07. Nouvelle-France ?

Une dernière chance à la Nouvelle-France (1774-1775) 

L’abandon de la colonie par la France avait fait partie de la propagande britannique pour amener les gens du pays à déposer les armes à la suite de la conquête et à accepter le nouveau Régime.  Les plus informés cependant avaient vu clair dans la démarche anglaise.  On peut croire qu’en octobre 1774 Dominique qui est de retour de Québec alors qu’il vient d’y piloter un navire, arrive à la maison avec une lueur d’espoir dans les yeux. d, le

Lui qui a combattu l’anglais vient d’apprendre qu’une guerre a éclaté entre les colons américains et les Britanniques dans la région de Boston.  Sur le quai à Québec, les hommes étaient attroupés pour écouter un capitaine de navire qui lisait une lettre invitant les colons à rejoindre les Américains pour former une quatorzième colonie. 

Cette tentative des Américains échoue grâce à l’emprise du pouvoir anglais dans la ville de Québec avec le soutien indéfectible du clergé qui ne se dément pas depuis la conquête[1].  La lettre qui n’est distribuée qu’en deux mille exemplaires est rapidement saisie et les quelques copies qui courent toujours ont peu d’effet parmi une population qui ne sait pas lire. 

Un hiver passe, Dominique et les autres résidents de l’Isle n’entendent parler de rien.  Il faut dire que l’hiver, les nouvelles arrivent peu à l’Isle.  À son retour sur les quais de Québec au printemps, bien que rien ne s’est passé le long du grand fleuve, Dominique apprend que la guerre continue au sud entre l’anglais et les colons américains et que la guerre est à nouveau à nos portes.  Dominique se souvient de la dernière guerre qui n’avait réellement pris fin qu’en 1663 avec le départ de dizaines de navires bondés de français retournant à la mère patrie et dont il avait piloté certains jusqu’au Bic.  On peut s’imaginer qu’à l’île dans les veillées, on en parlait assurément encore puisque chacun de ces navires s’arrêtait au mouillage à l’Isle pour y prendre un nouveau pilote qui le conduirait au Bic avant la traversée finale pour l’Europe.  

Carleton, deuxième gouverneur de la Province of Quebec, demande à l’évêque Briand d’émettre un mandement pour favoriser le rétablissement de la milice.  Le 22 mai 1775, monseigneur Jean-Olivier Briand (1715-1794) se range du côté de l’anglais envahisseur et publie ce mandement dans lequel il invite les catholiques à ignorer les appels des rebelles et de se préparer à défendre «leur pays et leur roi».  En revenant de ses voyages au port de Québec, Dominique «Pilote du fleuve St Laurent depuis le Bic jusqu’à Québec» rapporte les nouvelles de l’avancée des Américains. 

Ce n’est qu’au milieu de l’été que Dominique apprendra le plan des Américains pour détacher l’ancienne Nouvelle-France de l’Empire britannique.  En effet, le gouverneur Carleton sous la menace qui gronde avait proclamé la loi martiale le 9 juin.  Le 13 juillet, comme il l’avait fait à d’autres loyaux sujets britanniques de l’élite pour le reste de la colonie, il avait ordonné au seigneur John Nairne, de faire le recrutement des Canadiens aptes au service militaire sur la Rive-Nord du fleuve au-dessous de Québec.  Malgré menaces et supercheries, Nairne a peu de succès.  Lors de son passage à Baie-Saint-Paul, aux Éboulements et à Murray Bay on l’écoute sans plus et on s’oppose ouvertement au service militaire pour une guerre entre anglais.  Malgré les pressions du clergé, à l’Isle aux Coudres, alors que Zacharie Hervet, le frère de Dominique, est capitaine de milice, on refuse même de rencontrer John Nairne[2].  

