4. Blois, le chez-soi des Hervet

La maison des Hervet à Saint-Martin-des-Choux

Les Hervet ne sont installés à Blois que depuis quelques mois lorsqu’au printemps, Marguette donne naissance à un premier fils.  François ne vivra pas bien des années, mais pour l’heure, il est l’objet de fierté des deux Gabriel, le père et le grand-père.  Un descendant mâle vient de naître et est baptisé la journée même à la chapelle Saint-Martin de Blois.

Deux ans plus tard, Marguette accouche à nouveau.  Cette fois-ci, c’est au tour de Françoise de voir le jour le 2 septembre 1633 et d’être aussi baptisée le même jour à la chapelle Saint-Martin.  Cet enfant décédera également en bas âge. 

La prospérité de Blois repose, depuis l’avènement de Louis XII, sur la présence régulière de membres de la cour royale et surtout, avec l’arrivée de Gaston d’Orléans, sur une présence constante d’une cour établie à Blois.  En 1634, après quelques années de préparation et de rénovation à son château, Gaston d’Orléans s’installe au château.  Cultivé et raffiné, Gaston de France, aussi grand homme de guerre passa sa vie à conspirer et ses conspirations échouèrent toujours.  Pour se venger, il créa un «Conseil de vauriennerie», des courtisans et amis avec qui il mena une vie désordonnée où l’or de la famille royale coulait à flots[1].  Réputé joueur et amateur de femmes, il est vu comme le chef de file des libertins de l’époque, ce qui ne fait qu’attirer une cour toujours plus nombreuse et dépensière à Blois.

Le quartier où la famille s’est installée est donc bruyant et vivant à la fois.  Du matin au soir, les marteaux ciselant le métal résonnent dans ce quartier où sont installés de nombreux artisans de luxe, orfèvres, bijoutiers, potiers d’étain qui ne vivent que pour satisfaire cette cour récemment débarquée et la petite noblesse qui l’a suivie. 

Le quartier des Hervet c’est celui de la paroisse de Saint-Martin de Blois ou, comme on l’appelait du temps de Gabriel, Saint-Martin-des-Choux.  L’église est adossée contre le rocher ou s’élève le château.  Un marché aux légumes se tient devant l’église où Marguette va acheter ce qu’il faut pour la famille puisque maintenant c’est un peu Gabriel et elle qui ont pris la direction de la maisonnée.  En raison de ce marché aux légumes, les paroissiens ont toujours désigné l’église sous l’appellation de Saint-Martin-des-Choux[2], église qui fut rasée à la Révolution[3].

C’est donc dans cette église qu’est baptisé le troisième enfant du couple comme tous les neuf enfants qu’auront Gabriel Hervet et Marguette Laurillau.  L’enfant qui est né le 2 août 1635 est prénommé comme son père et son grand-père Gabriel.  Malheureusement pour les parents, l’enfant ne vivra guère plus longtemps que leurs deux premiers[4].

Gaston d’Orléans aura toujours une profonde affection pour le château, affirmant que «l’air de Blois le guérissait».  En 1635, il entreprend la construction d’une nouvelle aile à son château.  Avec cette construction viennent les commandes aux ateliers de la rue des Balletz (aujourd’hui rue des Orfèvres), dont celles qui sont destinées à la famille Hervet.

Comme toutes les maisons de cette rue d’artisans, la demeure des Hervet est constituée d’un atelier qui sert aussi de magasin, d’une cave et d’une écurie.  La maison et la plus grande part du quartier de Saint-Martin-des-Choux ont été totalement rasés par un bombardement allemand en 1940. 

