02. L’adolescence

Pendant l’adolescence (1706 à 1710)

 

Trois ans plus tard...


«Desffaut à Sebastien hervet demeurant En Cette ville present demandeur contre louis bardet boucher en cette dtteville et Geneviève de Trépagny sa femme desffendeurs...»

Cette fois il s’agit de réclamer :

 «la somme de trois livres pour leur avoir donné engarde l’automne dernier une poignée de Grandes mourues[1]  vertes sallées Et bien conditionnées.»[2]

Que sont devenues les morues? Étant donné que ni le boucher ni son épouse ne se sont présentés en cour, ils ont été condamnés à payer les trois livres et les frais de la poursuite.

On voit que le père était encore actif et batailleur, mais à douze ans, que faisait le fils? Autant il était relativement facile d’imaginer la vie d’un enfant encore petit et près de ses parents, autant il est risqué de prétendre raconter celle d’un adolescent de cette époque. Il est certain que Sébastien a fréquenté l’école élémentaire, probablement celle que le Séminaire dirigeait à la Basse-Ville, car il signera toujours les documents qui le concerneront comme d’ailleurs tous les autres membres de sa famille, mais on ne peut rien dire de plus, car pour la plupart des jeunes de cette époque l’instruction se limitait à savoir lire et à bien remplir les devoirs imposés par la religion.

Il est fort probable que l’adolescent travaillait, du moins à temps partiel. On avait certainement besoin de bras dans la jeune colonie, car on ne cessait de restaurer et de modifier les fortifications à cause des fréquentes rumeurs d’invasions par les Anglais, rumeurs venant d’Acadie en 1707, puis de Boston en 1709.  Il y avait aussi plusieurs autres chantiers.  Entre autres, la communauté des Ursulines était encore en train d’agrandir son monastère à partir des ailes Saint-Augustin et Sainte-Famille pendant qu’on reconstruisait les édifices du Séminaire à la suite des incendies de 1701 et 1705. C’est surtout ce dernier que Sébastien peut avoir fréquenté, car on le retrouvera plus tard comme employé du Séminaire à Baie-Saint-Paul.

Il fut certainement élevé chrétiennement et dans le respect des religieux. On en verra des signes plus tard, qu’il suffise de mentionner pour l’instant qu’il faisait partie d’une famille raisonnablement dévote. 



En 1689, son père «s’est enrollé pour le titre de la Confrérie de Ste Anne pour participer aux prières de la ditte Confrérie Et a aumosné pour son entrée la somme de vingt sols et promis payer pour chaque année pareille somme de vingt sols...»[3] et il s’y conformera jusqu’à sa mort.  La même année, sa sœur Marie Renée Hervé (1689-1764) adhérait à cette confrérie de même que sa mère, le 6 juillet 1705[4].  Ils suivaient en cela l’exemple de son cousin, le fils de Renée Hervet (1636-1702), Étienne Thibierge (1663-1740), qui faisait partie de la confrérie depuis 1686.  Étienne sera d’ailleurs un important marguillier et l’on peut encore lire son nom sur une plaque dans la crypte de la cathédrale[5].

L’omniprésence religieuse à la Haute-Ville devait peser très fort sur la conscience des habitants de Québec.  De sa petite rue De Meulles, si Sébastien levait la tête, il ne voyait que la massive fondation qui rattachait le Château Saint-Louis au bord du Cap-Diamant, mais la résidence du gouverneur, un édifice de deux étages qui s’étirait sur quarante mètres à partir de l’actuel funiculaire, était le seul domaine civil.  La surface occupée par le château et ses dépendances n’était pas plus importante que la moyenne des nombreuses installations religieuses.

Dès qu’il mettait le pied sur la dernière marche de l’escalier Casse-Cou le jeune homme pouvait apercevoir, au-dessus de l’ancien cimetière, l’imposant Palais Épiscopal de monseigneur de Saint-Vallier[6] (1653-1727) un édifice qui, du plateau de l’actuel parc Montmorency, dominait le demi-cercle tracé par le chemin tournant «comme l’on va de la basse à la haute ville» et était, de ce fait, plus imposant que le Château Saint-Louis.  Au-delà, à côté de la basilique Notre-Dame qui possédait déjà son actuelle tour sud, c’était le grand domaine du Séminaire qui occupait tout ce qu’on appelait le fief du Sault-au-Matelot entre la Côte Sainte-Famille d’aujourd’hui et le bord de la falaise.

