08. Les premiers à l’Isle

Les premiers habitants de L’Isle-aux-Coudres (... 1722) 

Avant que Jacques Cartier n’y débarque en 1535, l’île n’était pas habitée, mais des Basques provenant d’Espagne et des tribus amérindiennes venaient parfois y pratiquer la pêche au marsouin ou à la morue.  Depuis les débuts de la colonie, l’Isle-aux-Coudres n’a guère servi que de rade, un lieu de refuge et d’attente pour les navires français voulant profiter d’une mer et de vents adéquats.  Il y a bien eu une brève période entre 1677 et 1687 où Étienne de Lessart, à qui l’île appartenait à l’époque, avait concédé les droits de coupe à des gens comme Pierre Laforest dit Labranche, mais à part cela, cette île était restée déserte.  Les premiers censitaires qui s’installent à l’Isle, avant 1730, appartiennent tous à la première génération née en Nouvelle-France contrairement à leurs parents qui tous sont nés en France.

Il est impossible de savoir avec précision en quelle année chacun des premiers colonisateurs s’est installé sur l’île. Ce qui est certain cependant c’est que le 5 avril 1721 il y avait à tout le moins « … sur le bout d’en haut de la ditte isle aux Coudres,… cinq chefs de famille résidens »[1] et que le 2 juillet 1722 il y en avait assurément six.

Qui étaient-ils ?

Probablement…

Joseph Simon Savard (1689-1755), François Xavier Tremblay (1695-1755) et Jean Laforest dit Labranche (1682-1733)[2], Joseph Amiot, dit Villeneuve (1696-1722)[3], François Rousset (1675-1731)[4] et Étienne Debien (1691-1766)[5]Joseph Amiot dit Villeneuve qui avait commencé à mettre sa terre en valeur décédera le 8 août 1722[6]

La tradition veut que Joseph Simon Savard ait été le premier colon avec femme et enfants.  Je n’ai pas l’intention de contester cette prétention, même si je n’en ai trouvé aucune preuve formelle.  Je ne veux surtout pas répéter, comme tant d’autres à ce sujet, l’aventure épique rapportée par le grand vicaire Mailloux[7] cent soixante ans plus tard et qui relève de la fable presque autant que la légende relative au Père Labrosse[8].  Le cinéaste, poète, et dramaturge Pierre Perrault (1927-1999), dans son livre suprême, reprend cette épopée pour la diluer dans une grande envolée poétique, mais il a d’abord la précaution d’affirmer : « Ni les écritures cadastrales ni les mémoires oublieuses n’en sauront rien jamais...[9] »

À l’appui de l’allégation plaçant Savard en premier, on cite généralement une note qui aurait été écrite en marge du registre de 1743 de la paroisse Saint-Louis-de-France relative au mariage de « brigide Savard à Barthelemy terrien ».  Contrairement à ce que prétend cette légende écrite par Alexis Mailloux, le mariage de Brigitte Savard n’a pas eu lieu en 1743, mais plutôt le 21 novembre 1746[10].  

Plus important encore, cette prétendue note n’apparaît pas sur la copie civile du registre établit et présenté en 1750 par le curé Charles Garrault (1724-1794) [11] «pretre missionnaire faisan les fonctions curiales enla paroisse de StLouis de Lisle aux Coudres pour servir à l’enregistrement des mariages, baptêmes et sépultures »[12].  

Pour écrire son histoire Mailloux n’a pas lui-même consulté le registre.  Plusieurs erreurs de chronologies et de générations, dont certaines d’une cinquantaine d’années sont contenues dans le manuscrit de Mailloux comme nous le verrons.   De son propre aveu dans ce cas-ci il dit avoir basé son propos sur la foi d’une lettre que lui aurait écrit « … le curé de l’île aux Coudres, à la date du 6 avril 1870… » et où l’on retrouverait cette phrase : « On trouve au répertoire du premier registre à l’année 1743, le mariage de Barthélemi Thérien et de Brigitte Savard avec la remarque que Brigitte Savard est la première personne née sur l’Île.»  Il est probable que le curé de l’île en 1870 n’ait pas lui non plus consulté le registre et a écrit ses mots sur la foi de la tradition orale puisqu’il situe le mariage de Brigitte Savard en 1743 alors qu’il eut lieu en 1746, trois ans et sept feuillets plus tard dans le registre.