Après le passage de Nairne sur la côte, on ne parlait plus que de ça, car l’opération de mobilisation de Carleton avait échoué lamentablement. «À quelques exceptions près, écrit Carleton, les Canadiens n’ont pas voulu marcher, malgré tous les efforts du clergé, de la noblesse et des notables.»  Il n’avait réussi qu’à trouver que quatre-vingt-dix volontaires canadiens dans toute la colonie pour défendre le fort Saint-Jean où les troupes avaient été envoyées.  Au total, dans toute la colonie qui comptait environ soixante-dix mille Canadiens, ils seront moins de cinq cents volontaires[3]

En septembre, mille sept cents Américains entrent dans la colonie pour affronter les Britanniques qu’ils déferont plus tard à l’automne au fort Saint-Jean sur le Richelieu.  La conscription est imposée aux habitants des campagnes, comme dans Charlevoix d’ailleurs.  Les habitants de l’Isle aux Coudres sont épargnés, ils ne sont pas conscrits; un peu en raison de leur trop grand attachement à la France, aussi parce que l’anglais n’a pas encore réussi a pénétré cette population d’insulaire, mais surtout parce que les Britanniques ont trop besoin des pilotes de l’Isle pour faciliter l’arrivée des navires de guerre et le ravitaillement des troupes à Québec.  Ceux qui en ont les moyens fuient les villes et se réfugient chez les parents à la campagne.  Dominique et les autres pilotes à l’île n’en finissent plus d’escorter des navires de ravitaillement et de troupes en provenance de Boston qui est encore sous contrôle britannique. 

De retour à l’Isle, le premier acte du nouveau curé, Pierre Joseph Compain (1740-1806) fut d’écrire sur le registre de baptême le 7 octobre 1775 la naissance de Dominique Isaïe[4]Geneviève donne ce cinquième fils à Dominique.  L’enfant assurera la postérité du prénom de l’ancêtre puisqu’il sera connu et sera inhumé sous le prénom et le nom de Dominique Harvay dans son patelin de Saint-Étienne de Murray Bay [5]où il vivra une fois marié.  Ainsi, Dominique, tout comme ses ancêtres Sébastien Hervé, Sébastien, Gabriel et Gabriel Hervet, venait d’assurer sa postérité en prénommant un deuxième fils comme lui.  Cette volonté de durer que l’on retrouve chez nos anciens sera encore plus marquée chez l’un de ses fils, qui prénommera quatre de ses enfants comme lui, comme on le verra.   C’est Charles Savard, le beau-frère de Dominique qui agit comme parrain de Dominique Isaïe.   Marie Joseph Pilote est la marraine[6].  Bien que l’encre de la plume du père Compain ait mal vieilli et que le registre ait été affecté par l’eau, le patronyme est bien Pilote.  À l’époque de la naissance, il semble n’exister que deux Marie Joseph Pilote dans la colonie.  Une jeune fille du nom de Marie Josephte Pilote (1769-1843) native des Éboulements et ayant aussi vécu à l’Isle existe bien, mais elle n’aurait eu que six ans au moment du baptême.  La deuxième, s’il s’agit bien de celle-là, est Marie Josephe Pilote (1730-post1800), une femme de Québec âgée de quarante-cinq ans.  Cette dernière est la petite-fille de Jeanne Philippeau (1666-1708).  Si cette Marie Josephe est la marraine cela nous révélerait que le père de l’enfant aurait gardé contact avec la famille de sa grand-mère.  Jeanne Philippeau est l’épouse de Paul François Chalifour et la sœur de Françoise Philippeau, justement la grand-mère de Sébastien Dominique.  Gardant en tête son métier de pilote qu’il l’amenait à Québec régulièrement et le fait que sa population à l’époque n’atteignait pas encore les dix milles[7], est-il possible qu’il ait entretenu des relations avec cette famille qui est la sienne et qui est liée aux Chalifour par le mariage.  Les Chalifour sont des marchands d’origines calvinistes convertis à leur arrivée en Nouvelle-France? La circulation entre Québec et l’Isle se faisait alors uniquement par bateau.  Il s’agissait encore de la méthode normale de voyager puisqu’il n’existait pas de route entre Baie-Saint-Paul et Québec.  Si c’était le cas, qu’aurait fait cette Marie Josephe Pilote à l’Isle en 1775? Charles Pilote (1703-1788), qui a déjà demeuré à l’Isle pour une brève période, est son oncle et il réside à Baie-Saint-Paul.  De plus, nous sommes en début d’automne alors que le trafic maritime entre Baie-Saint-Paul, l’Isle et Québec est constant puisque chacun se rend à la ville pour y vendre les produits de sa récolte et y faire les provisions d’hiver.  Les occasions pour Marie Josephe Pilote de se rendre à l’Isle et de retourner à Québec ne manquent donc pas.  Comme on l’a vu également, plusieurs ont fui Québec en raison de la menace américaine et ce pourrait être son cas. 