Face à la résidence du gouverneur, laissant à la Place d’Armes une forme triangulaire plus petite que maintenant, le couvent des Récollets, autour d’une cour carrée, marquait le début de la rue Saint-Louis et précédait de peu l’immense domaine des Ursulines qui s’étendait jusqu’aux fortifications.  Face à la cathédrale, au lieu de l’actuel hôtel de ville et son jardin, c’était l’école, l’église et le monastère des Jésuites.  Finalement, l’Hôtel-Dieu, le monastère des Hospitalières et leurs grands jardins occupaient une importante superficie qui se terminait au bord de la falaise surplombant la batture sud de la Saint-Charles et le Palais de l’Intendant.  Ce dernier domaine était protégé par un prolongement des fortifications de la Haute-Ville qui descendait jusqu’à la rivière.



Si, du haut des airs on pouvait observer le Québec intra-muros de cette époque, on verrait entre deux centres administratifs, le Fort Saint-Louis au sud et l’enclos du Palais au nord, un petit nombre de rues entre six importants domaines religieux et, par conséquent, autant d’édifices consacrés à la célébration du culte catholique.



Le jeune homme de treize ans pourrait bien avoir suivi une importante procession formée de beaucoup d’autres pieux citoyens lorsque la dépouille de Monseigneur de Laval (1658–1674), premier évêque de Québec (1674–1688) et fondateur du Séminaire, fut transportée en grande pompe dans chacune des églises le temps d’y chanter quelques psaumes, en commençant par le couvent des Récollets, pour être finalement inhumée sous le chœur de la cathédrale, le 9 mai 1708.

Comme on l’a vu, c’est dans les registres de la paroisse de Notre-Dame qu’on peut lire la relation d’un événement qui fut probablement l’un des plus marquants pour le jeune de quatorze ans, le mariage de sa sœur Marie Renée, une cérémonie à laquelle assistent le Gouverneur de la Nouvelle-France, le marquis de Vaudreuil, et le grand archidiacre et vicaire général du diocèse, le grand vicaire de la Colombière

L’arrivée du premier navire en provenance de France au printemps 1710, permet une importante livraison : «Des lettres de naturalité» accordées par le Roi Louis XIV à plus de quatre-vingts étrangers de tous les horizons qui par choix, par nécessité ou par la force, ont élu domicile en Nouvelle-France.  Un grand nombre d’entre eux sont des «anglois» dont beaucoup furent amenés dans la colonie à la suite du massacre de Dover en Nouvelle-Angleterre.  Parmi eux il y a aussi des individus venant de la Nouvelle-Hollande et même d’Irlande.  Comme l’exige Sa Majesté, chacun a fait profession foi à la religion catholique apostolique et romaine, condition sine qua non à l’obtention du droit de vivre dans la colonie.  D’ailleurs, le nouvel époux de Marie Renée, un soldat du roi, avait dû s’astreindre à cette obligation pour demeurer dans la colonie.  Parmi ceux qui obtiennent une lettre de naturalité, il y a Jean Baptiste Otis (1683-1760), futur contremaître de Sébastien lorsque, dans quelques années, il travaillera à la ferme du Séminaire de Québec à la baie Saint-Paul[7]

Le 9 mai 1710, sa sœur Marie Renée donne naissance à Claude, son premier enfant.  C’est la grand-mère du petit qui lui sert de marraine.  Comme son père avant elle, Françoise Philippeaux, notre aïeule, termine parfois son patronyme d’un «x» lorsqu’elle signe[8].  Deux ans plus tard, cette même sœur accouchera d’un deuxième fils[9].  Ce dernier sera baptisé « Josué », un prénom très français protestant pour quelqu’un qui comme le père, Daniel Pepie dit Lafleur, a pourtant abjuré sa foi huguenote en 1685[10].

Le père de Sébastien fréquente toujours les notables et le 18 août 1710, on le retrouve au mariage de David Pauperet, marchand bourgeois.

En novembre, son grand-père Philippeau convole pour une troisième fois et la Prévôté de Québec, de la main de son huissier, reçoit encore des nouvelles de la famille Hervet :

«L an mil sept cent dix le vingtiesme jour de Novembre à la requeste de Sebastien hervet demeurant en cette ville rue Champlain[11] ou yl fait Election de domicile J ay huissier Royal en la Prevosté de québec demt. Rue Ste Anne sous signé donné assignation à Benoît ferret navigateur[12] demeurant en cette dte ville en parlant à sa femme à domicille à comparoir de vendredy prochain en huit jours neuf heures du matin au palais et pardevant Messieurs de la Prevosté et amireauté du dyt Quebec pour se voir condamner à payer au requérant la somme de sept livres dix sols pour deux livres et demie de tabac en poudre à luy vendues et livrées à raison d’un Ecu la livre et aux depens…»[13]

À soixante milles de Québec et à l’insu de l’adolescent de quinze ans, une pièce essentielle à son destin est mise en place. Le premier septembre 1710 : l’intendant Raudot (1638-1728) permet aux messieurs du Séminaire d’établir des «habitants» à l’Ile-aux-Coudres[14].