Deux cent vingt-cinq ans après la naissance de Brigitte, un autre auteur, Damase Potvin, répète les propos de Mailloux sans les vérifier : « Brigitte fut le premier enfant né sur l’Îsle-aux-Coudres » et il étire l’histoire en affirmant que Brigitte est « sans doute »[13] l’aînée de la famille alors qu’en fait elle vient en cinquième position.  Peut-on se permettre de sourire ? 

À la naissance de l’enfant précédent, Dorothée au printemps 1718, les parents sont déclarés résidents de L’Isle-aux-Coudres, mais on peut présumer que la mère, enceinte, avait passé l’hiver en sécurité à Baie-Saint-Paul ou à Petite-Rivière-Saint-François.  On peut également penser qu’en cette année préhistorique de l’île, Joseph Simon n’habitait les lieux que pendant l’été où que, s’il y était pendant l’hiver avec trois enfants, il y eût là d’autres habitants.

Il faut surtout noter qu’au printemps 1720, en plus de Brigitte Savard née le 8 avril et baptisée le 19 mai, deux autres baptêmes concernent des enfants dont les parents sont résidents de l’île d’après le registre.  Dans le premier cas, le baptême précède même la naissance de Brigitte alors que le 30 mars, on baptise Geneviève, fille de François Tremblay née le 20 mars.  Dans le second cas, on baptise Louis, fils de Jean Laforest dit Labranche le 29 juin alors que cet enfant était né en septembre 1719

Je préfère donc sacrifier l’image épique d’Ulysse (Savard) affrontant les glaces dans son canot primitif, avec un serviteur et une sage-femme pendant que Pénélope (Morel) accouche d’un enfant seule sur l’île en hiver.

La logique incite plutôt, malgré son manque de poésie, à imaginer que la colonisation d’une île encore vierge et isolée tout l’hiver par les glaces n’a sans doute pu être réalisée que par un groupe d’hommes qui s’entraidaient et prenaient le temps de construire des abris suffisants avant d’y emmener leurs épouses avec de jeunes enfants.

L’installation progressive des six premières familles s’est déroulée entre 1716[14] et 1722 et je crois avoir identifié ces premiers colons par l’étude des documents suivants :

1.    Les registres des naissances des paroisses de Baie-Saint-Paul et de Saint-Augustin nous fournissent plusieurs indices :

a)     La mention « résidant de L’Île-aux-Coudres » est incontestable lorsqu’elle est écrite au sein d’un acte de naissance, mais il n’est pas certain que l’enfant soit né sur l’île et, en fonction des saisons, sa signification peut franchir une période de près d’une année.

b)     Il est fort possible que cette précision ait été parfois oubliée, mais un écart de plusieurs mois entre le jour de la naissance et celui du baptême peut être significatif, surtout s’il implique la saison hivernale dans le cas qui nous intéresse. Les curés missionnaires se déplaçaient souvent pour administrer les sacrements l’abbé Jacques Leblond n’est-il pas décédé en juillet 1715 lors d’une épidémie au retour de Tadoussac où il avait « baptisé 20 peitits sauvages et assisté plusieurs personnes à la mort.[15]», mais les glaces épaisses et mouvantes du fleuve devaient refroidir leur ardeur à la tâche.

c)     Les mentions « missionnaire » et surtout « faisant fonction curiale » à la suite de la signature du curé peuvent suggérer que son ministère s’accomplissait en dehors de son port d’attache.  Ceci, malgré un apparent manque de rigueur, est particulièrement significatif dans le cas d’André Jorian entre 1715 et 1724; son successeur, Jacques Lesclache, utilisera systématiquement l’expression passe-partout de « prêtre missionnaire » et ne mentionnera que rarement le lieu de résidence.

2.    L’état plus ou moins avancé du défrichement des terres tel que décrit en 1738[16] est un élément particulièrement significatif.  Il est en effet logique de supposer que l’importance de la surface défrichée au cours des vingt premières années témoigne du temps qui a été consacré à cette tâche.

3.    L’ordre de disparition du nom des hommes qui nous intéressent de la liste des employés du Séminaire au domaine de Baie-Saint-Paul[17] peut correspondre à leur installation à L’Isle-aux-Coudres.

