1. Charlotte Hervé

4.3.2.1 Charlotte Hervé (1751-1822), 4e génération

 

Zacharie Sébastien et son épouse Marie Charlotte Tremblay, sa petite cousine, n’auront pas perdu de temps. Marié depuis juillet 1750, c’est au printemps suivant, le 27 avril 1751, que Marie Charlotte accouche de leur unique enfant.  L’Isle-aux-Coudres est sans curé depuis le 7 juillet 1750[1], mais un missionnaire récollet, François Denys Baron (1716-1758)[2], est arrivé sur l’île l’automne précédent. Il s’y est plu et est resté tout l’hiver.  Charlotte Hervé est donc baptisée le jour même par ce dernier.  C’est à Gabriel Dufour, le mari de sa cousine Geneviève Tremblay, que Zacharie Sébastien confie le rôle de parrain.  Il est avéré qu’en ce temps de conflit en Nouvelle-France, le papier se fait rare encore une fois en 1751, mais ce n’est assurément pas la raison pour laquelle le missionnaire qui procède au baptême épargne les mots dans les pages de son cahier, en identifiant la marraine du simple prénom de Marie.  Bien qu’elle porte le patronyme de Bouchard, ce n’est pas suffisant pour l’identifier. Il y a deux familles Bouchard à l’Isle, celle d’Antoine et celle de François qui ne cumulent pas moins de sept Marie Bouchard.  La mention du deuxième prénom permettrait aujourd’hui d’identifier la marraine ; dans un pays où le spirituel était géré par des hommes en soutane, toutes les femmes pouvaient bien s’appeler Marie.  Comme le missionnaire François Denys Baron n’est que de passage, on lui pardonnera ce raccourci[3]

Au lendemain de la conquête et à douze ans, Charlotte Hervé est choisie comme marraine d’un enfant de sa tante Geneviève Savard, mariée à l’oncle Dominique Hervé.  La petite, nommée Marie Anne Hervé, née le 3 décembre 1762, a déjà quatre mois lorsque Charlotte la porte à son baptême.  Les glaces étant prises pour l’hiver sur le fleuve, on avait dû attendre au 11 avril 1763 pour procéder au baptême.  Le curé Louis Chaumont de la Jannière de Baie-Saint-Paul prénomme la marraine Marie Charlotte, alors que Charlotte ne fut jamais prénommée ainsi à son propre baptême.   À cette époque, les ecclésiastiques tentaient de faire entrer dans la coutume le port des prénoms Marie et Joseph pour les nouveau-nés.  Comme l’Isle est sans curé depuis 1750, c’est le curé de la baie Saint-Paul qui assume la desserte.  Sa dernière visite dans l’île remonte au 4 octobre 1762 pour le baptême des jumeaux de Pierre Savard (1737-1809).  Après le dégel hâtif du fleuve, Louis Chaumont y fait sa première visite du printemps pour le baptême de la filleule de Charlotte[4]. 

Charlotte Hervé épouse Alexis Perron (1734-1807) le 9 novembre 1767 dans la chapelle Saint-Louis-de-France de l’Isle-aux-Coudres.  Charlotte n’a que seize ans alors que son époux en a déjà trente-trois.  Le gendre n’a que huit ans de différence avec son beau-père.  Il faut se demander si Charlotte désirait s’éloigner du caractère bouillant de son père ou si elle se collait à l’amour.  Gardons-nous le plaisir de croire qu’elle était amoureuse puisque le couple aura treize enfants, dont plusieurs descendants Perron croiseront des Hervé plus tard dans notre histoire[5].  

Alexis est un fils de la « paroisse St Pierre et St Paul de labaye St Paul » mais il connaît bien l’île.  On notera qu’il fut, en 1759, l’un des miliciens qui, lors de la conquête, vinrent épier les anglais installés sur l’île pour y faire des prisonniers.  Fils de Pierre Perron (1706-1780) et de Félicité Bouchard (1705-1757), il est de la quatrième génération de Peron dit Suire arrivée en Nouvelle-France en 1662.   

Le couple habitera sur la terre familiale concédée en 1728 à Sébastien Hervé, le grand-père de Charlotte.  Ce sera d’ailleurs elle et son mari qui en hériteront comme son père en avait hérité en 1749.  