L’armée continentale américaine après des victoires faciles dans les forts Britanniques au sud de Montréal en mai, venait de prendre le fort Saint-Jean sur le Richelieu le 3 novembre et s’avançait avec le but avoué de prendre la province britannique de Québec et de convaincre les Canadiens de se joindre à la révolution aux côtés des treize colonies américaines.  Les Américains réussissent même à former un régiment de volontaire parmi les Canadiens.  De ce nombre un descendant de Renée Hervet (1636-1702), sœur du grand-père de Dominique : Jean Marie Thibierge (1728-1798)[8]. Dix jours plus tard, les armées britanniques stationnées à Montréal sont défaites et battent en retraite vers Québec.  Le gouverneur du Canada, Guy Carleton, a juste eu le temps de prendre ses jambes à son coup et à s’enfuir vers Québec.  Malgré la pression des élites religieuse, bourgeoise et seigneuriale, cette incursion donna aux Américains le soutien de deux régiments de Canadiens, dont celui de Clément Gosselin.  Sept cent quarante-sept Canadiens prirent les armes pour soutenir les Américains au tout début du conflit[9].  Le clergé et la petite aristocratie canadienne avaient beaucoup à perdre dans ce conflit, car depuis l’Acte de Québec de 1774 beaucoup du prestige et des privilèges dont ils bénéficiaient sous l’Ancien régime leur avaient été restitués. À chacun de ses retours de Québec, Dominique rapproche un peu la guerre pour sa famille.   Ce même automne, avant que les glaces ne prennent fermement sur le fleuve à la fin novembre, Dominique verra mille quatre cents Américains prendre place sur les Plaines d’Abraham.  Puis les glaces figent le fleuve. 

Les insurgés des treize colonies anglaises comptent sur le soutien des Canadiens, qui, pour la plupart, choisissent toutefois de laisser tous ces «anglais» se battre entre eux, même si plusieurs sympathisent à divers degrés avec les envahisseurs.  Une fraction de la population, surtout regroupée dans les campagnes, à Trois-Rivières et à Montréal, se bat aux côtés des insurgés ou leur apporte de l’aide en leur fournissant vivres et asile, de sorte que l’invasion prend dès l’origine l’apparence d’un conflit civil opposant la population à ses élites, nettement plus hostiles aux rebelles.

Les Américains, aidés des deux régiments de Canadiens qui attaquèrent la porte Saint-Jean, donnèrent l’assaut le 31 décembre 1775, mais ne purent prendre la ville protégée de ses remparts.  Le général américain est tué au combat et avant qu’un nouveau général n’arrive pour prendre la relève avec de nouvelles troupes au printemps, le froid et la variole avaient décimé les Américains qui se retirèrent.  Ils quittèrent Montréal en juin 1776[10]

Une fois revenu à l’Isle, il apprendra bien plus tard au cours de l’hiver par les miliciens conscrits de la baie Saint-Paul que l’anglais a refusé d’aller se battre sur les Plaines comme l’avaient fait les Français et les miliciens canadiens en 1759.  Il se disait du temps que « les lâches sont restés derrière leurs remparts».  Les Britanniques avaient compris qu’ils ne pourraient compter sur une trop grande loyauté des «habitants-miliciens» qu’ils avaient conscrits. 

