05. L’aubergiste en mal d’amour

Nouvelle surprise! Les deux aubergistes sous-louent à Louise de Mousseau (1636-1707), du 11 mai 1683, jusqu’à la Toussaint[1], au prix de quatre-vingts livres, la maison qu’ils habitent rue Saint-Paul[2].  De fait, c’est le logement du deuxième étage que Sébastien sous-loue à la veuve.  Louise de Mousseau vient tout juste de débarquer de Québec; elle avait pris deuil depuis moins d’un mois de son mari[3], Pierre Pellerin dit Saint-Amand (1615-1683), cloutier, aubergiste et bourgeois de Québec. 

Pour Sébastien, adieu le commerce lucratif? Peut-être pas.  Sébastien a quarante et un ans quand il annule son association avec Gilles Carré.  Le premier juin suivant Sébastien en vient à un accord avec son ancien associé au sujet de leur auberge et des liqueurs qu’ils y vendent.  Sébastien garde la responsabilité de l’auberge où loge maintenant une dame qui sort de nulle part, moins d’un mois après le décès de son mari? Sébastien demeurera seul responsable de la location d’une durée de trois ans.  Gilles Carré retira ses meubles et ses fourchettes! Ils choisissent des arbitres pour régler leurs comptes[4]

La proximité de cette femme encore jeune peut aussi suggérer une aventure de quelques années à notre Sébastien, célibataire au début de la quarantaine. Ce n’est qu’une hypothèse, mais les circonstances nous permettent de l’imaginer.  On sait que Louise de Mousseau demeurait sur la rue Saint-Pierre à Québec lorsque Sébastien débarqua de sa France natale.  Québec comptait à l’époque cinq cent quarante-sept habitants, y compris les enfants.  Le recensement de Talon[5] de l’année précédente fait état de moins de soixante femmes à Québec.  Il y en avait beaucoup moins dans la Basse-Ville et de plus, Louise de Mousseau était la femme d’un aubergiste de vingt ans de plus qu’elle qui, en 1669, s’était embarqué pour la France d’où il ne revint qu’en 1675 ou 1676[6].  Alors comment Sébastien n’aurait-il pas pu remarquer cette jeune femme

Sébastien devait connaître Louise de Mousseau puisqu’il demeura en la Basse-Ville de Québec trois ans avant d’aller s’installer à «La Chesnaye»

Lui qui, à quarante et un ans, était demeuré célibataire toutes ces années pratiquait possiblement la morale de son époque, car les mœurs du XVIIe siècle pour un Français n’étaient pas celles que connaîtront plus tard les gens du pays sous la coupe du clergé.  Les registres notariés ne traitent pas de ce genre de chose et encore moins les récits des ecclésiastiques que l’on peut retrouver ici et là dans leurs registres. 





En 1683, Louis XIV finit par envoyer deux cents soldats en Nouvelle-France.  L’arrivée des troupes, en réponse aux demandes d’aide répétées du gouverneur de la Nouvelle-France (1682–1685), Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre (1622-1688), fait suite aux attaques isolées, mais répétées des Iroquois.  C’est une véritable petite armée qui débarque à Ville-Marie où n’habitent qu’environ cinq cents habitants à l’époque.  Après de vaines négociations, les Iroquois déclarent la guerre à la Nouvelle-France.

Curiosité du temps, Sébastien ne quitta pas la maison qu’il avait sous-louée le 11 mai.  Il louera cependant un autre emplacement situé du côté sud de la rue Saint-Paul, à peine plus à l’est, entre la rue Saint-Gabriel et la rue Saint-Vincent cette fois-ci, à deux pas de son auberge.  Comme la location n’est que pour une journée en juin et que la maison louée ne fait que deux cent vingt pieds carrés, on peut penser que le lieu peut avoir été utilisé comme étal à l’occasion de la foire des fourrures et lors d’une journée d’ouverture du marché qui a lieu deux fois la semaine, les mardis et vendredis.  Or la location est justement un mardi, le 1er juin[7].  Rappelons qu’à la fin du printemps, nombres de canots d’Algonquins et Outaouais arrivent à Ville-Marie pour y faire la traite des pelleteries.  Il s’agit bien d’une simple traite, car les Européens, comme Sébastien, y échangent des produits contre les fourrures recueillies dans les vastes forêts du Nord, car à l’époque, bien peu d’Européens prennent part à la chasse effectuée l’hiver par les Indiens; leur unique rôle étant de trafiquer avec le plus de bénéfice possible des pelleteries apportées de l’intérieur.  Les peaux n’étaient pas rapportées à Montréal que par les voyageurs, les Amérindiens y étaient nombreux[8].  Bien qu’il ne s’agisse que d’une hypothèse puisque le propre de la traite est qu’elle n’est pas documentée, Sébastien, par ses métiers de potier d’étain et d’aubergiste, peut offrir des denrées recherchées par les Amérindiens à l’époque[9].  

