussit à faire trois-mille trois cent piastres en 1920, alors que lui n’en gagnera que mille. En juin 1921, les Hervé, ainsi inscrit au recensement, sont maintenant neuf sous le toit d’Alfred[71].

Comme les membres de la famille de Ferdinand et Zénobie sont maintenant Montréalais, ils se comportent comme tels. Conséquemment, ils déménagent assez souvent pour améliorer un peu leur sort tout en demeurant dans les mêmes quartiers ouvriers. Ainsi, durant la Grande Dépression des années 1930, les membres de la famille habitent tous à Montréal dans des quartiers voisins. Ferdinand et Zénobie dans Saint-Jean-Baptiste de la Salle et Didier dans Sainte-Jeanne d’Arc, deux paroisses du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Marie Archange pour sa part, réside dans la paroisse Saint-Pierre Claver du quartier De Lormier, voisin d’Hochelaga. Quant à Alfred, il vit légèrement plus au nord dans la paroisse Saint-Édouard de La Petite-Patrie.

Le 4 septembre 1928, Ferdinand, qui a quatre-vingt-trois ans, décède dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste de la Salle du quartier Hochelaga-Maisonneuve où lui et Zénobie demeuraient. Tout porte à croire que faute de revenus suffisants, il travaillait toujours comme journalier à son âge avancé, car lors de l’inscription de sa sépulture c’est ainsi que le curé décrit son état alors que d’autres au même registre sont qualifiés de rentiers[72].

À la suite du décès de son mari, Zénobie se réfugie chez sa fille Marie Archange et son gendre Félix Vanasse dans la paroisse Saint-Pierre Claver du quartier De Lormier où elle finira sa vie. Après avoir vu partir Didier, son fils aîné, qui décède à l’été 1933[73], Zénobie, décède à son tour le 1er octobre 1934 alors qu’elle a près de quatre-vingt-quatre ans[74].

[1] BAnQ., Registre de Saint Louis de l’Isle aux Coudres, 7 avril 1845.

[2] B.A.C., G., Recensement de 1851, comté Saguenay, Isle aux Coudres, page 21. L’énumération connue sous le nom du Recensement de 1851 a débuté officiellement le 12 janvier 1852. À l’Isle, il s’est déroulé avant le 23 janvier, car Marie Caroline Harvay, la sœur de Ferdinand née à cette date, n’y apparaît pas.

[3] B.A.C., G., Recensement de 1861, district de Charlevoix, Île-aux-Coudres, pages 137. Le recensement a débuté officiellement le 14 janvier 1861 et Ferdinand qui aura bientôt seize ans y est qualifié de cultivateur. Et : B.A.C., G., Recensement de 1871, district de Charlevoix, Île-aux-Coudres, page 1. Ce recensement a débuté officiellement le 2 avril 1871. À l’Isle, il était complété avant le 17 avril puisque Louis Didier Harvé y apparaît et il est décédé à cette date. Ferdinand y est toujours qualifié de cultivateur.

[4] C'est ainsi que les insulaires, mon père et mon grand-père y compris, désignent le port de Montréal et aussi un peu, le quartier adjacent que plusieurs d’entre eux, dont les nôtres, adopteront comme terre d’exil plus tard. Dans « DES GAGNIERS, Jean. L'Île-aux-Coudres. Montréal, Leméac, 1969. P. 41-42. ». On peut lire, Depuis la fin du dix-neuvième siècle, plus d’une centaine d’hommes quittent leur île au début de chaque printemps pour aller travailler comme débardeurs à Montréal; on les appelle les « gens du bord de l’eau ». Ils reviennent presque tous à l’automne, mais beaucoup d’entre eux finissent par s’installer à Montréal où s’est constitué un véritable quartier des « gens de l’île ».

[5] Martin, op. cit, page 176.