Le dernier espoir dans l’esprit de sédition de Dominique venait de s’envoler, car il apparaît évident que les fils et les filles de Dominique ont entendu leur père casser sa pipe et maugréer, tout au long de sa vie, contre l’anglais qu’il avait combattu.  Il devait cultiver sa haine de l’anglais davantage que ses champs, lui qui passera sa vie sur la mer.  Dans les chapitres suivants, on en aura pour preuve le comportement de certains de ses fils et filles, de même celui de l’un de ses petits-fils, lors de la Rébellion de 1837-1838 et lors de la bataille de la Société des Vingt-et-un au Saguenay dans la même période.

Le 4 juillet 1776, les Américains déclarent leur indépendance et la Province of Quebec demeure britannique.

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[1] Les Ursulines de Québec n’ont-elles pas tricoté des bas pour les porteurs de kilt du 78e Fraser Highlanders au cours de l’hiver 1759 afin de remercier les Highlanders de services rendus? Dans : ROY, P.-G. À travers l’histoire des Ursulines de Québec.  Lévis, 1939, page 134.  En juillet 1760, alors que les Français n’ont pas encore rendu les armes, Claude Godefroy Coquart, missionnaire jésuite pour l’Isle-aux-Coudres et les Postes du Roi guidait Thomas Ainslie, nouvellement nommé par le général Murray comme agent des postes du Roi, dans une inspection du territoire y compris la Malle baye.  Fait cité dans de nombreux ouvrages dont : TREMBLAY, Victor. Histoire du Saguenay — Depuis les origines jusqu’à 1870. Chicoutimi, La librairie régionale inc., 1968, page 204-205.  Lettre de Thomas Ainslie.

[2] WRONG, George M., A Canadian manor and its seigneurs. Toronto, the MacMillan Company of Canada, 1908, page 64.

[3] BURT, A.L. The Old Province of Quebec. New York, éditions Russel & Russel, 1933, page 26.  Texte traduit de l’anglais.

[4] MAILLOUX, Alexis. Histoire de l’Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu’à nos jours. Avec ses traditions, ses légendes, ses coutumes. Montréal, La Compagnie de lithographie Burland-Desbarats, 1879, page 62.

[5] Saint-Étienne de Murray Bay ne sera constituée en paroisse civile que le 5 mai 1837 et plus tard en municipalité civile avec le même nom.  Ce n’est qu’en 1956 que la municipalité prendra le nom de Saint-Étienne de la Malbaie.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 7 octobre 1775.

[7] JOBIN, Albert.  La Petite Histoire de Québec. Québec, Institut Saint-Jean-Bosco, 1948, tableau de population.

[8] Ancestry, Jean Marie Thibierge (patriot), «Canadian Participants in the American Revolution – Index to French Canadian Revolutionary War Patriots» by Virginia Easley DeMarce, 1980, Marceau.  Jean Marie Thibierge est le fils de Gentien Thibierge (1696-1743) à Gabriel Thibierge (1654-1726), celui à qui Sébastien Hervet le migrant donna une terre à l’île d’Orléans en 1698.  Ce dernier est le fils de Renée Hervet et Hypolite Thibierge.

[9] PROULX, L. Amable.  Rapport de l’Archiviste de la Province de Québec pour 1927-1928.  Québec, imprimeur du roi, 1928, pages 435-499.  Journal tenu de la fin mai au début de juin de l’année 1776 dans le cadre de l’enquête officielle effectuée par les auteurs sur la « déloyauté» des Canadiens envers l’autorité britannique pendant l’invasion des armées du Congrès continental révolutionnaire.  Publié également en tiré à part à Québec en 1929 sous le titre de Journal de MM. Baby, Taschereau et Williams, 1776.

[10] TRUDEL, Marcel. La tentation américaine, 1774-1783. Sillery, Éditions Septentrion, 2006, 179 pages.