4.    Le lien de parenté avec la famille de Louis Tremblay semble avoir été, dans ce cas, un élément déclencheur relié à l’âge des individus et à l’ordre des mariages.

5.    Les vieilles cartes illustrant les premières concessions comportent des éléments douteux, mais les concordances entre elles sont particulièrement significatives.

6.    Comment, d’autre part, ne pas tenir compte de la règle qui veut que les premiers arrivés soient les premiers servis en ciblant ceux qui occupent les plus belles terres, celles qui offrent une grande surface presque au niveau de la marée haute, qui sont arrosées par quatre des très rares cours d’eau de l’île et qui sont les mieux situées pour la pêche aux marsouins.

À lui seul, aucun de ces indices ne peut apporter une certitude, mais il est remarquable de constater jusqu’à quel point leur combinaison et l’intuition du chercheur peuvent créer un tableau clair et vivant de la genèse de cette colonisation. C’est une démarche intellectuelle difficile à décrire dans ses détails ; toute tentative aboutirait d’ailleurs à la création d’un texte ennuyeux et l’énumération qui précède l’est déjà suffisamment.

Le lecteur curieux pourra refaire l’exercice avec les documents pertinents qui sont tous cités.  Comme moi, il en viendra probablement à la conclusion que les six familles résidant à L’Isle-aux-Coudres en 1721 étaient celles de François Xavier Tremblay, François Rousset, Joseph Simon Savard, Étienne Debien, Jean Laforest dit Labranche et Joseph Amiot dit Villeneuve tel que mentionné précédemment. 

Allons donc voir où à l’Isle en 1722 où demeuraient les six nommés. 

https://sites.google.com/site/histoiredesharveyquebecois/4--sebastien-herve-defricheur-et-colonisateur-en-nouvelle-france-1695-1759/08-les-premiers-habitants-de-l-isle-aux-coudres-1722/FIGURE%20108%20CARTE%20DE%20L%C3%8ESLE%20AUX%20COUDRES%20DE%201722.jpg?attredirects=0

À cette étape, de mon récit je sens le besoin d’amener le lecteur en excursion sur l’île afin de le situer géographiquement, car je pense pouvoir apporter des précisions que personne, jusqu’à maintenant, n’a eu le souci de rechercher.  Ce sera probablement un voyage virtuel au moyen d’une carte de l’époque et d’une carte touristique pour les termes toponymiques, mais, si c’est possible, pourquoi ne pas aller poursuivre (ou reprendre) la lecture sur place ; on ne se lasse pas d’aller se relaxer dans ce petit paradis de Charlevoix.



À partir du moment où le traversier, le Joseph-Savard peut-être, quitte la côte de Saint-Joseph-de-la-Rive, faisons l’effort de tout observer comme si nos yeux s’ouvraient subitement au début du dix-huitième siècle. Pour cela, il sera nécessaire d’effacer les repères d’aujourd’hui aussitôt qu’ils auront servi.

Regard tourné vers l’arrière on distingue mieux, en s’éloignant, le plateau de Saint-Joseph-de-la-Rive[18] qui fut le berceau de la seigneurie des Éboulements. C’est là que Pierre Tremblay fils (1660-1736) construit les bâtiments de sa seigneurie pour assurer l’avenir de ses nombreux enfants. Vers l’ouest, au-delà de Baie-Saint-Paul dont la profondeur devient de plus en plus perceptible, le village de Petite-Rivière-Saint-François est à peine visible et l’on prend conscience de la distance qui sépare l’Isle de cette agglomération mère ; on peut imaginer les dangers que pouvait représenter la circulation dans de lourds canots, de bois de fabrication artisanale, difficiles à manœuvrer.

À mesure que nous approchons du quai il est malaisé d’effacer la massive construction d’Industries Océan qui nous accueille pour imaginer que nous abordons l’Isle au pied d’une falaise abrupte dans une région, inhabitée en 1722, mais l’important est de filer vers le secteur du Cap-à-la-Branche où nous attendent les premiers insulaires. 


En route, remarquons au passage la Croix du Cap (ou Croix des Marins) marquant le début de cette côte qui a pris le nom du cap au dix-huitième siècle.