[6] Il s’agit de la maison Bouchard, qui est classée au répertoire du patrimoine culturel du Québec. Partie du patrimoine de la Nouvelle-France, elle est toujours existante. Il s’agit d’une maison de ferme d’inspiration française composée d’un corps de logis en pierre construit au XVIIIe siècle et d’une cuisine d’été en bois plus récente. Cette maison est située à la pointe ouest de l’Isle-aux-Coudres.

[7] ROY, Joseph-Edmond. Histoire du notariat au Canada depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jours. Lévis, Revue du notariat, 1899-1902, volume 1, p. 189 et volume 3, page 236.

[8] A.N.Q., GN. Minutier Joseph Perron, 31 janvier 1873.

[9] BAnQ., Registre de Saint Louis de l’Isle aux Coudres, 28 juillet 1874.

[10] B.A.C., G., Recensement de 1911, district de Montréal, Saint-Jacques, sous district de Saint-Jacques est, pages 5 et 6. Outre Olympe, son époux et leurs cinq enfants, on dénombre à cette adresse d’autres insulaires, neuf autres Dufour apparentés, trois Bouchard, trois Harvey, deux Gagnon et un Desgagné pour un total de vingt-quatre personnes.

[11] BAnQ., Registre de Saint Louis de l’Isle aux Coudres, 1er juillet 1878.

[12] B.A.C., G., Recensement de 1881, district de Charlevoix, sous district de l’Isle aux Coudres, pages 19 et 20.

[13] BAnQ., Registre de Saint Louis de l’Isle aux Coudres, 17 octobre 1881.

[14] Ibid., 11 décembre 1884.

[15] Il s’agit ici de la basilique Sainte-Anne de Beaupré dont la construction fut complétée en 1876 et qui fut détruite par le feu en 1922.

[16] Ibid., 1868 à 1887.

[17] A.N.Q., GN. Minutier Joseph Arthur Tremblay, 19 janvier 1887.

[18] B.A.C., G., Recensement de 1891, district de Charlevoix, sous-district de l’Isle aux Coudres, page 9.

[19] A.N.Q., GN. Minutier Charles Boivin, 7 décembre 1888. Quittance de Ferdinand Harvey à Jacob Bouchard et Cession par Ferdinand Harvey à Alfred Bouchard.

[20] B.A.C., G., Recensement de 1891, op.cit.

[21] BAnQ., Registre de Saint Louis de l’Isle aux Coudres, 5 octobre 1891.

[22] A.N.Q., GN. Minutier Charles Boivin, 9 avril 1895.

[23] Cette liste de départs établie à partir de divers actes notariés et des registres religieux n’est pas exhaustive. Il semble que d’autres jeunes gens et jeunes familles apparentées soient également partis avec eux puisque l’on retrouve la présence de certains à Saint-Félicien et Roberval entre 1895 et 1910. Leur passage au lac Saint-Jean a peut-être été éphémère, mais seules des recherches plus approfondies pourraient le déterminer. Dans le cas du frère Hercule, sa femme enceinte accouche de leur dernier enfant le 16 juin à l’Isle. Il est impossible de dire si Hercule était resté pour l’accouchement ou non ou s’il a rejoint ses frères plus tard au cours de l’été, car il sera dans la région de Roberval de 1895 à 1900. Le 15e curé Jean Alphonse Pelletier à l’Isle n’emploie pas les formules d’usages dans ses registres. Ainsi, à l’occasion il mentionnera « le père absent », mais pas toujours, et cela même quand le père n’y est pas. Dans d’autres cas, il ajoutera à la fin de l’inscription « … qui ainsi que le père n’ont su signer.. » ; encore une fois, il ne le fait pas toujours surtout dans le cas des notables qui, présumons, semble vouloir les protéger de la honte d’une telle incapacité. Hercule savait signer, s’il était présent, il ne l’a pas fait à ce baptême.

[24] Je n’ai pu retrouver l’acte notarié où la veuve de Pamphile aurait cédé ou vendu sa maison après le décès de ce dernier. Par contre, Georges Diamède Harvey (1884-1958), l’un de ses neveux, mon ancêtre, le cadet des orphelins de Joseph (1842-1887), l’un des frères décédés de Ferdinand, habitera sur ce lot une fois marié. Georges Harvey et Élida Desgagnés (1906), dans : SAVARD, Paul. Joseph Simon Savard, premier censitaire de L’Isle-aux-Coudres. Sainte-Foy, Éditeur Paul Savard, 1998, page 211.