Marguette n’en finit plus d’enfanter.  Le 18 octobre de l’année suivante, elle donne naissance à la première migrante de la famille que nous retrouverons en Nouvelle-France et que l’on prénomme Renée.  Cette dernière tient son prénom de sa grand-mère et marraine Renée Dierse

La naissance inespérée d’un dauphin, le futur Louis XIV, prive Gaston d’Orléans du rang de premier héritier de la couronne; conséquemment, il perd son crédit financier royal et doit stopper les travaux de rénovation de son château en 1638.  Par conséquent, ses commandes aux artisans diminuent.  Comme une mauvaise nouvelle ne vient pas sans une autre, Gabriel Hervet et Marguette Laurillau perdent un fils qui ne passe pas l’hiver alors qu’il décède au début de 1639, sans doute emporté par la peste qui visita le pays blésois de 1637 jusqu’en 1640[5].

Qu’à cela ne tienne, Marquette qui est toujours enceinte accouche d’un autre garçon le 25 juillet 1640.  Les parents défieront le sort en appelant le nouveau-né «Gabriel».  Nous retrouverons également Gabriel en Nouvelle-France.

Le patriarche Gabriel a maintenant soixante-quatorze ans.  Il devait bien descendre à l’atelier tous les matins, mais il avait assurément passé la main à son fils Gabriel depuis un certain temps.  Sa présence au milieu des outils ne devait pas être pour battre lui-même l’étain en feuilles en l’écrouant au marteau.  On peut cependant l’imaginer encore prodiguer des conseils à son fils qui a tout de même quarante-six ans.

C’est en 1642 que Gabriel et Marquette feront leur contribution aux Harvey du Québec.  Le 28 juin, Marquette donne naissance à Sebastien, l’ancêtre des Harvey québécois qui est baptisé le même jour.  Bien que les baptêmes des enfants du couple aient lieu à la chapelle Saint-Martin de Blois, ils sont enregistrés à l’église abbatiale Notre-Dame de Bourg-Moyen.  À cette époque, l’abbaye de Bourg-Moyen conservait les fonts baptismaux pour témoignage de sa suzeraineté.  De fait, le curé de Saint-Martin avait le titre de prieur[6].  

À près de soixante-dix ans s’éteint Renée Dierse.  Elle est inhumée le 20 juin 1644 à Blois.  Cette grand-mère venue de la commune de Mer avec son époux aura vu grandir sous son toit la famille de son aîné Gabriel

Notre ancêtre Sébastien verra sa mère accouchée de trois autres enfants.  D’abord naîtront deux sœurs Anne le 29 juin 1645 et Alice dite Marie le 6 janvier 1647.  Puis, viendra le cadet de la famille Paul le 20 août 1649.

Sébastien notre ancêtre connaîtra très peu sa mère qui décède alors qu’elle n’a que trente-neuf ans et que lui en fait à peine huit.  Marguette Laurillau est emportée le 9 juillet 1650 :

«Le 9e jour de juillet, Marguerite Lorillot, femme d’honneste homme Gabriel Hervet, maître potier d’estain, agée de 40 ans, mourut en la communion de l’Eglise, s’estant icelle confessée a moy soussigné prieur curé et avoir reçu par les mains de mr estienne Besnard mon vicaire... (les S.S.), de laquelle le corps a esté inhumé en cette église par moy prieur. /Tonnelier.»[7]  

La famille est maintenant dominée par des hommes.  Renée bien qu’elle n’ait pas encore quatorze ans se charge de la maison; une situation bien commune pour une jeune fille du temps.

Le patriarche Gabriel Hervet, âgé de quatre-vingt-cinq ans, s’éteint à son tour le 5 mai 1653.  Au décès de ce dernier, son fils Gabriel est son seul héritier [8].