Les treize petits Perron que Charlotte donnera à Alexis naîtront et seront tous baptisés à l’Isle.  Ce sont Félicité Sophie Émérentienne née en 1768[6], Marie Magdeleine Charlotte née le 24 mai 1770, Élisabeth née le 10 septembre 1772, Marie Charlotte née le 25 juillet 1774, Zacharie Sébastien né le 25 mai 1776, Alexis né le 12 juillet 1778, Marie Geneviève née le 22 juin 1780, Pierre Michel né le 28 septembre 1782, Marie Anne née le 9 août 1784, Marie Reine née vers 1786, Louis né le 28 février 1790, Joseph né le 14 septembre 1792 et finalement Marie Basilisse née le 15 juin 1795. 

Les messieurs du Séminaire n’avaient guère de scrupules à conjuguer les questions spirituelles et leurs intérêts économiques, car les curés à l’île seront à maintes reprises utilisés pour vaquer aux affaires de la seigneurie, le Seigneur n’ayant rien de spirituel ici.  C’est ainsi que le curé Jean Jacques Berthiaume, en 1774, fait la lecture à ses ouailles du bail pour les « pêches à marsouin » de l’année à venir en pleine cérémonie dominicale.  C’est donc le 25 octobre 1774 que « Dominique hervé, augustin Lavoye, La Ve. Dallaire, fr. Boucher, Charles Savard, alexis Perron, antoine Perron, Etienne Debien père, André Tremblay, Joseph Tremblay, francois Savard, Pierre Savard fils, Barthelemy lapointe et francois LeClerc se voient accorder à nouveau, aux mêmes charges et conditions, les droits de la pêche dite La pêche du Milieu » pour l’année suivante[7]Charlotte et son mari profiteront donc de la manne qu’ont toujours été les « pêches à marsouin » pour les insulaires.  Antoine (1729-1825), le frère aîné d’Alexis est également parti au bail.

Le 29 septembre 1781, le tabellion Jean Néron s’amène à l’Isle pour rédiger le contrat de mariage qui unira l’oncle Dominique à sa seconde épouse, Marie Magdeleine DufourAlexis Perron, un ami de la future épouse agit comme témoin[8].  À la suite du décès de sa première épouse en janvier, l’oncle Dominique, probablement bouleversé, avait été quelque peu négligent en ne procédant pas à l’inventaire des biens qu’il possédait avec elle et au partage entre ses enfants de la portion de sa défunte femme.  Il était d’usage de procéder ainsi avant de prendre une nouvelle femme.   Il corrige donc la situation le 13 novembre en présence du notaire.  Alexis Perron est encore une fois l’un de ceux qui procèdent à l’inventaire qu’enregistre le notaire[9]

Alors que la Révolution française vient d’éclater, la seigneurie de Murray Bay commence à peine à prendre forme et, comme on l’a vu, les liens avec les anciennes paroisses sont encore très nombreux.  Outre le curé de l’Isle-aux-Coudres qui assure la desserte, les parents font fréquemment l’aller-retour pour supporter l’installation des jeunes familles.  Ainsi, juste après le solstice d’été, Charlotte et son mari Alexis sont tous deux dans la paroisse Saint-Étienne de la Malbaye pour agir comme parrain et marraine de Suzanne Simard, fille de Suzanne Perron (1766-1805) et d’Alexis Simard (1764-1816).  Suzanne Perron est la nièce d’Alexis et de Charlotte[10].

C’est à près de soixante-quatre ans, à l’été 1790, que Zacharie Sébastien et son épouse Marie Charlotte Tremblay décident de vendre leur terre à leur fille unique, Charlotte, et à leur gendre.  L’histoire ne dit pas pourquoi ils n’ont pas procédé par donation à leurs âges avancés, surtout que le couple n’a que Charlotte d’enfant[11].  Comme le couple n’a nulle part où aller, le père et la mère de Charlotte demeurent dans leur maison[12]Alexis doit tout de même à son beau-père sa fonction de lieutenant de milice et l’hébergement depuis vingt ans avec sa femme et leurs onze enfants à ce jour.  

Le père de Charlotte fut capitaine de milice de 1775 à 1795[13].  Après plus de vingt ans dans ces fonctions, il passera son titre cette année-là à Joseph Dufour et fera nommer son gendre Alexis Perron lieutenant de milice.  