Arrêtons-nous à l’angle du Chemin de L’Islet et continuons la lecture tournée vers le centre de l’île.  C’est près d’ici, à la Roche-à-Caya que je viens pique-niquer chaque année en souvenir de l’été 1994 où j’étais (Jacques Harvey) venu avec mon père, deux ans avant son décès.  Il m’avait dit: « Je me plais à imaginer que tous mes ancêtres, Timothée, Grégoire, George, Louis et Dominique fils de Sébastien ont joué, petits garçons, autour de cette grosse roche ».

Nous sommes en 1722 sur la terre de François Xavier Tremblay[19] où le fils aîné de Louis a choisi le meilleur emplacement : devant nous, sur un demi-kilomètre, s’étend une grande surface plane à défricher avant d’atteindre la première dénivellation qui monte en douceur sur les hauteurs de l’île. Dans la direction opposée, une longue pointe riche en « foin de grève », offre une denrée gratuite pour les animaux[20] en attendant la terre labourable. Cette remarquable pointe de terre en forme de virgule, que l’on nomme L’Îlette[21], facilite aussi l’accès à des battures avantageuses pour la « pêche à marsoin »[22], une industrie sur laquelle on mise beaucoup.  Depuis 1686, on vient y tende la « pêche à marsoin » au large de cette fameuse pointe de terre.

Ce premier choix accordé à François Xavier, fils de Louis Tremblay, s’explique par l’importance sociale (relation du grand-père Pierre Tremblay avec le Séminaire de Québec) et démographique de la famille Tremblay à cette époque. Son père Louis Tremblay, en partie peut-être à cause de sa récente orientation vers la pêche aux marsouins, a choisi L’Isle-aux-Coudres pour établir ses enfants pendant que Pierre, l’aîné de la famille, fils de Louis Tremblay également, est devenu seigneur des Éboulements et que l’espace à Petite-Rivière-Saint-François ne sera même pas suffisant pour les enfants de ses deux autres frères.

Tout se passe comme si François-Xavier, agissant à titre de « parrain » d’un nouveau clan familial, occupait la position centrale et stratégique[23].

Vers la gauche, vis-à-vis la Butte-à-Caya au-delà du terrain de jeux, c’est la terre[24] du beau-frère de François Xavier Tremblay, François Rousset[25], suivie de celle de son cousin et oncle par alliance, Joseph Simon Savard.  Pour mieux nous situer, notons que la terre de Joseph Simon est arrosée par le ruisseau de la Ferme[26] qui se jette dans le fleuve à une centaine de mètres du pied de la côte montant vers le Cap-à-Labranche à l’embranchement du Chemin-des-Prairies.

Du côté droit deux terres plus étroites ont été réservées, la première pour son frère cadet, Louis[27] et l’autre, marquée aujourd’hui par l’ancien restaurant la Mer Veille[28], pour son ami et notre ancêtre Sébastien Hervé[29] qui deviendra son beau-frère à l’automne. Le ruisseau de la Mare arrose le coin nord-ouest de ce domaine[30]. L’autre voisin de Sébastien est aussi un beau-frère, Étienne Debien (1691-1766) qui, dans quelques années occupera un immense domaine en ajoutant à la sienne la terre de cinq arpents qui, pour l’instant, commence (peut-être) à être exploitée par Thomas Laforest dit Labranche[31] (1685-1762) et qu’on peut situer approximativement au pied du belvédère appelé Centre d’observation Les Voitures d’Eau.

Les terres basses sont donc occupées par quatre résidents, François Xavier Tremblay, François Rousset, Étienne Debien, Joseph Simon Savard et par deux parents et un ami qui s’installent soit, Louis Tremblay fils (1703-1757), Sébastien Hervé et Thomas Laforest dit Labranche. Ils ne sont cependant pas seuls à coloniser l’Isle.  Ce noyau central sera encadré sous peu par les deux frères Bonneau dit Labécasse, de lointains cousins de François Xavier par alliance.  Pour l’instant, au sud-est, c’est Dominique Bonneau dit Labécasse (1691-1755) qui s’installe sur la rivière Rouge.  Il n’en a pas pour bien des années avant de rétrocéder au Séminaire une pointe de dix arpents qui deviendra le cœur de la paroisse Saint-Louis avec la construction d’une église[32].

