13. « La grande Madeleine »
continue seule

1812-1832 

Il ne se passe pas grand-choe de Pierre Thomas Boudreault, en ce printemps 1812.  Après l’enregistrement de la sépulture de Dominique au début d’avril,   le prochain enregistrement du neuvième curé de la paroisse Saint Louis de France a lieu le 6 mai suivant à la naissance d’une petite fille nommée Marie Archange Debiens.  Nous rencontrerons Archange à nouveau dans deux chapitres, alors qu’elle deviendra mon ancêtre.  D’ici là, donnons-lui la chance de grandir.

Dans un pays bâti à bout de bras et où l’homme est encore si important à la survivance d’une famille, lorsqu’il part, la veuve restante et les enfants doivent rapidement envisager le futur.  La chaumière de Dominique n’est pas différente.  Les départs sont sur le point de se multiplier.

À la fin de l’été, Thimothé Hervé dit pour l’occasion « Thimothé Harvai » épouse une fille de l’Isle, Émérentienne Martel (1789-1817), le 18 août 1812 dans la chapelle de Saint-Louis de l’Isle-aux-Coudres.  Émérentienne est la fille de Joseph Martel (1754-1831) et d’Angélique Savard (1757-1833).  Le curé mentionne que Thimothé est cultivateur.  Le couple demeurera à l’Isle un certain temps.  Ils y passeront à tout le moins l’hiver 1812-1813 puisqu’à l’automne, Thimothé est choisi comme parrain d’un enfant de son beau-frère[1].  On ne sait pas où le couple vivra au début, sans doute chez Marie Magdeleine Dufour puisque Thimothé travaille à la ferme familiale qui est maintenant dirigée par l’aîné Joseph depuis un certain temps? Bien que l’on n’en trouve pas trace, ses parents ont sûrement dû « se donner » à l’aîné Joseph comme il était coutume à l’époque.  Comme bien d’autres enfants de Dominique, Thimothé se portera acquéreur d’une concession du côté de la Malbaye où le couple partira s’installer.  Le curé Boudreault à travers son registre nous révèle le nom du parrain de Thimothé.   En 1790, on se souviendra, le curé avait omis cette information lors du baptême de Thimothé.  Aujourd’hui, c’est son parrain, Thimothé Dufour (1766-1847), le frère de Marie Magdeleine qui lui sert de père[2].

À l’automne, le mardi 6 octobre, Vital Desbiens (1791-1861), cultivateur à l’Isle, fils de David Desbiens (1765-1817) et de Félicité Godreau (1770-1819) unit sa destinée à une jeune fille mineure de dix-huit ans, Marie Magdeleine Hervé dite « Magdeleine Harvai » la cinquième fille et huitième enfant de Marie Magdeleine Dufour.  Son père décédé au printemps, c’est son frère aîné, « Joseph Harvai » notre ancêtre, qui lui servira de père et descendra avec elle la grande-allée[3].  « Madeleine Harvey » qui perdra son époux en 1861, s’éteindra vingt et un an plus tard à l’âge de quatre-vingt-huit ans[4].  Sauf pour une courte période d’une dizaine d’années à la Malbaye, cette femme de cultivateur elle aussi fera sa vie à l’Isle et y procréera à profusion. 

Une mouche a-t-elle piqué le neuvième curé de l’Isle au Jour de l’An ?  Lui qui écrit notre patronyme « Harvai » depuis son arrivé comme curé en octobre 1811, soudain, change de cahier pour la nouvelle année en 1813 et tout à coup, ses ouailles « Harvai » voient leur patronyme se transformer en « Harvay ».  Cela commence à la mi-mars, au baptême de Pierre Émilien Tremblay le fils de Marie Josephe « Harvay ».  Sa sœur Marie Marguerite, aussi appelée « Harvay », agit comme marraine[5].  Et ça continue moins de dix jours plus tard au baptême de Marie Justine Lajoie, la fille de Marie Euphrosine dite Marie Modeste « Harvay ».  La petite avait été ondoyée à la maison et on avait couru à la chapelle pour la faire baptiser, car l’accouchement avait été difficile pour l’enfant comme pour la mère.  Marie Margueritte « Harvay », agis encore comme marraine[6].  Pierre Thomas Boudreault a été le premier prêtre né à l’Isle.  Fils d’illettré, il avait pourtant beaucoup étudié et il ne faudrait pas voir ici un problème de lettres, peut-être, comme le clergé de Québec, est-il trop proche de l’anglais quand il se rend desservir hors de l’île.