Gabriel Hervet, le père, est veuf depuis plus de trois ans quand il fait la rencontre de Marguerite Delorme.  Bientôt, une nouvelle femme viendra s’installer dans la demeure.  Renée, qui à son tout jeune âge, a pris le contrôle de l’intérieur de la maison de son père depuis bientôt quatre ans voit sans doute venir la fin de son court règne de maîtresse de la chaumière.  Elle sent probablement qu’on a plus besoin d’elle dans cette maison.  Alors qu’elle n’a pas encore atteint ses dix-sept ans, elle quitte le domicile familial et se marie à Hypolite Thibierge (1629-1700), un jeune marchand-tanneur.  La cérémonie se déroule dans l’église paroissiale de Saint-Martin de Blois, le 15 septembre 1653 :

«Le 15 septembre, mariage de Hyppolite Thibierge (de St-Solenne) avec Renée Hervet... en présence de Estienne Thibierge, père de l’espoux, Jean Thibierge, son cousin-germain, Gabriel Hervet, père de l’espouse, Gabriel Hervet, son frère, Gentien Marché, Louis Mariau.
Chemin, vicaire.»[9]

Renée n’arrive pas les mains vides.  La dot que fournit son père «en louis d’or et pistoles d’Espagne»[10] s’élève à mille cinq cents livres, plus deux cents livres pour les habits nuptiaux.  Hypolite est un tanneur blésois de vingt-quatre ans dont la famille est originaire de la vallée de la Cisse[11]

Pendant de ce temps, Gabriel se prépare à convoler.  Comme le veut la Coutume de Paris, au printemps 1654, il fait inventorier les biens de la communauté qu’il formait avec Marguette Laurillau.  Cet inventaire, retrouvé par Ghislaine Le Mauff, nous permet de voir l’intérieur du domicile des Hervet :

«Dans la chambre basse, on découvre un incroyable entassement d’objets : une grande table de noyer, une petite table ronde en sapin, six escabelles et trois tabourets de chêne, cinq chaises de paille, un tabouret pliant et un fauteuil tous deux recouverts de tapisserie, deux châlits l’un de chêne l’autre de noyer, avec leurs literies, couvertures, ciels, courtines et courtineaux.  Plusieurs coffres fermant à clé et un grand buffet à deux fenêtres contiennent le linge de maison — draps, serviettes, nappes — et les vêtements.  Un tapis, un miroir enchâssé façon Venise, un tableau enchâssé de bois de chêne achèvent de meubler cet intérieur.

Dans la garde-robe se trouve la cheminée avec ses accessoires indispensables à la vie quotidienne : chenets à pommes de cuivre garnis de leurs chaufferettes, deux chaudrons, trois broches, un poêlon d’airain, plusieurs poêles, et autres objets pour la confection des repas.  Un autre grand lit de chêne pourvu de sa literie, une maie de chêne, un coffre en noyer garnissent également la pièce.  L’éclairage des lieux est assuré par quatre chandeliers et une grande lampe, tous de cuivre.  On note également la présence d’un rouet et d’armes appartenant à Gabriel Hervet : une pique, une pertuisane, un mousquet et six épées.»

C’est à cinquante-huit ans, le 20 avril 1654, que Gabriel Hervet renoue avec la vie d’homme marié alors qu’il épouse la toute jeune orpheline Marguerite Delorme, laquelle n’a que vingt-quatre ans.  Marguerite se retrouve en terrain connu dans le commerce de Gabriel.  Étant elle-même fille d’un marchand de la ville décédé, la boutique de son époux lui rappelle sans doute son père et son métier.  C’est sa sœur aînée Marie Delorme et son époux Estienne Moulinié, chef de la musique ordinaire de Son Altesse Royale Gaston d’Orléans, qui vont compléter les quatre cents livres de dot qu’elle apporte en lui donnant huit cents livres «pour la bonne affection qu’ils lui portent», somme que «le futur époux sera tenu employer en achat de quelques héritages ou rentes qui demeureront propres à ladite future épouse.» 

«Le 20e jour d’avril... après publications... touchant les promesses de mariage... entre honorable homme Gabriel Hervet, veuf de deffincte Marguerite Lorillot, d’une part, et honneste fille Marguerite Delorme, fille de Deffuncts Jacques Delorme et Marie Toublon... ont été espousez... en présence des parents et tesmoins soussignez.