L’arrivée des troupes, en réponse aux demandes d’aide répétées du gouverneur de la Nouvelle-France (1682–1685), Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre (1622-1688), fait suite aux attaques isolées, mais répétées des Iroquois.  C’est une véritable petite armée qui débarque à Ville-Marie où n’habitent qu’environ cinq cents habitants à l’époque.  Après de vaines négociations, les Iroquois déclarent la guerre à la Nouvelle-France.

L’hiver 1683-1684 fut terrible, car en mai il y avait toujours quatre pieds de neige au sol à Ville-Marie.  Le couvent de la Congrégation de Notre-Dame est détruit par les flammes.  Sébastien poursuivit-il son métier d’aubergiste malgré tout? On n’en sait rien, mais tout porte à le croire considérant l’acte notarié du 1er juin 1683 qui le tenait pour responsable de la location de l’auberge pour une durée de trois ans. 

En 1684, Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre prépare une expédition contre les Tsonnontouans, l’une des cinq nations iroquoises.  Cette expédition débouche sur la troisième guerre iroquoise (1684-1701).  S’en suit une longue période de terreur qui amènera Louis-Hector de Callière (1648-1703), nouvellement nommé gouverneur de la juridiction de Montréal, à entreprendre avec les soldats de la garnison la construction d'une palissade autour de Ville-Marie dès l’année suivante.

C’est probablement en 1684 également que Sébastien fait la connaissance de Jean Sébille dit Briseval (1653-1706).  Ce dernier, qui deviendra un marchand prospère à Québec, est un Blésois, tout comme Sébastien, qui vient d’arriver en Nouvelle-France; il s’installe d’abord à Ville-Marie[10].  Outre Sébastien, Sébille est sans doute l’un des seuls autres Blésois vivant à Ville-Marie à l’époque.  Ils sont moins d’une quarantaine dans toute la colonie, surtout concentrés à Québec et aux alentours, mais qui plus est, il est aussi natif de la paroisse Saint-Solenne tout comme la famille de Sébastien.  Son amitié pour Jean Sébille dit Briseval, dont la future épouse deviendra marraine d’un de ses enfants, ne se démentira pas puisque nous les retrouverons à de multiples reprises ensemble jusqu’à la mort de Sébille en 1706.  La proximité de Sébastien avec François Hazeur qui deviendra conseillers au Conseil souverain de la Nouvelle-France s’expliquera en partie par l’amitié entre lui et Jean Sébille.

En 1685, ces cinq compagnies de soldats sont établies dans l’île de Montréal, dont deux à Ville-Marie.  Un corps de garde est construit sur la rue Saint-Joseph «tant pour la discipline des troupes que pour la seureté et le maintient de la police parmy le peuple»Jacques-René de Brisay de Denonville (1637-1710), gouverneur de la Nouvelle-France (1685-1689), ordonne que soient coupés tous les arbres et buissons entre Ville-Marie et la «mission de la montagne» de manière à faire «une terre plaine découverte»

La mission d’évangélisation ou «mission de la montagne», destinée à convertir et franciser les Amérindiens, était établie depuis 1675 au pied de la Montagne.  Avant le début des troubles, environ deux cent dix Amérindiens (Iroquois, Hurons et Algonquins) vivent sur le site.  Afin de protéger le domaine des Iroquois belligérants, on fait construire le Fort de la Montagne.

Les attaques répétées des Iroquois eurent un effet retardateur sur le développement de l’île de Montréal et ses environs, mais devaient bénéficier à l’ancêtre aubergiste Sébastien Hervet en raison de la garnison augmentée de Ville-Marie pendant cette période trouble et de la construction du Fort de la Montagne[11].

On sait Sébastien toujours à Ville-Marie en juillet 1686 puisqu’il y reçoit le 8 juillet devant le notaire Claude Maugue deux cent cinquante livres pour la vente de sa terre de la seigneurie de La Chesnaye effectuée en 1682[12].  Plus traces de Sébastien pour près de dix-huit mois par la suite, les études de notaires et les greffes se turent jusqu’au jour où on le retrouvera à Québec en février 1688. 

Pour sa part, Louise de Mousseau sera également de retour à Québec en 1688 puisque le 13 avril, alors résidente en cette ville, elle se présente devant le procureur général, Claude de Bermen de la Martinière (1636-1719), dans une affaire entre elle et Charles Aubert sieur de La Chesnaye[13].