Marie Magdeleine Dufour, un an après avoir enterré son mari Dominique, perd sa plus vieille Marie Euphrosine dite « Modeste Harvay » le 5 mai 1813 qui décède à l’âge de vingt-six ans.  Elle ne s’était jamais rétablie après avoir donné naissance à la fin mars[7].  Louis Lajoie son mari, n’aura pas été marié dix ans que déjà, il se retrouve veuf avec cinq jeunes enfants. 

Seulement neuf jours se sont passés depuis le décès de sa fille et Marie Magdeleine doit retourner à la chapelle de l’Isle pour une autre cérémonie funéraire.  Cette fois-ci, c’est sa belle-sœur, Marie Charlotte Tremblay, l’épouse de Zacharie Sébastien qui est décédée le 14 mai à l’âge de quatre-vingt-quatre ans[8].   Zacharie Sébastien assiste à la cérémonie.  A-t-il quitté l’Isle après le décès de sa femme ?  Sa fille Charlotte y demeure pourtant toujours et est veuve depuis 1807.  Quoi qu’il en soit, Zacharie Sébastien ne fut pas inhumé à l’Isle.  C’est en ce jour de sépulture de son épouse que Zacharie Sébastien, qui aura quatre-vingt-sept ans en août, est mentionné dans les registres religieux de la paroisse pour la dernière fois.

Les printemps et les automnes se ressemblent pour Marie Magdeleine.  Ces saisons amènent le départ de ceux qui l’entourent.  La maison de « la grande Madeleine » et de feu Dominique se vide de ses enfants.  Il n’y restera bientôt que son aîné Joseph à qui le père a passé la main et qui de son côté s’emploie à la remplir à nouveau puisqu’il compte déjà quatre enfants. 

C’est maintenant au tour de Marie Margueritte Arvé, la dernière a quitté le nid familial, de se marier.  Le 15 octobre 1813, elle se présente avec son futur époux accompagné de son frère aîné Joseph et de sa mère, chez le notaire Joseph-Martin Martineau (1780-1831) à la baie Saint-Paul pour établir le contrat de mariage de sa future union[9].  Le 19 octobre 1813, Marie Margueritte dite « Marguerite Hervay » épouse un gars de l’Isle, Jean Baptiste Tremblay (1787-1854), un autre cousin éloigné de troisième niveau.  Encore une fois, l’aîné Joseph servira de père.  Le couple part s’établir à la MalbayeMarie Margueritte aura cinq enfants.  Plus tard, probablement vers 1838, ils partiront coloniser le Saguenay avec leur famille et les membres de la Société des Vingt-et-un dont nous entendrons parler dans deux chapitres.  Ils aboutiront dans le fond de la Grande Baie, la baie des Ha! Ha!, où s’établirent les premiers colons du Saguenay et formeront la paroisse de Saint-Alexis-de-Grande-Baie.  Au mariage de son fils Hippolyte en 1852, ils y habitaient toujours[10].  Elle et son mari son toutefois revenus en 1853 vivre et mourir à Saint-Étienne de Murray Bay, lui en 1854 et elle en 1857[11].

Dominique avait vu partir de l’Isle avec grande peine tous les enfants que Geneviève Savard lui avait donnés.  « La grande Madeleine » est chanceuse, elle n’aura vu que Thimothé et Marie Margueritte quitter l’Isle alors qu’en ce début de XIXe siècle, la plupart des parents insulaires ne réussissent qu’a y installer leur aîné.  C’est donc entouré de Joseph, Louis, Marie Josephe et Marie Magdeleine sa fille qu’elle finira sa vie.

Le 2 juillet 1814, l’évêque débarque à l’île en visite diocésaine.  Joseph Plessis (1763-1825) qui se fait prénommer Joseph-Octave, prénom composé que ses parents ne lui avaient pas donné, profite de sa visite pour annoncer à ses ouailles qu’ils continueront de donner à leur curé, par manière de supplément, la dîme de patates et d’huile de marsouin.  Comme la veuve Marie Magdeleine, demeure avec son aîné Joseph, il ne fait aucun doute que c’est lui qui s’acquitte de cette taxe supplémentaire prélevée pour le maintien du curé.  L’évêque informe également les habitants réunis en assemblée qu’il a permis au curé, en raison de ses infirmités, de continuer de baptiser et de confesser au presbytère dont la construction avait été réalisée en 1771 en même temps que la deuxième église.  Plusieurs des nôtres auront et seront donc baptisés au presbytère.