De l’autre côté, sur le début des hauteurs entre le ruisseau de la Ferme et le ruisseau George-Harvey, l’autre voisin de Joseph Simon Savard est Joseph Amiot dit Villeneuve.  Joseph Amiot décédera le 8 août 1722, un mois après la naissance de son fils Joseph (1722-1755)[33].  Sa veuve, Louise Bouchard, épousera Jacques Bonneau dit la Bécasse, un autre lointain cousin de François Xavier par alliance[34] le 19 avril 1723.  Ce Jacques Bonneau dit la Bécasse qui s’installera avec la veuve de Joseph Amiot dit Villeneuve en plus d’être le frère de Madeleine Bonneau (1698-177), la cousine par alliance de François Xavier, devient donc son beau-frère[35].

Tout ce qui précède constitue un tableau bien dessiné par des documents de concessions authentiques, mais, dans le décor, une pièce n’a pas encore trouvé sa place.  Elle concerne pourtant des individus incontournables, car Jean Laforest dit Labranche et son épouse Marie Angélique Rancourt étaient résidents de l’île lors du baptême de leur fils Louis en juin 1720, un enfant né au mois de septembre précédent[36].  Il est intéressant de noter également que le parrain de l’enfant n’est autre que François Xavier Tremblay, celui qui semble être le personnage central de cette colonisation.

Cap-à-la-Branche ou Cap-à-Labranche

Je me permettrai d’émettre ici une hypothèse crédible à propos de Jean Laforest (dit Labranche) et concernant un important terme de toponymie de l’Îsle-aux-Coudres : le Cap-à-la Branche.

Une publication de la Commission de toponymie du Gouvernement du Québec propose, outre « la grosse branche qui s’élançait du haut du cap » (??) « qu’il s’agit plutôt du nom d’un insulaire, Joseph Labranche dit Laforest, qui a acquis une concession sur l’île le 13 mars 1757 »[37].  Même cette deuxième hypothèse est difficilement crédible si on considère que dès le milieu de ce siècle l’arpenteur Plamondon utilisait déjà, pour la même portion de l’île, les expressions de « Bout d’en haut »[38] ou de « Cap à la Branche »[39] ; d’autre part, la fréquentation des documents manuscrits de l’époque nous incite à ne pas accorder beaucoup d’importance à la manière d’écrire les noms et surtout les surnoms comme la Branche ou Labranche.  Les termes toponymiques principaux de L’Isle-aux-Coudres sont très anciens et la deuxième côte habitée au cours de la première moitié du dix-huitième siècle portait déjà le nom de La Baleine dans l’aveu et dénombrement signé par le supérieur du Séminaire, François-Elzéar Vallier, en 1738.

Voici mon hypothèse.  Dès le début des années vingt (du XVIIIe siècle) Jean Laforest dit Labranche était surtout un employé des autres occupants, ou peut-être seulement de François Xavier Tremblay, et qu’on lui « concédait » une propriété à défricher au-delà de la terre de Labécasse en un lieu qu’on prit, dès l’époque, l’habitude d’appeler : « le cap à Labranche ».  À l’appui de cette allégation, il faut surtout noter les faits suivants :

1.    L’histoire du père des Laforest en est une de pauvreté[40] et, contrairement à plusieurs ancêtres de cette époque, il n’a certainement rien laissé à ses enfants pour qu’ils s’établissent facilement.

2.    Père de plusieurs enfants, Jean avait été employé à bas salaire pendant plusieurs années par le Séminaire et il n’avait pu, comme le célibataire Sébastien, aller dans « les pays d’en haut » pour en rapporter l’argent nécessaire à l’investissement.

3.    Il est originaire de Cap-Saint-Ignace sur la Rive-Sud, région d’où vient l’expertise pour la chasse aux marsouins.  Il peut donc être utile à une industrie qui ne se conçoit que pour un groupe de travailleurs suffisamment important.

4.    Son frère Thomas, récemment venu de la ville de Québec[41], ne parviendra pas à s’ancrer sur la terre qui lui sera concédée en 1728.  Il la cédera à Charles Pilote[42] et après un retour à Baie-Saint-Paul, il reviendra près de son frère Jean au Cap-à-Labranche où, en 1738 ni l’un ni l’autre ne possédera une étable et leurs habitations seront qualifiées de « maison en pieux debout », expression qui, dans le papier terrier signé par le supérieur Vallier et l’intendant Hocquart[43], n’est pas utilisée pour les autres habitants du bout d’en haut lesquels jouissent tous d’une étable. 