... Thibierge, François Toullon, F. Mreschal, François Chinelli, Marie Sushomme, Moulinié, Claude Sushomme, Marie Moulinié, Demeulles, Marie Delorme, Renée Delorme, Françoise Moulinié.
Chemin, vicaire»[12]

Les trois premiers enfants de Gabriel Hervet étant décédés en bas âge, Renée serait donc devenue de facto l’aînée et assumera ce rôle auprès de ses deux frères qui la suivront bientôt dans son aventure d’outre-Atlantique.  Elle ne partira cependant pas seule, le 20 juin 1654, elle donne naissance à son premier enfant qui est baptisé le jour même en l’église de Saint-Solenne[13].  Le nouveau-né reçoit le prénom de son grand-père maternel qui est aussi parrain.  Quatre autres enfants suivront, mais seulement deux se joindront à leurs parents pour s’établir en Nouvelle-France comme nous le verrons.



La jeune belle-mère de Sébastien lui donnera une demi-sœur et un demi-frère.  En janvier 1655, Gabriel Hervet est de nouveau père d’un enfant que le couple baptisera Marguerite.  Gabriel ayant perdu ses parents et son frère, c’est à Hypolite Thibierge que reviendra le rôle de parrain.  En 1657, Marguerite Delorme donnera un second et dernier enfant à Gabriel qui sera prénommé Michel.  Aucun de ces deux enfants ne survivra.

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[1] SACCHI, Henri. La guerre de Trente Ans : L’Empire supplicié. Paris, Éditions L’Harmattan, 2003, page 159.

[2] BERGEVIN, Louis. Histoire de Blois, Volume 1. Blois, Éditions E. Dezairs, 1846, pages 510-511.

[3] TOUCHARD-LAFOSSE, Georges. Histoire de Blois et de son territoire : depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Blois, Éditions Félix Jahyer, 1841, page 41.

[4] Les registres de sépultures de Saint-Martin ne débutant que le 18 janvier 1641, son acte de sépulture n’a pu être trouvé (tout comme ceux des deux enfants nés avant lui, François et Françoise.  Au moment du décès de Gabriel Hervet père, les enfants encore vivants qu’il a eus de Marquette Laurillau sont cités dans l’inventaire fait par Mathurin Gastineau notaire et tabellion royal à Blois le 20 octobre 1660.  François, Françoise et le premier Gabriel ne le sont pas. 

[5] DE LA SAUSSAYE, Histoire de la ville de Blois. Paris. Éditions Dumoulin, 1846, page 255.

[6] TOUCHARD-LAFOSSE, Georges. Histoire de Blois et de son territoire : depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Blois, Éditions Félix Jahyer, 1841, page 41.

[7] Archives de la ville de Blois, registre de la paroisse Saint-Martin de Blois, t. IV, page 78.  Transcription des textes à Blois par Fernand Harvey, sociologue et historien (1973).

[8] LE MAUFF, Ghislaine. «Des Hervet blésois aux Harvey québécois», Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, Volume 62, numéro 2, (été 2011), cahier 268, page 139.

[9] Archives de la ville de Blois, registre de la paroisse Saint-Martin de Blois, t. III, page 32.  Le migrant Thibierge signait Hypolite avec un «p» tout comme il est écrit à son registre de baptême.  C’est donc ainsi que son prénom sera orthographié dans ces textes.

[10] LE MAUFF, Ghislaine. Ibid., page 139.

[11] La Cisse est un affluent de rive droite de la Loire.  C’est une rivière française de 81 km qui naît dans la Beauce Blésoise (petite Beauce).

[12] Archives de la ville de Blois, registre de la paroisse Saint-Martin de Blois, t. III, page 35. 

[13] La légende de la photo mentionne «Église Saint-Solenne de Blois».  De fait, il s’agit de la cathédrale Saint-Louis actuelle, construite sur les fondations de Saint-Solenne.  L’église originale de nos ancêtres n’y est plus.  Seuls subsistent quelques vestiges dans sa crypte et la base de son clocher.  L’église Saint-Solenne fut détruite, du moins sa nef, par un ouragan en 1678, peu après le départ des Hervet de Blois.