Le mois suivant, Marie Magdeleine en a plein les bras avec les grossesses sous son toit.  L’épouse de son aîné accouche une nouvelle fois à la fin août[12] alors que Marie Margueritte est revenue à l’Isle pour terminer sa grossesse sous les bons soins de sa mère.  Malheureusement, dans ce deuxième cas, l’enfant est « ondoyé et mort dans le sein de sa mère » le 7 octobre[13].

Le 7 juin 1817, Thimothé, le cadet des garçons qui laboure une terre à la Malbaye perd sa jeune épouse de qui il n’avait eu aucun enfant.   Lorsque l’on examine les noms de ceux qui assistent aux obsèques, on s’aperçoit que c’est toute une petite communauté d’enfants de l’Isle, plus souvent cousin à divers degrés, qui y sont établis[14].  On le verra plus tard lorsque mon grand-père quittera l’Isle, mais déjà on peut voir ici un trait commun de ces insulaires, lorsqu’ils quittent leur Isle, c’est pour s’installer entre eux dans des patelins souvent déjà conquis par un groupe des leurs.  Un an plus tard, « Thimothé Harvey », qui a maintenant vingt-sept ans, reprend épouse à la Malbaye.  Cette fois-ci il s’unit à « Élisabeth Audet dite Lapointe » (1796-1879).  C’est son demi-frère de cinquante-quatre ans, David Louis Dominique qui lui sert de père.  On sait que David réside à la Malbaye« Joseph Harvey » son cousin, le fils de Pierre, assiste également à la cérémonie[15].  Sous la plume du curé de l’endroit, notre patronyme a déjà pris sa forme actuelle.  « Thimothé Harvey cultivateur » de Saint-Étienne de Murray Bay et époux de Élisabeth Lapointe s’y éteindra en 1867 à l’âge de soixante-seize ans et neuf mois[16].

De tout temps comme on l’a vu, les communications fluviales et les contacts avec la ville de Québec avaient exposé l’Isle aux grandes épidémies.  Que l’on se souvienne entre autres des années 1755 et 1758 qui furent tragiques, mais il y en eut d’autres.  L’Isle-aux-Coudres, poste de pilotage obligé, était d’autant plus exposée.  En juin 1832, une épidémie de choléra sévissait à Québec et particulièrement dans sa Basse-Ville, là où dans la paroisse Saint-Roch, Godefroy Tremblay (1800-1879) venait d’être nommé vicaire.  Méconnu, ce grand mal faisait son entrée pour la première fois sur le continent américain et c’est par Québec qu’il avait choisi de s’introduire.  En effet, le choléra probalement apporté par le brick « Carrick » parti de Dublin et bondé d’immigrants irlandais, parvient à Québec le 3 juin 1832.  Durant la traversée, quarante-deux des cent soixante-treize passagers meurent de choléra.

Comme lors de toutes les épidémies à Québec, les mieux nanties se réfugient chez des parents dans les campagnes.  Vers le 25 juin, Godefroy s’embarque sur une goélette de la Malbaie qui le laissa à l’Isle pour qu’il se rende chez ses parents.  Ceux-ci comptent parmi les voisins de « La grande Madeleine » qui est de fait la grand-tante de Godefroy.  Avec les expériences d’épidémies vécues à l’Isle, le comité local d’hygiène ne perd pas de temps pour intervenir afin d’éviter la propagation du mal qu’aurait pu apporter Godefroy.  Dans cette île, où une nouvelle fait deux fois le tour en moins de vingt-quatre heures, la présence de ce dernier fut connue dès la fin de l’après-midi.  Aprè une rencontre du comité, la décision fut prise de chasser l’intrus.  En fin de soirée, il est avisé de ne pas sortir de chez ses parents.  Le visiteur indésirable, en provenance de Québec et aux prises avec le choléra faut-il le rappeler, est reconduit au quai dès le lendemain matin.  Ses statuts de prêtre, d’insulaire et de parents de plusieurs membres du comité ne lui furent d’aucun secours.  Godefroy se réfugia donc alors au presbytère de Saint-Étienne de Murray Bay et, sur les recommandations du curé du lieu, s’y terra comme un animal traqué pour éviter une autre expulsion[17].  De juin à septembre, la région de Québec comptera plus de trois mille décès[18].  Sorti de sa tanière après quelques semaines pour retourner à Québec, Godefroy reviendra comme vicaire à la Malbaie à l’automne.  Il sera celui qui, pour une première fois en 1832, y introduit la forme Harvey du patronyme.  Elle lui était probablement devenue plus normale par la fréquentation de la clientèle anglaise du magasin de M. Lagueux, un marchand de Québec où il vivait pendant son adolescence, ou lorsqu’il travailla comme commis marchand chez J. O. Brunet de Québec, propriétaire d’un magasin de marine[19] 