[25] Récit de famille.

[26] On ne sait pas si Hercule fit venir le reste de sa famille par la suite, mais on le présume. Une source non vérifiable mentionne qu’il se serait installé à Saint-Félicien ce qui est possible, car en 1899, son fils aîné y sera parrain au baptême de l’une des filles de sa cousine Marie Éléonore dite Olivine Harvay qui y demeure également. De plus, Hercule se présentera avec ce même fils devant un notaire en juin 1900 à Roberval pour liquider ses biens avant son départ pour Saint-Grégoire de Montmorency où il ira s’établir avec sa famille au cours de l’été.

[27] A.N.Q., GN. Minutier Israël Dumais, 6 mai 1895.

[28] BAnQ — Saguenay, Fonds Euloge Ménard. Euloge Ménard est né à Baie-Saint-Paul en 1836. Pauvre et orphelin, il débute au Saguenay comme colporteur, et voyage en canot avec un « Indien ». Il suit la route de la colonisation, passant de Saint-Alexis à Hébertville puis à Roberval. M. Ménard tient un commerce dans cette localité de 1861 à 1895, année de son décès. Son épouse, née Mathilde Delisle, poursuit l’exploitation du commerce jusqu’en 1922. M. Ménard a été maire de Roberval en 1872 et 1873. Premier bourgeois de cette municipalité, mort à 58 ans, son nom survit aujourd’hui grâce à l’entreprise « Le bois Ménard ». Il a aussi donné son nom à la rue Ménard et à la célèbre maison Ménard, reconnue comme monument historique.

[29] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame du Lac, 18 novembre 1895.

[30] Les informations relatives à l’histoire du développement de Roberval ont été tirées de publications produites par la Société d’histoire Domaine-du-Roy.

[31] A.N.Q., GN. Minutier Israël Dumais, 2 mars 1896. Plusieurs transactions notariées ont été enregistrées au nom de Ferdinand Harvey entre 1896 et 1910. Deux Ferdinand Harvey habitent Roberval à l’époque, Ferdinand marié à Zénobie demeurant au village de Roberval et Ferdinand (1837-1908) marié à Euphémie Alphonsine Paradis, cultivateur du canton nommé Roberval & Charlevoix (Val Jalbert). Seules les transactions pouvant clairement être associées à la famille de Ferdinand et Zénobie ont été prises en considération dans le texte. Pour plusieurs, il ne fut pas possible de trancher.

[32] En assumant que le couple est arrivé à Roberval en 1895, car c’est en 1894 que l’on y installait le réseau de téléphone.

[33] Le canton Charlevoix prendra par la suite le nom de Saint-George-de-Ouiatchouan (1901) puis de Val-Jalbert (1913).

[34] A.N.Q., GN. Minutier Israël Dumais, 27 septembre 1897.

[35] A.N.Q., GN. Minutier Israël Dumais, 30 juillet 1898. Vente par Ferdinand Harvey à la corporation du village de Roberval.

[36] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac de Roberval, 18 octobre 1898.

[37] Ibid., 8 novembre 1898.

[38] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 10 juillet 1899. Baptême de Joseph Albert Imbeau (1899-1952).

[39] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac de Roberval, 8 août 1899. Baptême de Joseph Francq Harver.

[40] A.N.Q., GN. Minutier Timothée Dufour dit Latour, 9 juillet 1897.

[41] A.N.Q., GN. Minutier Timothée Dufour dit Latour, 14 et 15 août et 2 novembre 1899.

[42] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 14 mai 1900.

[43] B.A.C., G., Recensement de 1901, district de Chicoutimi et Saguenay, sous-district de Roberval village, page 19.

[44] A.N.Q., GN. Minutier Flavien Coulombe, 8 juin 1900.