Comme à toutes les époques de l’humanité la genèse de L’Isle-aux-Coudres témoigne, semble-t-il, d’une société hiérarchisée.  À côté de la « noblesse » Tremblay ancrée dans la région de Charlevoix par le Séminaire depuis quelques décennies et de ceux qui lui sont apparentés par un jeu d’alliances, les Laforest essaient de s’implanter cahin-caha et, revanche de l’histoire, imposent leur surnom pour des siècles.

En effet, si l’on observe une carte touristique de L’Isle-aux-Coudres aujourd’hui, un seul des noms cités dans ce chapitre nous saute aux yeux et c’est celui de CAP-À-LA-BRANCHE. 

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[1] BAnQ., « Procès-verbaux sur la commodité ou l'incommodité dressés dans chacune des paroisses de la Nouvelle-France par le procureur général Mathieu-Benoît Collet », 5 avril 1721.  Rapport de l’Archiviste de la province de Québec pour 1921-22, pp. 264-380.  Le rapport étant daté du 5 avril, il est évident que Collet ne s’est pas rendu à l’Isle à travers les glaces pour y faire le compte des colons.  La pointe du bout d'en haut signifie le Cap à la Branche, l’extrémité sud-ouest de l’Isle aux Coudres. 

[2] Pour ces trois chefs de famille, il existe un registre de naissance d’un de leurs enfants portant la mention   « résidant de l’Isle aux Coudres ».  Dans : BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de Baie-Saint-Paul, 3 juin 1718, 20 mars 1720, 29 juin 1720.

 [3] Pour ce chef de famille, le registre de baptême de son fils, Joseph rédigé par le missionnaire de passage Louis Maufils (1697-1743), porte la mention « habitants de LIsle aux Coudre ».  Dans :   BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Augustin, 2 juillet 1722. 

[4] Le Séminaire a racheté sa terre de Baie-Saint-Paul en 1716.

[5] Le patronyme qui a son arrivé à l’Isle s’écrivait Debien, selon le registre de baptême du premier arrivant, se retrouvera sous plusieurs formes au cours des années que nous passerons sur cette petite île.  Tantôt Debien, Debiens, Desbien ou Desbiens dans sa forme la plus connue au début du XXe lorsque nous quitterons l’Isle.  Il est écrit dans le texte dans la forme retrouvée dans le registre au moment d’un événement.  Gardons en tête par contre que la souche familiale est la même pour toute l’Isle.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Augustin, 8 août 1722.

[7] MAILLOUX, Alexis. Histoire de l’Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu’à nos jours. Avec ses traditions, ses légendes, ses coutumes. Montréal, La Compagnie de lithographie Burland-Desbarats, 1879, page 13.  

[8] Ibid., page 60.  Voir aussi le panneau d’interprétation près de la croix au bout du chemin de l’Islet à L’Isle-aux-Coudres. 

[9] PERREAULT, Pierre. Nous autres icitte à l'île. Montréal, Éditions l'Hexagone, 1999, page 88. 

[10] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France, 21 novembre 1746. 

[11] De son nom complet, Charles Maugue-Garaut de Saint-Onge, il fut ordonné en 1747 devint le premier curé de l’Isle.

[12] BAnQ., Registre de la paroisse Saint Louis.  Copie du registre de St Louis (1741-1750) certifiée le 2 mars 1750 par François Daine, lieutenant général civil et criminel de la Prévôté de Québec. 

[13] POTVIN, Damas. Le Saint-Laurent et ses îles. Les Éditions Garneau, 1945, page 132. 

[14] Date vraisemblable, car c’est cette année-là que le Séminaire rachète les terres de François Rousset et de Joseph Simon Savard à Baie-Saint-Paul.

[15] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de Baie-Saint-Paul, 29 juillet 1715. 

[16] BAnQ., Aveux et Dénombrement, Vol 2, folio 605-610 [Fief de l’Isle aux Coudres] 1738. 

[17] A.S.Q., Grand-livre des comptes, (déjà cité).