En 1687, la guerre reprit par ordre du ministre de la Marine Louis II Phélypeaux de Pontchartrain (1643-1727) le 13 juin. Une nouvelle expédition contre les Iroquois quitta Ville-Marie, avec 832 hommes des troupes de la marine, 900 hommes de milice et 400 Indiens alliés.

La première épidémie d’importance, celle de la «fièvre pourpre», probablement le typhus, frappe à la porte de la Nouvelle-France en 1687 et tue environ cent cinquante personnes. Cette maladie meurtrière reviendra régulièrement par la suite comme nous le verrons.

Les guerres, les peines et les maladies, c’en est assez pour l’ancêtre de quarante-cinq ans; finalement, après plusieurs transactions, Sébastien Hervet s’en vint vivre à Québec probablement à l’été 1687.

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[1] La Toussaint est une fête catholique, célébrée le 1er novembre, au cours de laquelle l’Église catholique honore tous les saints, connus et inconnus.

[2] A.N.Q., GN. Minutier Claude Maugue, 11 mai 1683.

[3] ODORIC-MARIE, Jouve et al. Dictionnaire biographique des récollets missionnaires en Nouvelle-France. 1615-1645, 1670-1849, «Père Ambroise Pellerin». Anjou, Les Éditions Fides, 1996, page 760.

[4] A.N.Q., GN. Minutier Claude Maugue, 1er juin 1683.

[5] Pierre Pellerin dit Saint-Amand, 49; Louise de Mousseau (de Monceaux dans certains documents), sa femme, 31; Pierre Ignace, 11; Ignace, 8; Marie, 6; Louise, 3; Marguerite, 1; domestiques : Didier Perrot. 22; Jean Dumont, 17; Claude Leguay, 19 vivaient en janvier 1666 à la Basse Ville de Québec. SULTE, Benjamin.  Histoire des Canadiens français 1608-1880. Montréal, Wilson & cie, 1882-1884, Tome IV, chapitre IV.

[6] QUILLIVIC, Jocelyne et Bernard QUILLIVIC. Migrations. [En ligne].  http://www.migrations.fr/page%20d'accueil.htm [page consultée le 03/12/2014].

[7] Centre canadien d’Architecture, groupe de recherche sur Montréal, le projet Adhémar.  Fiche biographique, Hervé Sébastien. Coordonnées géographiques et temporelles # 60 de l’ancien terrier de la ville de Montréal et # 350 du second terrier de la ville de Montréal.  Cette maison fut démolie le 31 décembre 1704. 

[8] LACOURSIÈRE, Jacques.  Histoire populaire du Québec : Des origines à 1791.  Vol. 1.  Québec, Les éditions du Septentrion, 1996, page 84.  Pour la localisation de la foire et le contexte.

[9] DESJARDINS, Pauline et Geneviève DUGUAY.  Pointe-à-Callière : l’aventure montréalaise. Sillery, les éditions du Septentrion, 1992, pages 31, 51-52.  Lors de fouilles qui seront réalisées à la Pointe-à-Callière au XXe siècle, n’a-t-on pas trouvé des assiettes et chaudrons d’étain et un bouton de fer étamé d’une grande sobriété? Eh oui couvert d’étain!

[10] Fichier Origine, Fédération québécoise des sociétés de généalogie et Fédération française de généalogie.  Fiche 243222.  SÉBILLE, Jean.  Et BAnQ., Registre de Notre-Dame de Montréal, 7 novembre 1685.  Baptême de Madeleine Guy; Jean Sébille parrain.

[11] Le fort de la Montagne était situé à quelques centaines de mètres seulement de Ville-Marie, sur les flancs du Mont royal (sur l’actuelle rue Sherbrooke) tel qu’on le voit à la Figure ci-haut vers 1690.  Il comprenait : A) la chapelle Notre-Dame-des-Neiges; B) la maison des prêtres missionnaires; C) des tourelles, également utilisées comme école par les sœurs de la Congrégation; D) une grange servant d’abri pour les femmes et les enfants pendant les attaques; E) des tourelles; F) un village indien.  Les tourelles indiquées en «C» sont toujours visibles aujourd’hui. Dessin tiré de BEAUBIEN, Charles P. «Le Sault-au-Récollet», Montréal, 1898.

[12] A.N.Q., GN. Minutier Claude Maugue, No. 1093, 8 juillet 1686. Quittance à Jean Fonteneau.  Et : A.N.Q., GN. Minutier Hilaire Bourgine, 20 juin 1686. Obligation par Jean Fonteneau dit Saint-Jean menuisier, à Jean Millot et Matlmrine Thibault sa femme, pour soixante et six livres dix-huit sols, sur un billet de Sébastien Hervé pour lequel il avait répondu.

[13] Registre no 7 des arrêts, jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France (12 janvier 1688 au 22 décembre 1693), f. 20v-21.