Ainsi s’achève l’adolescence du jeune Sébastien.  Dorénavant, au lieu de l’imaginer dans son environnement et de relater quelques actes des membres de sa famille, c’est lui-même que nous retrouverons dans sa vie d’homme. Jetons quand même un dernier coup d’œil sur quelques événements familiaux survenus pendant sa seizième année.

Cette section du chapitre se termine comme il a commencé, mais les petits conflits commerciaux ne peuvent faire oublier les dangers qu’une constante rivalité entre les métropoles française et britannique fait planer sur la colonie.  On est à la veille de rebaptiser l’église en construction de la Basse-Ville Notre-Dame de la Victoire en Notre-Dame des Victoires lorsque les vaisseaux de l’anglais Walker seront projetés sur les rochers de l’Île-aux-Oeufs, laissant à Sébastien fils une période d’accalmie suffisante pour être l’un des derniers colons de la Nouvelle-France à ne pas être inhumé en sol britannique.

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[1]  L’orthographe de ce mot ne surprend pas, car c’est ainsi que l’on apprend à prononcer le nom de ce poisson à l’Isle-aux-Coudres et on y a aussi tendance à l’écrire de cette façon.

[2]  BAnQ., Prévôté de Québec, 10 mai 1707.

[3]  A.S.Q., Polygraphe 29, No 16, pages 109, 115 et 205.

[4]  Une bulle du pape Alexandre VII accordait des indulgences à la confrérie de Sainte-Anne de Québec le 11 décembre 1660: une indulgence plénière le jour de l’admission, une à chaque année à la fête de Sainte-Anne et plusieurs autres. Les règlements promulgués par Monseigneur de Laval en 1678 insistaient sur la sanctification personnelle, la communion fréquente, des visites à la chapelle de Sainte-Anne, l’assistance à la messe et l’aumône. Monseigneur de Saint-Vallier fit confirmer la confrérie par une bulle du pape Innocent XII le 24 juillet 1694.

[5]  PAULETTE, Claude. Place-Royale, les familles-souches. Québec, Les Publications du Québec, 1988, p.10.

[6] Jean Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier fut le deuxième évêque de Québec de 1688 à 1727.  Né à Grenoble, il décéda à Québec.

[7] BAnQ., Nouvelle-France, Fonds Conseil souverain, TP1, S36, P463, lettres de naturalité accordées par Sa Majesté du 1er mai 1710 au 31 mai 1710.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 9 mai 1710.

[9] TANGUAY, Cyprien. Dictionnaire généalogique des familles canadiennes depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jours. Québec, Éditions Eusèbe Senécal, 1871-1890, Vol. 6, Section 1 : Mer-Pep; Page: 291.

[10] En 1685 le Roi Louis XIV révoque l’Édit de Nantes.  Par conséquent, les protestants ne pourront plus émigrer en Nouvelle-France ou y demeurer que s’ils abjurent leur religion et deviennent catholiques.  Il en sera ainsi jusqu’à la Conquête.

[11]  Notons que la rue De Meulles est redevenue la rue Champlain.

[12] « Ferret est maître de barque et marié à Madeleine Ducheron ». Dans : DROUIN, Gabriel, Dictionnaire national des Canadiens français 1606-1760, Institut Drouin, 1958, 3 volumes.

[13] BAnQ., Prévôté de Québec, Pièces détachées, 20 novembre 1710.

[14] BAnQ., Cahier d’intendance n° 2, f. 654. Requête de Jean Baptiste Gaultier de Varennes, prêtre, procureur du séminaire de Québec, à l’intendant Raudot.  Jacques Raudot fut intendant de la Nouvelle-France de 1705 à 1711.  En 1710, les messieurs du Séminaire, cédant aux instances des habitants de Baie-Saint-Paul et de Petite Rivière Saint-François désireux de s’établir à I’Isle-aux-Coudres, demandèrent à l’intendant la permission de concéder des terres de leur seigneurie.