En 1802, douze ans après que son père lui ait vendu sa terre, c’est maintenant au tour de Charlotte et son mari de se donner à Alexis Zacharie Sébastien, leur fils aîné[14].  Cette donation peut paraître prématurée, compte tenu de l’âge de Charlotte qui n’a que cinquante et un ans, mais il faut se rappeler qu’Alexis en a déjà soixante-huit.  Les père et mère de Charlotte deviennent par conséquent dépendants de leur petit-fils sur la terre des Hervé qui est maintenant celle des Perron.

Lorsque le cousin Louis Hervé (1784-1863) se mari le 5 novembre 1806 à la petite chapelle de Saint-Louis-de-France, son épouse Marie Julie choisit comme témoins ses amis François Tremblay (1778-1864) et Alexis Perron (1778-1845).  Alexis est le fils de Charlotte[15].

L’été suivant, Alexis Perron, lieutenant des milices et époux de Marie Charlotte Harvé, décède le 24 août 1807[16].  Il avait soixante-treize ans[17]

Les fonctions de la milice étaient entrées dans la famille par l’entremise de son premier capitaine à l’Isle, Joseph Simon Savard, pour aboutir par la suite à son gendre, l’oncle Dominique.  Le père de Charlotte était également lieutenant et avait succédé à Dominique comme capitaine vers 1775.  Après lui, ce dernier avait fait nommer Alexis Perron, son gendre, lieutenant de cette même milice.  Les titres de la milice reviendront dans la famille plus tard puisque le cousin Louis Hervé deviendra capitaine[18], mais le titre de capitaine passera d’abord au fils de Charlotte, Zacharie Sébastien Perron (1776-1862), puis à un autre de ses fils Joseph Perron (1792-1872). 

C’est en 1812 que le moulin de L’Islet passe pour ainsi dire dans la famille.  Amable Mailloux (1766-1823) et Élisée Mailloux (1782-1843) en prennent les commandes comme meunier-farinier en remplacement de Pierre Boudreau.  Élisée avait épousé, au cours de l’été, l’une des filles de Charlotte, Marie Anne Perron (1784-1844)[19].

Par son père, Charlotte Hervé avait hérité de la terre du grand-père Sébastien Hervé le colonisateur qui continuera de vivre sur sa terre entourée de ses dix enfants non mariés dont plusieurs ont plus de vingt ans et sont responsables des travaux de la ferme depuis bon nombre d’années. 

Charlotte survivra à son mari jusqu’au 24 novembre 1822.  Elle décède à l’âge de soixante et onze ans[20].  On peut penser qu’avec le départ progressif des plus grands, la cadette Basilisse (1795-1875) était devenue le poteau de vieillesse de Charlotte puisque ce sera elle qui demeurera avec son mari sur la terre ancestrale de la famille Hervé en 1825, après le décès de sa mère[21].

Si aujourd’hui vous faites une balade à L’Isle-aux-Coudres, vous croiserez le parc de la Roche à Caya.  Pensez alors que Charlotte Hervé était la grand-mère de ce nommé Caya qui donna son nom à une roche et à un parc.  Le petit-fils sourd et muet, Alexis Lajoie dit Caya (1815-1890), est devenu bien célèbre à l’île malgré lui.  Il est le fils d’Élisabeth Perron (1772-1827), la fille de Charlotte.

[1]MAILLOUX, Alexis. Histoire de l’Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu’à nos jours. Avec ses traditions, ses légendes, ses coutumes. Montréal, La Compagnie de lithographie Burland-Desbarats, 1879, pages 56-57.