[18] « Le mont des Éboulements fut, en 1663, le lieu d'un important glissement de terrain provoqué par un tremblement de terre, ce qui contribua à façonner le visage particulier de cet endroit. »  Ce plateau est né de l’éboulement survenu lors du séisme de 1663 de 7,0 sur l’échelle de Richter. Dans : RANDONNÉES NATURE-CHARLEVOIX. Fiche technique de l'astroblème de Charlevoix. [En ligne]. http://randonneesnature.com/html/CratereSpec.html   [page consultée le 5/12/2013].

[19]  A.S.Q., Seigneurie 46, No 4f. « Quatre arpents et demi par cinquante de profondeur ».

[20]  Ces prairies de grève de l’Isle-aux-Coudres seront d’ailleurs une pomme de discorde près de cent ans plus tard. Le Séminaire, qui en a toujours gardé la propriété, accordera officiellement la permission de les faucher (1801, A.S.Q. seigneurie 46, No 20 D) et devra révoquer cette permission (1813, seigneurie 46, No 20 B).

[21]  L'Îlette est une péninsule de l’extrémité́ ouest de l’Isle-aux-Coudres. 

[22] Voir, à la pointe de cette virgule, le panneau d’interprétation rédigé à la suite du tournage du célèbre film de Pierre Perrault: Pour la suite du monde.

[23] C’est ici que le lecteur curieux ou méticuleux sentira le besoin de revenir à la liste des pionniers établie à la fin de la section intitulée Sébastien à Baie-Saint-Paul (1712 à 1717)

[24] A.S.Q, Seigneurie 46, No 3 D.  « Quatre arpents de front sur cinquante de profondeur ».

[25] Devenu veuf en 1717, François Rousset a épousé Louise Tremblay en 1720.  Louise est de deux ans la soeur cadette de François Xavier.

[26] Dans cette partie de l’Isle, on trouve plusieurs ruisseaux; du nord au sud, ce sont le Ruisseau Georges-Harvey (autrefois la rivière ou ruisseau des Pruches), le Ruisseau de la Ferme, le Ruisseau de la Mare et la Rivière Rouge (certains de ces noms sont contemporains à l’époque étudiée).

[27] A.S.Q., Seigneurie 46, No 4 f.  Confirmé par le document original de la concession accordée à François.

[28] Le Restaurant La Mer Veille, fermé aujourd’hui, était situé au 160 du Chemin des Coudriers. 

[29] A.S.Q., Seigneurie 46 No 5 f.  Contrat de concession.

[30] Ce cours d’eau a eu les noms de ruisseau Mailloux et de rivière de la Mare avant de recevoir celui de ruisseau de la Mare qui figurait sur une carte du ministère de la Colonisation en 1926.

[31] A.S.Q., Seigneurie 46, No 6c. Voir le contrat de concession de 1728 et la note ajoutée en 1736 par François-Elzéar Vallier, supérieur du Séminaire à partir de 1734.

[32] A.S.Q., Seigneurie 46, No 6E.

[33] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Augustin, 2 juillet 1722. 

[34] Voir la liste des pionniers établie à la fin de la section intitulée Sébastien à Baie-Saint-Paul (1712 à 1717)

[35] Jacques Bonneau épouse, en avril 1723, Louise Bouchard (1701-1735), soeur de l’épouse de François-Xavier, Marie Madeleine Bouchard.  Louise Bouchard avait épousé en première noce en 1717 Joseph Amiot dit Villeneuve.  Joseph Amiot était l’un des premiers habitants de l'île qui décéda en août 1722. 

[36] BAnQ., Registre de la paroisse de Baie-Saint-Paul, 26 juin 1720.

[37] LAMARRE, Guy.  Itinéraire toponymique de Québec en Charlevoix. Québec, éditions du gouvernement du Québec, Commission de toponymie, 1983, 72 pages.

[38] A.S.Q., Seigneurie 46, No 20 c. 

[39] A.S.Q., Seigneurie 46, No 23. 

[40] Voir la biographie écrite par le père Gérard Lebel, Nos ancêtres, Vol 9, Sainte-Anne-de-Beaupré, 1984, p. 96. 

[41] Voir la liste des pionniers établie à la fin de la section intitulée Sébastien à Baie-Saint-Paul (1712 à 1717)

[42] A.S.Q.  Seigneurie 46, Nos 6 c. et 6c (bis). 

[43] BAnQ., Aveux et Dénombrement, Vol.2, fol 605-610, Fief de l’Îsle-aux-Coudres, 1738.