« La grande Madeleine », après avoir survécu vingt ans à son mari, s’éteint à son tour moins d’un mois plus tard.  Elle qui avait fini sa vie dans sa maison, celle où habite maintenant son fils aîné Joseph, décède le 23 juillet 1832 à l’âge de soixante-quinze ans.  Elle est inhumée le 25 en présence de Marguerite, Madeleine, « … Joseph et Louis Harvé ses enfants… ».  Quoique peu probable en raison du mode de transmission, l’histoire ne dit tout de même pas si « La grande Madeleine » est décédée du choléra, car le curé n’en fait pas mention à son registre.  L’historien de l’Isle, l’abbé Alexis Mailloux avait vu d’un fort mauvais œil l’expulsion de l’Isle par les autorités civiles de Godefroy, un membre du clergé.  Peut-être que le curé Joseph Asselin partageait son opinion.  Quoi qu’il en soit, on ne retrouve aucune mention de décès relié au choléra dans ses registres de 1832. 

« Marie Magdeleine Dufour veuve de feu Dominique Harvé » avait survécu vingt ans à Dominique[20].   

Dominique a continué notre lignée.  Il est le premier avec ses frères et sœurs à avoir vu le patronyme HERVÉ lentement changé.  Le nom de famille Hervé ne disparaîtra pas complètement des registres des curés de l’Isle avant 1823, mais il a déjà commencé à disparaître de l’usage coutumier sous cette génération[21].

Sébastien DominiqueHervé, marié deux fois Hervé et inhumé Harvai n’est plus… et sa « grande Madeleine » non plus.

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[1] BAnQ., Registre de la paSaint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 7 octobre 1812.    

[2] Ibid., 18 août 1812.

[3] Ibid., 6 octobre 1812.

[4] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-l’Île-aux-Coudres, 29 avril 1861 et 4 juillet 1882.

[5] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 14 mars 1813.

[6] Ibid., 23 mars 1813.

[7] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 6 mai 1813.

[8] Ibid., 15 mai 1813.

[9] BAnQ., Centre d'archives de Québec, CN301, S193.

[10] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Alexis de la Grande Baie, 23 novembre 1852.  Il y a cobntradbiction entre le registre de la paroisse et le recensement bbbbbdbe 1b851, tenu dans le mois de janvier de 1852 où l’énumérateur place Jean B. Tremblay et Margueritte Hervay sa femme comme résident de Saint-Étienne de la Malbaie.  Le curé de Saint-Alexis de la Grande Baie ne les savait peut-être pas repartis vivre à La Malbaie.

[11] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 6 février 1854 et 23 février 1857.

[12] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 19 août 1814.  Naissance de Joseph Arvé, fils de Joseph Hervé.

[13] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 7 octobre 1814.

[14] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 9 juin 1817.

[15] Ibid., 8 septembre 1818.

[16] Ibid., 24 juin 1867.

[17] MAILLOUX, Alexis. Promenade autour de l’Ile-aux-Coudres. Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Éditions Firmin H. Proulx, 1880, pages 95-98. Biographie de M. Godefroy Tremblay. À la suite de sa « Promenade autour de l’Ile-aux-Coudres », Mailloux écrivit en addendum (pages 79-107) la biographie de son vieil ami et insulaire comme lui, l’abbé Godefroy Tremblay.  Bien que teintée de biais, cette biographie nous apprend certains détails historiques reliés à la vie de Magdeleine Dufour.

[18] Goulet, Denis et Robert Gagnon. Histoire de la médecine au Québec, 1800-2000 : de l’art de soigner à la science de guérir. Québec, Septentrion, 2014, page 111. 

[19] COLLECTIF. « Chronique de l’Isle-aux-Coudres », Le phare, Isle-aux-Coudres, volume 8, numéro 3, mai et juin 2008 et BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie pour 1832.

[20] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-l’Île-aux-Coudres, 25 juillet 1832.

[21] Les registres civils et religieux de l’Isle-aux-Coudres manifestent une hésitation entre les formes « HERVAI », « HERVÉ », « HERVÉ »,« HERVAY », « HARVAI », « HARVAY » de 1802 à 1822.