[2]Né le 17 novembre 1716 dans la seigneurie de Maskinongé, Charles-Marie Baron dit Lupien, est probablement le fils de Pierre Lupien dit Baron, maître charpentier, et d’Angélique Courault dit La Coste. Baron dit Lupien effectue son noviciat chez les Récollets en 1735 et prononce ses vœux l’année suivante. Il entre en religion sous le nom de Denis Baron, mais n’est ordonné prêtre qu’en septembre 1741. Le père Baron exerce d’abord son ministère au couvent de Montréal, puis à Sainte-Anne-du-Bout-de-l’Île (aujourd’hui Sainte-Anne-de-Bellevue) en 1741 et à Boucherville en 1744. Il œuvre ensuite dans la région à Pointe-du-Lac près de Trois-Rivières de 1742 à 1744, puis au fort Chambly où son apostolat auprès des troupes dure une dizaine d’années. Le récollet continue d’offrir les services religieux dans différentes paroisses de la colonie jusqu’en 1753. C’est durant cette période qu’il s’attache le temps d’un hiver et d’un été à L’Isle-aux-Coudres. Son passage à l’Isle-aux-Coudres (19 octobre 1750 au 4 août 1751) est peu documenté. Lors de la guerre de la Conquête, le père Baron agit comme aumônier militaire alors qu’il accompagne les troupes françaises dans la vallée de l’Ohio. Il séjourne notamment au fort Duquesne de 1754 à 1756 avant de retourner à Montréal. L’aumônier est par la suite envoyé au fort Saint-Jean en 1758. Il dessert occasionnellement le fort Saint-Frédéric, à la limite du lac Champlain, dans l’actuel État de New York. Il est décédé au fort Saint-Frédéric peu avant le 6 novembre 1758 et est inhumé au même endroit. Dans : Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Et ROY, Pierre-Georges. « Le Bulletin des recherches historiques », Recherches historiques ; bulletin d’archéologie, d’histoire, de biographie, de bibliographie, etc., etc., Lévis, éditions de Pierre-Georges Roy, Volume dix-neuvième, 1913, 302 pages, 43 citations. Et : JOUVE, OdoricMarie.  Dictionnaire biographique des récollets missionnaires en Nouvelle-France, 1615-1645, 1670-1849. Montréal, les Editions Fides, 1996, pages 26-29.

[3]BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 27 avril 1751.

[4]Ibid., 11 avril 1763.

[5]Ibid., 9 novembre 1767.

[6]BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 1768.  Lors du baptême, le curé Louis Chaumont de la Jannière de Baie-Saint-Paul qui, faute de curé, faisait le plus souvent fonction curiales sur l’île, ne mentionne que l’année de naissance. Il fit de même pour toutes ses inscriptions au registre en 1768 après le 24 janvier.  La dernière inscription datée est celle du baptême d’Alexis Savard le 24 janvier 1768.  Neuf baptêmes sont ainsi inscrits sans date précise en 1768.  La prochaine inscription datée est celle du baptême de Pierre Dufour le 9 janvier 1769.  Louis Chaumont de la Jannière n’en était pas à sa première erreur.

[7] A.S.Q. Seigneuries 46, no 27B et 27C (bis) 1774.

[8]A.N.Q., GN. Minutier de Jean Néron, 29 septembre 1781.

[9] A.N.Q., GN. Minutier de Jean Néron, 13 novembre 1781.

[10]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaye, 24 juin 1789. 

[11] A.N.Q., GN. Minutier Jean Néron, 10 juillet 1790.  Vente par Zacharie Hervé à Alexis Perron.

[12] LALANCETTE, Mario.  La seigneurie de l’île-aux-Coudres au XVIIIe siècle.  Montréal, Les presses de l’Université de Montréal, 1980, page 199.

[13] BAnQ., The Quebec Almanac for the year 1794.Québec, Imprimeur John Neilson, 1793, page 92.  L’Almanac de Québec commença la publication des noms des officiers de milice à compter de 1788.  Zacharie y est mentionné comme capitaine de la Milice pour l’Île aux Coudres à toutes les parutions jusqu’en 1794.

[14] A.N.Q., GN. Minutier François Sasseville, 22 juin 1802. Donation par Alexis Perron à Alexis Zacharie Sébastien Perron. 

[15]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 5 novembre 1806.

[16] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 26 août 1807.

[17] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 26 août 1807.

[18] Louis sera d’abord nommé enseigne au premier bataillon du comté de Saguenay le 18 décembre 1830 avant d’être nommé capitaine au second bataillon de Charlevoix pour l’Île-aux-Coudres le 21 mai 1847.  Chaque compagnie est dirigée par un capitaine de milice assisté d’un lieutenant et d’un enseigne.

[19] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 14 juillet 1812.

[20]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 25 novembre 1822

[21] Certains actes de vente passés entre d’autres insulaires, des documents gardés par ces messieurs du Séminaire et surtout l’exercice cadastral qui sera fait en vertu de l’Acte seigneurial de 1854 et qui conduira au « Cadastre abrégé de la seigneurie de l’Île-aux-Coudres, appartenant aux messieurs du Séminaire de Québec. Clos le 16 juin 1859, par Siméon Lelièvre, écuyer, commissaire » indiquent qu’Abraham Tremblay réside sur une portion de cette terre en 1859.