[45] GIROUX, Émile. L’œuvre mariste canadienne (Frères maristes) - La province mariste du Canada, Iberville, Volume III, 1976, page 104.

[46] LECLERC, Manon et Caroline Marcoux. Roberval, la vie au bord du Lac, circuit patrimonial, sur les traces de nos bâtisseurs. Roberval, Société d’histoire Domaine-du-Roy et Ville de Roberval, 2013, page 30. C’est en 1897 que la communauté des Frères maristes construit sa première école à Roberval.

[47] B.A.C., G., Recensement de 1901, district de Charlevoix, sous-district de l’Isle aux Coudres, page 2.

[48] B.A.C., G., Recensement de 1901, district de Chicoutimi et Saguenay, sous-district de Roberval village, page 19.

[49] BAnQ., Registre de la paroisse Saint Louis de l’Isle aux Coudres, 17 avril 1903.

[50] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac de Roberval, 18 juillet 1903. Baptême de Joseph Marcel Armand Harvey.

[51] A.N.Q., GN. Minutier Joseph Onésime Paré, 25 juillet 1903.

[52] La grand-mère de Ferdinand, Marie Anne Tremblay avait été choisie comme marraine du premier enfant de Bonaventure Mailloux et Félicité Bouchard. On se souviendra que Bonaventure, petit-cousin par la mère du grand-père de Ferdinand était un voisin de la famille et avait été le parrain de Marie Anne Hervé, la tante de Ferdinand.

[53] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac de Roberval, 18 septembre 1904. Baptême d’Alfred Harvey.

[54] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Félicien, 10 mars 1903. Baptême de Louis Arthur Dominique Harvey.

[55] A.N.Q., GN. Minutier Israël Dumais, 4 mai 1905.

[56] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac de Roberval, 21 mai 1906.

[57] Ibid. 19 août 1873. Mariage de Denise Bouchard, fille de Vital et sœur d’Élie.

[58] A.N.Q., GN. Minutier Georges Antoine Saint-Pierre, 6 octobre 1906 et minutier Israël Dumais, 24 octobre 1906.

[59] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Joseph de Montréal, 10 octobre 1904.

[60] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Joseph de Chambly, 26 avril 1906.

[61] CHARLAND, Jean-Pierre. Les portes de Québec : Faubourg Saint-Roch. Montréal, éditions Hurtubise, 2007, page 91.

[62] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Joseph de Montréal, 9 septembre 1907.

[63] BAnQ., L’Action sociale, 1er août 1908.

[64] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac de Roberval, 27 septembre 1908. Bien que l’oncle Marcel est également résident de Roberval, il n’est pas mentionné au registre également.

[65] B.A.C., G., Recensement de 1911, district de Chicoutimi et Saguenay, sous-district de Roberval, page 9. Xavier Larouche domestique.

[66] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Enfant-Jésus de Montréal, 27 juin 1910.

[67] B.A.C., G., Recensement de 1911, district de Chicoutimi et Saguenay. Ils ne sont pas non plus recensés chez l’un de leurs enfants à Montréal. Ni au 395 de la rue Marie-Anne où Marie Archange, qui vient d’accoucher d’Alice, vit avec son mari, non plus que chez Didier.

[68] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac de Roberval, 29 novembre 1911.

[69] BEAULIEU, Carl. « Scott, Benjamin Alexander ». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1966, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2005, 15 volumes, volume XV (Décès de 1921 à 1930).

[70] BAnQ., Registre de la paroisse Très-Saint-Nom de Jésus, 1er septembre 1918. Baptême d’Arthur Gaston Harvey.

[71] B.A.C., G., Recensement de 1921, district de Maisonneuve, sous-district quartiers Mercier-Maisonneuve, page 13.

[72] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Montréal, 6 septembre 1928. À l’époque, les sépultures au cimetière étaient toutes rattachées au registre de la paroisse Notre-Dame de Montréal.

[73] Ibid., le 28 août 1933.

[74] Ibid., 3 octobre 1934.